Ce que j'ai fait, c'est pour l'amour de toi,
De toi, ma chère enfant, de toi, ma fille qui
Ne sait rien de ce que tu es, car tu ignores
Mon origine...
Shakespeare,
La Tempête, (I,2)
La cloche retentit, marquant la fin des classes. Mya referma son cartable dans un soupir. Elle ferma les yeux et s'adossa au dossier de sa chaise en bois. Autour d'elle, les autres élèves ramassaient frénétiquement leurs effets personnels, parlant bruyamment, riant et se dirigeant rapidement vers la sortie la plus proche. Pour eux, c'était l'été qui commençait.
Lorsqu'il n'y eut plus qu'elle dans la salle de classe, elle rouvrit les yeux, prit son cartable sous son bras et se leva lentement. Elle se dirigea vers son casier et en sortit son sac. Déjà, il n'y avait presque plus d'adolescents dans le lycée. Même les professeurs se faisaient rares.
Calmement, elle traversa les couloirs déserts, l'écho de ses pas résonnant autour d'elle. Elle poussa la porte et fut dehors.
Elle cligna des yeux, aveuglée par le chaud et éclatant soleil brillant de mille feux dans le ciel bleu. De la poche intérieure de son blouson, elle sortit une paire de lunettes de soleil qu'elle déposa sur le bout de son nez. Elle ramena derrière son oreille une mèche de cheveux blonds et se remit en marche.
La jeune fille regarda autour d'elle. Des groupes s'étaient formés autour de l'enceinte de son école, discutant haut et fort de leurs projets de vacances, des voyages exotiques qu'ils feraient. Mya n'aimait aucun des congés scolaires.
Elle ne quittait jamais cette ville. En fait, elle ne l'avait jamais quittée, d'aussi loin qu'elle se souvenait. Et pourtant, elle aurait quinze ans dans une semaine. Elle aurait voulu voir du pays, visiter le monde. Ici, elle se sentait prisonnière, prisonnière d'elle-même. Elle avait besoin de liberté, d'aventure. Et les bouquins ne suffisaient plus à assouvir cet appétit.
Soupirant à nouveau, elle jeta un coup d'oeil à sa montre, puis un autre au stationnement pratiquement désert. La voiture de sa mère n'était nulle part. Elle avait dû oublier, pour changer. La dernière fois, il pleuvait, et elle était rentrée chez elle trempée, ses larmes se confondant avec les gouttes d'eau sur ses joues. Sa mère s'était confondue en excuses, mais elle ne l'avait pas écoutée, préférant se réfugier dans sa chambre pour étouffer ses sanglots dans son oreiller, qui n'avait pas tardé à être aussi mouillé qu'elle.
Jamais elle ne pleurait devant sa mère. Jamais. Non pas qu'elle ne l'aimait pas, au contraire. Pour elle, sa génitrice était ce qu'elle avait de plus cher au monde. Elle était tout ce qu'elle avait, en fait. Elle était à la fois sa meilleure amie et sa mère. Et vice-versa. Mais depuis peu, cela ne lui suffisait plus. Elle voulait... elle voulait... Autre chose. Plus.
Constatant encore une fois l'absence de sa mère au bout de quinze minutes, l'adolescente se mit en marche. La maison n'était qu'à dix minutes, de toutes façons.
Mya déposa son sac près de la porte d'entrée.
- Maman ? appela-t-elle. Tu es là ?
Le silence lui répondit. Elle secoua la tête et, sentant l'absence de son déjeuner se faire ressentir, elle se dirigea vers la cuisine.
Rien dans le frigo. Sur la porte du réfrigérateur, elle découvrit un mot griffonné rapidement.
"Partie faire les courses. Je t'aime. Maman."
Elle attrapa dans le saladier en cristal la seule pomme subsistante et croqua dedans tout en se dirigeant vers le living room. Elle s'installa confortablement devant le téléviseur et se mit à zapper, aucune émission en particulier ne retenant son intérêt. Au bout de 5 minutes, alors qu'elle allait éteindre le poste, un flash spécial passa. Au début, on vit le journaliste, un homme aux cheveux poivre et sel au visage beaucoup trop bronzé, qui se tenait devant un building colossal dont on ne voyait le sommet. Le cameraman fit un zoom sur la façade visible aux yeux des téléspectateurs et qui arborait un gros W gris-bleu. Puis, la voix du journaliste monta, et il revint à l'écran.
- Il y une heure à peine, un groupe armé a fait irruption dans le groupe W, que vous voyez derrière moi. Ils ont rapidement pris d'assaut l'appartement privé du PDG, Largo Winch, et les ont pris en otage, lui et sa secrétaire à ce moment-là présente sur les lieux. Contre leurs libérations, les terroristes que l'on croit Brésiliens ont exigé que le milliardaire renonce à l'ouverture de sa nouvelle usine de textile, située au Brésil. Mais l’homme n'acceptant pas, un premier coup de feu fut tiré, alertant la sécurité de l'immeuble qui accourut rapidement sur les lieux. Le projectile en question atteignit le PDG, à l'épaule, selon nos sources.
Une image de Largo Winch apparut dans le coin gauche de l'écran. Elle montrait un homme blond à l'apparence assez jeune souriant à un autre homme brun plus petit que lui. Il sembla à Mya l'avoir déjà vu quelque part, mais elle ne parvint pas à se souvenir où. Un bruit sourd la tira de ses pensées. elle se retourna vivement, et découvrit sa mère, debout dans l'entrée du salon, d'une extrême pâleur. À ses pieds reposait un grand sac à épicerie qui déversait son contenu sur le sol.
- Maman ? fit-elle, surprise. Qu'est-ce que tu... ?
- Chut ! Tais-toi ! lui ordonna l’autre femme d'une voix blanche.
Mya s'exécuta, surprise, et revint à l'écran de la télé.
- La vie de Winch, qui vient d'être transféré dans l'hôpital le plus proche, ne serait pas en danger. À l'heure actuelle, notre informateur au sein du Groupe affirme que les terroristes sont maintenant tenus en détention au commissariat central en attendant d'être jugés pour leurs actes. Monsieur John Sullivan, principal associé, entend faire une déclaration officielle lors de la conférence de presse prévue a 16 heures 30. Nous vous reviendrons plus tard pour de plus amples informations. C'était Kay McKain pour CNN.
Et les pubs reprirent. La jeune fille éteignit le téléviseur et se leva. Elle se dirigea vers sa mère qui était toujours immobile, les yeux fixés sur le poste pourtant éteint. Mya lui toucha délicatement le bras tout en s'adressant à elle d'une voix douce.
- Maman ? Tu vas bien ?
Ce contact sembla la sortir de sa léthargie. Elle se tourna lentement vers sa fille.
- Et si on faisait un gâteau, ce soir ? Au chocolat, ça te dit ?
Sans attendre de réponses de sa part, elle lui tourna le dos et partit vers l'escalier. Elle ne la revit pas de la soirée.
* * *
Le lendemain, lorsque Mya entra dans la cuisine, sa mère s'activait déjà malgré l'heure matinale. Elle avait pressé des oranges pour en faire du jus et lui en avait servi un grand verre.
- Bonjour ! la salua-t-elle.
- 'lut.
- Si tu ne t'active pas plus, tu vas être en retard pour le lycée, l'avertit-elle.
- J'ai terminé hier.
- Oh...
Elle lui sourit comme pour se faire pardonner son oubli et, comme toujours, Mya ne pu lui résister. L'adolescente prit place à table et regarda sa mère déposer dans son assiette une pile consistante de pan cakes.
- J'espère que tu as faim, continua-t-elle en prenant place face à elle. J'en ai fait assez pour nourrir un régiment.
En fait, Mya avait plutôt la nausée, mais pour ne pas briser l'entrain de la cuisinière d’un jour, elle se força à tout engloutir. Comme d'habitude, sa mère, quant à elle, se contenta d'un unique toast et d'un bol de café au lait. Elle déplia le journal et se mit à lire.
Mya se surprit à observer sa compagne. Elle est vraiment jolie, se dit-elle. Elle avait retenu ses cheveux bruns en un chignon lâche dont quelques mèches lui retombaient sur le visage. Elle était mince, de taille normale, mais c'était avant tout ses yeux qu'elle aimait. De beaux grands yeux noisettes légèrement bridés dont elle avait hérités avec fierté.
Ses cheveux à elle étaient blonds, et elle pensait les tenir de son père, bien qu’elle n’ait jamais vu ce dernier. Elle était même un peu plus grande que sa mère. Cette dernière avait presque quarante ans mais en paraissait toujours trente.
Et son sourire. Sa mère avait un si joli sourire que malheureusement elle ne voyait pas très souvent. La plupart du temps, elle traînait cet air mélancolique qui la rendait si mystérieuse. Mais quand elle souriait, son visage s'éclairait et il y avait cette étincelle dans ces yeux... Elle avait pourtant un nom symbolique. Joy. Joie.
- Quoi ? fit-elle, s'apercevant qu'elle était observée.
- Rien, rien, assura Mya.
- Que compte-tu faire, ce matin ?
- Peut-être une promenade dans le parc. Tu veux m'accompagner ?
- Pourquoi pas ? répondit-elle à sa plus grande surprise. Donne-moi quinze minutes, le temps de me préparer et de prendre une douche, et je suis tout à toi.
Elle lui offrit un autre sourire et disparut dans le couloir. Mya entreprit de débarrasser la table quand elle tomba sur l'article dans le journal qui captivait autant sa mère.
Attentat au Groupe W.
Elle marchaient depuis plus d'une heure déjà. Il faisait beau et chaud. Le gravier du sentier qui s'étalait sous leurs pieds crissait. Les oiseaux gazouillaient, et les écureuils, dans les arbres, grignotaient noix et baies mûres.
- J'aime cet endroit, fit doucement Joy. C'est si paisible...
- Oui... Maman, à propos d'hier... Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Tu sais comme je suis fragile, dit-elle simplement en ne la regardant pas.
- Justement...
- De toute façon, c'est du passé. Et tu te rappelles ce que je t'ai déjà dit ?
La jeune fille hocha la tête. Comment oublier ? Elle le lui avait bien assez souvent répéter.
- Le passé est le passé. Et crois-moi, il vaut mieux le laisser derrière.
- Mais ne peut-on pas apprendre de lui ?
- Oui, très certainement. Mais parfois, il vaut mieux tout faire pour l'oublier. Il est parfois trop douloureux de trop le ressasser.
- Hum...
Elle se tut, sachant pertinemment qu'avec sa mère, elle n'aurait jamais le dernier mot. Au lieu de cela, elle commença à faire le vide dans son esprit comme elle le lui avait enseigné. Mais soudain, alors qu'elle allait y parvenir, Joy lui attrapa la main et la fit stopper sa marche.
Elle ouvrit la bouche pour la questionner sur cet arrêt, mais elle posa un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence. " Écoute " lut-elle sur les lèvres de sa mère.
Mya tendit l'oreille. Le vent dans les branches, le crépitement des feuilles... Là... Derrière elle, dans les fourrés, entre les arbres. Un bruissement. À peine perceptible mais bien présent. Elle régularisa sa respiration. Une branche craqua, la faisant sursauter.
Car c'est bien connu, les branches mortes ne craquent pas seules. Elles craquent lorsqu'elles sont soumises à un poids quelconque, de quelqu'un ou de quelque chose...
Mais après tout, se dit-elle, quelle importance ? Tout le monde avait le droit de se promener librement dans ce parc, même entre les arbres, tant qu'il faisait attention aux plantes et aux petits rongeurs dont grouillait la zone et dont toutes les espèces étaient répertoriées à l'entrée de ladite zone... Si ?
Mais... Sa mère semblait porter à ce bruit une attention toute particulière, elle. Lentement, sa main gauche - la droite enserrant toujours son bras - se glissa sous un pan de sa veste. L'espace d'un instant, Mya entrevit un objet de taille moyenne noir et luisant. Mais il disparut rapidement avant qu'elle n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit.
- Ma chérie, lorsque je te le dirai, murmura Joy, tu courras, d'accord ?
- Mais...
La jeune fille se tut devant le regard plus qu'éloquent que lui envoya sa mère. Elle hocha la tête.
- Continuons de marcher, veux-tu ? proposa Joy.
Au bout de quelques minutes, le chemin bifurqua. C'est à ce moment qu'un autre craquement retentit, cette fois plus près encore. Mais l'autre bruit qui parvint à ses oreilles l'instant d'après fut tout à fait différent. Il provenait du manteau de Joy. Ce bruit, mécanique, elle l'avait déjà entendu dans des films, mais jamais dans la vraie vie. Et pourtant, elle le reconnu immédiatement.
Un regard de côté. Ses yeux rencontrèrent ceux de sa compagne. Et elle sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine.
De la douceur qu'elle y avait vu le matin-même, il ne subsistait rien. Rien. Ou un vide froid, un désert de glace. Une détermination et un mélange de colère sourde, de rage même. Pour la première fois de sa vie, Mya eut peur d'elle.
Sa mère était armée, se répétait-elle. Et elle semblait tout à fait sure de ce qu'elle faisait. En ce moment, elle avait l'impression de ne plus la connaître, d'être en compagnie d'une inconnue.
Et soudain, devant elles, un homme sortit des fourrés. Habillé tout de noir, il portait lunettes fumées. Et il avait une arme. Et il la pointait vers elles.
- Je vous conseille de ne faire aucun geste brusque, mesdames, dit-il avec un rictus. J'ai ordre de vous ramener vivantes.
Joy se plaça devant sa fille.
- Et je vous conseille de ne pas toucher un seul cheveu de sa tête si vous ne voulez pas finir six pieds sous terre.
L'autre sourit encore.
- On m'avait prévenu de votre caractère explosif. Les années ne vous ont pas changée.
Il fit un pas dans leur direction, son automatique toujours pointé sur elles, menaçant.
- Vous pouvez vous vanter de nous avoir fait courir, Mlle Arden. Nous avons mis du temps à vous retrouver. Presque seize ans, en fait. Un record. Mes patrons ne contiennent plus leur fureur. Ils ont dépensé des sommes faramineuses pour vous retrouver. Des sommes qui auraient pu être utilisées à meilleur escient.
- Vous ne laisserez donc jamais tomber ? fit Joy, hargneuse.
- Pour quoi faire ? Voyez par vous-même : nous sommes sur le point de remporter la partie. Ce fut long, je dois l'avouer, mais... ça en vaut la peine, n'est-ce pas ?
Il tourna la tête vers Mya qui contemplait la scène, figée.
- Eh bien, eh bien ! La célèbre Mya. Laissez-moi vous dire, jeune fille, que votre venue en ce monde en a troublé l'équilibre. Dîtes-moi, Mlle Arden, continua-t-il en revenant vers la femme qui le mitraillait du regard, cet enfant a-t-elle déjà rencontré son cher père ?
Joy serra les mâchoires.
- Seriez-vous en manque de répliques tranchantes ? Cela me surprends assez. Vous avez changée, finalement... Je suis déçu.
Elle fit un pas en avant, mais il pointa son arme vers Mya, ce qui la stoppa.
- Tut tut tut. Que vous ai-je dit !? Assez perdu de temps en bavardages inutiles. Il est plus que temps que vous rencontriez mes supérieurs. Je vous promets un accueil très très chaleureux.
- Désolée, mais je préférerais rester ici, dit sarcastiquement Joy.
- Je me demande... cette jeune fille a-t-elle hérité de votre caractère explosif ? Ou bien tient-elle plus de son cher père ?
- Je vous interdis de...
Il sourit.
- Je vois. Elle ignore tout, la pauvre. Tut tut tut, refit-il en secouant la tête. Que de secrets, Miss Arden. Mais ne t'en fait pas, Mya, dit-il encore en regardant l'adolescente qui ne savait plus trop quoi penser. Avec un peu de chance, tout te sera révélé bientôt.
- Vous croyez que vous arriverai à vous en sortir ? lança sa mère, qui ne contenait plus sa colère. Vous êtes venu seul, pauvre idiot. Vous n'avez même pas penser au renfort. Une femme seule, sans défense... C'est ce que vous vous dîtes, n'est-ce pas ?
Et puis tout se précipita. D'un mouvement, Joy sortit son arme et la pointa sur leur ennemi, alors que lui-même, bien que surpris, ne se laissait pas impressionner pour autant et braquait la sienne sur sa tête, face à face, dans ce qui semblait être un combat mortel. Et qui en était sans aucun doute un, ne put s'empêcher de penser Mya.
Mais ce que l'inconnu avait dit la hantait. Il lui avait parlé de son père, et semblait le connaître. Seigneur, mais que signifiait donc tout cela ?
Un tressaillement. On tiraillait un pan de sa veste. Doucement, mais volontairement. Sa mère tentait de lui dire quelque chose. Elle observa ses mains sans crainte de se faire remarquer par l'homme, puisque étant presque entièrement cachée par la silhouette de sa compagne. Ses doigts se pliaient et se repliaient rapidement. Elle voulait qu'elle parte. Qu'elle coure. Ne pouvant le dire à voix haute, elle le lui indiquait le plus clairement possible.
Un serrement à la gorge. Elle ne pouvait partir, pas en la laissant là, à la merci de ce type qui ne laissait présager rien de bon. Non...
Et soudain, brusquement, Joy attrapa le bras armé de l'homme et le retourna. Il cria de douleur lorsqu'un craquement se fit entendre.
- Vas-y ! hurla sa mère.
Et elle la poussa en avant comme l’adolescente n'esquissait aucun geste. L'homme se relevait déjà, ayant auparavant ramasser par terre son arme. Alors elle obéit. Comme jamais auparavant, elle sprinta, et parcourut leur itinéraire en sens inverse. Dans le lointain, elle entendit un coup de feu. Elle ne ralentit pas l'allure mais dès lors, sa tête se vida. Fuir, simplement, uniquement. Heureusement, la maison n'était pas très loin du parc, et elle y fut en dix minutes. Elle déverrouilla rapidement la porte et la referma encore plus vite. Elle s'y adossa, tentant de retrouver son souffle.
Que ferait sa mère ? Verrouiller, bien sûr. C'est ce qu'elle fit. Ainsi que celle de derrière, donnant sur le jardin, et elle s'assura aussi que toutes les fenêtres étaient fermées. Et puis ? Et si jamais l'homme connaissait leur adresse, il s'y précipiterait, c'était certain. Elle devait s'armer, être prête à se défendre. Une porte close ne l'empêcherait pas d'entrer, et de la...
Non, ne pas penser à ça maintenant. S'armer, oui, voilà où était la priorité en ce moment. Une casserole ? Mais non... Un bâton ? Non plus. Mais où trouver une arme ?
Appeler la police, peut-être. Oui, bonne idée. Elle s'apprêtait à décrocher le téléphone quand elle changea d'avis. Non. Pas la police. Ils poseraient des questions, lui demanderait ce qui s'était passé, pourquoi sa mère était armée... Non, définitivement pas.
Et sa mère ? Si celle-ci avait une arme, peut-être en avait-elle une autre. L'idée de fouiller dans les affaires de Joy ne l'enchantait guère, surtout que c'était comme violer un sanctuaire interdit, mais elle n'avait pas le choix. Elle monta à l'étage et parvint devant la porte de sa chambre. Elle hésita encore. Petite, elle y allait souvent, mais depuis ses neuf ans, jamais... Qu'y aurait-elle fait, de toute façon ? Lentement, elle tourna la poignée et poussa la porte.
Le lit était fait, et tout était impeccablement rangé. Mya parcourut rapidement des yeux les lieux. Sur une commode en bois, il y avait une série de photos d'elle. Une petite fille blonde sous le sapin de Noël, découvrant avec joie ses cadeaux. Elle faisant pour la première fois du vélo, elle, couverte de gâteau au chocolat, le jour de ses six ans... elle, sur les genoux de sa mère, à peine âgée de quelques mois...
Et pour la première fois, elle se demanda qui avait pris la photo. Sa mère n'avait pas d'amis, elle ne savait pas trop pourquoi.
Sur l'image de papier glacé, Joy - qui, à l'époque, avait les cheveux beaucoup plus courts, - regardait tendrement le petit bébé qui dormait dans ses bras. L'un de ses doigts caressait la joue de l'enfant endormi.
Mya fronça les sourcils et prit entre ses mains la photographie. Sur la joue de sa mère perlait une larme. Elle ne l'avait jamais remarquée. Une larme de tristesse ou de joie ? Elle ne saurait dire. Elle reposa lentement le cadre sur la commode et se dirigea vers la table de chevet près du lit. Pas de temps à perdre. Elle s'assied sur ce dernier et ouvrit le premier tiroir. Le petit meuble en comptait trois. Celui du dessus ne contenait que du papier, des enveloppes blanches et des crayons, ainsi que des trombones multicolores et des timbres. Elle le referma.
Le deuxième était rempli de papier divers. Des factures de téléphones, d'électricité et un annuaire. Avec appréhension, elle ouvrit le dernier. Son coeur se souleva.
Il y avait bien une arme, un peu plus grosse que celle qu'avait sa mère tout à l'heure. Près d'elle, une boîte de cartouche pleine. Une main un peu tremblotante se saisit de ces deux objets. Le métal froid de l'arme la fit frissonner. Elle était lourde. Puis, elle jeta un autre coup d'oeil au fond du tiroir. Il y avait là une pile de lettres retenues ensembles par un ruban. Après hésitation, elle les prit aussi. Cela l'éclairerait peut-être, qui sait.
Il n'y avait plus rien dans le meuble qui ne l’intéressait ou puisse lui servir, alors elle quitta la chambre et descendit. Elle prit place sur une chaise près de l'entrée, histoire de toujours avoir une vue sur elle. On ne savait jamais.
Elle fixa pendant quelques minutes l'arme qui reposait sur ses genoux. Elle n'avait aucune idée de comment elle fonctionnait. Puis, se souvenant d'un film qu'elle avait vu récemment avec sa mère, elle ouvrit la chargeur. Vide. Elle prit ensuite la boîte de balles elle en remplit l'arme. Elle glissa ensuite dans sa poche le reste des munitions, pour qu'elles soient à portée de main si elle venait à en avoir besoin, ce qu'elle n'espérait pas. Les lettres atterrirent dans l'autre poche. Elle les lirait plus tard. Lorsqu'elle ne serait plus en danger.
Des gouttes de sueur coulaient le long de son front. La course folle l'avait épuisée, et les émotions la submergeaient. Une migraine la guettait. C'était trop, beaucoup trop. Et la journée de faisait que commencer...
Dix minutes passèrent. Pas un seul bruit dans la maison, sauf celui de sa respiration redevenue régulière. Mais son coeur, lui, battait toujours la chamade. Elle revivait mentalement les événements qui venaient de se dérouler. Elle réentendit le coup de feu qui avait déchiré le silence du parc. Ses yeux fermés se rouvrirent brusquement et se remplirent de larmes. Se pouvait-il que... Non non non ! Pas ça...
Du revers de la main, elle essuya ses larmes. Sa mère n'aurait pas voulu qu'elle pleure. Pas maintenant. Plus tard, quand le pire serait passé. Elle renifla et se leva. Elle alla se faire couler un grand verre d'eau glacée qu'elle but à petites gorgées et résista à l'envie d'avaler une aspirine. Le médicament la plongerait dans une somnolence dans laquelle elle ne devait pas se trouver. Elle devait rester maître de son corps et de son esprit le plus longtemps possible. Elle but encore.
Une sonnerie retentit dans la maison vide. De surprise, le verre lui échappa des mains et vint de fracasser par terre. La sonnette d'entrée. Elle récupéra prestement l'arme posée sur le comptoir et retourna près de l'entrée, prenant garde à ne pas trop rester exposée si jamais quelqu'un venait à pénétrer dans la demeure. Elle était morte de trouille mais ne devait pas le montrer. Ils le disaient souvent dans les films, ne jamais montrer à l'ennemi ses faiblesses sinon il les utiliserait contre elle.
Le visiteur cogna encore une fois fortement.
- Ouvrez, c'est moi ! tonna-t-il.
" Voilà qui m'éclaire ! " pensa l'adolescente. Ce n’était toutefois pas la même voix que l’individu de toute à l’heure. Un acolyte, peut-être. Elle entendit des bruit de pas s'éloigner enfin, ce qui la détendit un peu. Elle déglutit, et expira de soulagement. La jeune fille se passa une main moite sur le visage, se demandant ce qu'elle allait bien pouvoir faire. Elle avait un peu d'argent dans sa chambre, mais ce n'était pas avec une centaine de dollars qu'elle survivrait plusieurs jours ! Elle ne possédait aucune carte de crédit, sa mère refusant qu'elle en ait une. Elle-même, lui disait-elle, n'en possédait pas et ce n'était pas la fin du monde... Enfin, cela lui aurait bien sauver la mise, en ce moment.
Les pas revinrent, ce qui la sortit de ses pensées. Contrairement à tout à l'heure, l'inconnu ne cogna pas. Il introduisit quelque chose dans la serrure et au bout de quelques secondes seulement, réussit à déverrouiller la serrure. Mya, qui se refusait à paniquer, recula vivement et pointa son arme sur le nouveau venu, qui haussa un sourcil à sa vue. Il prit néanmoins le temps de refermer derrière lui avant de lui faire complètement face.