C'était un grand type baraqué qui arborait une coupe au carré blonde. Une paire de lunette était posée au sommet de sa tête. Il avait environ cinquante ans, peut-être un peu plus, et des yeux bleus-gris électrisants. Il portait un pull noir ainsi qu'un pantalon beige. Il ne ressemblait pas à l'homme du matin-même, celui qui les avait attaquées.
- Salut, fit-il d'une voix morne.
Cet accent, bien caché sous une épaisse couche américaine... n'était-ce pas russe ? Il fixa l'arme toujours pointée sur lui.
- Voilà une jeune fille bien courageuse. Mais pas assez maligne, malheureusement.
Il avança vers elle, passif.
- Ne bougez pas ! ordonna-t-elle. Ou bien je tire !
- Tu en serait capable ? s'enquit-il en ne stoppant pas.
Elle appuya, à sa plus grande stupéfaction, sur la gâchette. Il sourit, pour la première fois. Un sourire pas bien grand, mais présent qui la rassura quelque peu.
- Tu as oublié d'enlever le cran de sécurité, lui apprit-il en lui enlevant l'arme des mains.
Elle se sentit soudain étrangement... nue.
- Regarde, fit-il encore en tirant sur un petit machin en métal, au-dessus de la crosse. Tu tires vers le bas. Voilà... Pas mal... continua-t-il. Tu l'as chargée, c'est bien. Pas encore une pro, mais y'a le potentiel.
Il rangea l'arme sur la commode à l'entrée, à sa portée. À leur portée. Mais il ne sembla plus s'en soucier. Il avança encore, la dépassa, et jeta un coup d'oeil dans le salon, la première pièce.
- Où est ta mère ? demanda-t-il.
- Comme si vous ne le saviez pas !
Il haussa encore un sourcil. Dans ses yeux passa soudain une once d'inquiétude.
- Q'est-ce qui s'est passé ?
Elle ne dit rien, les bras ballants. Il vint face à elle, tout près, et, se mettant à sa hauteur, la prit par les épaules.
- Mya, je sais bien que tu ne me fais pas confiance. C'est tout à fait normal, parce que tu ne me connais pas. Mais tu n'as rien à craindre, d'accord ? Je suis un ami de ta mère.
- Je ne vous ai jamais vu. Qui me dit que vous n'êtes pas avec lui ?
- Lui ? releva-t-il. Qui ça, Lui ?
- Je... je ne sais pas. Je ne sais plus... s'énerva-t-elle, alors qu'elle sentait les larmes qu'elle refoulait revenir à l'assaut.
- Mya, calme-toi, d'accord ? dit l'homme. Bien. On va commencer par partir d'ici. On va aller dans un endroit sûr.
- Mais...
- Si ta mère va bien, elle nous y rejoindra.
- Si ?
Il ne répondit pas.
- Il y a quelque chose en particulier que tu souhaiterais apporter avec toi ? poursuivit-il comme si elle n'avait rien dit.
- Je... oui...
- Bien.
Il prit son sac à dos, toujours resté près de l'entrée, l'ouvrit, et en déversa le contenu par terre. Les cahiers vinrent s'écraser sur le sol dans un bruit sourd.
- Mets tout ce dont tu as besoin là-dedans. Prends aussi des vêtements, tu en auras besoin.
- Où va-t-on ?
- Tu le sauras lorsque nous y serons. Vas, dépêche-toi.
Elle obéit. Ce ne fut que lorsqu'elle eut terminer de tout entasser dans le petit sac qu'elle s'aperçut de la stupidité de ses gestes. Elle se préparait à partir avec un inconnu. Et pourtant, elle sentait qu'elle ne courait aucun danger avec lui. Résolue à le suivre, elle descendit l'escalier et le rejoignit dans le salon où il s'était assis en attendant son retour.
- Tu as tout ?
- Oui.
- Alors allons-y.
Ils sortirent à l'extérieur, et il la conduisit vers une voiture grise garée à une vingtaine de mètres de la maison.
- Chouette, la bagnole. C'est une BMW ?
- Hum... acquiesça-t-il.
- C'est la vôtre ?
- Non, elle est à mon patron.
- Et vous faîtes quoi, comme boulot ? demanda-t-elle, une fois à l'intérieur du véhicule.
En savoir le plus sur son compagnon. Voilà ce qu’elle devait faire. Pour avoir si elle se faisait avoir ou si, au contraire, elle pouvait lui faire confiance, comme il le lui avait si bien dit.
- Je travaille dans l'informatique.
- Vous faîtes des logiciels ? Il parait que ça paie assez bien.
- Non.
- Ah. Alors qu'est-ce que vous faîtes, au juste ?
- Je fais des recherches.
- Sur quoi ?
- Plein de choses.
Il mit le contact et la voiture s'engagea sur la route déserte.
- C'est très évasif.
- Mon travail l'est aussi.
- Et vous travaillez pour une grosse compagnie ?
- Assez, oui.
- Et ça se trouve où ?
- Tu vas te taire, oui ! cria-t-il.
Elle sursauta, puis déglutit difficilement. Elle mit sa ceinture lentement, et s'enfonça dans son siège, la tête tournée vers la fenêtre. Pendant plus de dix minutes, le silence régna. Ils quittèrent la ville et s'engagèrent sur l'autoroute.
- Qu'est-ce que vous faîtes ? demanda-t-elle finalement, au bout de quinze minutes, en voyant qu'il regardait fréquemment dans le rétroviseur.
- On est suivi.
- Sans blague ?
- Sans blague.
- C'est peut-être ma mère ?
- Je ne crois pas, non. Ou bien elle a beaucoup changé depuis la dernière fois où je l'ai vue. Radicalement.
La voiture noire qui, selon son compagnon, les poursuivait, accéléra soudain et vint à leur hauteur.
- Il veut seulement nous dépasser, anticipa Mya.
- Alors pourquoi ne le fait-il pas ?
L'autre véhicule se rapprocha dangereusement d'eux.
- Mais qu'est-ce qu'il fabrique ?
- Il faut nous obliger à nous garer, répondit-il. Et c'est ce qu'on devra faire s'il continue.
- Vous n'avez qu'à accélérer !
- J'ai une bagnole devant moi !
- Et bien trouvez autre chose !
Il se mit à marmonner furieusement et incompréhensiblement. Et soudain, il se gara sur le bas-côté.
- Qu'est-ce que vous foutez ? s'énerva-t-elle.
- Ça se voit, non ?
L'autre voiture fit de même, à quelques mètres devant eux. Un homme en sortit et marcha vers eux. Rapidement, Mya verrouilla la portière. Elle n'hésita pas à passer par-dessus le russe, stupéfait, pour en faire de même avec la sienne.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- C'est le type de tout à l'heure. Il est armé. Ces vitres sont blindées ?
- Non...
Elle gémit doucement et s'enfonça dans son siège.
- On va mourir, commença-t-elle à répéter inlassablement, au plus grand agacement de l'autre.
Déjà l'individu arrivait près d'eux.
- Mais faîtes quelque chose, bon sang ! hurla-t-elle.
Comme l'homme se penchait vers la portière de Kerensky et cognait à la fenêtre, celui-ci déverrouilla la porte et l'ouvrit brusquement, atteignant l'homme de plein fouet à la tête. Il s'écroula sur le sol comme une masse.
- Oups, fit-il, puis se tournant vers elle. C'est maintenant ou jamais, tu sais.
- Qu... quoi ?
- Ce type est là pour toi. Alors soit tu restes avec moi et tu décides de me faire confiance, soit tu descends immédiatement et tu vas jouer la nounou avec lui jusqu'à ce qu'il se réveille. Avec un peu de chance, il te mènera à ta mère. Par contre, je ne te promets rien pour la suite.
Ils se fixèrent un long moment, les yeux dans les yeux.
- Vous me la ramènerez, hein ? souffla-t-elle.
- Je vais tout faire pour, je te le promets.
- Alors je vous suis.
Il hocha la tête et remit le contact. Elle se réinstalla dans son siège et se mit à regarder les arbres et autres voitures qui défilaient.
- Je suis désolé, Mya, dit-il finalement.
Comme elle ne réagissait toujours pas, il poursuivit, la regardant par intermèdes.
- Pour tout à l'heure, tu sais... Je ne suis pas très doué avec les enfants.
- Je m'en doutais un peu.
- Je ne voulais pas te faire peur.
- Ce... ce n'est pas ça, fit-elle finalement. Enfin... c'est que tout va tellement vite... Je voudrais juste comprendre ce qui se passe... Je voudrais retrouver ma mère. Je ne sais même pas si elle va bien... Je suis désolée.
- Hé... murmura-t-il en lui prenant la main pour la serrer dans la sienne. C'est normal d'avoir peur. Écoute, dès que nous arriverons, nous nous assiérons et nous discuterons de tout cela, d'accord ?
- Est-ce que vous pensez qu'elle est toujours en vie ?
- Bien sûr. Mais avant, nous devons nous assurer que tu es en sécurité. C'est ce qui est primordial, en ce moment. Ok ?
Elle hocha lentement la tête et là seulement se tourna vers lui.
- Vous êtes vraiment un ami de ma mère, alors ?
- Oui.
- Je croyais qu'elle n'avait aucun ami. Elle ne sort pas beaucoup, vous voyez. Vous la connaissez d'où ?
- Nous travaillions ensemble, il y a quelques années.
- C'était il y a longtemps ?
- Seize ans, approximativement.
- Oh... Dîtes, je ne sais même pas votre nom.
Il sourit.
- Je m'appelle Georgi. Mais mes amis m'appelle Kerensky.
- Et vous me considérez comme l'une de vos amies ?
- Bien sûr. Sinon je ne serais pas là aujourd'hui. Tu devrais dormir, le voyage sera long. Nous traverserons plusieurs états. Nous serons à destination dans quelques heures.
- C'est-à-dire ?
- Environ trois.
- Vous ne voulez toujours pas me dire où nous allons, monsieur Kerensky ?
- Seulement Kerensky. Et non. Disons que c'est une surprise.
Elle lui adressa à son tour un petit sourire et appuya sa tête contre la fenêtre de la portière avant de fermer les yeux.
Lorsqu'elle les rouvrit, elle n'était plus dans la voiture. Une couverture la recouvrait et elle était couchée sur un sofa tout ce qu'il y avait de confortable. Elle se leva, bailla, et entreprit de découvrir où elle se trouvait. Dans un appartement, se dit-elle. Ou dans un bureau. Une très grand bureau, alors. Car il y avait un espace de travail et une immense bibliothèque qui couvrait tout un mur. S'en approchant, ses doigts effleurèrent la couverture des livres de poésie. Un adepte vivait ici, c'était certain. Ou quelqu'un qui voulait tout simplement rehausser son image auprès des gens qui venaient.
Faisant le tour du bureau et du grand fauteuil en cuir, elle s'approcha de la baie vitrée. Elle en ouvrit la porte coulissante et sortit à l'extérieur. Elle se pencha par-dessus la rambarde du balcon et... recula précipitamment. Wahou ! Elle était à combien d'étages au-dessus du niveau du sol ? ! Cinquante ! ?
Des blocs à perte de vue. D'immenses immeubles qui n'en finissaient plus de grimper vers le ciel. Mais où était-elle !? Sûrement pas près de chez elle, sinon elle le saurait. Elle plissa les yeux... Cette silhouette, au loin, tout près de l'océan... C'était... C'était...
La statue de la Liberté !
Elle était à New York ! Elle vacilla sous le choc. Mais que pouvait-elle bien faire ici alors que sa maison était si loin ? Pourquoi Kerensky l'avait-il amenée ici ? Et où était-il, lui ? Pourquoi était-elle seule ?
Elle retourna à l'intérieur, les bras croisés sur la poitrine comme pour se réconforter par elle-même. Elle n'y parvint pas. Elle revint s'asseoir sur le sofa. Luxueux, en passant. Il devait coûter une petite fortune. De même que tout ce qui se trouvait en ces lieux. Se trouvait-elle dans la caverne d'Ali Baba ?
- Et bien ça alors ! s'écria-t-on.
Elle se tourna vers l'autre homme qui venait d'entrer. C'était quoi, une invasion masculine ? Quoi qu'il en soit, l'individu était plus petit que Georgi, brun, et beaucoup plus bronzé, aussi ! Il lui offrit un immense sourire, exhibant ses dents blanches, et, avant même que n'ait pu faire quoi que ce soit, il la prit dans ses bras et la serra à l'étouffer.
- Et bien ça alors ! répéta-t-il. C'que t'as grandi !
Décontenancée, elle fit la première chose qui lui vint à l'esprit : elle lui écrasa les orteils.
Automatiquement, poussant un cri de douleur, il recula.
- Mais qu'est-ce qui te prends ?
- Ne me touchez pas ! l'avertit-elle. Sinon je vous... je vous frappe !
Il grimaça.
- Alors, on ne reconnaît pas tonton Simon ?
Elle haussa un sourcil.
- Hein ?
- C'est normal, tu sais. La dernière fois que je t'ai vue, tu n'étais qu'une enfant. Tu étais si mignonne. Et te voilà devenue une belle jeune fille.
Elle l'observa plus attentivement.
- Eh ! Mais je vous reconnais ! s'écria-t-elle.
- Bah tu vois ! Personne n'oublie Simon Ovronnaz. Même après une décennie!
- Non non, je vous ai vu hier à la télé.
- Oh.
- Oui, vous étiez avec le milliardaire, ce Winch.
- Euh... ouais.
- Alors, dîtes, on est où ?
- Dans son appartement.
- Wow ! s'émerveilla-t-elle en tournant sur elle-même. Alors c'est ici que les terroristes sont entrés et l'ont pris en otage ?
- Ouais, mais c'était pas vraiment des terroristes.
- Alors c'était qui ?
- Tu sais, il a beaucoup d'ennemis.
- Mais ils ont dit, à la télé...
- Faut pas croire tout ce qu'on voit à la télé.
- Et il va bien, maintenant, monsieur Winch ?
Simon sourit.
- Ouais, il n'avait qu'une petite égratignure. Il lui en faut plus pour l'arrêter, tu sais. Dis donc, t'étais obligée de me frapper ?
- Je...
- Oui bon, je sais que j'ai été assez impulsif, mais crois-moi, y'a de quoi l'être !
- Vous êtes un ami de ma mère, vous aussi ? s'enquit-elle.
- Bien sûr.
- Je... répéta-t-elle. Je ne comprends pas... Est-ce que ma mère connaît...
Elle ne termina pas sa phrase. Il devina néanmoins la suite.
- Et comment qu'elle connaît Largo ! On était tous amis, dans le temps.
Il alla près du bureau et attrapa un cadre photo qui y était posé. Il le lui tendit. Sa mère y était posée, riante, tenue par la taille par Largo Winch, et entourée de Kerensky et Simon. Elle avait l'air si heureuse...
Elle revit sa mère, la veille, devenir blanche en apprenant l'attentat au Groupe. Elle comprit la peur qu'elle avait dû ressentir en comprenant que son ami était blessé, et ce peut-être gravement. Mais alors, pourquoi ne s’était-elle pas tout simplement précipitée sur le téléphone pour appeler Ovronnaz ?
- Vous ne l'êtes plus ? fit-elle encore.
Le regard de Simon s'assombrit.
- Si, mais... disons que nous n'entretenons plus les mêmes relations qu'autrefois. Pleins de facteurs ont contribué à nous éloigner.
- Comme... comme moi, par exemple ? s'avança-t-elle.
- Tu dois avoir faim, éluda-t-il. Larg' a toujours quelque chose dans son frigo. Je vais voir, d'accord ? Ne bouge pas.
Et il disparut dans la cuisine. Elle soupira et se rassit sur le sofa. L'adolescente aperçut son blouson posé sur la table basse et le prit dans ses mains. La petite pile de lettres était toujours là, dans sa poche. Elle les compta rapidement. Huit seulement. À ce moment, elle entendit Simon revenir et les remit à leur place, à l'abri des regards. Il posa devant elle un plateau remplit de victuailles, allant de fruits mûrs à bols de croustilles. Il avait même amené une brique de jus d'orange et deux grands verres.
- Comme je savais pas ce que tu aimerais, j'ai rapporté un peu de tout. Sers-toi ! fit-il en le faisant lui-même. Chest délichieux ! continua-t-il, la bouche pleine.
Elle éclata de rire. Il avala et la regarda prendre une pêche sur le plateau. Elle se tourna vers lui, interrogatrice.
- Tu as les yeux de ta mère, tu sais.
Et ils se remplirent de larmes. Elle baissa la tête. Un sanglot la traversa. Bien maladroitement, Simon la prit dans ses bras.
- C'est bête, j'ai toujours envie de pleurer, ces temps-ci, avoua-t-elle.
- Mais non, voyons. C'est normal. J'ai cru comprendre qu'il s'était passé beaucoup de choses, depuis ce matin. Ça t'aiderait d'en parler ? Allez, raconte tout à tonton Simon.
Elle lui sourit à travers ses larmes. Lentement, elle lui décrivit la matinée plus que chargée qui venait de défiler.
- En tout cas, je peux te dire que ta mère serait fière de toi, Mya. Tu as très bien réagi. Mais c'est terminé, maintenant, d'accord ? Tu es en sécurité, maintenant. On se charge de tout.
Il regarda sa montre.
- Presque dix-sept heures. La réunion de Largo va bientôt se terminer, ça te dirait de le rejoindre ? On pourrait aller retrouver Kerensky, ensuite.
- Pourquoi pas, dit-elle. Mais il n'est pas à l'hôpital ?
- Largo ? Nan ! Ils ont bien essayé de le garder en observation, mais rien n'y a fait. C'est une vraie tête de mule !
C'est en riant qu'ils sortirent dans le couloir.
- C'est gigantesque ! Titanesque, même ! s'émerveillait Mya.
- Bienvenue au Groupe W, jeune fille. Et encore, tu n'as rien vu !
Comme la réunion du PDG s'était allongée, Simon lui avait fait visiter quelques étages de l'immeubles. Il voulait surtout lui changer les idées, ce qu'elle savait et l'en remerciait. Ils parvinrent une nouvelle fois devant la salle d'administration ou, comme dirait le suisse, la cage aux lions.
- Le plus vilain, c'est Cardignac. Il n'y a pas plus teigne, racontait le petit brun. Il aimerait bien que le Groupe lui appartienne. Mais tu sais, je suis certain qu'il ne serait pas apte à en prendre les rênes pour une semaine.
- Pourquoi ? Y'a tant de boulot ?
- Pas que ça. Tu vois, quand on est aussi puissant, on se fait un tas d'ennemis.
- Comme ceux de l'autre jour ?
- Ouais. Et encore, on a eu de la chance. Ceux-là n'étaient pas bien malins. Le temps qu'on arrive sur les lieux, Largo en avait mis deux à terre.
- Ça a l'air d'être un type bien.
- Oh oui. Et il n'a même pas pris la grosse tête, depuis son arrivée ici. Je suis certain que tu vas l'adorer. Et ce sera réciproque, crois-moi.
- Tu es sûr ? demanda-t-elle, car il lui avait demandé de le tutoyer.
- Certain...
Son visage devint plus grave et penseur. Elle n'eut toutefois pas le temps de le questionner car un brouhahas leur parvint. L'assemblée venait de toute évidence de prendre fin. Un tas d'hommes et quelques femmes sortirent de la pièce, mais elle n'en reconnu aucun comme étant Winch. Et puis enfin, en dernier, il sortit, accompagné d'un homme plus âgé et presque chauve, discutant de toute évidence affaire.
- Largo, je vous félicite. Ce n'est pas tous les jours qu'on signe un aussi important contrat.
- John, voyons, rien ne se serait fait si vous n'aviez pas été là, et vous le savez. Vous êtes un admirable entremetteur.
- Merci, mon garçon.
Ils se sourirent et arrivèrent à ce moment-là devant le couple qui attendait à quelques mètres de la porte. Ils se turent tous les deux et leur regards se fixèrent sur Mya, qui se sentit rougir.
- John, fit Simon, je voulais justement vous parler d'un truc...
- Un truc ? Dîtes, est-ce que c'est...
- Mais oui, vous savez, Le Truc... continua-t-il en le prenant par l'épaule pour le mener plus loin.
- Oh, ce truc-là...
Mya les suivit du regard jusqu'à ce qu'ils disparaissent à l'angle du couloir. Lentement, elle tourna la tête vers le milliardaire le plus convoité de la ville, et sûrement du pays. Il l'observait toujours. Elle décida de prendre les devant, timidement.
- Bonjour, monsieur Winch. Je... je m'appelle Mya Arden. Simon... Simon m'a dit que vous connaissiez ma mère, ajouta-t-elle en tendant la main.
Il la saisit doucement et s'approcha d'elle. Comme s'il risquait qu'elle puisse se briser à son contact, il la prit dans ses bras le plus délicatement possible. Elle se retrouva blottie contre sa poitrine, lui semblant de pas vouloir la lâcher. Ce n'était pas la même étreinte que Simon un peu plus tôt. C'était plus tendre, moins amical, plus... familier. Sans s'en rendre compte au début, elle la lui rendit. Au bout de quelques minutes, il se détacha lentement d'elle, gardant toutefois ses mains dans les siennes. Ses yeux brillaient.
- Tu... Tu es magnifique.
- Merci, fit-elle en rougissant un peu.
Il lui offrit un sourire qui la fit fondre. Elle aurait voulu que cet instant ne se termine jamais, mais malheureusement, Simon revint à ce moment, seul.
- Je ne voudrais pas vous déranger, mais Kerensky nous attends au Bunker. Il voudrait que Mya lui décrive l'homme qui les a agressées pour pouvoir faire des recherches.
- Mais il l'a vu, lui aussi.
- Pas très bien, et pas assez longtemps. Je sais que c'est du pour toi, mais ça nous donnera un point de départ pour retrouver ta mère.
Instantanément, l'adolescente sentit le grand blond se crisper.
- Il est arrivé quelque chose à Joy ?
- Je crois qu’il est temps de rejoindre Kerensky, fit Simon.
Tous trois prirent l’ascenseur et descendirent au troisième sous-sol, c’est-à-dire le dernier et le plus protégé. Une fois dans la pièce sécurisée, Mya salua d’un signe de tête le russe qui le lui rendit avant de se replonger dans son travail. Les deux hommes s’installèrent chacun à une place, et la jeune fille prit celle qui restait. En s’asseyant, elle sentit peser sur elle les regards des trois autres. Automatiquement, elle comprit que c’était ici-même que s’installait sa mère, il y a longtemps. Elle fit de son mieux pour ne rien laisser paraître et leva la tête vers Georgi, le plus maître de ses émotions.
- Tu avais besoin de moi ?
- Avant que vous ne commenciez quoi que ce soit, j’aimerais que l’on m’éclaire sur l’état actuel des choses. Je ne suis au courant de rien, fit remarquer Largo.
Et il n’appréciait pas vraiment, devina-t-elle. Alors, calmement, Simon raconta tout ce que Mya lui avait dit tout à l’heure. Kerensky, lui aussi, apprenait quelques petites choses. Finalement, lorsqu’il eut finit de monologuer, le suisse se tourna vers le grand russe.
- Tu as découvert quelque chose susceptible de nous éclairer ?
- Ce que j’avais jusqu’à présent était assez mince. Mais avec ce que je viens d’entendre, je crois que je pourrai faire avancer les choses.
- Tu vas y passer la nuit, devina le chef de la sécurité du Groupe W.
- Tu en aurais douté ? répondit simplement l’autre.
Durant cet échange, Mya, un sourire aux lèvres, se tourna vers Largo, muet depuis que son meilleur ami avait prit la parole. Son sourire s’évanouit rapidement. La tête entre les mains, le corps légèrement penché vers l’avant, le milliardaire semblait... désespérément désespéré. Apparemment, lui et sa mère avaient été proches. Mais... proches jusqu’à quel point, exactement ?
- C’est pas que je m’ennuie, fit Simon, mais il se fait tard et cette jeune demoiselle semble épuisée.
Effectivement, elle sentait ses paupières lourdes peser.
- On pourrait lui faire préparer un appartement d’hôte, proposa Kerensky tout en pianotant sur son clavier.
- Mauvaise idée, fit Largo en émergeant. À cette heure, presque tout le monde est rentré chez eux. Elle n’a qu’à venir s’installer chez moi. J’ai une chambre de libre depuis que... enfin, elle peut y rester.
- Tu es sur ? dit Simon en fronçant les sourcils.
- Oui. Allez, viens Mya, lança-t-il en se levant.
Et côte à côte, ils sortirent, une main du PDG reposant sur l’épaule de l’adolescente.