Chapitre 2.
L’émotion passée, les dépositions faites auprès des autorités, la situation s’était quelque peu apaisée dans le building W. Le bruissement continuel des affaires avait repris ses droits, et si la prise d’otages de la matinée alimentait encore toutes les conversations, elle ne faisait précisément plus que cela : alimenter les conversations. Le monde économique ne supportait pas plus longtemps d’être écarté.
Largo avait renvoyé Gabriella chez elle : la jeune femme avait été bouleversée par sa captivité et l’assaut qui l’avait soldée. Elle avait dans un premier temps tenu à continuer de travailler ; mais finalement, et malgré tous ses efforts, elle n’était pas parvenue à maîtriser ses nerfs. Elle avait hurlé lorsque Michel Cardignac était entré dans son bureau sans frapper, avait renversé la cafetière parce qu’une porte claquait, laissé tomber deux dossiers urgents qu’il avait fallu reconstituer et reclasser, et était incapable de taper correctement le courrier sur son ordinateur, ne pouvant calmer le tremblement de ses mains. Finalement, elle s’était effondrée en larmes dans les bras fort embarrassés de John Sullivan, venu benoîtement lui demander de refaire du café. Largo lui avait conseillé d’appeler son mari et de rentrer chez elle, chose qu’elle avait acceptée entre deux hoquets, hoquets au sein desquels le jeune milliardaire avait cru comprendre qu’elle s’excusait platement de sa faiblesse. Fort ennuyé de constater l’ampleur du traumatisme causé, il lui avait proposé de ne revenir que le lundi suivant.
Puis Largo avait réuni le Conseil pour lui exposer la situation, et remercié John Sullivan de sa maîtrise dans une situation de crise. Il avait déjeuné en compulsant des dossiers importants, et cela avait pris un certain temps dans la mesure où il ne parvenait que difficilement à se concentrer sur les affaires du Groupe W. Il ne pouvait s’empêcher d’entendre la voix de Sanchez menacer Joy. C’était comme un lecteur de CD qui aurait été bloqué sur ‘repeat’. La voix de Sanchez, sans arrêt. Et sans arrêt, cette sensation de vide à la place du cœur. Cette sensation affreuse que tout s’écroulerait et que le monde n’existerait plus si Joy disparaissait.
Incapable de gérer quoique ce soit de façon un tant soit peu convenable, il finit par jeter l’éponge au beau milieu de l’après-midi. Inutile de s’acharner sur les montages financiers qu’il était censé analyser pour le lendemain, il ne comprenait rien. Son cerveau était obnubilé par les événements de la matinée. Et à la place d’une brillante démonstration de haute finance, il ne voyait que des mots et des chiffres juxtaposés. Le dossier aurait pu être écrit en chinois, il n’aurait pas été moins intelligible.
Largo descendit donc au bunker. Kerensky et Joy y étaient déjà, écoutant patiemment pour la trente-neuvième fois au moins Simon leur expliquer comment il avait triomphé des affreux, jouant les Superman. Chaque nouveau récit laissait une place plus grande à l’imagination fertile de Simon, ce qui ne pouvait que lasser les patiences. Et comme celle de Kerensky frôlait le zéro absolu dès le départ, le Russe s’était totalement désintéressé des propos de Simon. Ainsi, seule Joy écoutait, ne parvenant pas à se concentrer sur autre chose. Kerensky, lui, s’était depuis longtemps plongé dans ses recherches.
- Alors ? fit Largo en poussant la porte. Du nouveau ?
- Rien de stupéfiant, répondit Kerensky.
- J’ai pu interroger Sanchez mais je n’en ai rien tiré d’intéressant, avoua Joy en haussant des épaules. Tout ce qu’il m’a dit, nous le savions déjà : il a été recruté par la Commission Adriatique, mais tout se serait fait par mail. J’ai pu obtenir l’adresse électronique…
- Mais ça n’a servi à rien, compléta Kerensky d’une voix agacée. L’adresse n’aboutit nulle part. C’est le néant.
Largo leva des yeux surpris vers le Russe. Cela avait dû lui faire mal d’avouer son impuissance. Kerensky ne baissait jamais les bras, il réussissait toujours à triompher des barrières informatiques les plus complexes. Il avait tout de même réussi à entrer dans les fichiers confidentiels de la CIA, ce qui n’était pas rien ! Là, c’était la première fois que Largo le voyait battu.
- Donc on n’a rien ?
- Rien, lâcha la voix froide de Kerensky.
- Cela dit… Il y a quand même quelque chose…
Joy avait parlé ; mais elle semblait totalement absorbée par ses réflexions. Elle n’achevait pas sa phrase, et le silence qui accueillit ses quelques mots sembla durer une éternité.
- Quoi ? finit par demander Simon, agacé.
- Pour piéger Largo ils devaient avoir ta carte. Donc ils devaient te la prendre, ce qui veut dire qu’ils savaient où tu irais hier soir. Ils devaient savoir où était ta voiture et quand tu sortirais de ce bar.
- Il suffisait de le suivre, suggéra Largo.
- Oui, plausible, admit la jeune femme. Mais il faudrait retrouver cette femme, celle du bar.
- Tosca?
- Mais oui, au fait ! Largo s’était redressé. Ils t’ont assommé, mais elle ?
Ils se regardèrent. C’était vrai : Tosca avait disparu, et pourtant elle était aux côtés de Simon lorsqu’il avait constaté que sa voiture avait été volée. Elle était avec lui, lorsqu’il avait senti ce coup. Mais où était-elle, à présent ?
- Vous croyez qu’elle était avec eux ? demanda Simon, gêné.
Il repensa au passé. Ce n’était pas la première fois que par sa faute, et par l’intermédiaire d’une femme, la Commission faisait irruption dans la vie de Largo – et donc dans celle de Joy, qui avait été en première ligne ce matin. Déjà il s’était attendri sur une jeune femme, et cela n’avait pas été une franche réussite. Martine Duclerc. On avait essayé de la tuer, et Simon avait tout fait pour qu’elle retrouve la mémoire. Et peu à peu, la terrible vérité s’était fait jour : Martine avait partie liée avec la Commission. Et elle les avait exposés, tous autant qu’ils étaient. Simon se souvenait encore de la frustration qui l’avait envahi lorsqu’elle avait levé une arme vers lui et l’avait remis entre les mains des hommes de la Commission. Il s’était senti tellement naïf ! Serait-ce la même chose avec Tosca ?
- Peut-être… lâcha Kerensky.
- Le mieux serait d’aller enquêter sur place, non ?
- Tu as raison, Joy, approuva Largo. On y va.
- Non, je pensais surtout à Simon et moi. Toi, tu restes au Groupe W.
- Pardon ?
- Tu restes au Groupe W, répéta la jeune femme.
- C’est une blague, c’est ça ?
- Je ne plaisante pas.
- Mais si, mais si !
- Largo !?
Elle soupira. Largo lui renvoyait un large sourire, convaincu qu’il serait du voyage. Et il avait raison. Elle ne pourrait guère l’empêcher de venir, et tous les arguments qu’elle invoquerait seraient inutiles. Il était trop obtus. Elle le savait, mais cela l’horripilait au plus haut point. Si seulement une fois dans sa vie, une seule fois, il pouvait se montrer raisonnable ! Elle tenta sa chance, tout en sachant que ce serait vain :
- Largo, je te rappelle que ce matin encore on t’a retenu en otage. On a voulu faire pression sur toi, et tu aurais pu y passer.
- Si je me souviens bien, c’est surtout toi qui as failli y passer. Moi, ils ne voulaient pas me tuer, juste me faire signer leur papier. Ce qui veut dire que de nous trois, c’est moi qui risque le moins.
- Mais…
- Pas de mais, coupa Largo. On y va.
- Largo, Joy a raison, là. Ce n’est pas… commença Simon.
- Je sais. Bon allez, zou ! Georgi, tu continues tes recherches ?
- Ok.
Et sans attendre d’autre réponse, Largo fila vers la porte, tapotant au passage l’épaule de Joy avec un sourire qui exaspéra la jeune femme, furieuse de sa défaite.
*
Ils débarquèrent au bar en fin d’après-midi. Simon entra le premier, suivi de Largo et Joy. Ils se dirigèrent directement vers le comptoir. Simon allait parler lorsque Largo le repoussa gentiment sur le côté et se planta devant le barman.
- Bonjour. Je désirerais un tout petit renseignement, commença Largo.
- L’établissement a pour habitude d’éviter de s’ouvrir à la police des confidences de ses clients, rétorqua l’homme d’un ton peu amène.
Joy réprima difficilement un petit sourire. Qu’il ne veuille pas parler a priori, c’était plus que prévisible. Les barmen ne parlaient que rarement. En revanche la façon qu’il avait eue d’exprimer son refus était amusante. Un barman à l’éloquence châtiée, c’était assez rare pour être relevé. Elle se serait attendue à quelque chose de plus… direct, disons.
- Nous ne sommes pas de la police, dit Largo. Nous recherchons une jeune femme qui pourrait avoir de graves ennuis avec des gens qui ne plaisantent pas. Ce matin, ils ont essayé de tuer mon amie ici présente. Vous voulez bien nous aider ?
L’homme dévisagea Joy, puis Largo. Il sembla hésiter longuement, puis regarda Simon. De toute évidence, il se souvenait du Suisse. Simon ne cilla pas et ne dit rien. Le silence perdura ainsi une longue minute. Autant dire une éternité pour nos trois compères, avides d’en apprendre davantage sur cette Tosca. Enfin, l’homme se décida et se tourna vers Largo, qui jusqu’à présent était le seul à avoir parlé.
- Vous cherchez la fille qui était avec lui hier soir ?
Il avait parlé en désignant Simon d’un mouvement nonchalant du menton.
- Effectivement. Vous la connaissez ?
- Elle vient régulièrement.
- Vous savez où on peut la trouver ?
- Non.
- Même en vous creusant l’esprit ?
- Non.
- Essayez tout de même.
L’homme lui offrit un sourire narquois et, attrapant son chiffon de bar, se mit à lustrer le comptoir, qui pourtant n’en demandait pas tant. Une façon de leur donner congé. Il ne parlerait pas. Il était barman, pas une agence de renseignements. Et puis dans son métier, il était préférable de savoir garder certains éléments pour soi. Le sens du partage n’incluait pas tout. Et certainement pas ce que l’on savait et que l’on n’aurait peut-être pas dû savoir.
Largo sortit une liasse et déposa quelques billets sur le comptoir. L’homme ne bougea pas, mais il jeta un rapide coup d’œil à la somme qui s’offrait à lui. Largo y ajouta quelques billets. Puis d’autres encore. La somme finit par atteindre 2.500 dollars, et l’homme réagit enfin. Abandonnant son chiffon, il s’essuya les mains sur son pantalon dans une élégance que Joy estima parfaitement douteuse. Il prit le pactole d’un geste rapide, comme s’il craignait que Largo ne le récupère s’il tardait trop.
- Tout ce que je sais, c’est qu’elle s’appelle Tosca. C’est une Italienne, je crois. En tout cas, elle a un accent. Elle traîne dans le coin depuis deux ou trois mois. Elle a un copain, encore que je ne suis pas certain qu’ils soient vraiment ensemble.
- Et ce copain, il a un nom ?
- …
- Il s’appelle ? insista Largo.
Largo tendit la main pour reprendre les billets. L’homme recula vivement et regarda les billets, puis Largo. Il jeta un coup d’œil circulaire dans la salle : elle était déserte. Personne n’entendrait, s’il parlait. Par contre, lui, il aurait gagné 2.500 dollars, ce qui représentait tout de même plus de six semaines de son salaire. C’était plus que tentant.
- Promettez-moi que personne ne saura d’où vient le tuyau.
- Vous avez ma parole.
- Et elle vaut quelque chose, votre parole ?
- J’ai été élevé par des moines, et ce sont des gens qui ont le sens des valeurs et me l’ont transmis. Je jurerai sur la Bible, si vous voulez.
L’homme hésita encore quelques secondes et considéra le spectacle que Largo, Joy et Simon offraient. Un type bourré de dollars ; avec une petite amie plutôt mignonne et bien sapée ; et celui d’hier qui ne mégotait pas sur les verres… Et en plus le grand blond, là, celui qui parlait et semblait diriger les deux autres, était prêt à jurer sur la Bible. Bon d’accord, lui personnellement, les bondieuseries, c’était pas son truc. Mais bon. Un gars élevé par des moines, quand même ! On devait pouvoir lui faire confiance, non ? Le barman se décida définitivement lorsqu’il regarda les billets.
- Ce type, c’est pas vraiment un rigolo, fit-il après un dernier coup d’œil pour s’assurer que personne d’autre n’entendrait quoi que ce soit. Il s’appelle Marco. Marco Di Martigliani. Il vient ici tous les jeudis soirs pour boire un coup.
- Et que fait-il du reste de la semaine, ce Marco ?
- Je ne sais pas trop… Mais ça ne doit pas être très honnête, en tout cas. Des fois, il vient avec Tosca ; et des fois elle vient seule. Ce qui est sûr, c’est que quand il est là, elle n’a pas vraiment le même comportement que quand elle est seule. On dirait qu’il la surveille, si vous voyez ce que je veux dire.
- Elle aurait peur de lui ? demanda Joy, intervenant pour la première fois.
- Peut-être, encore que c’est pas vraiment ça… Non, c’est plutôt qu’il l’a à l’œil. Ce serait plutôt un jaloux. Je ne crois pas qu’elle en ait peur, non. Mais je n’en sais pas plus.
- Ok. Et pour joindre ce Marco, pas d’adresse, évidemment ?
- Je ne sais pas où il crèche.
- Mais s’il vient tous les jeudis soirs, il sera là ce soir, non ?
- Sûrement.
- Donc nous nous reverrons ce soir.
- Attendez, il ne faut pas qu’ils sachent que j’ai parlé ! s’affola l’homme. Vous m’avez donné votre parole !?
- Mais vous l’avez : ils ne sauront pas que nous nous sommes rencontrés. Nous vous verrons ce soir pour la première fois, je vous le promets, Monsieur-que-nous-ne-connaissons-pas-encore.
Largo tourna les talons, imité par Joy et Simon. Le barman les suivit du regard et poussa un soupir, espérant qu’il pourrait faire confiance à leur discrétion. Il avait peut-être eu tort de parler. Il regarda les 2.500 dollars. Non, après tout, c’était toujours 2.500 dollars. Chacun ses problèmes ! Et puis ces deux types et la femme avaient bien le droit de venir prendre un pot le jeudi soir, après tout ! Le monde est plein de coïncidences, ça n’en serait qu’une de plus.
*
Ayant eu un compte-rendu complet de la situation après un rapport des plus détaillés de Joy, pimenté par quelques remarques de Largo et Simon, Kerensky lança ses recherches sur ce Marco Di Martigliani. Après vingt minutes, il sourit, de ce sourire supérieur qu’il arborait lorsqu’il avait trouvé quelque chose.
- On peut partager ton euphorie ? demanda Joy dans une moue dubitative. Rien ne l’agaçait plus que lorsque Kerensky les faisait ainsi lanterner, au lieu de donner tout de suite les éléments qu’il avait récupérés.
- Marco Di Martigliani n’est effectivement pas un enfant de chœur. Rien du mafioso, évidemment. Mais il a pas mal d’escroqueries à son actif. Et quelques vols, aussi. Jamais des sommes astronomiques, juste de quoi vivre confortablement. Cela dit, il est recherché en Italie, en France et en Espagne.
- Rien que ça ! émit Joy.
- Oui, mais rien qui motiverait un mandat international. Il est loin d’être un caïd.
- Rien aux Etats-Unis ? s’étonna Simon.
- Rien qui justifie la peine capitale, en tout cas. Il a été arrêté deux fois. Il a même fait de la prison : cinq semaines l’année dernière pour vol. Un cambriolage banal, mais il n’a pas eu de chance : le voisin de palier était un flic.
- Et c’est tout ?
- Oui. Ce type n’est qu’un petit malfrat comme ils sont des milliers dans New York.
- Ben c’est pas gagné, si on n’a que ça ! maugréa Joy.
- Ah ah ! Mais sachez qu’on a autre chose, Mlle Arden ! lâcha Kerensky, ravi de démontrer une fois de plus la supériorité d’un ex-Soviétique sur le monde capitaliste. Parce que pour tout dire, ce n’est pas son passé qui nous intéresse, chez ce Marco.
- Quoi, alors ? s’enquit Largo.
- Sa sœur.
- Parce qu’il a une sœur ?
- Qui ne s’appellerait pas Tosca, par hasard ?
- Une grande brune aux yeux clairs ?
- Si vous voulez bien me laisser parler, je dirais oui, oui et oui. Tosca est sa sœur. C’est bien elle, Simon ?
Il envoya une photographie sur l’écran géant du bunker. Une jeune femme apparut, souriante, ravissante, avec un sourire charmeur et des yeux expressifs. Une vraie beauté, pensa Largo, qui comprit que Simon ne l’ait pas laissée seule au comptoir.
- Oui, c’est bien elle, c’est Tosca, balbutia Simon.
- Tu as son adresse ? demanda sèchement Joy, qui n’avait pas particulièrement apprécié le regard plein d’appétits que Largo avait levé vers la photographie.
- Pas à New York. D’après ce que je lis ici, elle vit à Rome, Via Cavour. Elle est venue aux Etats-Unis il y a presque quatre mois pour un séjour touristique, mais son visa a expiré depuis trois semaines. Elle n’est plus censée être ici.
- Tiens donc ! Et ce serait son clone que Simon a rencontré hier, je suppose ? ironisa Joy.
- Va savoir !
- Il ne nous reste plus qu’à aller trouver ce cher Marco, ce soir au bar, lâcha Largo, toujours captivé par la photographie. Lui pourra nous dire où elle est, si on sait être persuasifs.
Joy haussa des épaules et sortit, en maugréant quelque chose de parfaitement inintelligible. Kerensky sourit et se replongea dans son écran, tandis que Simon s’approchait de Largo.
- Largo ?
L’intéressé ne réagit pas. Il regardait toujours la photographie, les sourcils froncés. Totalement absent.
- LAR-GO ? insista Simon.
- Oui, quoi ?
- Deux choses. D’abord je te signale que le ticket avec Tosca, c’est moi qui l’ai.
- Sauf si elle est impliquée dans les affaires de Sanchez et de la Commission, objecta Kerensky, tout en continuant de pianoter sur son clavier.
- Oui, évidemment. Mais quand on a un tel visage, crois-moi, on ne traîne pas avec des terroristes.
- Et d’où te vient une conviction aussi profondément vide ? s’enquit le Russe, relevant les yeux.
- Euh… je…
- Bon ça va, on verra bien par la suite si elle est impliquée ou non ! coupa Largo. De toute façon pour l’instant on ne sait rien sur elle, alors il est hors de question de s’emballer. Et puis personne n’a de ticket avec personne.
- Ben tu vois, c’est exactement la deuxième chose dont je voulais te parler, fit Simon. Parce que si, justement, il y en a un qui a un ticket avec une fille, ici.
- Pardon ?
- Tu ne pourrais pas essayer d’être un peu plus discret devant Joy, quand tu vois une jolie fille ?
- Etre plus discret devant… ?? Tu pourrais être un peu plus clair ?
- Et toi, tu pourrais être un peu moins balourd ?
- Je ne suis pas certain de bien te suivre.
- Ce que Simon essaie de te dire avec sa finesse habituelle, c’est que tu ne devrais pas susciter de façon systématique la jalousie de Joy.
- Sa jalousie ? Mais…
Largo leva vers Simon et Kerensky un œil à la fois surpris et interrogateur. Georgi soupira profondément en haussant les épaules.
- Comme quoi l’argent ne rend pas forcément plus subtil, murmura-t-il.
- Largo, ne te fais pas plus bête que tu n’es, renchérit Simon. Tu oublies Tosca, tu te concentres un peu sur Joy, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’est tout.
Largo ne répondit pas, se contentant d’un vague sourire. Il regarda fixement la porte du bunker, par laquelle la jeune femme avait disparu. Ainsi, elle était jalouse ? Voilà six mois qu’ils s’étaient séparés sur son initiative, son initiative à elle. Et pourtant, elle était toujours jalouse ? Mais alors… Alors… Elle était toujours… Et donc… ?
Largo sortit à son tour du bunker, demandant à Kerensky d’essayer d’approfondir ses recherches sur Marco et Tosca. Il avait besoin d’être seul pour faire le point et échafauder une stratégie dans un domaine qui ne concernait certainement pas l’affaire ‘Di Martigliani’. Alors qu’il rejoignait l’ascenseur, il se dit que la vie était bien belle, finalement.