La cave



JOUR 24

Penthouse, Groupe W
Tôt dans la matinée

Largo, debout devant la baie vitrée de son appartement, regardait songeur la pluie tomber violemment à grands renforts de bourrasques de vent, presque réconforté de se trouver dans un cocon alors que dehors tout était si hostile. Kerensky et Simon, boostés par l’abandon officiel de la police criminelle de New York, qui, après avoir cessé de rechercher le corps de Joy, avait classé l’affaire, étaient repartis à la chasse aux indices. Et d’après le coup de fil qu’ils venaient de lui passer du bunker, ils avaient du nouveau. Largo les attendait donc fébrilement, tentant de calmer son impatience par l’observation hypnotique de la pluie d’octobre.
Il fut interrompu par l’arrivée opinée de ses deux amis.
- “Largo, elle est vivante!” s’enthousiasma Simon, autant pour lui-même que pour pouvoir enfin rassurer son ami.
Largo eut du mal à dissimuler son sourire à son meilleur ami.
- “Vous avez des preuves? s’enquit-il.
- Disons de très fortes suspicions, répliqua sérieusement Kerensky.
- Tu vas m’adorer! reprit Simon. Je me suis procuré le rapport de la police scientifique sur l’analyse d’ADN du sang retrouvé dans l’entrepôt de l’embarcadère numéro 12!
- Comment tu as fait ça? s’interrogea Largo en fronçant les sourcils d’un air suspicieux.
- Et bien disons que j’ai utilisé mon charme légendaire pour détourner l’attention de la très charmante et très sémillante archiviste du district, et je leur ai “emprunté”... fit-il d’un air malicieux.
- Je vois. Et?
- Et le sang de Joy présente des traces d’une drogue appelée le “cocktail de sommeil”, expliqua Kerensky. C’est une drogue à effet instantanné, ici, qui lui a été administrée sous forme de gélule ou de comprimé probablement, et qui garantit l’évanouissement quasi immédiat pour la victime. Le type de drogue idéal pour enlever une femme comme Joy qui est habituée à se battre et qui aurait pu avoir le temps de semer un kidnappeur potentiel avant qu’une autre drogue ordinaire ait fait son effet.
- Alors elle a bien été kidnappée? résuma Largo.
- C’est ce qu’il semblerait.
- La question est: par qui?” compléta Simon.
Kerensky tendit à Largo un dossier qu’il avait emmené avec lui.
- “Crystal Myrtle, déclara-t-il. Elle l’a appelée pour attirer Joy dans un piège et pour la droguer.
- Pourquoi aurait-elle fait ça? demanda Largo.
- Lis son dossier et tu comprendras rapidement, poursuivit Kerensky. Crystal était toxicomane, elle a fait deux cures de désintoxication dans sa jeunesse et après ses études. Puis une autre pendant son mariage, mais visiblement elle n’était pas du tout sur la voie de la guérison...
- Joy était au courant de ça? fit Largo.
- Aucune idée. Mais d’après les renseignements que Simon a pu drainer auprès de ses amis cocaïnomanes, sur son lieu de travail, elle était fournie depuis environ un an et demi par un dénommé Felipe Garcia Guttierez.
- Qui est-ce?
- C’est un dealer, et pas un petit bonnet, expliqua Simon. Monsieur fait dans la grande contrebande internationale: d’après les bruits qui courent dans la rue, Guttierez est l’un des bras droit de ce mystérieux Baron de la drogue en Argentine, qui s’est fait pas mal de fric depuis la grosse crise économique qui secoue le pays.
- Encore un profiteur... marmonna Largo. Où peut-on trouver ce Guttierez pour l’interroger? - Nulle part, fit Kerensky. Avec les descentes de flics du New Jersey le mois dernier, le trafic de drogue organisé par Guttierez sur la côte Est a connu pas mal de sueurs froides. Il a été rappelé par son patron apparemment puisque personne n’a plus entendu parler de lui depuis trois semaines et que ses clients habituels sont obligés de se fournir ailleurs.”
Largo fit quelques pas, tournant en rond dans le penthouse.
- “Bon... Crystal se faisait livrer de la cocaïne par Guttierez. Et...?
- Et d’après les relevés de compte en banque de Crystal, un mois avant la disparition de Joy, elle a retiré de son compte propre une jolie somme de 50 000$.
- Un peu cher pour sa dose hebdomadaire de cocaïne, non? réagit Largo.
- C’est ce qu’on pense aussi.
- Donc l’argent a servi à autre chose... conclut Simon.
- Et comme par hasard, poursuivit Kerensky, le mari de Crystal, Karl Myrtle, a eu son “accident” de voiture, qui décidément ressemble de moins en moins à un accident, quelques heures à peine après le versement de cette somme.
- Tout porte à croire que Crystal comptait bénéficier de son assurance vie de trois millions de dollars et n’a absolument pas envisagé que la fille de Myrtle, Allison, en serait la bénéficiaire... fit Simon.
- Ok. Résumons: Crystal a payé Guttierez 50 000$ pour que lui ou un de ses hommes tue son mari. Quel est le rapport avec Joy? se demanda Largo.
- Elle avait peut-être découvert le pot-aux-roses... suggéra Simon.
- Et elle aurait drogué Joy pour la confier aux bons soins de Guttierez. Ce qui expliquerait les traces de sang retrouvées dans l’entrepôt.” conclut Kerensky.
Largo cingla Kerensky du regard.
- “Belle théorie Kerensky. Alors selon toi, si on la suit jusqu’au bout, Guttierez aurait tué Joy?
- Non, je ne crois pas, reprit-il. Si ça avait été le cas, Crystal aurait dû payer une nouvelle somme de 50 000$ à Guttierez avant son départ pour qu’il lui rende ce “service”. Ce qu’elle n’a jamais fait. Non, Guttierez a gardé Joy prisonnière et bien vivante, j’en suis certain. Pour quelle raison? Je l’ignore.”
Kerensky se tut, comme s’il écoutait le fil de sa pensée se dérouler dans sa tête.
- “Mais, elle est vivante, j’en suis certain.”


La Casa Peligrosa, Los Enceados
Au même moment

- “Plus qu’un effort Joy... Un tout petit effort et ton supplice cessera... murmura doucement Felipe.
- Allez vous faire foutre!” hurla la jeune femme.
Felipe parut déçu et lui donna un coup de poing dans le ventre. Si Joy avait pu, elle se serait pliée en deux de douleur et aurait porté ses mains à son ventre, mais voilà, elle était attachée par les poignets, suspendue à une sorte de crochet de boucherie. Felipe les avaient emmenées à la cuisine, elle et Jack, parce qu’elles ne coopéraient pas assez à son goût.
En effet depuis leur arrivée à la Casa Peligrosa, les filles avaient été relativement épargnées, le temps qu’elles reprennent quelques forces et quelques couleurs. Les hommes de Felipe continuaient à leur faire prendre leurs drogues, ces drôles de pilules vertes, et la plupart se laissaient faire, trop heureuses de ne plus avoir à supporter les électrochocs. Mais Jack et Joy, qui avaient tout de suite compris que ces pilules servaient à endormir leur conscience et à les manipuler, usaient de tous les stratagèmes pour ne pas les avaler et empêcher leurs amies de le faire.
Leur mauvais exemple avait fini par avoir de l’influence sur certaines des autres filles, c’est pourquoi, pour celles-ci, les électrochocs avaient recommencé depuis la veille. Joy et Jack avaient le droit à un traitement particulier, puisqu’hormis les séances d’électrocution, elles étaient enfermées dans la chambre froide de la cuisine et soumises à toutes sortes de tortures pendant une petite heure avant de rejoindre les autres filles pour leur faire prendre leurs pilules et assister aux séances de lavage de cerveaux. Mais ce jour-là, Joy et Jack avaient cru bon de faire du zèle en dissimulant leur drogue sous le palet de leur langue, ce qui n’avait pas tardé à être découvert. A bout de patience, Felipe les avait aussiôt conduit dans la chambre froide pour un nouveau tête à tête.
- “Ne sois pas si obstinée Joy... grondait Felipe. Je te demande juste d’avaler cette pilule... - Vous n’avez qu’à m’y forcer si vous y tenez tant! cria-t-elle.
- Ah mais je ne peux pas faire ça... Tu dois toi-même en prendre l’initiative pour devenir dépendante...
- Ca n’arrivera pas! Vous êtes un vrai malade!”
Felipe fit une moue boudeuse et tourna autour de ses deux victimes.
- “Allons Joy... Tiens-tu tellement à rester celle que tu es? Cette pauvre petite fille si seule, que son papa n’aimait pas, que personne n’attend et que personne ne recherche?
- Vous essayez de me faire perdre la boule! se braqua-t-elle.
- Ah mais non, je n’ai pas besoin de ça... Tu n’as qu’à penser à ta vraie vie Joy... Qu’as-tu à espérer de cette vie-là? Si j’étais toi, je donnerai tout pour devenir quelqu’un d’autre... C’est ce que nous te proposons...
- Vous mentez!
- Pas du tout... Tu seras qui tu voudras être... Mais avant tu dois tout oublier... Tu dois te convaincre que tu n’es personne... Dis-le moi... Dis-moi que tu n’es personne...”
Joy ne l’écouta pas une seconde de plus et commença à se démener comme une folle pour se libérer de son emprise, ou même tout simplement pour le frapper, mais elle n’avait plus assez de force. Elle se mit à hurler. Felipe poussa un long soupir.
- “Malheureusement, tu ne me laisses pas le choix... Tu es sans doute assez forte, quoiqu’avec ton traitement de ces dernières semaines ça reste à déterminer, pour supporter une nuit dans cette chambre froide, mais ton amie, la douce et si fragile Jack, le supportera-t-elle? Elle est tellement normale, rien à voir avec une espionne de ta trempe... Ca te plairait de la voir mourir sous tes yeux cette nuit ou au petit matin? Elle est déjà si faible, regarde-la...”
Felipe rôda autour de Jack, qui, à bout de nerfs, avait fini par s’évanouir, toujours suspendue au crochet de boucherie. Elle était livide et Joy sentait bien qu’elle allait y laisser sa santé à force de traitements de ce genre, si jamais elle survivait à une nuit dans cette chambre. Elle baissa la tête et rendit les armes, étouffant un sanglot.
- “Donnez-moi votre drogue puisque vous y tenez tant...” hachura-t-elle d’une voix rauque.


Penthouse, Groupe W
Dans l’après-midi

Largo écouta la fin du petit discours de John un large froncement de sourcil, barrant son front.
- “Vous savez, John, je ne suis pas vraiment d’humeur à faire la fête... grimaça-t-il d’un air suspicieux.
- Mais il ne s’agit pas d’une fête, plutôt d’une célébration. Depuis que vous êtes à la tête du Groupe W, vous avez beaucoup fait pour les associations caritatives de New York, notamment en matière d’hébergement aux sans-abris. Ces gens veulent vous montrer leur gratitude et ça ferait très bon effet devant la presse puique vous êtes quasiment invisible depuis la disparition de Joy.
- Justement John, pour l’instant, nous avons un début de piste pour la retrouver, et je tiens à ne me concentrer que sur cela.
- Je comprends... Cela dit, je me permets de vous rappeler que pour pouvoir agir comme bon vous semble dans les semaines à venir, pour déployer toutes vos forces à sa recherche, il va falloir accepter quelques concessions avec le Conseil d’Administration pour qu’ils vous laissent faire. Et une apparition publique en ce moment les satisferait certainement.”
Largo planta son regard bleu déterminé dans celui de son bras droit.
- “Et vous John? Le croyez-vous nécessaire?
- Si ça ne tenait qu’à moi, je vous laisserais faire tout votre possible pour nous la ramener, sans entrave, mais on ne peut pas toujours faire ce qu’on veut...”
Largo soupira, ennuyé.
- “Ecoutez, Largo, de toute façon, le foyer de Kensington, comme tous les autres que vous avez fait ouvrir, est un projet qui vous tient à coeur? En d’autres circonstances, vous y seriez allé, pas vrai?
- Oui, certainement...”
Largo garda le silence un long moment, perdu dans ses pensées.
- “J’ai tellement envie de la revoir, John... fit-il en fermant les yeux. La dernière fois que je l’ai vue, on s’est disputés si violemment et tout était trop compliqué entre nous deux. Mais maintenant, j’ai juste envie de la revoir et de la serrer dans mes bras. C’est tout. Je ne demande pas grand-chose, vous savez? Une deuxième chance, tout simplement.”
Sullivan posa amicalement sa main sur l’épaule de son jeune patron.
- “Elle a beaucoup de chance de vous avoir, Largo... lui sourit-il d’un ton paternel. Elle s’en rendra bien vite compte, où qu’elle soit.”
Largo hocha la tête.
- “J’irai John. Juste en passant. Je demanderai à Simon de m’accompagner.
- Bonne décision.”
John sourit avec bienveillance une dernière fois au jeune homme et s’en alla, le laissant appeler Simon au bunker pour le prévenir de leur visite de courtoisie au foyer Kensington.


La Casa Peligrosa, Los Enceados
La nuit tombée

Après avoir cédé à Felipe, Joy et Jack furent emmenées à l’infirmerie où on leur administra la fameuse drogue, tout en examinant sommairement leurs blessures liées au mauvais traitement qu’on leur faisait subir. Youri les examina en fronçant les sourcils.
- “Felipe, vous ne devriez pas autant vous acharnez sur ces deux-là... lui reprocha-t-il. Si vous les mettez en trop mauvais état, elles n’arriveront jamais à cicatriser et ne seront pas prêtes pour l’arrivée de nos clients...
- Soit j’utilise les grands moyens, soit on y arrivera jamais, et autant les tuer tout de suite... Mais ce serait dommage de se priver de cette marchandise... Surtout Arden.”
Youri sourcilla en entendant le nom de la jeune femme dont il était en train de nettoyer les blessures aux poignets que ses liens en ferraille avait occasionnées. C’était la première fois depuis qu’il travaillait pour Cordoba qu’il entendait le nom d’une des filles. Il l’examina pour se rendre compte de ce qu’elle avait de si particulier et se dit qu’elle était vraiment belle. Joy, épuisée, se laissait faire mollement, c’était à peine si à travers ses yeux mi-clos, elle voyait le visage de l’homme qui prenait soin d’elle. Felipe alluma une cigarette et commença à tourner en rond.
- “T’as une suggestion pour que ça aille plus vite? Arden était de la CIA avant, on lui a appris à résister aux drogues et aux lavages de cerveaux... Quant à l’autre... Elle résiste grâce à Arden. Sans elle, elle se serait déjà écroulée...”
Youri ne répondit rien, occupé à injecter une piqûre anti-téthanos à Joy. Felipe s’impatienta.
- “Hey, doc? gronda-t-il. On fait quoi?”
Youri rangea la seringue et réfléchit une seconde.
- “Vous n’avez qu’à utiliser les liens unissant Arden et l’autre fille. Et surtout il faut les isoler des autres... Comme elles sont fortes, elles pourraient devenir les leaders du Groupe et ce serait ennuyeux qu’elles arrivent à les convaincre de ne plus prendre les pilules...”
Felipe esquissa un large sourire sadique.
- “Je les emmène à la cave?
- Bonne idée. Isolement total, l’obscurité... Elles perdront ce qu’il leur reste d’espoir. Elles n’influenceront plus les autres... Quant à Arden, si elle a été entraînée contre les lavages de cerveaux, la méthode habituelle ne suffira pas pour elle... Il faudra faire pression sur elle pour avancer. Utiliser la menace sur son amie pour l’obliger à prendre la drogue était une bonne idée... Et il n’y a que comme ça qu’on la fera plier...”
Youri regarda les deux jeunes femmes un moment, songeur.
- “Emmenez-les maintenant.”
Felipe acquiesça et claqua des doigts, rameutant deux de ses gorilles qui se chargèrent de soulever les deux jeunes femmes qui ne tenaient plus debout. Il leur indiqua la direction de la cave et se tourna une dernière fois vers Youri.
- “Merci doc, pour tes précieux conseils. Mr Cordoba sera content de toi.
- Cette fille, Arden, elle est si spéciale que ça?”
Felipe éclata de rire.
- “C’est la petite copine de Largo Winch!”
Felipe se mit à rire deplus belle et suivit à la trace ses deux gorilles emportant Jack et Joy, laissant Youri seul, sentant monter en lui une jalousie féroce et indescriptible, dont il ne se serait jamais senti capable un jour, à l’encontre de ce Largo Winch qui avait pu posséder une femme aussi spéciale, une femme dont il avait la vie entre ses mains. Une femme dont il comptait bien observer de très près l’évolution auprès d’eux les semaines à venir...
De son côté, pendant ce temps, arrivé au sous-sol, Felipe, guère fasciné par Joy, la poussait violemment sur le sol de la cave, humide, nauséabonde et glacée, dans laquelle elle et Jack allaient passer un petit moment, en compagnie des rats. Joy tenta de se relever péniblement et prit appui sur ses deux avants-bras, pour lui faire face.
- “Qu’est-ce que vous allez nous faire encore? demanda-t-elle entre deux quintes de toux.
- Pour l’instant rien... Les petites gâteries seront pour demain... lui sourit agréablement Felipe. Ce sera votre nouvelle chambre, le temps que vous ne soyez plus un obstacle au développement de vos amies en haut...”
Felipe ferma la porte à barreaux de la pièce dans laquelle elles étaient enfermées et condamna le cadenas. Puis, il donna un petit coup aux barreaux pour les faire résonner.
- “Bonne nuit! Et à plus tard les filles!”
Joy le regarda s’éloigner en compagnie de ses deux gorilles, d’un air méprisant, puis elle rampa vers Jack, étendue sur le sol, qui n’avait pas bougé. Elle haussa un sourcil en voyant que ses plaies avaient été nettoyées et en constatant des bandages et traces de piqûres sur elle. Elles étaient passées à l’infirmerie, mais elle ne s’en souvenait même pas. Comme Jack paraissait dormir profondément, elle conclut que l’infirmier avait dû lui prescrire un sédatif, et elle la laissa, se recroquevillant dans un coin de leur cage, un grand vide gagnant au fur et à mesure son coeur meurtri.


Queens, Foyer de Kensington Road
Dans la soirée

- “Pousse tes grosses fesses Noromo!” grondait Knees en jouant des coudes.
Noromo, vexé par la remarque de son amie, se posta face à elle, la dominant de son mètre quatre-vingt, poings sur les hanches, et naturellement, lui bloquant toute la vue.
- “Répète un peu ça pour voir? gronda-t-il.
- Ouais ben justement j’y vois que dalle!
- C’est le but recherché! Alors? J’attends? Qu’est-ce que t’as dit sur mes petites miches? sourit-il.
- Bon, j’abandonne, t’as de jolies miches... Tu me laisses voir, maintenant?”
Noromo s’écarta et laissa passer Knees qui se mit sur la pointe des pieds pour dominer la foule attentiste de journalistes, gérants et hôtes du foyer de Kensington, dans l’espoir d’apercevoir Largo Winch. Son visage s’illumina tout d’un coup d’un large sourire et elle écarquilla les yeux.
- “Ouahhhh! Je le vois! Oh le mec...”
Elle lança un sourire goguenard à Noromo debout derrière elle.
- “Lui il a des miches qui se passent de commentaire... s’amusa-t-elle.
- Ben voyons... gronda-t-il. Je vois vraiment pas ce que tout le monde lui touve d’exceptionnel à ce mec... Commence à m’énerver lui...
- En tout cas, tu ne peux pas dire qu’il est hypocrite... se justifia Knees. Il a été super sympa avec tout le monde et il devait rester une vingtaine de minutes au départ, mais ça va faire une heure et demie qu’il est là... Ce type a le coeur sur la main et il s’intéresse vraiment aux gens.
- Sortez les violons... marmonna Noromo. S’il est si génial que ça, t’as qu’à le chopper à la sortie et lui demander de te donner deux millions de dollars...
- T’es con! fit-elle en le frappant dans le ventre, ce qui lui coupa le souffle.
- Merde Knees, t’es une violente, toi! bouda-t-il. Je me tire si c’est comme ça... Je vais voir Ally. - Allison! rectifia Knees.
- T’as décidé de m’emmerder, ce soir? C’est ça? Non mais dis-le tout de suite!
- C’est elle qui n’aime pas qu’on l’appelle Ally.
- Ouais ben elle est pas là pour l’entendre. Ca me gonfle ce cirque... On aurait dû faire comme AlliSON et se barrer dès l’arrivée de Winch. Trop de monde ici...
- C’est bizarre qu’elle ait pris la tangente comme ça... Il a pas la peste, Winch...
- Qui sait avec la vermine capitaliste...”
Knees haussa les épaules et rejoignit Noromo. Ils se dirigèrent vers l’extérieur du foyer, bourré à craquer, pour rejoindre Allison qui attendait tranquillement à l’extérieur que Largo Winch soit parti. Elle sentait que si elle se trouvait en face de lui une seule seconde, elle cracherait le morceau et comme elle commençait à se faire à sa nouvelle vie et à ses nouveaux amis, elle ne voulait pour rien au monde tout perdre et se retrouver à nouveau dans le gouffre. Ce n’était pas envisageable. Bientôt, elle sentit la chaleur et la présence de ses deux amis qui s’installaient chacun à côté d’elle, de part en part.
- “Alors? leur demanda Allison. C’est fini?
- Il est sur le départ... expliqua Knees en roulant un joint. Il répond aux dernières questions des journalistes... Bon sang, il est patient, moi, à sa place, ces gratte-papiers, je leur aurais foutu un pain depuis longtemps... Ils s’acharnent sur lui comme si ce n’était qu’un beau gosse sans cervelle.
- C’est qu’un beau gosse sans cervelle! fit Noromo.
- Arrête! Tu vas finir par m’ennuyer à force!” marmonna Knees, allumant son pétard avant de le fourrer entre ses deux lèvres charnues d’afro-américaine.
Noromo l’ignora et donna un coup de coude à Allison.
“- T’as bien fait de te tirer, c’était chiant.
- Pourquoi t’es resté alors? sourit Allison.
- Pour éviter que l’autre tortue, là, se fasse piétiner par la foule... Elle est tellement immense du haut de son mètre vingt-deux, que personne ne l’aurait vue... se moqua-t-il.
- Allison, sois une copine, frappe-le de ma part.”
Allison sourit en coin et fila une taloche à Noromo. Celui-ci râla, mais ses grondements sourds furent étoufffés par les éclats de rire sybillins de Knees.
De leur côté, Largo et Simon, après avoir abrégé la séance de questions-réponses-torture de la goutte avec les journalistes, avaient décidé de quitter le foyer et utilisé la porte de sortie pour atteindre leur voiture plus tranquillement. En traversant la rue pour la rejoindre, ils aperçurent au loin les trois adolescents, assis sur le rebord du trottoir qui plaisantaient ensemble. Les deux amis se rapprochèrent et parvinrent à la voiture. Tandis que Largo s’installait au volant, Simon restait debout près de la voiture, lançant un regard perplexe dans la direction de Knees, Noromo et Allison. Constantant que son ami ne bougeait pas, Largo l’interpella.
- “Simon, on y va!
- Largo, y a un truc pas clair...
- Quoi?”
Simon fit signe à Largo de le rejoindre. Le milliardaire quitta alors sa voiture et rejoignit Simon de l’autre côté pour que celui-ci lui désigne les adolescents.
- “Qu’est-ce que tu veux me faire voir?
- T’as toujours eu une meilleure mémoire visuelle que moi Largo... La petite au milieu... Celle aux cheveux châtains foncés... Elle ne te dit pas quelque chose? Un visage qu’on nous aurait montré en photo?”
Largo plissa les yeux et l’examina attentivement: le visage blanc et fin, les yeux gris en amande, ce petit air triste et rêveur... Son nom lui traversa l’esprit en même temps que chez Simon.
- “Allison Myrtle!” s’écrièrent-ils en même temps.
Les éclats de voix de Simon et de Largo alertèrent aussitôt les trois adolescents qui se retournèrent vivement vers eux. Allison, reconnaissant Largo Winch, comprit qu’elle allait avoir des ennuis et se mit aussitôt à courir comme une folle, s’enfonçant dans la nuit de pleine lune, suivie de près par Largo et Simon qui se lancèrent à sa poursuite.
- “La lâche pas Simon!” criait Largo tout en courant.
Noromo et Knees, perplexes, regardèrent le milliardaire et son chef de la sécurité passer devant eux en courant, cherchant après Allison, complètement hallucinés.
- “Alors ça... Ca me troue le...” commença Noromo.
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase car déjà il apercevait Allison enfourcher sa bicyclette, prête à s’enfuir avec pour semer Largo et Simon.
- “Hey!!!! Ally! C’est ma bécane!!!” protesta-t-il.
Il crut vaguement percevoir Allison lui crier qu’elle la lui rendrait puis elle se mit à pédaler à toute allure, disparaissant dans une des ruelles étroites du Queens, attenantes au foyer. Largo et Simon, continuèrent à lui courir après, mais c’était peine perdue. Ils sautèrent alors à bord de la voiture et firent demi-tour, espérant la retrouver au détour d’une ruelle: elle était leur seul espoir de faire un lien avec la disparition de Joy.
Une fois toute la petite bande disparue, Noromo et Knees se regardèrent perplexes.
- “Cool...” fit Knees, sûrement sous l’effet de la Mariejeanne...





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