JOUR 133
Groupe W, penthouse
Tôt dans la matinée
Largo hocha la tête gravement. Il avait attentivement écouté le récit de Kerensky au sujet de ce qu’il avait découvert aux côtés de Jack sur Miller Cane et le retour de Cordoba en ville.
- “Alors la Commission veut assassiner ce cher Cordoba... conclut-il. Je ne le plaindrai pas, mais ce vieux salaud doit vraiment en savoir beaucoup sur eux pour qu’ils aient la trouille à ce point...
- Et qu’est-ce qu’on fait? demanda Simon. On prévient Vaughn et la CIA de ce qu’on a découvert?
- Peut-être plus tard... répondit Largo. Pour l’instant, il est à nous. J’ai promis à Joy qu’on mettrait la main sur ce salaud et qu’il paierait...
- Est-ce qu’on met Joy au courant de son retour? demanda Kerensky.
- Non, je ne préfère pas. Laissons-la tranquille pour le moment. Elle a déjà suffisamment d’ennuis... Au fait, comment l’a pris Jack?”
Kerensky haussa les épaules.
- “Elle fait comme si ça ne l’affectait pas. Elle peut vraiment être très exaspérante à toujours vouloir rester stoïque et à faire comme si rien ne la touchait...
- Tiens? Ca me rappelle quelqu’un... s’amusa Simon.
- Tu as trouvé dans les dossiers personnels de Miller Cane des indices pour remonter à Cordoba? s’enquit Largo.
- Non, la piste s’arrête à New York, à la Winch Medics. Je crois que Cordoba cherchait à te contacter, Largo, le jour où il a buté Cane.
- Et bien je l’attends! rétorqua Largo. Pourquoi ne vient-il pas?
- N’oublie pas qu’il est traqué. La Commission a dû envoyer plusieurs hommes à ses trousses... A moins qu’il ne soit déjà mort...”
Largo allait répondre au Russe quand la porte du penthouse s’ouvrit en grand, laissant Jack entrer à l’intérieur à grands pas, paniquée.
- “On a un problème les gars! annonça-t-elle.
- Que se passe-t-il?
- C’est Joy.”
Largo se leva d’un bond, le cœur serré.
- “Qu’est-ce qui lui est arrivée? demanda-t-il, la voix blanche.
- Elle a parlé avec Cesare Cordoba.”
Les trois amis fixèrent Jack d’un air incrédule.
- “Qu’est-ce que cet espèce de fils de pute lui a fait? explosa finalement Largo.
- Rien... Rien, rassure-toi... poursuivit Jack. Joy m’a appelée il y a une demi-heure, de chez elle. Elle dînait avec Matt Chambers quand Cordoba a débarqué en plein restaurant, apparemment il l’avait suivie depuis chez elle mais n’avait pas osé l’aborder là-bas, probablement à cause de Charles. Il est entré comme un dingue dans le resto, l’a menacée d’un flingue et lui a demandé de te transmettre un message.
- Cet enfoiré a osé? murmura Simon.
- Il veut te rencontrer apparemment... traça Jack. A Parklake City, entrepôt 67. Il dit qu’il a des informations pour toi.
- Rien à foutre! s’enflamma Largo. Si je vais là-bas, ce sera uniquement pour lui faire la peau!
- Largo, du calme.”
Kerensky glaça son patron du regard pour tempérer ses ardeurs.
- “Moi aussi j’ai envie de le massacrer ce type, mais s’il est prêt à trahir la Commission Adriatique, c’est une chance inespérée de les arrêter. Et de se venger de ce qu’ils ont fait subir à Joy. Et à toi Jack... rajouta-t-il en pénétrant du regard la jeune femme, qui mal à l’aise, préféra ne pas relever.
- En tout cas, vous devriez faire vite, si vous voulez le chopper vivant... reprit-elle. Il a des poursuivants.
- Et Joy? demanda finalement Largo. Comment elle va?”
Jack prit un air navré.
- “Elle était bouleversée au téléphone... Je suis très inquiète... Elle m’a dit que ça irait, que son père était là, ainsi que Matt...
- Chambers? répéta Largo, la voix étranglée. Naturellement, il est avec elle celui-là...
- De quoi tu parles? s’inquiéta Jack.
- De rien! la coupa-t-il sèchement. Écoute, rends-moi service Jack, va la voir à Forrest Hills pour t’assurer qu’elle va bien...
- Bien sûr, j’avais l’intention d’y aller de toute façon...
- Pendant ce temps, nous, on va avoir une petite conversation avec ce pourri de Cordoba...”
Forrest Hills, New Jersey
Domicile de Charles Arden
Matt Chambers tendit à Joy, assise à terre, appuyée contre son lit, un verre d’eau qu’elle saisit, la main légèrement tremblante, et qu’elle but d’une seule traite. Elle avait beaucoup pleuré, comme l’attestaient ses yeux rougis et gonflés, et à présent elle se sentait toute déshydratée.
- “Ca ira? demanda-t-il.
- Oui... soupira-t-il de sa voix cassée par ses cris et ses pleurs. Je me sens mieux... J’ai été très choquée, mais ici, ça va, je me sens en sécurité...
- Je regrette que vous n’ayez pas pu parler au Dr Gunn... marmonna-t-il.
- Oh vous êtes gentil Matt, mais ce n’était pas utile de déranger mon thérapeute en pleine nuit... Ca va bien mieux, maintenant, je vous promets...
- J’en reviens pas que ce fumier soit allé vous relancer... Après tout ce qu’il vous a fait... articula tristement Chambers.
- Oui, je sais, j’ai eu peur... Mais je ne l’intéressais pas... se persuada-t-elle. Et il est loin maintenant...
- Tu es en sécurité ici, Joy... dit Charles.
- Oui, je sais, je te remercie papa...
- Il y a quelque chose que je peux faire? insista Matt. Vous voulez parler?
- Non... Je vous remercie, mais je tombe de sommeil... Je suis épuisée nerveusement, j’aimerais dormir... Vous devriez rentrer chez vous, April doit s’inquiéter...
- Je me sens mal à l’aise, je n’ai pas envie de vous laisser Joy... poursuivit-il.
- Écoutez, j’ai appelé Jack, elle va sans doute venir, alors ne vous en faites pas, j’ai suffisamment d’anges gardiens... Rentrez chez vous... Papa, tu veux bien le ramener à New York? Il m’a emmenée dans ma voiture et April est rentré chez eux avec la sienne.
- Euh... hésita Charles. Je ne veux pas te laisser seule ici...
- Je te l’ai dit papa, Jack va arriver... Allez-vous en maintenant, je vous assure que tout va bien!”
Charles et Matt se consultèrent du regard et finirent par rendre les armes.
- “D’accord... céda Matt. Mais reposez-vous bien et au moindre problème, appelez-moi!”
Joy acquiesça. Matt et Charles Arden descendirent au rez-de-chaussée et quittèrent bientôt la maison, en voiture. A peine les deux hommes furent partis que Joy, grelottante de froid et de peur, éclata en sanglots. Jamais ce cauchemar ne se terminerait. Jamais on ne la laisserait tranquille. Elle en avait assez de vivre dans la peur. De vivre avec ce poids sur le cœur. Elle voulait vivre l’esprit libéré ou ne plus vivre du tout.
Ses larmes s’accentuèrent encore. Elle n’avançait plus. Elle ne faisait aucun progrès, et l’incident de ce soir l’avait fait régresser. Elle n’espérait plus, elle ne croyait en rien, à part en une seule chose: que sa vie était irrémédiablement gâchée et que jamais plus elle ne trouverait le bonheur. Pas même avec Largo.
Elle quitta sa chambre et décidée à en finir avec cet horrible et lancinant cauchemar éveillé qui n’en finissait plus de la torturer, elle se dirigea vers le secrétaire de son père, l’ouvrit et saisit son revolver. Elle hésita. Longuement. Elle pensa au visage de Largo, à tout l’amour qu’elle ressentait pour lui et qui coulait dans ses veines. Elle se demandait si elle aurait le courage d’aller jusqu’au bout de son geste, sachant que plus jamais elle ne pourrait le revoir, ni sentir le contact de ses lèvres ou l’odeur de sa peau. Mais elle avait la certitude qu’elle ne pourrait jamais le rendre heureux. Alors à quoi lui servait-elle de se raccrocher à lui?
Elle disposa le revolver sous son menton. Hésita. Elle l’enfourna finalement dans sa bouche, en fermant les yeux très fort. Mais elle ne voulait pas mourir comme ça, et finalement colla le revolver contre sa tempe. Elle prit une grande respiration. Ses larmes coulaient le long de son visage. Et elle appuya sur la détente.
Un déclic. Puis un autre. Toujours des déclics, dans le vide. L’arme n’était pas chargée.
- “Non...” hurla-t-elle.
Elle se laissa tomber sur le sol, hoquetant de larmes. Elle n’y arriverait jamais.
Route 54, en route vers Parklake City
Au même moment
Largo, concentré sur sa conduite, au volant de sa Berline, ne faisait aucunement attention aux regards insistants que lui lançait Kerensky, pas plus qu’aux soupirs que Simon, avachi sur la banquette arrière de l’automobile, poussait d’une régularité effrayante.
- “Ca m’étonne... déclara finalement Kerensky, brisant le long silence qui s’était installé dans le véhicule depuis leur départ de New York.
- Quoi? demanda Largo, sans vraiment s’y intéresser.
- Que tu ne sois pas allé voir Joy pour la réconforter.”
La mâchoire de Largo se contracta.
- “Elle ne veut plus me voir...
- Joy Arden qui ne voudrait plus voir Largo Winch? Dernière nouvelle... ironisa le Russe.
- Elle n’a pas besoin de moi... Elle a Matt Chambers...”
Largo avait prononcé le nom du médecin d’un ton particulièrement amer.
- “C’est quoi cette histoire? demanda Simon sans entrain, lui d’habitude si avide de potins.
- Elle sort avec ce foutu médecin de pacotille... gronda Largo, les mains crispées sur son volant.
- Joy? précisa Kerensky, sceptique.
- Oui, Joy. Surtout je ne veux aucun commentaire.
- Tu vas en avoir quand même... déclara Kerensky.
- Non, Georgi, c’est pas le moment.
- Franchement, tu vois Joy sortir avec un mec qu’elle connaît à peine après toutes les épreuves qu’elle vient de traverser? demanda Simon. T’es trop crédule parfois mon petit Largo!
- Pour une fois, je suis totalement d’accord avec Simon... marmonna Kerensky.
- Que voulez-vous que je vous dise? Elle me l’a clairement fait comprendre!
- Elle t’a surtout mené en bateau, oui...
- C’est évident, acquiesça Kerensky. Elle voulait t’éloigner d’elle et apparemment, elle a réussi.
- Ah oui? s’énerva Largo. Et ben peut-être, mais qu’est-ce que tu veux que je fasse, hein? Je comprends plus rien à ce qu’elle veut! Je suis paumé!
- Contente-toi d’être patient.
- Patient? reprit-il quasiment en hurlant. Je l’aime moi, comment veux-tu que je reste patient alors qu’elle joue avec moi? Merde, je ne suis pas à la hauteur, c’est tout! Qu’est-ce que je peux faire pour l’aider? Rien. Elle ne veut pas me parler, et si elle ne veut pas me parler c’est parce qu’elle sait que je ne suis qu’un putain de milliardaire égocentrique et immature qui ne comprend jamais rien à rien! Je ne peux pas lui en vouloir, c’est normal qu’elle ne me fasse pas confiance, je ne suis qu’un grand con, voilà!”
Kerensky et Simon détaillèrent leur ami avec curiosité.
- “Quelle estime de toi, ça fait peur... marmonna Kerensky.
- Tu dérailles Largo, rajouta Simon. Elle est chamboulée, mais ça s’arrangera... Je te connais mon pote, t’as toujours eu une chance d’insolent: je te parie que la petite Joy te tombera dans les bras avant le mot “fin” de l’histoire...
- Je n’aurais pas dit mieux... continua Kerensky. Écoute, il s’est passé des trucs là-bas dont elle a honte.. Des trucs dont elle n’ose pas te parler. Si tu attends tranquillement qu’elle vienne vider son sac auprès de toi, tout ira bien mieux après...
- Super conseil, mais je me permets de le prendre avec des pincettes... T’es pas le mieux placé pour me donner des conseils sur les femmes Kerensky.
- De quoi tu parles? fit le Russe, plus froid.
- De Jack.”
Kerensky eut une soudaine envie de regarder par la fenêtre.
- “Là, je m’associe avec Largo! fit Simon. Tu t’y prends comme un pied avec la petite Jack.
- Il n’y a rien entre Jack et moi, rétorqua fermement le Russe.
- Mais bien sûr! Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu...”
Largo et Georgi lancèrent un regard interrogatif à Simon. Il haussa les épaules.
- “J’ai eu une petite-amie française qui me disait toujours ça... Tout ça pour dire, qu’entre toi et Jack, c’est évident qu’il y a anguille sous roche.
- Baleine sous le gravier, tu veux dire! approuva Largo.
- Les gars, si vous continuez sur cette voie, j’ai bien peur d’être obligé de vous éliminer.
- On a touché une corde sensible, Largo! déclara Simon. C’est quoi le problème entre vous deux? On dirait un remake de la Guerre des Rose!
- Elle m’énerve, c’est tout, décréta froidement le Russe. Elle ne veut pas comprendre que je ne suis pas un type pour elle. Et elle se vexe alors que ce n’est pas dirigé contre elle, je l’aime bien.
- T’es dingue d’elle, oui!”
Kerensky se tourna lentement vers Simon, et lui lança un regard si noir que le Suisse essaya de se faire tout petit sur sa banquette arrière.
- “Les femmes et moi, ça n’a jamais été très, disons, concluant, expliqua le Russe. Je ne sais pas comment les rendre heureuses. Je ne peux pas profiter de sa fragilité.
- Moi, je crois qu’au contraire Jack sait ce qu’elle veut, fit Largo. Et ce qu’elle veut, c’est toi Georgi.
- Et bien elle a tort. Je ne suis pas un type bien.
- Kerensky, intervint Simon, on te connaît depuis deux ans maintenant et crois-moi sur parole, t’es un mec bien.”
Le Russe tenta de camoufler son sourire et regarda droit devant lui.
- “Oui, c’est facile de dire ça, Monsieur je vis sur un petit nuage avec Loreena Keagan.”
Simon se plongea au fin fond de sa banquette arrière, boudant.
- “Je crois que Loreena veut me quitter.”
Largo et Kerensky échangèrent un regard surpris.
- “Tu veux rire? Elle est folle de toi! s’écria Largo.
- D’ailleurs on se demande pourquoi... ironisa Kerensky.
- J’ai trouvé une demande de mutation pour le Japon dans ses affaires, expliqua Simon. Elle part dans deux mois. Elle ne m’en a pas encore parlé, mais je sens qu’elle veut me quitter...
- Tu te fais peut-être des idées... suggéra Largo.
- Je crois pas... Pour moi, c’est bientôt la fin de l’histoire...”
Le Suisse se mit à regarder tristement par la fenêtre, regardant les paysages défiler, et l’atmosphère soudainement alourdie, le silence reprit le dessus dans la Berline noire de Largo, chacun pensant douloureusement aux femmes qui obsédaient leurs pensées torturées.
Forrest Hills
Domicile de Charles Arden
Jack se jeta sur le perron de la maison Arden quasiment en courant. La sombre et imposante demeure était plongée dans l’obscurité, et elle n’apercevait pas la voiture de Charles dans l’allée. Inquiète, elle se précipita à l’intérieur de la maison après avoir ouvert la porte grâce à ses doubles de clés. Elle faillit hurler en voyant Joy, allongée à terre, immobile, un revolver à la main. Elle alluma la lumière du corridor et se rendit compte avec soulagement que le sang ne coulait pas du corps de la jeune femme.
- “Joy?”
Elle se précipita à genoux auprès de son amie et la prit dans ses bras, non sans avoir retiré l’arme de ses mains.
- “Joy... Dis-moi, qu’est-ce que tu as fait?”
La jeune femme se remit à pleurer et serra fort contre elle son amie.
- “Jack... Jack... Je suis épuisée... Je n’en peux plus de me battre... Je voulais en finir... Il n’y avait pas de balles... Je me suis écroulée... Je ne sais plus quoi faire, je ne sais plus... Je suis perdue...
- Oh Mon Dieu Joy...”
Jack serra plus fort son amie et la berça contre elle.
- “Je ne voulais plus souffrir Jack... C’est si dur...
- Je sais Joy... Je sais ce que tu as vécu... Je sais que c’est dur... J’ai pensé moi aussi à tout arrêter, mais il faut se battre... On ne peut pas leur laisser ce plaisir à ces salauds... Il faut au moins faire semblant d’y croire et les jours meilleurs viendront, Joy... Je te promets qu’il y en aura...
- J’ai tellement peur de ne jamais y arriver...”
Jack desserra son étreinte et sécha les larmes de son amie affectueusement avant de remettre les mèches rebelles de ses cheveux derrière ses oreilles.
- “Joy... Ne m’abandonne pas. Accroche-toi. C’est parce que tu y arrives que moi j’y arrive. Comme dans le bateau. Comme dans la cave. J’ai toujours pris exemple sur toi... Je suis désolée de te voler un peu de ta force...”
Joy sourit douloureusement.
“Je veux que tu t’en sortes Jack...
- Moi aussi... Joy... Tu mérites de t’en sortir... Tu es la meilleure personne que je connaisse... Tu ne peux pas ne plus rien attendre de la vie...
- Je... Je ne voulais pas en arriver jusque là... J’y pensais sans arrêt... Me tuer pour tout arrêter... Pour arrêter de souffrir et de faire souffrir ceux qui m’aiment. Mais je ne trouvais pas le courage d’aller jusqu’au bout. Comment je vais faire pour trouver une autre occasion? Je n’ai pas assez de force pour en terminer avec la vie... J’ai tellement peur de tous vous quitter... J’ai si peur de ne plus jamais voir Largo... J’y arrive pas à cause de lui... Comment je peux me tuer alors que je l’aime trop pour mourir?”
Jack eut un sourire empli de tendresse.
- “La voilà, ta raison de vivre... sourit-elle.
- J’en ai assez de le faire souffrir... protesta Joy.
- Si tu te tues, il en mourra Joy... Si tu veux qu’il cesse de souffrir, accroche-toi à lui! Dis-lui ce que tu ressens, parle-lui. Mais ne le laisse pas en dehors... N’abandonne pas, Joy. N’abandonne jamais...”
Parlake City
Entrepôt 67
A peine leur Berline fut-elle garée, que Largo, Simon et Kerensky se firent accoster par Cesare Cordoba, qui se ruait en courant hors de l’entrepôt où il se cachait, les menaçant d’un revolver.
- “Montrez-moi vos mains! Montrez-moi vos mains!” criait le vieil argentin.
Les trois membres de l’Intel Unit obéirent, en soupirant. Ils avaient tous une envie folle de sauter à la gorge de Cordoba pour le mettre en pièce.
- “Je crois qu’il m’a suivi.... dit Cordoba.
- Un tueur de la Commission? demanda Kerensky.
- Oui, vous devez m’aider à leur échapper!”
Largo éclata d’un rire nerveux.
- “Vous voulez que moi que je vous aide? Dois-je vous rappeler ce que vous avez fait à Joy Arden?
- Je ne faisais qu’obéir aux directives de la Commission. Maintenant je les dérange et je peux vous raconter tout, absolument tout ce que vous désirez savoir sur eux, vous n’avez qu’à poser n’importe quelle question qui vous passe par la tête. Tout ce que je demande en échange, c’est vivre!”
Les trois amis se consultèrent du regard et n’eurent pas le temps de répondre qu’un coup de feu retentit et une balle siffla à leurs oreilles. Tous se couchèrent à terre.
- “Je vous l’avais dit! hurla Cordoba. Ils m’ont retrouvé!”
Ils se mirent à l’abri derrière la Berline de Largo, dégainant leurs armes, et échangèrent des coups de feu avec le tueur à gages poursuivant Cordoba pour l’abattre. Mais le bougre se cachait bien.
- “Je l’ai repéré Kerensky! cria Simon. Sur le toit de l’entrepôt, à 13 heures!”
Kerensky regarda dans la direction indiquée par Simon, et pour la première fois depuis longtemps, son expérience de tueur professionnel lui servit. Il visa et réussit à toucher le tueur à gages. Ils attendirent une minute, puis une autre. Aucune réaction. Il devait avoir été tué. Les trois amis, ainsi que Cordoba, purent souffler.
- “On ne devrait pas traîner... dit Kerensky. Ils doivent être plusieurs à courser Cordoba.
- Alors? Vous acceptez mon marché? demanda Cordoba.
- Disons que nous étudions votre proposition... rétorqua sèchement Largo. Mais je vous préviens tout de suite, j’ai une folle envie de vous tuer de mes propres mains alors un bon conseil, tenez-vous à l’écart et ne me provoquez pas. Je ne sais même pas ce qui me retient de vous tirer une balle dans la tête, là, maintenant.”
Largo fit un signe à Simon qui empoigna Cordoba sans ménagement, le jeta sur la banquette arrière de la voiture, et s’installa à ses côtés, le menaçant de son arme. Kerensky et Largo remontèrent à l’avant, et démarrèrent sur les chapeaux de roue, direction le Groupe W.
Groupe W, penthouse
Deux heures plus tard
Largo, assis à son bureau, toisait sévèrement Cordoba, attaché par les poignets, et installé sur un siège en face du jeune PDG. Kerensky et Simon se tenaient debout, de part et d’autres du vieil argentin, prêt à sévir si celui-ci faisait ou disait quelque chose qui ne leur plaisait pas.
- “J’ai tout à vous offrir...” répétait sans cesse Cordoba, d’une soudaine volubilité impressionnante.
L’ordure de membre de la Commission Adriatique semblait avoir très peur de mourir.
- “Je sais où se trouve le Livre, je connais toutes leurs opérations en cours, tous les hauts dirigeants personnellement. Je connais même les détails de toutes les conspirations qu’ils ont prévues pour le Groupe W dans les années à venir... Je sais tout! Je suis prêt à tout vous livrer!
- A quelle condition? demanda Largo.
- Je veux un nouveau visage! Je sais que la Winch Medics va commercialiser un nouveau procédé de chirurgie esthétique au laser. Je veux changer totalement de visage et d’empreintes. C’est le seul moyen de disparaître de la nature et de les empêcher de me tuer, car ils ont des hommes partout, croyez-moi, vous seriez surpris!
- Je m’attends à tout de la part de la Commission Adriatique.. gronda Largo.
- Vous arrangez ça pour moi et je vous offre sur un plateau d’argent le moyen de réduire à néant la Commission Adriatique!
- Admettons. Qu’est-ce qui nous prouve que vous n’allez pas nous mener en bateau? Donnez-nous une garantie!
- Demandez, je vous donnerai des renseignements sur n’importe quel sujet!
- Et pourquoi pas l’endroit où trouver Alan Smythe?”
Tous sursautèrent. Joy venait de parler. Elle et Jack étaient arrivées sur le seuil de la porte et avaient surpris leur conversation. Elles avaient décidé de venir au Groupe W après que Jack ait appris à Joy qu’ils étaient partis ramener Cordoba. Jack avait tenté de persuader son amie que c’était une mauvaise idée, mais elle voulait à tout prix revoir cette vieille enflure.
- “Joy? fit Largo d’une voix blanche. Qu’est-ce que tu fais là?”
Joy ne répondit pas et se posta devant Cordoba. Elle le dévisagea d’un air mauvais et lui cracha à la figure avant de le frapper au visage, réunissant toute la force qu’il lui restait. Largo se leva et la prit par les épaules pour l’éloigner du trafiquant.
- “Joy... Tu te fais du mal en restant ici... Rentre chez toi... souffla-t-il.
- Non Largo! déclara-t-elle d’une voix étouffée. J’en ai assez de me voiler la face. Je veux affronter mes démons, il en est temps.”
Elle regarda Cordoba.
- “Alors? Où est Smythe?”
L’argentin eut un sourire.
- “Vous voulez accomplir une vengeance personnelle? Comme je vous comprends... Il est sur l’île d’Hokkaido, au Japon. Je vais vous donner les coordonnées de sa planque, et avec un très grand plaisir...”
Largo fixa Joy d’un air inquiet et ahuri.
- “Qu’est-ce que ça veut dire? Alan Smythe est vivant?
- Oui Largo. Il est devenu un membre important de la Commission Adriatique. Il faut l’attraper.”
Les deux jeunes gens échangèrent un regard étrange puis Largo s’avança vers Cordoba.
- “D’accord... Nous irons là-bas. Si nous trouvons Smythe comme vous nous l’avez indiqué, nous en conclurons que vous êtes de bonne foi. Et nous accepterons le marché.
- Croyez-moi, il est là-bas. Mais faites vite, surtout. Si vous attendez plus longtemps, la Commission me retrouvera et je mourrai. Sans avoir le temps de vous donner les moyens de les détruire.”
Largo hocha la tête et regarda Simon et Kerensky.
- “D’accord, on y va dès que possible. Préparez le voyage, appelez Jerry et faites affréter le jet...
- Cette fois, je viens.” déclara alors Joy.
Ses amis la fixèrent d’un air ahuri.
- “Non, non Joy, je ne te laisse pas faire ça! s’opposa Largo.
- J’ai besoin d’y être.
- Tu avais dit que tu arrêtais avec tout ça! protesta-t-il.
- J’arrête! Mais il faut d’abord que je vois Smythe. Je dois parler à cette ordure!
- Mais pourquoi?”
Joy soupira et se dirigea vers la cuisine de l’appartement, non sans avoir d’abord fait signe à Largo de la rejoindre. Il referma la porte derrière lui.
- “Quoi? Dis-moi ce qu’il se passe?
- C’est Smythe.”
Largo regarda la jeune femme droit dans les yeux, essayant de percer en elle.
- “Largo, Smythe était là-bas... expliqua-t-elle, les larmes dans la voix. Il m’a violée. J’étais droguée et j’ai dû coucher avec l’homme qui avait le visage de ton père... Voilà ce qu’il m’est arrivé là-bas. Voilà pourquoi je n’arrive pas à te regarder dans les yeux... Et voilà pourquoi j’ai voulu mourir aujourd’hui.”
Le cœur démoli, Largo s’approcha d’elle sans mot dire et se contenta de la prendre dans ses bras. Elle le serra fort contre elle et appuya sa tête contre ses épaules robustes, les inondant de larmes.
- “J’ai tellement honte Largo... Je ne savais plus ce que je faisais... Ils m’avaient sous leur contrôle et je ne peux plus, tu m’entends, je ne peux plus vivre avec cette image de moi-même... Je dois les affronter si je veux espérer m’en sortir...
- Je ne veux pas que tu te forces à revoir cette ordure Joy... Je ne veux pas te voir souffrir.”
Joy desserra son étreinte et le regarda droit dans les yeux.
- “Largo... Aujourd’hui, j’ai failli passer à l’acte. J’ai failli me faire exploser le crâne... Tu entends Largo? Je n’attendais plus rien de la vie... On m’a donné une seconde chance et je veux en profiter. Tant qu’il me reste un espoir, je veux essayer d’aller mieux. Et il faut pour ça que je me persuade que c’est fini. Et Largo, ce ne sera pas fini tant que cette ordure vit avec ce qu’il m’a fait... Il faut que je voie ce petit salaud... Il le faut... Je dois pouvoir lui cracher à la gueule, je dois détruire cette image... J’en ai besoin... Si je ne le fais pas, je finirai par me tuer...”
Largo caressa son visage du bout des doigts et l’embrassa sur le front.
- “Alors tu viens...” articula-t-il, camouflant du mieux qu’il pouvait sa rage et son envie de vomir à l’idée de ce que sa Joy avait dû endurer avec Smythe.
Mais elle lui avait parlé. A présent, il savait.