Washington, Capitole, bureau de Victor O’Brien, 17h :
Victor O’Brien étudiait silencieusement un mémoire qu’il devait présenter devant ses pairs dans la semaine, quand il perçut des éclats de voix provenant du bureau adjacent de sa secrétaire. Bientôt, sa porte s’ouvrit violemment sous un coup de Joy Arden tandis que sa secrétaire tentait vainement de s’excuser auprès de son patron.
- “ Je suis désolée, Sénateur ... J’ai dit à mademoiselle que vous ne vouliez pas être dérangé, mais ...
- Laissez tomber. Laissez-nous, Stassy. ”
La secrétaire s’en retourna dans son bureau, refermant avec délicatesse la porte derrière elle. Puis O’Brien scruta Joy Arden droit dans les yeux. Le regard de celle-ci brillait de mille feux, elle était furieuse contre lui et il sentit tout de suite qu’il allait en baver. Elle s’approcha dangereusement de lui. O’Brien allait parler, mais pas un mot ne put sortir de sa bouche car Joy venait de lui asséner un violent coup de poing dans la mâchoire, qui le fit glisser de son fauteuil. Puis, l’impétueuse jeune femme le saisit par le col de sa chemise et le plaqua contre le mur.
- “ Alors Victor ? grogna-t-elle. Je crois que nous avons un problème, tous les deux ...
- C’est ce que j’ai cru sentir ... marmonna-t-il, la bouche en sang.
- Oh ? Je ne vous ai pas trop fait mal, j’espère ? Je crois que j’ai glissé ... le nargua Joy.
- C’est regrettable, Joy ... Vous évaluez mal votre force ...
- Je ferai plus attention la prochaine fois ... ”
Elle desserra sa prise et le jeta avec violence sur son fauteuil. Le sénateur rassembla le peu de dignité qu’il lui restait et s’installa un peu plus confortablement, tout en saisissant un mouchoir dans sa poche qu’il appliqua contre sa plaie à la mâchoire.
- “ Je crois que tu m’as fait sauter un plombage, Joy ... bredouilla-t-il.
- Oh, ne vous en faites pas, je suis sûre que ce sera comptabilisé dans votre note de frais par la Commission Adriatique.
- Alors tu sais que j’en suis membre ? J’ai sous-estimé ton intelligence, à ce que je vois ... ”
Joy s’assit sur le bureau d’O’Brien et prit son Beretta qu’elle lui glissa sous le nez.
- “ Vous allez me parler maintenant, Victor.
- Pour que la Commission me tue ?
- Si vous ne parlez pas, je vous tuerai. Et ne croyez pas que j’aurai le moindre scrupule, mon patron n’est pas là et personne ne réclamera justice pour un pourri comme vous. Vous serez un cadavre bien embarrassant ... Par contre, si vous me parlez, vous aurez quelques heures pour vous enfuir avant que la Commission ne s’occupe de votre cas. Réfléchissez : vous me parlez, 50% de chances de survivre, vous ne me parlez pas, le taux retombe à 0%. Alors ? ... Tic-tac, tic-tac ...
- Ca va, ça va ... soupira O’Brien en levant la main vers elle. Le premier jour, la toute première fois que je t’ai vue, j’ai su qu’un jour tu me causerais des problèmes ... Tu n’étais encore qu’une petite fille, mais tu étais trop maligne ... Et par-dessus tout, personne n’avait de prise sur toi, pas même ton père ... Je suppose que c’était grâce à ta mère ...
- J’attends.
- Quand le Groupuscule a été créé, il a tout de suite intéressé la Commission Adriatique. On m’a demandé de m’y infiltrer ... A l’époque il était dirigé par Allen Padenton ... Un excellent technicien, mais qui n’avait aucun charisme. J’ai rapidement partagé le commandement avec lui, et j’ai recruté ton père. Charles a tout de suite vu que je roulais ma bosse ailleurs ... Mais ça lui était égal au départ ... Grâce au soutien de la Commission Adriatique, le Groupuscule a pris beaucoup d’ampleur et d’importance. Mais quand le Groupe a été suffisamment puissant pour espérer s’affranchir de la tutelle de la Commission, Charles est devenu gênant. Il voulait garder le Groupuscule pour lui seul et ses hommes, ce qui n’a pas plu à la Commission. J’ai été chargé de régler ça ...
- Et ?
- Et Charles s’est bien défendu, trop bien.
- Le Projet Wallalah ?
- Le Projet Wallalah. Grâce à l’aide de Michaël Costello et de ses meilleurs hommes, Charles a réussi à s’approprier le livre.
- Non ? Le Livre de la Commission Adriatique ? sourit Joy, vaguement fière que son père ait réussi ce tour de force.
- Exactement. Nous avons réussi à le récupérer, grâce à cet idiot de Padenton en partie ... Mais ils ont réussi à décrypter les informations que le livre contenait.
- Et vous cherchez à les récupérer ?
- Ce qui n’est pas chose facile. Ni Charles, ni Costello n’ont peur de mourir. Ce sont des durs. Nous avons été contraints de faire pression sur leurs proches ...
- Quelle contrition ... Ca a dû vous en coûter beaucoup, hein ? grinça Joy, en colère.
- Pendant ce temps, Charles s’était infiltré à la Commission, sans doute pour brouiller les cartes, mais personne n’était dupe. Nous avons demandé à Diana Montreuil de nous en débarrasser ... Sincèrement, je ne croyais pas que cette idiote y arriverait ... Peut-être s’est-il laissé avoir, après tout ... Charles n’était plus qu’un vieux fauve usé ... Il devait penser que Michaël saurait reprendre les choses en main...
- Donc Michaël est le seul à savoir qui sont les membres de la Commission Adriatique et à pouvoir la détruire ?
- Encore fallait-il pouvoir l’attraper ... C’est pour ça que je t’ai parlé de lui, l’autre jour. Je savais que seules toi et tes sœurs pouviez le retrouver. Et il est tombé dans le panneau en sortant de sa cachette. Ce n’est plus qu’une question de temps, maintenant ... D’ici demain, nous aurons récupéré ce que nous voulons ...
- Aucune chance !
- Tu préfères que nous tuions tes sœurs ? sourit-il.
- Pour les tuer, encore faudrait-il que vous les approchiez ...
- Mais c’est déjà fait ... ”
Joy le scruta du regard, son expression passant progressivement de la rage à l’inquiétude.
- “ En effet, ma petite Joy ... Pendant que tu es ici à me faire parler, mes hommes se sont déjà emparés de tes chères sœurs ... ”
O’Brien profita de la perplexité de Joy pour saisir un crayon et un papier. Il y griffonna une adresse.
- “ Je vous veux, toi et Mickaël à cette adresse avant 24 heures. Sinon, elles souffriront.
- Allez en enfer ! ”
Joy le frappa à nouveau et quitta précipitamment le bureau d’O’Brien.
Penthouse, Groupe W, 20h12 :
Le cœur de Joy battait la chamade tandis qu’elle entrait dans l’ascenseur du Groupe W. En arrivant, elle avait vu les policiers, entendu les plaintes et les soupirs des employés, perçu des bribes de conversation : violence, enlèvement, choc ...
Tandis que l’angoisse grandissait en elle, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Elle tomba nez à nez avec Michel Cardignac, qui, d’un air narquois, faisait un de ses commentaires désobligeants sur le vacarme et le danger que Largo trimbalait sans cesse avec lui, mais Joy ne l’écouta pas et le bouscula pour passer plus vite. Ignorant ses injures, elle courut vers l’appartement de Largo. Lorsqu’elle entra, elle ne vit au départ que le désordre, les meubles bousculés, les objets brisés, les impacts de balles sur les murs, les papiers qui jonchaient le sol. Son regard glissa vers le sofa où se tenaient Largo et Kerensky, assis, le visage grave. Ceux-ci s’assombrirent plus encore en apercevant Joy. Ils se levèrent, mal à l’aise, et elle approcha plus lentement. Son cœur battait de plus en plus vite et ses oreilles bourdonnaient atrocement.
- “ O’Brien m’a dit que la Commission avait June et Joanie ... commença-t-elle, la voix rauque.
- On n’a rien pu faire ... Je suis désolé, Joy ... murmura Largo.
- Mais comment ?
- Apparemment, l’un des chefs de notre sécurité nous a trahi, expliqua Kerensky. Il a créé une brèche dans notre système et les ravisseurs de tes sœurs n’ont plus eu qu’à se servir.
- On s’est battus comme on a pu, Joy ... fit Largo. Mais ils étaient trop nombreux ...
- Oui, oui ... Je sais que vous avez fait de votre mieux ... le rassura aussitôt Joy, malgré son choc. Il faut réfléchir à un plan pour les ramener et ... ”
Joy stoppa net. Quelque chose clochait. Quelque chose manquait. Elle dévisagea Kerensky et Largo, tour à tour, avec attention.
- “ Où est Simon ? ”
Largo poussa un profond soupir.
- “ Il y a eu un échange de coups de feu. Ils avaient apparemment pour consigne de ne pas me tuer, mais ... Ils ont tiré sur Simon.
- Est-ce qu’il est ... ? hachura Joy avec difficulté.
- Non ! l’interrompit aussitôt Largo. Rassure-toi, il a été blessé à l’épaule et à la cuisse, mais tout va bien, il n’a pas perdu connaissance et les médecins ont pu extraire les deux balles. Il va bien ... On arrive de l’hôpital avec Kerensky. ”
Joy soupira de soulagement.
- “ Je ne me le serais jamais pardonnée s’il lui était arrivé quelque chose ...
- Allez, rassure-toi ... fit Largo. Ce n’est pas de ta faute, d’accord ? Le plus urgent maintenant, c’est de retrouver tes sœurs ...
- Non, écoutez ... Simon a déjà été blessé, je ne veux pas qu’il vous arrive quelque chose ... Michaël et moi, on se débrouillera seuls pour la suite des événements ...
- Vous n’avez aucune chance ! déclara Largo. Kerensky, utilise le code de Joanie et recontacte Michaël Costello.
- Mais ...
- Ne discute pas ... fit Kerensky. On y arrivera tous ensemble et pas autrement. ”
Kerensky quitta le penthouse et Joy dévisagea Largo.
- “ Tu ne devrais pas faire tout ça pour moi ...
- Tu le mérites. Et tes sœurs le méritent ... Il n’y a aucune honte à avoir besoin des autres, tu sais ... Si c’est ton père qui te l’a appris, tu devrais savoir qu’il n’a pas eu que des idées lumineuses ... ”
Joy esquissa un vague sourire, puis elle se sentit défaillir, ses jambes la lâchèrent et elle vacilla dangereusement jusqu’à ce que Largo la rattrape de justesse. Elle s’aggripa à ses épaules et soupira de fatigue.
- “ Je ... Je ne sais pas ce que j’ai, mais ...
- Moi je sais ... Ce sont les nerfs. Tu n’as presque rien mangé aujourd’hui ...
- Tout va bien ...
- Non, Joy, tu ne vas pas bien ... ”
Largo plongea son regard dans le sien et la serra un peu plus fort contre lui. Doucement, il remit avec délicatesse une de ses mèches de cheveux derrière son oreille et en profita ensuite pour caresser tendrement du bout des doigts la peau douce et brune de son visage parfait. Elle sentait son souffle chaud et ses lèvres étaient bien trop proches des siennes.
- “ Largo ... C’est à ce moment-là généralement qu’on détourne la tête, qu’on est très gênés et qu’on se promet de ne plus jamais refaire ça ...
- Ah oui ? souffla-t-il de plus en plus troublé. Tu crois qu’un jour on dépassera ce stade ?
- Ce serait trop dangereux.
- J’adore le danger ... Toi aussi, non ? ”
Elle ferma les yeux, vraiment très tentée par la proposition indécente de son séduisant patron, puis elle se ressaisit et son regard de braise se teinta de détermination. Elle s’écarta légèrement de lui.
- “ Quoi qu’il y ait entre nous, ce n’est pas le moment d’y penser. ”
Elle voulut se détacher totalement de son étreinte et s’éloigner de lui, mais il la rattrapa par la bras.
- “ Joy ... Je ... Je sais que je n’ai pas le droit de te le dire, mais je crois que je t’ ...
- Non, ne dis rien de plus ! S’il te plaît ! Je ne veux pas l’entendre, Largo. ”
Le jeune homme se tut, mais son regard ne laissait aucune confusion sur ce qu’il ressentait à ce moment-là. Joy fut soulagée à l’intérieur mais se garda bien de le montrer. Tout cela était bien trop compliqué pour elle.
Penthouse, Groupe W, 21h45 :
Largo ouvrit les yeux brusquement. Il avait fait un drôle de rêve, ce genre de rêves, qui ne sont pas vraiment des cauchemars, mais qui sont trop étranges et malsains pour être de simples rêves. On se réveille, hagard, moite. On n’a pas peur, mais on se demande avec effroi pourquoi on a fait ce rêve et ce qu’il peut bien vouloir dire sur les méandres de notre subconscient. Largo ne se rappelait plus très bien ce qu’il se passait dans ce rêve, mais il y voyait Joy, Simon et Nério. Et tout se déroulait dans un endroit si sombre ...
Largo se redressa totalement. Il avait mal au dos, d’ailleurs, cela n’avait rien d’étonnant puisqu’il s’était assoupi à son bureau, sur un des dossiers que John lui avait demandé d’étudier. Il regarda autour de lui et ne vit pas Joy. Pourtant, il lui avait presque ordonné de manger un morceau et de se reposer un peu. Mais on ne faisait pas plier si facilement un soldat comme elle.
Son attention fut soudainement attirée par un bruit provenant de la terrasse. Elle était là, debout, prenant le frais, admirant la vue pour la énième fois. Il savait qu’elle adorait venir là et ne put s’empêcher de sourire. Pourquoi avait-il fallu qu’il tombe amoureux de la seule femme qu’il ne pouvait pas avoir ? Il se leva et alla la rejoindre. Elle ne fit pas un mouvement vers lui en l’entendant approcher. Sans doute ne voulait-elle pas le tenter ...
- “ Tu t’es reposée ?
- Oui, mais je n’ai sans doute pas autant ronflé que toi ... se moqua-t-elle.
- Hey ! Je ne ronfle pas ! se vexa-t-il.
- Il faut bien que je t’invente des défauts ... sourit-elle. Tu n’en as pas tellement, à part ta propension à l’irresponsabilité et à l’immaturité.
- Waw, j’ai presque cru pendant un bref instant que c’était un compliment ... ” plaisanta-t-il.
Elle sourit brièvement et son regard fut à nouveau gagné par la tristesse. Largo aurait voulu la prendre dans ses bras pour la réconforter, mais il savait qu’elle ne lui aurait pas rendu son étreinte. Il resta alors debout, planté à côté d’elle, bouillonnant et se demandant ce qu’il pouvait faire pour soulager ses souffrances.
- “ Tu as vécu des choses difficiles, toi aussi, ces derniers temps ... dit-elle soudainement. La mort de Nério. La trahison de Diana, son décès. Je crois qu’on a juste besoin de chaleur humaine.
- Si c’est comme ça que tu veux l’expliquer, tu es libre de le penser. Mais tu verras bientôt que c’est faux. Et qu’en période douloureuse comme en période heureuse, on aura toujours besoin l’un de l’autre.
- C’est ce qu’on appelle l'amitié.
- Ou l'amour. ”
Elle resta immobile et son regard ne dévia pas de la vue sur New York.
- “ Qu’est-ce que tu vas faire pour Jake, le fils de Diana ? Kerensky a retrouvé sa trace, je crois ?
- Oui ... J’ai appelé ses grands-parents. Ils s’occuperont bien de lui.
- Je pensais que tu aurais fait des démarches pour l’adopter.
- Avec mon irresponsabilité et mon immaturité ? C’est pas une vie pour un enfant ... Et puis, je ne pourrais jamais m’empêcher de penser à ce que sa mère nous a fait, à moi, à mon père ... A toi. Il sera plus heureux avec ses grands-parents. Mais si besoin, je serai toujours là pour l’aider. ”
Joy commença à triturer nerveusement ses doigts, tout en regardant ses mains, qui reposaient sur la rambarde du balcon. Elle était nerveuse.
- “ Mes sœurs et moi, on a toujours été là les unes pour les autres ... C’était pas toujours facile, parce que mon père m’isolait souvent d’elles. Il voulait que je sois solitaire. Que je ne fasse confiance à personne. Il nous séparait sans cesse. Un jour, quand j’avais huit ans, on a fait un pacte avec June et Joanie. Le pacte des sœurs Arden. On s’est promises de tout faire pour ne pas être séparées et toujours s’entraider. Au début ça marchait ... Et puis on a grandi ... On s’aime toujours énormément, mais chacune a sa vie. Joanie vagabonde de pays en pays, elle change de job comme de chemise ... June est l’une des scientifiques les plus brillantes de sa génération et moi ... Moi j’ai une vie dangereuse ... On s’adore, mais nos vies sont trop différentes pour qu’on puisse s’aider dans toutes les circonstances ... ”
Des larmes perlèrent lentement sur les joues de Joy.
- “ Mais je croyais que cette fois-ci je pourrais vraiment les aider ... Comment j’ai pu les laisser tomber ... ? murmura-t-elle, la voix brisée par ses larmes.
- Tu ne les a pas abandonnées Joy. On va les retrouver. Et ils paieront pour ce qu’ils vous ont fait. Je te le promets ... ”
Joy sécha rapidement ses larmes, honteuse d’avoir été ainsi surprise dans une de ses faiblesses. Son visage se referma et elle repassa immédiatement en mode “ wonderwoman ”.
- “ Tu as raison. Ce n’est pas le moment de craquer. Je dois être forte pour elles. ”
Largo allait rajouter quelque chose quand le téléphone de son bureau sonna. Il quitta la terrasse pour répondre. Puis, il interpella Joy.
- “ C’est Kerensky. Michaël Costello a répondu à notre appel. Il est au bunker. ”
Bunker, 22h :
Quand Largo et Joy entrèrent dans le bunker, Michaël se trouvait debout, près de Kerensky, mains dans les poches mais le visage contracté et les traits tirés. L’ex agent du KGB avait dû lui apprendre ce qu’il était arrivé à son épouse et à la femme qui portait son enfant. Joy et lui échangèrent un regard que Largo et Georgi ne comprirent pas, mais qui était plus qu’équivoque pour eux. Ils avaient beau s’être perdus de vue pendant des années, il restait quelque chose de leur complicité d’antan et Joy put lire que son ex-fiancé était vraiment ruiné par l’enlèvement de ses deux sœurs.
- “ Il faut les récupérer. Au plus vite. ” annonça directement Michaël.
Joy fouilla ses poches et retrouva le petit morceau de papier sur lequel O’Brien avait griffonné l’adresse à laquelle ils devaient les retrouver. Michaël saisit le papier et le parcourut rapidement.
- “ C’est l’écriture d’O’Brien ? demanda-t-il.
- Il ne se contente pas de rouler pour la Commission Adriatique, Mike. Il en faisait partie avant même la création du Groupuscule.
- Quel vendu ... ”
Michaël s’assit et se frotta les yeux, visiblement épuisé.
- “ O’Brien veut que Joy et vous soyez à ce rendez-vous au plus tôt. Avec les données décryptées du livre de la Commission Adriatique.
- Humm ... grogna Mickaël. On a compulsé ces données et on les a transférées sur une micro puce.
- Où est-elle ? ”
Mike écarta les bras et se désigna.
- “ En moi !
- Je suis pas sûr de comprendre ... hésita Largo.
- La micro puce a été greffée dans un de mes tissus musculaires.
- Tu rigoles ? s’exclama Joy.
- Non. C’est moi le Projet Wallalah, je te l’ai déjà dit, tu ne m’as pas écouté ?
- Comment est-ce possible ? demanda Largo.
- Charles savait qu’il fallait mettre la micro puce en sécurité quand la Commission a repris le livre. Mais il ne savait pas où, la Commission semblait pouvoir deviner tous nos petits secrets. On a pensé qu’en la greffant dans un corps humain, ils n’en retrouveraient jamais la trace. Alors on m’a opéré. La micro puce est organique, elle n’est donc pas détectable au détecteur à métaux, ce qui la rend introuvable. Un beau casse-tête pour la Commission. Quand ils ont compris qu’ils ne retrouveraient jamais la trace de la puce par eux-mêmes, ils ont commencé à faire pression sur toi et tes sœurs, Joy. Il n’y avait que ça pour nous arrêter, Charles et moi. ”
Largo, Joy et Kerensky se regardèrent.
- “ Bon ... déclara finalement Largo. Puisqu’on a la puce, il n’y a plus qu’à procéder à l’échange.
- Mais on a intérêt à avoir un plan. Et un bon ! rajouta Kerensky.
- Ca, Michaël, ça veut dire que tu te ranges, que tu ne joues pas les kamikazes et que pour une fois, tu écoutes ce qu’on te dit. Pigé ? ” gronda Joy.
Michaël haussa les épaules.
- “ Je ferai ce que je peux. Mais tu sais comme j’ai du mal à me détacher de l’improvisation ... ”
Entrepôt désaffecté, Braddock Heights, 2h01 :
- “ Alors ? On me cherchait ? ”
Victor O’Brien sursauta, tandis que quatre de ses hommes de main étaient déjà debout, armes aux poings, à braquer les nouveaux venus d’un air mauvais. Joy et Michaël, à l’entrée de l’entrepôt, ne parurent nullement impressionnés et s’avancèrent tranquillement vers le sénateur.
- “ Vous en avez mis du temps ? dit O’Brien.
- On s’est perdus ... C’est fou ce que Washington peut être labyrinthique ! ironisa Joy.
- Pourtant tu as vécu ici de nombreuses années, Joy ! rétorqua O’Brien. Où est la puce ?
- Où sont June et Joanie ? ”
Victor ordonna d’un signe à un de ses malabars d’aller chercher les deux prisonnières. Il se dirigea vers un van, celui dans lequel ils avaient attaqué Joy et Michaël dans les sous-sols du Groupe W, ouvrit la porte et en fit descendre les deux jeunes femmes. Elles étaient ligotées et bâillonnées mais elles paraissaient en bonne santé.
- “ Les voilà ! s’exclama O’Brien. Maintenant où est la puce ?
- Elle est sur moi ... ” répondit Michaël.
O’Brien étouffa un grondement ironique.
- “ Où ça ?
- C’est une micro puce organique. On me l’a greffée dans un tissu musculaire de mon avant-bras.
- Plutôt malin ... Mais je n’ai aucune confiance en toi ... Alors, ce qu’on va faire, c’est qu’on va t’opérer, mais on garde avec nous les deux jolies donzelles, au cas où tu nous aurais menti ... Viens, monte à bord du van !
- Pas d’accord ! ”
Joy venait de braquer son arme sur O’Brien. Elle paraissait furieuse.
- “ Mes sœurs repartent avec moi. Ce n’est pas négociable.
- Tu n’es pas en position de négocier, Joy.
- Et pourquoi cela ?
- Parce que nous sommes cinq contre deux, et que nous avons des renforts postés tout autour de cet entrepôt ...
- Oh ? le nargua Joy. Vous voulez parler de ces douze agents postés dans des Mercedes noires très voyantes ? J’ai le regret de vous informer que pendant que nous entretenions cette intéressante conversation, Largo, Kerensky et plusieurs de nos agents de sécurité les ont déjà maîtrisés. Questions ? Commentaires ? ”
Pendant que Joy parlait, Michaël avait aussi saisi son revolver et Largo et Kerensky les rejoignaient, armés, sûrs d’eux. Victor prit aussitôt June comme bouclier et pointa son arme contre le ventre de celle-ci.
- “ Ma petite Joy, tu devrais réfléchir à deux fois à ce que tu veux faire, parce que si j’appuies sur la détente, ta sœur et ton petit neveu mourront aussitôt !
- Vous devriez laisser tomber ! s’écria Largo. Vous êtes cernés !
- Et vous, vous n’avez pas le choix ! Costello, tu viens avec nous !
- Je viens si tu lâches tout de suite June et Joanie ! ”
Victor ricana et poussa June devant tandis qu’un des malabars l’imitait avec Joanie. Tandis que les deux femmes progressaient lentement vers Joy, Largo et Kerensky, Michaël rejoignait le van. Mais sans prévenir, O’Brien appuya sur la détente de son revolver et June s’écroula à terre.
- “ Non ! ! ! cria Joy tout en se jetant sur Joanie pour la protéger d’un autre coup de feu.
- On se replie ! ” cria Kerensky tandis qu’une fusillade éclatait.
Michaël se jeta sur O’Brien pour lui arracher son arme des mains, mais deux des malabars se lancèrent dans la mêlée pour aider leur patron. Les deux autres canardaient Largo et Joy, qui tentaient de mettre June, grièvement blessée, à l’abri, couverts par Kerensky. Ils les transportèrent derrière des caisses pour les protéger des coups de feu. Joy trancha rapidement les liens de Joanie pour qu’elle s’occupe de la blessure de sa sœur, puis elle se joignit à l’embuscade, aux côtés de Largo et de Kerensky. Bientôt, ils eurent raison des deux hommes de mains qui leur tiraient dessus, mais pendant ce temps, Michaël n’avait pas réussi à se dépêtrer des trois hommes avec lesquels il se battait. Les hommes de main réussirent à l’assommer et le jetèrent sans ménagement dans le van tandis que O’Brien grimpait à la place du passager, sans une égratignure.
Voyant que leurs ennemis allaient s’enfuir, avec Michaël comme prisonnier, Joy sortit de sa position d’embuscade et tira dans le tas. Elle tua un des hommes de main, mais le second était déjà au volant et démarrait la camionnette. O’Brien arma son revolver pour tirer sur Joy, mais Largo la plaqua à terre à temps pour lui éviter de se prendre une balle. Kerensky tenta de viser les pneus du véhicule, mais il rata sa cible et le van put quitter l’entrepôt.
- “Michaël ! Ils emmènent Michaël ! hurla Joanie.
- On va les suivre ! Joy, conduis tes sœurs à l’hôpital ! ”
Kerensky et Largo quittèrent l’entrepôt en courant et grimpèrent dans leur voiture tandis que Joy appelait une ambulance, lançant de temps à autres un regard angoissé sur June qui se vidait de son sang.
Hôpital de la Pitié, Washington, 3h56 :
Joy restait prostrée sur le banc de la salle d’attente de l’hôpital. Elle plongeait son visage dans ses mains pour ne pas voir sa sœur Joanie, qui, assise en face d’elle, pleurait silencieusement. La porte de la salle grinça et elle leva instinctivement la tête, sachant pertinemment que c’était lui. Et son regard rencontra effectivement celui de Largo. Kerensky le suivait de près. Ils avaient l’air fatigués et découragés. Sur leurs visages traînaient quelques hématomes et coupures, tandis que leurs vêtements étaient froissés et déchirés par endroits.
- “ Vous avez eu un accident ? ” murmura-t-elle, la voix rauque.
Le son de sa voix attira l’attention de Joanie, qui, toute à son chagrin, n’avait même pas remarqué leur arrivée.
- “ Oui ... Pendant qu’on suivait la camionnette ... expliqua Kerensky.
- On a perdu leur trace, malheureusement ... poursuivit Largo.
- Alors vous ne savez pas où est Michaël ? trembla légèrement Joanie, au trente-sixième dessous.
- Je suis désolé. ”
Largo hésita. Il avait peur de poser la question.
- “ Comment va June ? se décida-t-il enfin.
- Les médecins sont intervenus à temps ... répondit Joy sans entrain. Ils l’ont opérée et l’ont sauvée. Mais elle a perdu beaucoup de sang et elle n’a pas encore repris conscience. Ils ne savent pas encore si elle aura des séquelles. ”
Joy hésita un instant, et avala difficilement sa salive.
- “ Le bébé ne s’en est pas sorti. ”
Joanie, en entendant ces paroles, se remit à pleurer, avec plus de force. Joy se dirigea en silence vers elle et la prit dans ses bras. Largo l’observa sans mot dire. Encore une fois il voyait le chagrin et l’épuisement torturer le visage de la femme qu’il aimait, et encore une fois il ne pouvait rien faire pour elle. Kerensky, détestant l’inaction, eut un mouvement d’impatience.
- “ On a peut-être encore une chance de retrouver Michaël. C’est O’Brien qui l’a. Je vais faire des recherches. ”
Kerensky n’attendit pas la réponse des autres et quitta la salle vivement. Il ne voulait sans doute pas se laisser envahir par les émotions et la tristesse. Largo savait qu’il tenait à Joy et qu’il se sentait sans doute aussi très mal de la voir comme ça.
- “ Je ... Je vais appeler Simon à New York pour lui dire ce qu’il s’est passé. Je reviens tout de suite. ”
Ni Joy, ni Joanie ne répondirent.
- “ Vous avez besoin de quelque chose ? ” demanda-t-il.
Joy lui lança un regard douloureux.
- “ De temps. ”
Il hocha la tête et les laissa en paix, tenter d’apaiser leur chagrin.
Une semaine plus tard, bunker, Groupe W :
Kerensky étouffa un juron et tapa du poing sur son bureau. Simon, qui reprenait le travail depuis le début de la matinée, sursauta.
- “ Vas-y molo, Kerensky ! T’as failli faire sauter mes sutures ! grommela-t-il.
- Je vais verser une larme ... répliqua sèchement le Russe.
- Que se passe-t-il ? s’inquiéta Simon.
- Regarde par toi-même. ”
Le Suisse s’approcha de l’écran d’ordinateur de son collègue et parcourut brièvement le rapport de police du Rhodes Island qui y était affiché. Aussitôt, son visage s’assombrit.
- “ Ca, c’est pas ce que je pourrais appeler une bonne nouvelle ... Comment vont le prendre Joy et ses sœurs ?
- Mal. ”
Le visage du Russe se ferma totalement et il se rassit plus profondément dans son fauteuil.
- “ Maintenant, c’est fichu. Et comme O’Brien a été retrouvé mort dans son bureau il y a trois jours, une jolie balle en pleine tête, il n’y a plus aucun espoir de retrouver le décryptage des données du livre de la Commission Adriatique.
- Tous ces efforts en vain ?
- Exactement. Il n’y a plus rien à faire, maintenant. Je vais demander à Largo la permission d’arrêter les recherches.
- Et pour Michaël Costello ? ”
Kerensky étouffa un grognement.
- “ Largo est le mieux placé pour en parler à Joy. Je vais l’avertir. ”
Le géant russe ne rajouta rien et quitta le bunker, chargé de mauvaises nouvelles.
Plus tard, hôpital de la pitié, Washington :
Largo se dirigeait vers la chambre de June Arden, la mort dans l’âme. Au moment où il s’apprêtait à frapper à la porte, il tomba nez à nez avec Joy qui sortait précipitamment. Elle ne parut pas surprise de le voir.
- “ Je t’ai vu venir ... expliqua-t-elle. Par la lucarne. Comme tu as ta tête des mauvais jours, je suppose que tu as une mauvaise nouvelle à annoncer à mes sœurs ? ”
Largo acquiesça d’un hochement de tête. Il mit nerveusement ses mains dans ses poches et prit une profonde inspiration.
- “ Michaël est mort, Joy. Son corps a été retrouvé ce matin pendant le ramassage des poubelles par la police de Providence. Je suis désolé. ”
Joy encaissa la nouvelle, mais elle ne semblait pas surprise.
- “ Oui ... Je l’avais vu venir ... D’un côté, je suis triste pour Joanie, mais en même temps, je me dis qu’elle refera sa vie et ... C’est peut-être mieux pour elle. Il avait un passif trop chargé pour rendre qui que ce soit heureux. ”
La jeune femme s’adossa contre le mur un instant. Largo la détailla. Ses traits étaient tirés, elle était pâle, fragile, vulnérable. Ses yeux cernés ne brillaient plus comme avant et paraissaient ternes. Elle avait perdu du poids et on voyait tout de suite à son aspect général, ses gestes maladroits et son équilibre instable, que son corps subissait toujours les assauts de sa convalescence pour la balle qu’elle avait prise plus d’un mois auparavant. Ni les blessures de l’âme, ni celles du corps n’avaient l’air d’être prêtes à guérir aussi facilement.
- “ Il a souffert ? ” demanda-t-elle soudainement.
Largo vit dans ses yeux le désir d’alléger la peine que ressentirait sa sœur en apprenant la nouvelle.
- “ D’après le rapport préliminaire du Coroner, il a été battu et torturé avant d’être tué. Et il a été opéré à l’avant-bras, pour qu’ils récupèrent la puce, sauf qu’ils n’ont pas pris la peine de le refermer après l’intervention. La gangrène s’y est mise. Mais il n’a pas survécu assez longtemps pour perdre son bras. ”
Joy eut une grimace de dégoût et poussa un profond soupir.
- “ Joanie n’est pas obligée de le savoir ... rajouta-t-il.
- C’est préférable, oui. ”
Doucement, presque timidement, Largo posa une main rassurante sur la visage de son amie et le caressa du bout des doigts.
- “ Ca ira ? demanda-t-il.
- Moi ? Oui ... Mais je crains la réaction de Joanie. Et June est déjà si fragile ... Ce n’était pas son enfant qu’elle portait, mais elle l’aimait déjà. Joanie aussi d’ailleurs ...
- Si tu as besoin de moi ...
- Je te remercie, mais ... On va régler ça entre sœurs. Être solidaires dans les moments les plus durs, ça, on sait le faire ... Et c’est tout ce dont on a besoin pour l’instant ... ”
Joy se redressa, comme prise d’un regain d’énergie. Elle devait être forte pour soutenir ses sœurs. Elle signifia à Largo d’un regard qu’elle serait à la hauteur, et la tête haute, elle s’en retourna vers la chambre d’hôpital de June, où se trouvait déjà Joanie. En ouvrant la porte, elle souriait, tranquillement, sereinement.
Fin.