- J’espère que ça te plaira, fit Largo en ouvrant la porte de la pièce.
Les murs de la chambre étaient tous blancs et ici et là étaient disposés des meubles en érable.
- Ça manque de déco, je l’avoue, mais je n’ai jamais pris le temps de m’en occuper. On pourrait faire ça pendant que tu es ici, qu’en dis-tu ?
- Je ne voudrais pas déranger...
- Mya, tu es ici chez toi. Si il y a quoi que ce soit que tu veuilles faire ou avoir, tu n’as qu’as le dire.
- Vous savez, certaines personnes profiteraient au maximum de votre fortune, surtout avec ce que vous venez de me dire à l’instant, rit-elle.
- J’ai confiance en ton jugement, sourit-il. Tu peux utiliser la salle de bain. Je n’ai pas de réunion ni de rendez-vous demain, alors on pourra passer la journée ensemble. Enfin... si tu veux.
- Bien sûr. Bon et bien... Bonne nuit.
- Bonne nuit.
Il la regarda tendrement, puis partit en fermant la porte derrière lui. Mya bailla longuement, puis, sans même se dévêtir, se laissa tomber sur le lit et sombra immédiatement dans un sommeil profond.
Elle cligna des yeux, aveuglée par le soleil qui filtrait par la fenêtre dépourvue de rideaux.
Elle gémit un peu, puis s’assied dans le lit défait. Elle avait dû bouger beaucoup cette nuit car la couette était tombée par terre. Elle la ramassa, s’habilla rapidement, se peigna avec ses doigts car elle avait, dans la précipitation du moment, oublier d’emporter une brosse. La générosité de Largo s’étendrait sans nul doute jusqu’à lui en acheter une, mais elle préférait utiliser son propre argent qu’elle avait dans la poche avant de son sac à dos. Ils étaient tous gentils, tous les trois, mais elle ne les connaissait pas encore. Certes elle avait confiance en eux, car elle savait que sa mère avait eu des relations avec eux, mais cela ne suffisait pas encore. Plus tard, peut-être.
Elle sortit de la chambre, encore endormie, et se dirigea vers le salon. Largo, assis à son imposant bureau, semblait étudier un dossier.
- Bonjour ! La salua-t-il. Tu as bien dormi ?
- Oui, mais il faudra penser à investir dans les rideaux.
Il mit quelques secondes à comprendre.
- Oh ! Je suis désolé. Je vais demander à ce qu’on y remédie dès aujourd’hui.
- Merci.
- J’ai presque terminé, tu aimerais déjeuner tout de suite ?
- Rien ne presse, je vous assure.
- Tu sais, avec nous, il y a une règle primordiale. Ici, tout le monde se tutoie.
- Une règle du Groupe ? S’enquit-elle.
- Non, de l’Intel Unit. Vas, je te rejoins dans la cuisine.
Après le petit déjeuner, Largo proposa une ballade en ville. Elle accepta, sentant son appétit d’évasion de réveiller à nouveau. Simon les rejoignit au parking souterrain, et tous les trois montèrent dans une Jag bleu marin.
- Vous en avez beaucoup, des bagnoles aussi géniales ? Demanda-t-elle en attachant sa ceinture.
- Larg’ aime bien les jolies choses, dit Simon, malicieux.
Elle comprit l’allusion lorsque lui revint en mémoire un reportage qu’elle avait vu à la télé il y quelques mois. Dans celui-ci, on disait que Winch était un homme qui aimait bien draguer dès que l’occasion s’en présentait.
Et pourtant tout au long de la journée qu’ils passèrent en ville, jamais il ne détourna le regard devant une jolie paire de jambes, au contraire de Simon qui, lui, était vraiment drôle à voir. Mais elle relégua ce fait aux oubliettes et profita au maximum de sa journée.
Il était environ seize heures et ils étaient réunis devant une énorme glace, véritable montagne de chantilly, et noix, de caramel et de chocolat.
- Je dis qu’on devrait faire ça plus souvent, fit Simon avant d’avaler une énorme cuillerée de crème.
- Je suis d’accord, acquiesça le milliardaire.
- Ce que j’ai le plus aimé, fit Mya, sournoise, c’est quand Simon nous a fait une démonstration de la meilleure façon de draguer une femme.
- Hé ! S’écria ce dernier. Comment je pouvais savoir qu’elle avait un petit ami et qu’il était si baraqué ?
- Ces singeries ne sont plus de ton âge, vieux. Il serait plus que temps que tu te cases.
- Tu sais, dit plus sérieusement le suisse, j’y pense de plus en plus souvent. J’attends juste de trouve la perle rare.
- Et toi, Largo, quand la presse mondiale annoncera-t-elle la venue d’une madame Winch ? Demanda la jeune fille.
Un silence se fit autour de la table. Ses deux compagnons stoppèrent leurs gestes et cessèrent de manger. Lentement, le PDG se leva et marmonna un...
- Je reviens.
Avant de disparaître vers le fond du café bondé.
- J’ai fait une gaffe ? Questionna Mya, qui se sentait fautive et gênée.
- Mya... Il y a des sujets très sensibles qu’il vaut mieux de jamais évoquer devant Largo.
- Dont celui de l’amour ?
Il hocha la tête.
- Je sais que tu te poses beaucoup de questions. Sur ce que ta mère faisait au Groupe, mais... Ce n’est pas que je ne peux pas y répondre, c’est juste que je préférerais que ce soit Largo qui s’en charge. Il a l’habitude des longs discours et c’est pas trop mon fort, de toute façon. Je te demande seulement d’attendre un peu, d’accord ?
- D’accord, fit-elle alors que le principal concerné revenait.
Lorsque son regard croisa le sien, elle se demanda si la rougeur de ses yeux était seulement due à l’atmosphère enfumée du café où à autre chose. Repensant aux paroles de Simon, elle préféra penser à autre chose et tenter d’oublier.
- On devrait rentrer, proposa alors Largo. Kerensky a peut-être déniché quelque chose au sujet de Joy.
Cela fit l’unanimité.
Aussitôt entrée dans le Bunker, Mya demanda vivement :
- Du nouveau ?
Le russe remonta ses lunettes sur sa tête et la fixa.
- Quoi ?
- Je me disais juste que tu agissais exactement comme ta mère autrefois.
Il remit ses lunettes comme les autres entraient. Tout de suite, il commença :
- J’ai réussi à identifier notre homme. Son nom est Edgar Maurice. C’est un canadien qui a eu, il y a une quinzaine d’années, la merveilleuse idée de devenir homme de main de la Commission Adriatique. Ce n’est donc pas un petit nouveau et connaît sûrement plusieurs choses à notre sujet.
- Ce qui, en langage clair, signifie que nous devrions nous méfier.
- Il est un peu tard pour ça, fit à son tour Largo.
- Pardonnez-moi, s’immisça Mya, mais qu’est-ce que la Commission ?
Nouveaux regard appuyés entre les autres. Largo hocha la tête et Kerensky reprit :
- La Commission est une organisation vieille de plusieurs centaines d’années. Elle réunit des femmes et des hommes qui souhaitent diriger la politique mondiale, sans parler de l’économie.
- Ils voudraient bien faire main basse sur le Groupe W, car c’est un morceau très important et imposant pour eux, continua Simon.
- Et ils s’y engagent depuis de nombreuses années, bien avant que Largo n’en soit aux commandes.
- Ce sont eux qui sont à l’origine du meurtre de mon père.
- Ce n’était pas un suicide ? Je l’ai lu dans un magazine... s’étonna l’adolescente.
- C’est ce qu’ils ont voulu faire croire à tout le monde. Vois-tu, Nério a autrefois fait partie de l’organisation mais il l’a quittée, ce qui ne leur a pas plu. Personne n’avait le droit de les lâcher.
- Et ce sont eux qui ont kidnappé ma mère ?
- Oui.
- Mais pourquoi ? Elle ne leur a rien fait ?
- Elle a mis en déjoue plusieurs de leurs plans pendant qu’elle travaillait avec nous. Et la Commission sait qu’elle compte beaucoup pour Largo.
Ce dernier envoya un regard noir à son chef de la sécurité.
- Nous pensions que là où vous étiez, elle ne risquait rien, poursuivit Kerensky. Apparemment, nous nous sommes trompé. Et nous le regrettons.
- Qu’est-ce que... Qu’est-ce qu’ils vont lui faire ?
- Nous... nous ne savons pas, Mya. Mais quoi qu’il en soit, l’important est de la retrouver le plus rapidement possible. Et je m’y active déjà.
- Je sais. Merci.
- Alors, que fait-on ce soir ? Demanda quelques minutes plus tard Simon.
- On pourrait se faire une petite soirée cinéma à mon appartement, proposa Largo. Je me suis acheté de nouveaux DVD, la semaine dernière, et je n’ai pas encore eu le temps de les visionner.
- Ça me va, fit Mya. Tu viens aussi, Kerensky ?
- Je ne... commença-t-il.
- Allez, s’il-te-plaît... le coupa-t-elle en lui faisant des yeux irrésistibles.
- Bon... d’accord.
Tous sourient de voir le russe flancher devant la jeune fille. Celui-ci émit un grognement et se remit au travail.
- Bon, alors tout le monde dans le Penthouse dans une heure. Essaie de ne pas perdre le fil du temps, se moqua gentiment Largo à son informaticien.
Et les trois autres quittèrent le Bunker, direction l’épicerie la plus proche pour dévaliser le rayon friandise.
La soirée fut inoubliable pour Mya. Elle qui ne fréquentait que sa mère prit un immense plaisir à rire des blagues farfelues de Simon, de Kerensky qui, à tous les cinq minutes, émettait un grognement en réponse à une réplique du film qu’il jugeait trop capitaliste. Et il y avait Largo, qui riait avec elle, assis à côté d’elle.
Au milieu du quatrième film, lorsqu’il fut presque une heure du matin, elle s’endormit sans s’en
rendre compte. Sa tête vint se poser dans le creux de l’épaule de Largo qui l’entoura d’un bras. Puis, quand le visionnage se termina, Georgi et le suisse souhaitèrent bonne nuit au milliardaire qui, après leur départ, souleva sans peine l’adolescente et alla la déposer dans le grand lit de sa chambre. Il prit la couette et l’en recouvrit. Juste avant de partir, il déposa un baiser sur son front.
Le cadran affichait sept heures trente-sept. Il était encore tôt mais, les yeux grands ouverts dans la pénombre de la chambre,
Mya n’avait plus du tout sommeil. Largo devait encore dormir, et écouter la télévision ne la
tentait guère. Elle repensa à la soirée d’hier, et sourit. Ils s’étaient vraiment bien amusés. Et soudain, l’image de sa mère se superposa à son esprit. Elle se sentit coupable de s’être divertie alors qu’elle ignorait totalement où cette dernière était détenue.
Elle soupira et tendit l’oreille. Aucun bruit dans le vaste appartement. Finalement, dans son
malheur, elle avait eu la chance de rencontrer des gens supers qui semblaient prêts à tout pour
sauver sa mère. Ils avaient dû être une sacrée équipe, tout de même ! Mais que venait faire Joy,
qui travaillait à mi-temps dans une petite galerie d’art, dans une telle équipe, justement ? Un ancien agent du KGB reconvertit en informaticien, un voleur devenu chef de la sécurité, et finalement, un milliardaire, PDG d’une des plus grande multinationale au monde et une artiste ? Mystère.
Elle se leva lentement et se dirigea vers son sac à dos posé par terre. Puis, elle revint vers le lit, s’y réinstalla et en vida le contenu sur la couette. Elle trouva au milieu du fouillis ce qu’elle cherchait : les lettres de sa mère. Elle prit délicatement une des extrémités du ruban en soie et tira doucement dessus. Les missives furent libérées. Du bout des doigts, Mya prit l’enveloppe du dessus, l’ouvrit, et commença à lire.
Comment commencer cette lettre ? Par un bonjour ? J’hésite. Je débuterai donc ainsi :
Comment vas-tu ? Comment allez-vous ? Vous me manquez tellement, et pourtant, cela ne fait qu’une semaine que vous êtes loin de moi. J’aimerais pouvoir te serrer dans mes bras, humer ton odeur, caresser tes cheveux, t’embrasser.
Pourquoi cela devait-il nous arriver, mon amour ? N’avons-nous pas assez souffert de par le
passé ? Je croyais qu’on nous laisserait un peu de répit, et j’avais tort. Pardonne-moi de t’avoir embarquer dans tout cela. Maintenant, tu dois fuir. J’aurais voulu t’offrir une vie normale...
Kerensky dit que nous devons limiter au maximum la correspondance. Cela me déchire. Déjà que nous ne pouvons parler de vive voix, ni même nous voir...
Est-ce que tout se passe bien, là où tu es ? Le déménagement s’est-il bien déroulé ? Manques-tu de quoi que ce soit ? Si oui, n’hésite pas à me le dire. Une chose à laquelle mon argent pourra aider, pour une fois.
Demande-le moi, Joy. Demande-moi de tout quitter et je le ferai. Tu sais que rien n’a plus d’importance que vous. Mais je ne ferai rien que tu n’approuveras pas. Nous pourrions trouver un endroit paisible où vivre une existence heureuse, loin de mes ennemis. Nous pourrons même nous marier, si tu le voulais...
Et une fois de plus, me voilà à faire des plans d’avenir... Je me surprends à le faire de plus en plus souvent, ces temps-ci. C’est bête, n’est-ce pas ?
Je t’aime, et je t’écris bientôt.
Largo.
Mya déglutit. Voilà donc le terrible secret. Non, ne pas penser maintenant. Lire. Elle ouvrit une autre enveloppe.
Salut ma belle ! Ça boom ?
Tu nous manque, princesse. Sans toi pour nous faire la morale lorsque je rentre trop tard ou que Kerensky et moi nous engueulons magistralement, c’est devenu morne, ici. Notre russe ne le montre pas, mais je sais que lui aussi s’ennuie de sa Miss CIA préférée. Comme nous tous d’ailleurs. Même Sullivan me l’a fait remarquer, l’autre jour. Nous lui avons dit la vérité, bien qu’il s’en douta un peu. Il est peiné. Ta démission semble avoir convaincu les membres du Conseil d’administration et les employés du Groupe, mais surpris. Soudaine, l’ont qualifiée certains.
Comment est la vie, là où tu es ? Je ne mentionnerai pas l’endroit, c’est un des règlements
soumis par Kerensky. Je ne sais même pas moi-même quel moyen il a trouvé pour t’expédier nos
lettres ! J’ai l’impression qu’il est encore plus froid qu’auparavant. Nous cherchons tous
activement un moyen pour que tu reviennes, mais...
J’ai presque honte à l’avouer. Excuse-moi, ma belle, mais je crois que je commence à désespérer. J’ai l’impression que jamais nous ne trouverons de solution, même si nous nous penchons sur le problème pendant des années.
Un mois, seulement. J’ai l’impression que ça fait un an.
Je t’embrasse,
Simon
CIA ? Mais qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Une autre, vite !
Les recherches n’avancent pas. Et pourtant, six mois... Je me sens inutile, cette fois. Je ne trouve rien, et malgré toutes les recherches que je lance, les coups de téléphones que je fais, rien, nada, niet.
Nous faisons tous pitié à voir. Simon a cessé de sortir en boîte depuis quelques temps. Il me rejoint souvent au beau milieu de la nuit pour m’aider à travailler. Il a changé. Et Largo aussi.
Tu lui manques affreusement, c’est évident. Ça saute au visage, même. Il fait bonne figure devant
les hyènes rampantes du Conseil, car s’il laissait paraître une faiblesse, il y en a qui sauterait sur l’occasion, mais dès qu’il est avec nous, il semble si... anéanti... Il tente de ramasser les morceaux et nous tentons de l’aider du mieux que nous pouvons. Mais nous ne suffisons pas, malheureusement. Il lui manque sa Joy adorée pour lui remonter le moral et lui foutre une baffle au bon moment.
Fais attention à toi,
Georgi
Non non non ! Et pourtant...
J’aimerais tant que tu sois là...
Le soir, je ferme les yeux, et je t’imagine. Toi, souriant, la main posée sur ton ventre qui doit être rond, maintenant. Et dire que je ne verrai rien de tout cela...
Ton père risque de bientôt t’écrire. Ne m’en veux pas, mais je n’ai pas trop eu le choix. Il est débarqué au Groupe, exigeant une entrevue avec moi après que l’on lui ait dit à l’accueil que sa fille ne travaillait plus au Groupe W. Il était inquiet parce qu’il avait essayé de te téléphoner et que ton numéro n’était plus attribué. Enfin, je suis persuadé qu’il te racontera tout lui-même. Ne m‘en veux pas...
Mon amour... Si seulement les choses avaient été différentes...
Largo.
Ma chérie,
Je dois avouer être très en colère. J’aurai aimé être prévenu de vos plans. Je suis ton père,
après tout ! J’ai presque dû menacer ce milliardaire pour qu’il accepte de me donner ton adresse,
me faisant promettre de ne pas tenter de te rejoindre autrement. J’ai failli le frapper, mais j’ai vu dans son regard que lui aussi souffrait, peut-être plus que moi, même. Alors seulement je lui ai demandé les vraies raisons de ce départ, de cette fuite.
Je serai donc grand-père d’ici quelques mois. Cette nouvelle m’a ébranlé, je dois dire. Je ne me doutais de rien. Mais il est vrai que nous ne sommes pas très proches, tous les deux. Je le regrette. Et il faut que je n’ai plus le droit de te voir, maintenant qu’enfin, les choses commençaient à s’arranger, entre nous ?
Un enfant... Oh je sais bien que tu n’es plus ma petite fille depuis bien longtemps, mais quand même... Je suis si heureux pour toi, mais en même temps si triste de la tournure des événements.
Joy, je suis fier de toi. J’espère que tu le sais. Je ne condamne pas ta relation avec cet homme
car je sais, depuis que nous nous sommes rencontrés, que c’est un type bien. Je me souviens lui
avoir braquer mon fusil de chasse sur la tête ! Il m’a dit qu’il venait pour toi, et je l’ai cru
immédiatement, même si j’ai joué la carte de l’hésitation. On est jamais trop prudent ! Vous ne vous connaissiez que depuis quelques semaines et pourtant, même si vous ne vous en étiez pas encore rendu compte, vous vous aimiez. J’en ai eu la preuve venant de toi, lorsqu’il t’a mené jusqu’à moi, et que tu m’as dit quel homme merveilleux il était. Malheureusement, les règles que je t’avais inculquées se sont révélées bien ancrées dans ta tête, et dans ton coeur, aussi. Mais finalement, c’est lui qui a choisi, qui a primé dans ton choix final. Je suis triste pour vous.
Pourras-tu m’envoyer quelques photographies du bébé, lorsqu’il sera là ?
Je t’embrasse,
Charles
Te dire combien de fois que je l’ai écoutée et réécoutée en boucle, seul ou avec les deux autres, me serait impossible.
De si petites mains, de si petits pieds, tous bien normaux... J’ai pleuré.
Il est si minuscule, me suis-je dit. Et c’est la chose la plus belle que j’ai jamais vue, à part
toi, bien sûr.
Alors c’est une fille ? Je suis si heureux... Tu as pensé à un nom ? Que penses-tu de Mya ? J’y ai pensé toute la semaine. Si tu as une idée, dis-le moi.
J’ai envoyé une copie de la bande vidéo à ton père. Il état aussi ému que moi. Nous nous voyons parfois, lui et moi. Nous discutons.
J’attends de tes nouvelles rapidement, mon coeur. Je vous aime toutes les deux.
Largo
Comment dois-je le prendre ? Tu me dis que tu as accouché il y a trois semaines, que tout va bien pour vous deux, mais que tu désirerais que nous arrêtions de nous écrire ? Tu n’y penses quand même pas sérieusement ?
Que se passe-t-il donc, tout à coup ? Je ne supporterai pas que tu me laisses ainsi, Joy. Pas maintenant que notre fille est née.
Tu ne m’aimes plus ? Tu reconsidère notre relation ? Mes sentiments ? Ils sont toujours aussi forts qu’au premier jour, mon amour. Et ils le seront toujours. J’espère que tu le sais.
Je pense à vous,
Largo
Dans la dernière enveloppe, l’adolescente découvrit plusieurs lettres mises ensemble. Toutes étaient des suppliques de Largo. L’une d’elles étaient ainsi...
Que des photos, magnifiques, bien sûr, mais qui ne comblent pas mon appétit. Je veux des mots, tes mots, Joy. Aide-moi à te comprendre. Est-ce la fin ? Mets-tu un terme à notre relation ? Éclaire-moi. Mya a presque déjà cinq ans. Elle rentrera bientôt à l’école. Est-elle enthousiaste à cette idée ? Je veux savoir. J’ai besoin de savoir. Dis-moi. Avez-vous besoin de quoi que ce soit ? Y a-t-il quelque chose que je puisse faire ? J’aimerais vous envoyer des présents, à Noël prochain. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
Je vous aime
Largo
Et il y en avait des dizaines comme celle-là. Apparemment, sa mère refusait de répondre au jeune homme. Et il désespérait. Dans la dernière, elle lut ceci :
Mya aura bientôt quinze ans, Joy. Et cela fera seize longues années que tu es partie. Et presque autant que tu ne me parles plus. Je reçois bien sur toujours les photographies, mais rien d’autre.
Je crois que notre fille est en âge de savoir. Et toi ? Je ne t’en veux pas de ce silence éternel. Bien sur, j’aimerais qu’il en soit autrement, mais je respecte ton choix. Respecte le mien.
Kerensky passera la prendre samedi prochain, vers dix heures. Dis-lui simplement qu’il l’emmène
en balade. J’aimerais que tu viennes aussi, tu sais. Que nous soyons tous réunis comme avant. Laisse-moi croire que nous deux, ce n’est pas de l’histoire ancienne, qu’il y a encore de l’espoir. J’aimerais que nous parlions. Nous avons beaucoup à nous dire, depuis le temps.
Je t’embrasse
Largo
La feuille glissa entre ses mains tremblotantes. Mya ferma les yeux et, enfin, laissa l’information se rendre jusqu’à son cerveau. Pour l’instant, elle comprenait l’essentiel, c’est-à-dire que Largo était... son père.