Washington, Capitole, 15h12 :

- “ Le sénateur Victor O’Brien ? interrogea Largo en entrant dans l’ascenseur, en compagnie de Joy. Je ne savais pas que tu avais des amis au Sénat.
- Mon père le connaissait bien. Ils étaient amis de longue date, c’est pourquoi j’étais surprise qu’il n’ait pas soutenu mon père quand il a été renvoyé de son poste de directeur de la CIA. Je m’étais toujours dit que ça cachait quelque chose.
- Le Sénat avait d’autres projets pour ton père ?
- C’est une éventualité. ”
L’ascenseur s’arrêta et Largo et Joy en sortirent pour traverser les couloirs luxueux et silencieux du Capitole. Ils s’arrêtèrent devant le bureau de Victor O’Brien pour se faire annoncer par sa secrétaire.
- “ Le Sénateur O’Brien vous attend ... ” leur sourit-elle poliment en se levant pour les conduire à la porte du bureau d’O’Brien.
Elle l’ouvrit et les laissa entrer avant de refermer la porte derrière eux. Le Sénateur, un homme plutôt grand et mince, aux cheveux blancs vint les accueillir. Son visage était doux et chaleureux, mais ses lèvres pincées affichaient un sourire crispé qui contrastait étrangement avec son aspect général et le rendait faux. Il y avait une étincelle dans son petit regard gris qui disait qu’il était trop malin pour pouvoir se fier à lui, surtout lorsqu’on savait qu’il était politicien.
- “ Joy, ma princesse ! Toujours aussi belle ! ” s’exclama-t-il en la prenant dans ses bras.
Elle lui rendit son étreinte, mais ne la soutint pas très longtemps. Puis, elle lui désigna Largo.
- “ Victor, je vous présente Largo Winch.
- Oui bien sûr, je vous avais reconnu, Monsieur Winch. J’admire beaucoup votre travail ... dit O’Brien en serrant la main de Largo.
- Je suppose que vous savez pour mon père ... entama directement Joy.
- Oui, effectivement. C’est une tragédie. Le rapport de police a dit que Charles était mort dans tes bras, ma pauvre Joy ... Ca a dû être terrible ?
- J’ai connu de meilleurs moments. Victor ... Je vais être directe. Mon père a été assassiné. Je veux savoir pourquoi.
- Comment veux-tu que je le sache ? s’étonna O’Brien.
- Et le Groupuscule ? Ca ne vous dit rien ? ” intervint Largo.
O’Brien arbora un air grave.
- “ Vous êtes bien renseigné, monsieur Winch. Votre réputation commence à égaler celle de votre père Nério.
- Alors ? s’impatienta Joy.
- Tout remonte à la dissolution de la DSD.
- La Division Sécurité Défense ? fit Largo.
- C’est cela. La DSD a été créée pendant la Guerre Froide, pour rivaliser avec les méthodes ... disons ... ambiguës du KGB. Quand le socialisme a chuté en Europe de l’Est et que l’URSS a éclaté, la DSD a perdu sa raison d’être et s’est mise en concurrence avec la CIA. Le gouvernement américain devait s’en débarrasser, parce que les méthodes de la DSD étaient trop radicales pour être admises par la Communauté Internationale. On a confié à des hommes comme ton père, Joy, le soin de réunir des preuves contre la DSD qui justifieraient sa dissolution. Mais ce n’était pas chose facile parce que les hauts dirigeants de la Division avaient de forts appuis politiques. Quand Charles a réuni suffisamment de rapports compromettants, la DSD a disparu du paysage, mais certains de ses membres ont été placés à de hauts postes de la NSA et de la CIA. Au passage, ton père a été évincé au profit de l’ex directeur adjoint de la DSD. Ils ont profité du petit scandale qui a éclaté après ta démission.
- Un scandale ? s’interrogea Largo.
- L’affaire Donovan, lui expliqua succinctement Joy. Tout ça, je le savais déjà, Victor. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui est arrivé à mon père après ? ”
Victor parut hésiter.
- “ Pas mal de monde a été victime de l’éclatement de la DSD. Tant à la DSD elle-même, qu’à la CIA, au FBI ou à la NSA. Je ne vous parle même pas de leurs appuis politiques.
- C’est pour ça que vous avez lâché mon père ?
- Précisément. Les personnes qui ont été mises à l’écart se sont regroupées.
- Le Groupuscule ? comprit Largo.
- Au début, on croyait que c’était un simple groupe de mercenaires. Et puis, ils ont pris une ampleur assez effrayante, on ignore comment. Le Groupuscule a fini par recruter les membres déçus du KGB, de tous les ex-services secrets victimes de la Guerre Froide, plus toutes sortes de mercenaires. Ils sont devenus importants.
- Importants comment ?
- Suffisamment pour inquiéter le Sénat. On les retrouve un peu partout, ils ont même réussi à avoir leur place dans le conflit en Afghanistan et on ne contrôle rien. On ne connaît même pas leurs intentions.
- C’est tout ce que vous savez ? demanda Largo.
- Le Groupuscule est une organisation fantôme.
- Et avez-vous entendu parler du Projet Wallalah ? ”
Les petits yeux intelligents d’O’Brien se voilèrent.
- “ Tout le monde a entendu parler du Projet Wallalah, Winch. Mais personne ne sait de quoi il s’agit. En tout cas, c’est important pour le Groupuscule.
- Qui pourrait nous renseigner ? demanda Largo.
- A part un membre du Groupuscule ? Je ne vois personne.
- Victor, vous avez un nom ? fit Joy.
- J’ai un tas de noms, mais ce sont des tombes.
- Je peux me montrer très convaincante quand je veux obtenir quelque chose.
- Je n’en doute pas, princesse. Tu tiens de ton père. Mais il a été tué, je te signale ...
- Mais pas par le Groupuscule. ”
O’Brien parut très surpris.
- “ Mais qui alors ?
- Croyez-moi, vous vivez mieux en l’ignorant. Alors ? Un nom ? ”
O’Brien réfléchit un instant.
- “ Ca ne va pas te plaire Joy ... Mais c’est le seul qui acceptera de te parler. Michaël Costello. ”
Joy demeura impassible.
- “ Michaël est mort.
- Ca, c’est ce que ton père t’a dit. Mais il est vivant. Et d’après ce que j’ai pu comprendre, c’est un membre actif du Groupuscule. ”
Joy lança un regard réfrigérant à O’Brien.
- “ J’espère que vous n’avez pas menti Victor.
- Au plaisir, princesse. ”
Joy ne répondit rien et sortit, suivie par Largo.
- “ Michaël Costello ? Joy, qui est-ce ?
- Un ancien agent de la NSA. Je croyais qu’il avait été tué pendant une opération en Colombie, il y a quelques années. Mais mon père l’a probablement recruté pour le Groupuscule.
- Tu le connaissais bien ?
- C’était mon fiancé. ”


Bunker, Groupe W, 17h32 :

Largo s’installa confortablement dans le sofa de son appartement pour décompresser. En une journée, il avait assisté à un meurtre, fait un aller-retour à Washington pour discuter avec un Sénateur plutôt louche et il savait que d’ici une demi-heure, il devait enchaîner avec une réunion en compagnie de dignitaires japonais pour signer un contrat important. Sans parler de la pile de dossiers qu’il devrait étudier avec son bras droit pour le lendemain. Il n’avait pas eu le temps d’expliquer la situation à John, sans quoi celui-ci aurait probablement pris des dispositions pour alléger son emploi du temps, mais ce qui était fait était fait.
Le regard de Largo se posa sur Joy. Celle-ci paraissait très agitée. Il ne lui restait plus rien du calme qu’elle affichait avant, avant la mort de son père, avant le retour de Nério, l’arrivée de Diana. Avant que tout ne bascule. A ce moment précis, Largo avait très peur qu’elle ne craque et décide de s’en aller. C’était égoïste, mais même s’il savait qu’il n’aurait jamais de relation intime avec elle, il tenait plus que tout à ce qu’elle reste à ses côtés malgré tout, elle était top importante pour lui et les personnes en qui il pouvait avoir confiance se comptaient sur les doigts de la main.
- “ Du calme Joy, lui dit-il finalement, rompant le silence. Tes sœurs arriveront dans la soirée. On assurera leur sécurité. ”
Joy ne répondit rien, toute à ses pensées. Largo se repositionna dans son sofa et la scrutait toujours.
- “ Alors, si tu me parlais de ce Michaël Costello ? Tu as failli l’épouser, c’est ça ?
- Oui ... J’étais très jeune à l’époque. J’avais quelques problèmes ... Je venais d’entrer à la CIA et mon père me menait la vie dure, il me mentait et me manipulait, pour m’endurcir. Ma mère était très déçue que j’ai choisi la CIA et elle ne me parlait presque plus. Elle pressentait que je deviendrais comme mon père. Quant à mes sœurs ... Je les voyais très peu ... June venait de dénicher un boulot à la NASA et elle vivait à Cap Canaveral. Et Joanie voyageait en Asie ... J’étais un peu déprimée ... J’ai rencontré Michaël lors d’une mission au Mexique. Il agissait pour la NSA et on a été obligés de faire équipe. Il avait des méthodes très particulières, c’était une tête brûlée qui ne prenait jamais les ordres de ses supérieurs en considération ... Il prenait des risques insensés pour arriver à ses fins, c’était un kamikaze. En fait il était très dangereux.
- Mais tu es tombée amoureuse de lui ?
- C’était stupide. Je le reconnais bien volontiers maintenant. Mais à l’époque, je me sentais libre avec lui, je ne ressentais aucune restriction, aucune contrainte. Je croyais qu’il m’avait en quelques sortes arrachée à mon père. Et je lui en étais reconnaissante. Un jour, il a voulu m’épouser ... Je ne sais pas bien pourquoi, parce qu’il ne m’aimait pas vraiment ... Moi, je n’avais pas envie de me marier, mais quand mon père en a entendu parler, il est devenu vert de rage et m’a formellement interdit de le faire. Alors j’ai accepté, pour le plaisir de le défier.
- Ca ne s’est pas fait, finalement ?
- Non. Quelques mois après, Michaël a disparu lors d’une opération. Il devait stopper une cargaison de livraison de drogue en partance pour les États-Unis. Mais comme d’habitude, il n’en a fait qu’à sa tête et il s’est fait prendre par les trafiquants. On n’a jamais retrouvé son corps, mais tout le monde était persuadé qu’il n’avait pas pu s’en sortir. ”
Elle fit une pause.
- “ Il a probablement dû s’arranger avec les trafiquants. Michaël n’avait pas à proprement parler la fibre morale ... En fait, c’était un criminel. Une belle erreur. Mais s’il est vrai qu’il est en vie et qu’il fait partie du Groupuscule, c’est notre plus belle chance d’en apprendre plus. Il me parlera, j’en suis certaine.
- Tu l’aimais ? ”
Joy fut surprise par la question de Largo. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il s’intéresse tant à sa relation avec son ex.
- “ Ca ne te regarde pas.
- Donc tu l’aimais ... comprit-il. Tu l’aimes encore ?
- C’est important ?
- C’est important si Kerensky lui met la main dessus. J’aimerais savoir si tu seras objective avec lui.
- Si je ne le suis pas, tu n’auras qu’à l’être à ma place. ”
Largo se leva et lui fit face, pour la défier.
- “ Tu ne m’as pas répondu ? Tu l’aimes encore, après tout ce temps ?
- Et Diana ? Tu l’aimais encore après ce qu’elle t’a fait ?
- Ca n’a rien à voir.
- Exactement. Ca n’a rien à voir. ”
Joy prit sa veste et l’enfila.
- “ Je rentre chez moi. J’ai besoin de me changer les idées. Si Kerensky retrouve la trace de Michaël, appelle-moi. ”
Elle s’en alla, laissant un Largo perplexe.


Route vers le cimetière d’Arlington, 8h :

Simon essayait vainement de se concentrer sur la route, mais il n’y arrivait pas. Et il avait de quoi être perturbé ! Même s’il savait que ce n’était pas du tout le moment de songer à draguer, lorsqu’il était passé à l’aéroport pour chercher June et Joanie Arden, les sœurs de sa garde du corps préférée, il avait été subjugué par leurs beautés. Elles ressemblaient beaucoup à Joy, mais chacune avait leur style.
June, les cheveux courts, maquillée très discrètement, portait des tailleurs chics et stricts. Elle avait une démarche droite et rapide, moins féline que celle de Joy, mais qui dénotait d’autant d’assurance. Elle aurait pu paraître très froide, du haut de ses vertigineux talons aiguilles, mais elle portait de petites lunettes rondes qui glissaient sans arrêt au bout de son nez et qu’elle devait régulièrement remonter, toujours avec un petit sourire en coin. Son regard émeraude était malicieux et on sentait tout de suite qu’il s’agissait d’une femme généreuse et pleine de sagesse.
Joanie, quant à elle, était le contraire exact de ses deux sœurs. Elle portait de longs cheveux frisés qui descendaient jusqu’au bas de son dos et dont plusieurs mèches étaient ça et là teintées en blanc, en rouge ou même en violet. Vêtue comme une hippie, de longues robes très colorées et vaporeuses, elle gigotait sans arrêt, incapable de rester en place, faisant cliqueter à chaque fois ses nombreux bracelets, qu’elle portait à chaque bras. Elle souriait à tout le monde, mais on sentait qu’elle n’était jamais vraiment là, qu’elle planait dans les hautes sphères. Son regard déviait sans cesse et on avait beaucoup de mal à la regarder droit dans les yeux, qui, d’un bleu ciel éthéré, semblaient perdus, rêveurs, dans le vague, dans son univers ...
En d’autres circonstances, Simon se serait jeté sur les deux jeunes femmes, aussi charmantes l’une que l’autre et qui avaient l’avantage d’être moins vénéneuses que Joy. Mais ce n’était pas le moment. Leur père, Charles, venait de mourir. Simon se rappelait très bien de la réaction de June lorsqu’il le lui avait annoncé au téléphone. Elle semblait sceptique, comme si elle pensait que son père était indestructible. Il n’avait perçu aucun sanglot dans sa voix, ni aucun tremblement. Elle paraissait juste choquée, perplexe. Oui, choquée était le meilleur mot. Mais, peu d’émotion ou d’angoisse. Le Suisse en avait aussitôt déduit qu’elle n’était pas plus proche de son père que Joy.
Quand il était venu les chercher, la veille au soir, à l’aéroport de Washington, puisque Charles Arden était enterré à Arlington pour ses faits d’armes pendant le Vietnam, il avait scruté les réactions de Joanie et de June. Elles semblaient lasses, leurs traits étaient tirés. Il était difficile de savoir si c’était à cause de la fatigue du voyage ou si elles avaient pleuré leur père. En tout cas, la mère de Joy avait clairement manifesté son intention de ne pas venir : elle ne voulait plus rien avoir avec Charles Arden.
Les deux jeunes femmes avaient semblé sensible à l’accueil de Simon, que Largo avait dépêché sur place pour les accueillir, Joy ne retrouvant ses sœurs qu’à Washington, pour l’enterrement. Il leur avait présenté ses sincères condoléances et les avaient conduites à leur hôtel. Elles avaient peu parlé et étaient tout de suite allées se coucher, pour récupérer de leur voyage. Le lendemain matin, Simon les avait retrouvées au petit-déjeuner et leur avait parlé plus longuement. June était théoricienne en astrophysique et passait sa vie la tête dans les étoiles. Elle lui avait dit ne pas avoir vu son père depuis son affectation à la NASA.
Quant à Joanie, elle avait quitté l’école à seize ans pour voyager. En ce moment, elle bossait pour une agence de voyages par Internet et testait certaines destinations exotiques, pour le prix le plus abordable. Elle voyageait sans cesse et ne parlait plus à son père. Elle avait juste mentionné à Simon qu’elle l’avait vu à plusieurs reprises, l’année précédente, mais n’avait donné aucune précision. Les deux jeunes femmes ne semblaient pas bouleversées par la mort de leur père et avaient en réalité plutôt hâte de retrouver Joy. Simon pensa d’ailleurs que c’était la raison essentielle de leur présence à son enterrement.
Après leur bref petit-déjeuner, Simon s’était donc mis en route vers le cimetière d’Arlington. Dès leur arrivée, June et Joanie se jetèrent dans les bras de Joy. Les trois sœurs étaient très heureuses de se revoir. Apparemment, leurs activités respectives les privaient les unes des autres pour de longues périodes et elles étaient très rarement réunies. La cérémonie commença peu après les retrouvailles des sœurs Arden. Il y avait du monde à l’enterrement. Outre Joy, ses sœurs et ses amis de l’Intel Unit, étaient réunis des connaissances de Charles Arden, qui, à leur tête, devaient être d’anciens agents secrets. Si Simon avait fait la sottise de leur demander qui ils étaient et qui était le défunt pour eux, ils auraient sans doute été obligés de le tuer.
- “ La veillée va être gaie ... ” avait alors soufflé Simon à Largo, qui dut se retenir de sourire.


Groupe W, New York, le lendemain :

June et Joanie Arden étaient assises dans le confortable canapé de l’appartement de Largo et attendaient patiemment que leur sœur, accompagnée de son patron et de Simon, leur explique ce qu’il s’était passé.
- “ Il va falloir que vous restiez ici quelques temps, pour qu’on assure votre sécurité.
- Ah parce qu’on est en danger ? s’écria June.
- Oui ... C’est en rapport avec quelque chose que papa m’a dit avant de mourir ...
- Celui-là, pour nous mettre dans la mouise, c’était un champion ... Tu te rappelles quand on avait cinq ans et que notre maison a été détruite par une bombe incendiaire lâchée par un Capo de la mafia ? fit Joanie à l’intention de June.
- Difficile d’oublier le traumatisme ... acquiesça June. Il est déjà arrivé assez souvent que les affaires de notre père interfère dans notre vie. C’est pour ça qu’il voulait faire de nous des agents, d’ailleurs.
- Et il s’est bien planté ! En tout cas avec June et moi ! ”
Joy soupira et s’assit sur le bureau de Largo, ne sachant par où commencer. June décida alors de lui faciliter la tâche.
- “ Joy ? Papa a été tué et tu sais par qui, c’est ça ?
- Peu importe la personne qui l’a tué, il y a quelque chose de plus grand derrière. Son meurtrier n’était qu’un poisson parmi tant d’autres.
- Était ? ” fit June.
Joy ne répondit rien. Elle soupira.
- “ Les joies d’avoir été élevées par le directeur de la CIA ...
- Avant de mourir, papa a dit que nous étions toutes les trois en danger, à cause d’un certain projet Wallalah. Ca vous dit quelque chose ?
- Non ... soupira June.
- Nada, niet, walou ... fit Joanie.
- Bon, ben puisqu’on n’a aucune piste, il faut à tout prix retrouver ce Michaël Costello, dit Simon.
- Mickaël ? ? ? s’écrièrent Joanie et June en chœur.
- Il est en vie. ” leur expliqua brièvement Joy.
Joanie étouffa un juron et June se mordit les lèvres. Joy les dévisagea dangereusement et elles tentèrent de détourner le regard.
- “ Qu’est-ce que vous me cachez ? ” fit-elle soupçonneuse.
Joanie et June se regardèrent, embarrassées.
- “ Mais pourquoi tu cherches Michaël ? demanda June.
- Ne change pas de sujet ! Vous saviez qu’il était en vie, pas vrai ? C’est papa qui vous l’a dit ?
- Non ... Euh ... hésita Joanie. Promets-moi que tu ne vas pas te mettre en colère !
- Je ne promets rien. Alors ? ”
Joanie, d’un sourire crispé, montra sa main gauche à Joy. Elle portait une alliance.
- “ Tu t’es mariée ?
- Oui.
- Pourquoi tu ne m’as rien dit ? ”
Joy regretta aussitôt la question qu’elle avait posé car elle venait de comprendre.
- “ Tu t’es mariée avec ce cinglé ? explosa-t-elle.
- Oh la gringa, calmos ! Toi aussi t’as voulu l’épouser.
- Mais je ne l’ai pas fait, bien m’en a pris ! Joanie, c’est un mercenaire, un ex-agent de la NSA, un vrai tordu manipulateur et dangereux ! !
- Il a beaucoup changé, Joy. ” la coupa June.
Joy lança une oeillade suspecte à sa sœur.
- “ June était au courant et pas moi ? Pourquoi m’avoir mentie ?
- Mike l’avait demandé. Il était recherché par les autorités et si papa ne l’avait pas couvert, il aurait fini en prison. Comme il était censé être porté disparu, on ne devait parler de lui à personne.
- Pas même moi ?
- Joy, tu sais très bien que tu l’aurais dénoncé ... fit June.
- Évidemment, c’est un criminel !
- Non, il est loin de tout ça, maintenant.
- Qu’en sais-tu, June ? "
Sa sœur hésita. Joanie regarda Largo et Simon.
- “ Dites, si Joy essaie de nous tuer, vous nous défendrez ?
- Euh ... marmonna Largo.
- C’est qu’elle est très forte ! rajouta Simon.
- Laisse tomber, Joanie. Joy ne frapperait jamais une femme enceinte. ”
La garde du corps éclata de rire.
- “ Quoi ? Toi, tu serais enceinte ?
- Oui. De Mike. ” fit June très sérieusement, sans se démonter.
Joy cessa de rire et écarquilla les yeux.
- “ Dites-moi que je rêve. Non mais dites-moi que je rêve ?
- A ce que je vois, les sœurs Arden sont du genre partageuses en matière d’hommes ... plaisanta Simon.
- Simon, c’est pas le moment ... dit Largo, un peu désarçonné.
- Laisse-moi t’expliquer Joy ... intervint Joanie. Mike et moi, on ne pouvait pas avoir d’enfant. Je suis stérile. Alors, on a demandé à June de nous aider à faire un bébé. ”
Joy, hallucinée, se laissa tomber dans un sofa. Elle se prit la tête entre les mains.
- “ Inconscientes. Vous êtes inconscientes ... Vous savez ce que ça va coûter d’avoir une famille avec un type aussi dangereux que Michaël ? ”
Joanie et June rejoignirent leur sœur et lui prirent chacune une main.
- “ Ne t’inquiètes pas pour nous Joy ... On n’en est plus à l’époque où tu veillais sur nous et nous empêchais de faire des bêtises ... dit Joanie.
- Michaël est vraiment totalement différent et tu sais que je ne me trompe jamais sur les gens ! Si j’avais senti qu’il pouvait faire du mal à Joanie, jamais je ne l’aurais laissée l’épouser !
- Crois-moi, j’aurais préféré tomber amoureuse d’un mec moins compliqué, mais c’est arrivé et c’est tout. Tu sais que c’est quelque chose qu’on ne peut ni prévoir, ni calculer. ”
Joy dévisagea Joanie.
- “ Tu l’aimes vraiment ce type ?
- A la folie ! Toi aussi, tu l’as aimé, non ?
- Non, dit fermement Joy. Je ne sais pas ... rajouta-t-elle finalement. Dis-moi, que sais-tu des activités de Michaël ?
- Presque rien. Il dit qu’il ne veut pas que June et moi y soyons mêlées.
- C’est loupé alors ... ” marmonna Joy.
Largo décida d’intervenir, commençant à se sentir de trop dans ces histoires familiales.
- “ D’après une des sources de Joy, Michaël, enfin votre mari, Joanie, fait partie d’une organisation appelée le Groupuscule. Charles en faisait aussi partie et nous pensons que c’est à cause de cette organisation que vous êtes en danger.
- Jamais entendu parler ! assura Joanie.
- Le seul moyen d’en apprendre plus sur ce groupe et sur le projet Wallalah, c’est de faire parler Michaël. Où est-il ? fit Joy.
- Aucune idée ! soupira Joanie.
- Jo, c’est quand même ton mari !
- Oui, mais c’est un mari mercenaire. Il y a deux mois, il m’a dit qu’il devait partir, qu’il ne savait pas pour combien de temps et quand je lui ai demandé si je pouvais l’accompagner, il m’a répondu que c’était trop dangereux et qu’il devait se faire oublier par des “ méchants vilains ” !
- Des “ méchants vilains ” ? s’étonna Simon.
- Oui, j’adore quand il s’adresse à moi comme si j’étais une petite fille. Ca me fait craquer ...
- Et vous n’avez eu aucun contact depuis deux mois ? demanda Largo.
- Si bien sûr ... Il m’a laissé une adresse électronique où le joindre sur le net, quand il y a urgence ... Je l’ai utilisée plusieurs fois, notamment quand on a appris que June était enceinte et que l’insémination avait fonctionné. Le bébé a trois mois maintenant ! ajouta-t-elle fièrement.
- Tu pourrais nous donner cette adresse ? Il faut à tout prix le contacter ! fit Joy.
- Bien sûr ... Je vais lui envoyer un message ... ”


Parking sous-terrain du Groupe W, plus tard, 14h28 :

Joy jouait nerveusement avec ses clés de voiture tandis qu’elle traversait rapidement les sous-sols du Groupe W, pour rejoindre sa voiture. Elle ne savait pas où elle voulait aller exactement, mais elle avait un besoin urgent de prendre l’air. Elle n’avait pas fait le deuil de son père, les événements l’en avaient empêchée, et ne savait plus ce qu’elle devait ressentir pour son père décédé. Elle se sentait comme Largo à la mort de Nério. A la différence près qu’après avoir passé trente ans avec Charles Arden, elle n’avait jamais pris la peine de le connaître.
- “ Il faut dire qu’il ne m’a pas rendu les choses simples ... ” pensa-t-elle pour elle-même. Alors que ses yeux, s’habituant à l’obscurité régnant dans le parking sous-terrain, cherchaient la fente de la serrure de sa portière, afin d’y insérer sa clé, elle se sentit brusquement tirée en arrière et maintenue par les épaules par deux grandes mains puissantes.
- “ Ne crie pas et surtout évite de me donner un coup là où il ne faut pas. ” lui murmura une voix familière, avec calme.
Reconnaissant l’homme qui l’avait attrapée, elle cessa de se débattre et il relâcha son étreinte jusqu’à l’en dégager totalement. Elle se retourna et dévisagea l’homme qui lui souriait faiblement dans la pénombre, grand, musclé, aux cheveux noirs corbeau. Ses yeux verts brillaient intensément et contrastaient avec son teint mat de latino et ses traits rugueux et contractés.
Joy voulut au départ rester calme, mais elle ne put s’en empêcher et lança sur lui une monumentale gifle. Il la supporta sans sourciller, peu étonné par sa réaction et la laissa reprendre ses esprits une minute avant de lui adresser la parole.
- “ Défoulée ? ” dit-il.
Sa voix était la voix grave et rocailleuse des fumeurs intempestifs. Il était sûr de lui, mais on pouvait percevoir une légère tension dans son timbre.
- “ Oui ... répondit Joy, totalement impassible. Je n’aurais jamais cru qu’un jour je te reverrai, Michaël Costello.
- Pourtant tu me cherches, si j’ai bien compris ?
- Tu as reçu le message de Joanie ? ”
Il acquiesça.
- “ Je ne manipule pas tes sœurs. De toute façon, Charles a toujours su ce qu’il se passait entre elles et moi, et il me surveillait de près.
- C’est censé me rassurer ça ?
- Crois-le ou pas, ton père aimait ses filles. ”
Il y eut un silence.
-“ J’aim e Joanie. Sincèrement. Je fais tout pour ne pas la mettre en danger, ainsi que June. C’est pour ça que je leur ai demandé tout ce temps de ne pas te parler de moi.
- Et maintenant ?
- Les choses ont changé.
” Michaël fouilla dans la poche de sa veste en peau de serpent pour saisir un paquet de cigarettes. Il en alluma une et s’appuya contre la voiture de Joy.
- “ Il faut que tu protèges June et Joanie. Moi, je n’en suis plus capable. Plus sans les moyens du Groupuscule.
- Explique-toi.
- Ok. Le Groupuscule est dirigé par une Triade composée de trois hommes que tu connais bien : Allen Padenton.
- NSA ?
- Les deux autres étaient ton père et le sénateur Victor O’Brien.
- O’Brien ? Le bâtard m’a menti.
- O’Brien est le dernier de tes soucis maintenant. Depuis la mort de ton père, le Groupuscule a subi de gros changements : officiellement, c’est toujours Padenton et O’Brien qui le dirigent, mais ils sont à la botte de la Commission Adriatique. Ton père était le dernier maillon d’importance entre la Commission Adriatique et le Groupuscule.
- Et ton rôle là-dedans ?
- Ton père m’a retrouvé quand j’ai été porté disparu en Colombie. Il m’a recruté pour le Groupuscule et j’ai été loyal jusqu’à sa mort. Il a voulu empêcher que la Commission Adriatique ne s’empare du Groupuscule parce qu’il ne voulait pas devenir le larbin de la Commission. C’est comme ça qu’on en est venus au Projet Wallalah. ”
Il expulsa plusieurs bouffées de cigarettes et s’arrêta un instant, paraissant réfléchir.
- “ Ton père mort, il n’y a plus que moi. C’est pour ça que tes sœurs sont en danger. La Commission Adriatique et les membres du Groupuscule roulant pour elle veulent faire pression sur moi en les utilisant. ”
Il fit une nouvelle pause.
- “ Je tiens à Joanie et à June. Mais, je ne céderai jamais, c’est pourquoi il est impératif que tu les protèges.
- Tu ne céderas pas ? Je ne t’ai jamais vu croire en quoi que ce soit auparavant. Le Projet Wallalah compte autant pour toi ?
- Là n’est pas la question Joy. En fait, je n’ai pas le choix parce que ... ”
Michaël hésita et jeta sa cigarette à terre pour l’écraser.
- “ Je suis le Projet Wallalah. ”
Interloquée, Joy allait lui demander des précisions, quand une camionnette surgit dans le parking sous-terrain du Groupe et freina près d’eux. Quatre hommes cagoulés en descendirent, M-16 à la main, les menaçant.
- “ On ne bouge pas, Costello, tu viens avec nous ! ”
Michaël lança un regard complice à Joy.
- “ Comme au bon vieux temps ?
- Comme au bon vieux temps ! ”
Aussitôt, ils se jetèrent en même temps sur deux des hommes, les assommant avec un double coup de pied retourné, et enchaînèrent rapidement avec un retourné marteau sur les deux autres, surpris par l’attaque. Puis, il allèrent se camoufler derrière les voitures pour se mettre en position d’embuscade, tandis que deux autres hommes surgissaient du van et commençaient à leur tirer dessus, tout en mettant leurs complices à l’abri.
Joy lança un regard vers Michaël. Visiblement il n’avait plus de chargeurs, même s’il avait deux armes, ce serait juste. Elle-même, n’avait qu’un seul chargeur à son Beretta. Ils seraient bientôt à court de munitions et seraient perdus face aux M-16 de leurs ennemis. Elle continua tout de même à tirer, à doses thérapeutiques, et réussit à toucher l’un des tireurs. Malheureusement; les quatre premiers assaillants reprenaient conscience et se joignaient à la petite fête. Ils n’avaient aucune chance, à moins que la sécurité du Groupe ne se rende compte de ce qu’il se passe et n’arrive en renfort.
Michaël parut se rendre compte de leur situation critique. Il la regarda.
- “ Tes clés ! hurla-t-il. Ils me veulent, je vais faire diversion !
- Trop dangereux !
- J’arriverai à les semer, c’est notre seule chance !
- On va venir nous aider ! ” buta-t-elle.
Michaël étouffa un juron et tira plusieurs coups de feu. Ses armes étaient dorénavant vides.
- “ Déconne pas Joy, depuis quand tu te soucies que je reste en vie ? ”
Joy fronça les sourcils.
- “ T’as raison ! Qu’ils te massacrent, mais fais gaffe à ma voiture ! ”
Elle lui lança les clés de sa voiture, et tandis qu’elle le couvrait, il courut jusqu’au véhicule et s’y engouffra. En un quart de seconde, il démarra et se prépara à prendre la tangente. Comme prévu, les hommes cagoulés se replièrent vers leur van pour le prendre en chasse. Dès qu’ils eurent démarré à leur tour, Joy sortit de sa cachette et tenta de viser leurs pneus pour les ralentir. Elle crut en avoir crevé un, mais ils se lancèrent tout de même à la poursuite de Mickaël, en un violent crissement de pneus.
Bientôt, sa voiture et le van disparurent du parking, et la sécurité du Groupe W intervenait enfin dans le parking, armes aux poing.
- “ Mademoiselle Arden ? interrogea l’un d’eux.
- Trop tard. Il va falloir que je vous entraîne sérieusement, vous ! les gronda-t-elle. Monsieur Winch ne vous paie pas pour roupiller et arriver au dernier moment ! ”
Puis elle soupira et se dirigea vers les ascenseurs du Groupe. Il fallait qu’elle en parle à ses sœurs et à Largo.


Penthouse, 15h :

Quand Joy quitta l’ascenseur, au soixantième étage, elle tomba nez à nez avec Largo.
- “ Joy ! souffla-t-il. On vient de me prévenir, j’allais descendre te rejoindre ! Que s’est-il passé ?
- Où sont mes sœurs ?
- Toujours dans l’appartement. ”
Elle hocha la tête et s’y dirigea tandis que Largo l’y suivait. Quand Joy pénétra à l’intérieur, June, Joanie et Simon se levèrent tous les trois en même temps et vinrent à sa rencontre.
- “ Il y a eu un problème ? fit June.
- Oui, des agents de la Commission Adriatique sont venus ... Je pense qu’ils voulaient enlever Michaël.
- La Commission Adriatique ?
- Des méchants, résuma succinctement Joy. Une organisation criminelle qui souhaite inféoder le Groupuscule pour gagner de la puissance.
- Tu as vu Michaël ? s’enquit aussitôt avec impatience Joanie.
- Il va bien ... Mais les agents de la Commission l’ont pris en chasse ... J’espère qu’il arrivera à les semer ...
- Mais que lui veulent-ils ?
- Apparemment, il est la clé du Projet Wallalah, notre père mort, il n’y a que lui qui connaisse le secret.
- Il t’a dit ce que c’était ? demanda Largo.
- Il n’en a pas eu le temps. Il m’a juste demandé de faire attention et de vous protéger. Selon lui, la Commission fera pression sur vous deux pour arriver à ses fins s’ils n’arrivent pas à l’attraper.
- On va renforcer la sécurité ... déclara Largo. Et vous resterez au Groupe, il y a des appartements d’hôtes ...
- Vous en faites pas ! s’écria Simon. Ici, c’est mieux gardé que la ceinture de chasteté de la Reine d’Angleterre ! ”
Largo, Joy, June et Joanie dévisagèrent Simon avec curiosité et perplexité.
- “ Oui, bon, la comparaison était mal choisie ... ” admit-il d’une grimace qui dérida légèrement les protagonistes.
C’est à ce moment que Kerensky choisit d’entrer dans l’appartement, un dossier sous le bras.
- “ Du nouveau. Je crois qu’on est en train de se faire avoir.
- Qu’y a-t-il Georgi ? demanda Largo.
- En visionnant la vidéo surveillance du parking, j’ai pu lire la plaque d’immatriculation du van à bord duquel se trouvaient les agents de la Commission. Elle est louée depuis une semaine par le Cabinet Ministériel de Doug Parker.
- Qui est-ce ? s’interrogea Joanie.
- Doug Parker est le secrétaire d’Etat à la Défense, répondit Largo.
- Waw, c’est pas un petit poisson ... soupira Simon.
- Et vous ne savez pas la meilleure ... poursuivit Kerensky. Parker a soutenu la candidature de Victor O’Brien lors des dernières sénatoriales ... D’ailleurs, il est à un poste important de son Cabinet ministériel, aux crédits militaires ...
- O’Brien ? grogna Joy, en serrant les dents.
- Ce n’est pas le sénateur qui était ami avec papa ? intervint June.
- Oui, c’est ce sale petit parvenu, menteur, et lâche ! ! ! ! tonna Joy. Simon, les clés de ta bagnole !
- Pourquoi ?
- Parce que Michaël est parti avec la mienne et que j’ai l’intention d’aller secouer O’Brien à ma manière ! Je déteste me faire avoir ! ”
Simon croisa par mégarde le regard de tueuse qu’arborait Joy à ce moment, et ne souhaitant pas trop s’y frotter, il lui tendit ses clés de voiture en silence. Joy les lui arracha des mains et quitta l’appartement en claquant la porte. Une fois l’ouragan Joy hors de portée, ses amis soufflèrent de soulagement. Même Kerensky grimaça.
- “ Ca, c’est une femme ... ” commenta-t-il.
Simon et Largo le regardèrent, surpris par cette réplique. Le Russe haussa les épaules.
- “ Je passe trop de temps avec Simon ... Au moins, quand elle reviendra, elle en saura plus. ”





Joy