JOUR 61
Hôtel Choza del Pescador
Tôt dans la matinée
Kerensky remua dans son fauteuil en grognant. Il n’avait plus si mal dormi, dans une position inconfortable, depuis des années... Cette fois-ci c’était définitif: il s’était ramolli. Il émergea totalement de son sommeil et jeta un coup d’œil vers son lit où était étendue Jack. Ne souhaitant pas éveiller les soupçons à l’hôtel, les membres de l’Intel Unit avaient convenu qu’elle prendrait la chambre de Kerensky et le Russe s’était retrouvé à dormir dans le vieux fauteuil miteux de son étroite chambre d’hôtel. Il se leva et étouffa un bâillement tout en se dirigeant vers la fenêtre pour ouvrir les rideaux. A son geste, il perçut un vif froissement de draps et se tourna vers Jack qui s’était réveillée brusquement et se recroquevillait au fond du lit, appuyée contre le montant.
- “Ca ne va pas?” demanda-t-il.
La jeune femme, les yeux peu à peu réhabitués à la lumière, les cligna légèrement et parut se décrisper en reconnaissant Kerensky.
- “Excusez-moi... fit-elle d’une petite voix. Le matin Youri venait nous réveiller en ouvrant les rideaux... Pour nous donner les pilules.
- Les pilules? l’interrogea-t-il en s’approchant.
- Oui, les drogues. Pour qu’on ne leur résiste pas... Je réussissais à les jeter en douce sans les avaler, ce n’était pas toujours possible... Mais je ne suis jamais devenue dépendante...
- Mais Joy l’est, c’est ça?” demanda Kerensky, la voix blanche.
Jack acquiesça en silence.
- “Je vous jure que j’ai tout essayé pour l’empêcher... Mais c’est de ma faute... Au début elle résistait mais ils me torturaient sous ses yeux pour lui faire mal... Elle a craqué... Elle ne voulait plus qu’ils me fassent toutes ces choses... C’est à cause de moi qu’elle en est là...”
Kerensky posa une de ses mains géantes contre la nuque de la jeune femme, terriblement bouleversée.
- “Joy ne voudrait pas vous entendre dire ça. C’est une héroïne. Et comme toutes les héroïnes, elle a agi en conséquences. Ce sont eux les salauds. C’est à eux qu’il faut en vouloir pas à vous.”
Jack soupira.
- “J’aurais pu faire tellement plus pour l’aider...
- Plus? Comme quoi? Vous nous avez donné la localisation précise de l’endroit où elle était enfermée et vous nous avez aidé à préparer notre plan pour la récupérer... Quand elle sera de nouveau parmi nous, ce sera grâce à vous en partie. Vous pourrez être fière.
- Mais si elle ne guérissait pas?”
Kerensky scruta avec un air mélangeant pitié et tendresse les grands yeux noirs profonds et effrayés de Jack.
- “Elle oubliera. Largo l’y aidera. Croyez-moi, cet idiot de milliardaire est du genre obstiné et il l’aime sa Joy. Il ne la lâchera jamais.”
Jack détourna les yeux du regard pénétrant du Russe tellement convaincant qu’il en était presque dangereusement effrayant.
- “Vous non plus on ne vous laissera pas tomber, dit-il d’une voix tranquille, percevant son anxiété.
- Je... Je suis désolée mais...
- Oui, vous avez peur de moi, c’est normal. Vous aurez peur de tout le monde pendant un certain temps... Ca passera.
- Pourtant vous êtes si gentil avec moi...
- Je fais ce que je peux. Je connais ce genre de situation. Des filles qui ont vécu la même situation, j’ai pu en croiser dans le passé.
- Et vous les aidiez?
- Pas vraiment. J’étais un homme indifférent à cette époque.”
Kerensky fit une pause, écoutant en lui le triste murmure de son passé trouble.
- “Vous avez raison d’avoir peur de moi... J’ai fait beaucoup de choses effrayantes...”
Jack posa sa main en haut du torse de Kerensky.
- “Votre présence me rassure. Je sais qu’avec vous je suis en sécurité contre eux.”
Quelques coups discrets frappés à la porte les arrachèrent à leur silencieux échange de confiance. Kerensky se leva et ouvrit la porte à Simon, qui le dévisageait de l’air sérieux qu’il lui connaissait quand il commençait à se concentrer avant une de leurs opérations casse-cou.
- “Que se passe-t-il?
- On a de la visite... Charles Arden.
”
Kerensky lança un regard vers Jack qui s’était levée pour écouter leur conversation.
- “Il va nous aider?
- Oui. Et on attend la visite de quelques uns de ses amis.”
Kerensky hocha la tête. Tout se précisait.
Domicile de Cesare Cordoba
Au même moment
Alan Smythe entra précipitamment dans le bureau de Cordoba, le visage sévère. Le vieil argentin alla le saluer et lui serrer la main avant de lui proposer de s’asseoir.
- “Je ne reste pas... déclara Smythe.
- Allons, vous prendrez bien un cognac? sourit Cordoba.
- Je ne reste pas à la Casa Peligrosa.” précisa Smyth.
Cordoba ne répondit pas et but quelques gorgées de Cognac, prenant son temps pour goûter toutes les nuances de saveurs du breuvage fleuri.
- “Oui, Felipe m’a parlé d’un petit incident avec l’une de nos filles...”
Smyth ricana.
- “Un incident? Ca, vous pouvez le dire...
- Ah que puis-je faire Allan? Je suis désolé pour ce malentendu. Nous allons nous occuper du cas de mademoiselle Arden et vous introduire à une autre jeune femme.
- Je souhaite repartir pour le Japon.” le coupa sèchement Smyth.
Cordoba se voila d’une grimace sombre.
- “Je crois que vous faites insulte à mon sens de l’hospitalité Alan. N’oubliez pas que vous êtes toléré par la Commission, et que personne n’apprécie d’avoir dans ses rangs un homme portant le visage d’un mort.
- C’est pourquoi je veux retourner dans ma planque à Hokkaido. Ici, trop de gens me connaissent...
- Je croyais que cette planque à Los Enceados vous convenait? poursuivit froidement Cordoba. Un cadre enchanteur, et des dizaines de jolies filles à votre service, qui sont sous notre entier contrôle grâce aux lavages de cerveaux... Que demander de plus?
- Entier contrôle? se moqua Smythe. Avec Arden dans les parages? Sans compter cette petite qui s’est échappée... Oui, voyez-vous, je suis au courant, vos hommes de main vendent facilement la mèche...
- De vagues contretemps. Toute la région est sous mon contrôle hégémonique. Et donc sous celui de la Commission. Nous ne risquons rien ici.
- Ca c’est ce que vous croyez! rétorqua Smythe. Le fait que la petite Arden commence à se souvenir de qui elle est est de mauvais augure... Et même si vous avez essayé de le cacher, je sais que Largo Winch est en ville avec les membres de son Intel Unit. Il va venir chercher sa petite chérie...
- Et comment voulez-vous qu’il s’y prenne? Il n’a aucune chance, trancha sévèrement Cordoba.
- Ne sous-estimez jamais les efforts d’un homme amoureux...
- Là, c’est vous qui me sous-estimez Alan.”
Smythe eut un sourire mauvais.
- “Ce qui se raconte à la Commission est vrai. Vous êtes devenu très arrogant et présomptueux, Cesare.
- J’en ai autant à votre service.
”
Smythe s’avança lentement de Cordoba, l’air menaçant.
- “L’avenir nous dira lequel sortira vainqueur de cette petite querelle. Pour l’heure, je prends l’avion pour le Japon. Quant à cette fille, elle ne m’amuse plus du tout. Vous n’avez qu’à la tuer. Je doute qu’elle puisse encore satisfaire un seul de nos membres...”
Cordoba ne préféra pas répondre aux provocations de Smythe et lui sourit aimablement.
- “Si c’est ce que vous souhaitez, Allan, ce sera fait... dit-il d’un voix sereine. Vous voyez, je suis beau joueur.”
Smythe lui lança un regard assassin et quitta le bureau de Cordoba, qui, fou de rage, appela l’un de ses hommes de main.
- “Llama este tontissimo de Felipe!” hurla-t-il.
La Casa Peligrosa, Infirmerie
Une heure plus tard
Joy, battue, grelottante de froid et à semi-consciente, fut emmenée par les hommes de Felipe dans l’infirmerie de Youri. Celui-ci ne put s’empêcher de lancer un regard apeuré vers la jeune femme, méconnaissable, qui avait passé la nuit à la cave, en état de manque, et torturée par Felipe qui était entré dans une rage folle en découvrant qu’elle avait cessé de prendre sa drogue. Youri avait dû user de toute sa force de persuasion pour le convaincre qu’en exploitant son état de manque, ils pourraient facilement lui faire reprendre la pilule verte et la faire rentrer dans le “droit chemin”. Et finalement, au petit matin, Felipe lui avait accordé cette faveur et Youri s’apprêtait à tout reprendre à zéro avec la jeune femme.
- “Allongez-la et laissez nous!” ordonna-t-il aux gorilles qui s’exécutèrent sans sourciller.
Joy s’étendit sur la couchette de l’infirmerie, en étouffant un gémissement de douleur. Elle devait avoir mal aux côtes ou au ventre. Youri souleva son t-shirt et découvrit de grosses traces d’hématomes violacés sur son bas-ventre. Une sorte de colère naquit en lui mais il la refoula bien vite. S’il voulait la sauver et la garder près de lui, il devait réfléchir rationnellement. Il déposa un baiser sur son front.
- “Ne t’inquiètes pas mon ange... murmura-t-il. Je vais bien m’occuper de toi... Tu n’auras plus mal.
- Non... protesta Joy, dans son délire créé par une forte fièvre. Non... Largo...”
Un étau s’empara du cœur de Youri, comme s’il avait avalé quatre litres d’eau glacée d’un seul coup. Elle pensait à l’autre alors que lui faisait tout pour l’aider. Il resta immobile, hésitant, cachant sa déception, face à cette femme si proche et en même temps si inaccessible. Il n’avait aucune idée de ce qu’il devait faire. Pour elle aussi bien que pour lui.
Il se ressaisit et saisit dans un tiroir une pilule verte. Il s’approcha de Joy et s’assit près d’elle.
- “Tiens... dit-il, la voix légèrement tremblante. Tu dois avaler ça.
- Non pas ça...” articula Joy, affolée.
Youri se sentait perdre ses moyens, il commençait à comprendre que le fragile lien qui existait entre lui et Joy était détruit.
- “S’il te plaît, tu dois la prendre, si tu ne veux pas avoir d’ennuis. Fais-le pour moi.
- Je ne te dois rien... hachura-t-elle.
- Ne m’oblige pas à utiliser la force, Joy.”
Il se mordit la lèvre, réalisant qu’il l’avait appelée par son prénom. Ce simple mot signifiait qu’inconsciemment il savait l’avoir déjà perdue. Elle lui lança un regard endormi et désespéré.
- “Je n’ai plus peur de ce qu’ils me feront maintenant... souffla-t-elle, les lèvres déshydratées et tremblantes de froid. Ils m’ont tout fait... Ils ont détruit mes pensées... Je n’ai plus qu’à crever maintenant...
- Ne dis pas ça... Fais ce que je te dis Joy, je t’en supplie...
- Non!” voulut-elle crier, sans y arriver, la voix cassée.
Youri cherchait encore un moyen de lui faire entendre raison quand Felipe débarqua sur le seuil de la porte et lui fit signe impatiemment de le rejoindre. Il semblait furieux. Youri laissa à regrets Joy et alla le rejoindre.
- “Que se passe-t-il?
- Je viens de me prendre un savon par le Señor Cordoba, il est furieux! Il faut la tuer.”
Un éclair de panique traversa le regard de Youri.
- “La tuer? Mais non pourquoi? On peut encore arranger les choses... protesta-t-il.
- Laisse tomber cette garce Youri! Elle ne nous sert plus à rien, aucun des clients de la Casa ne prendra le risque de la choisir comme hôtesse. Elle est trop dangereuse!
- Elle était déjà dangereuse à son arrivée ici... Rappelez-vous que c’était un défi...” argumenta Youri.
Felipe le fusilla du regard.
- “C’est un défi qui n’amuse plus personne, rétorqua-t-il. Débarrasse-nous de cette fille au plus vite. Et ne discute pas! Ce serait dommage de mettre le Señor Cordoba encore plus en colère!”
Felipe jeta un petit coup d’œil vers Joy, haineux et méprisant, et s’en alla, laissant Youri seul face à cette lourde tâche. Il soupira et alla chercher dans son armoire à pharmacie une seringue puis fouilla dans un de ses placards fermés à clé, pour trouver un flacon d’un produit empoisonné qu’il utilisait généralement dans ce type de situation. Il vida le contenu du flacon dans la seringue et s’approcha de Joy. Il s’assit près d’elle et posa la seringue sur une petite table à côté de la couchette sur laquelle elle était étendue.
Il la prit dans ses bras, la serra fort contre lui et caressa du bout des doigts les contours de son visage avant de l’embrasser tendrement. Joy, trop faible pour se débattre, se contenta de pousser un gémissement plaintif.
- “Youri...” le supplia-t-elle quand il eut détaché ses lèvres des siennes.
Le cœur de l’homme se serra. Elle avait entendu leur conversation. Elle savait qu’il allait la tuer. Il la serra plus fort encore entre ses bras.
- “Joy, je n’ai pas envie de te tuer... lui confessa-t-il.
- Qui sont-ils? demanda-t-elle sans trop savoir pourquoi.
- Qui?
- Les clients?” s’enflamma-t-elle légèrement, prise d’un regain de vie.
Elle devait savoir, quitte à mourir.
- “C’est quoi ici? articula-t-elle, la panique embrumant sa voix. Pourquoi Nério était-il là? Je m’en rappelle maintenant... Il est mort... Il est mort et son fils a repris ce qu’il avait commencé... L’homme sans nom... Largo, c’était lui son fils... Je le sais maintenant... Pourquoi je ne comprends pas ce qu’il m’arrive?
- L’homme que tu as vu n’était que le double de Nério... expliqua doucement Youri, d’une voix tranquille, pour la rassurer.
- Smyth? comprit Joy en se redressant, traversée par un éclair de lucidité. Le sosie! Il travaille pour la Commission... Oh, Youri, il est très dangereux, il faut l’arrêter! C’est une ordure! Et ce qu’il m’a fait... rajouta-t-elle, les larmes aux yeux.
- Tu ne comprends pas Joy... Ici, ils font tous partie de la Commission Adriatique. La maison leur appartient, la ville aussi. Toute la région est sous leur contrôle...
- Non... pleura Joy, gagnée par le désespoir.
- Tu n’arriveras à rien ici... C’est un de leurs paradis, où personne ne vient jamais les chercher... Et où personne ne peut, ou ne veut témoigner contre eux... Tu es bien placée pour savoir ce qu’ils font... Tu es seule Joy... Tu ne peux rien faire...
- Je... Refuse... articula-t-elle.
- Personne ne les arrêtera... Pas même toi... souffla Youri, à la fois inquiet pour elle et pour ce qu’il allait lui faire.
- Laisse-moi une chance de m’enfuir, Youri... le supplia-t-elle.
- Tu n’y arriveras pas Joy... Ma jolie demoiselle... Ils te rattraperont et ils te feront souffrir avant de te tuer... Je ne veux pas qu’ils te fassent du mal... Je préfère mettre moi-même fin à cette douleur...
- Non... Non Youri! cria Joy, désemparée et bouleversée. Je t’en supplie, ne fais pas ça!
- C’est le seul moyen... Je t’avais promis que tu ne souffrirais plus...
- Non! hurla-t-elle de plus belle. Je ne veux pas mourir! Youri, je t’en supplie, je ne veux pas mourir!”
Youri resta sourd à ses appels déchirants et saisit sa seringue contenant le poison. Elle voulut l’en empêcher, mais toutes ses forces l’avaient quittée. Elle ne put que tenter de se débattre, serrée contre Youri, et fermer ses yeux inondés de larmes au moment où il enfonça l’aiguille dans ses veines et injecta le poison mortel.
- “Adieu Joy...” dit-il simplement.
Joy s’évanouit quasiment aussitôt. Il l’allongea confortablement et allait disposer une couverture sur le corps inerte de la jeune femme quand son attention fut attirée par le déclenchement violent d’une alarme. Sa respiration se fit plus saccadée quand il comprit ce qu’il se passait: on attaquait la Casa Peligrosa.
Hall de la Casa Peligrosa
Au même moment
- “Bouclez toutes les issues! cria Vaughn. Aucun de ces enfoirés ne sortira d’ici, et faites bien attention à ne blesser aucune des filles!”
Tôt dans la matinée, Charles Arden était arrivé à Los Enceados, suivi de près par une équipe de terrain très expérimentée de la CIA dirigée par un homme jeune mais juste, Michaël Depuis des mois déjà, l’Agence surveillait les activités de Cesare Cordoba, et quand Charles était allé voir Devlin, son vieil ami à présent directeur de l’Intelligence, ils étaient sautés sur l’occasion: la preuve de ce trafic de filles était un excellent motif pour arrêter Cordoba et entamer une enquête fouillée et approfondie de ses affaires, plus le seul moyen d’obtenir un mandat international de perquisition et d’arrestation.
L’équipe de pro était donc arrivée, chevronnée, et prête à tout pour mener à bien leur mission. Malgré tous leurs efforts, Vaughn et Weiss, les deux agents chargés de l’opération, n’avaient pu écarter Largo et les membres de l’Intel Unit de l’opération. Et ils durent finalement admettre qu’ils étaient des pros, et ce même si un ex du KGB était de la partie. Largo avait appris à se méfier de la CIA après tout ce que lui en avait dit Joy, mais après avoir discuté avec Vaughn et Weiss, il comprit bien vite que ces deux hommes étaient des patriotes épris de Justice qui ne souhaitaient que sauver Joy et les autres filles, ainsi que stopper un dangereux criminel. Chacun des camps avait accordé ses violons.
Et le mélange était explosif. Des experts s’étaient chargés de déconnecter la majeure partie des alarmes protégeant la Casa Peligrosa des agressions extérieures, la villa fut cernée de toute part et enfumée de façon à ce que les hommes de main à l’intérieur soient incapables de répliquer à leurs coups de feu. Une fois à l’intérieur, le plus urgent était de retrouver les filles pour les évacuer et d’arrêter les uns après les autres les gangsters enfumés avant qu’ils ne parviennent à se frayer un chemin à l’air libre pour s’enfuir.
- “Weiss! cria Vaughn. Prends l’équipe delta et rassemblez les filles!”
Largo, Simon et Kerensky se joignirent à l’équipe delta pour retrouver Joy, en se frayant un chemin parmi le va-et-vient précipité des agents de la CIA qui arrêtaient les uns après les autres les hommes de Cordoba. Ils fouillèrent toutes les chambres des trois étages de l’aile est de la villa, et lorsqu’ils eurent examiné la dernière, les membres de l’Intel Unit constatèrent avec horreur que Joy n’était pas là. Largo prit par le bras une jolie jeune femme, aux longs cheveux blonds, Ophélie, qui étouffait une quinte de toux avec un mouchoir. Largo retira précipitamment son masque à gaz pour lui parler librement.
- “Joy? Joy Arden? Vous la connaissez? Où est-elle? demanda-t-il, enfiévré.
- On n’a pas de noms... articula Ophélie, gênée par les gaz.
- Une jolie brune, américaine, aux yeux marrons, un mètre soixante-dix, elle a des origines Cherokee?” insista Largo.
Ophélie hocha la tête.
- “Ils l’ont emmenée à l’infirmerie... Au quatrième.”
Aussitôt, Largo se mit à courir comme un forcené vers les escaliers, sans remarquer Simon qui voulait le rejoindre, alerté par le manège de son ami. Il retira à son tour son masque.
- “Largo? cria-t-il en sa direction.
- Demande des secours! Elle va peut-être mal!” lui lança-t-il, en se ruant dans les escaliers.
Simon hocha la tête et attrapa Weiss par les bras.
- “Hey machin! On a peut-être une blessée au quatrième!
- J’appelle l’équipe d’extraction en hélico!” répondit-il en saisissant son talkie-walkie tandis que Simon le quittait à son tour pour rejoindre Largo.
La Casa Peligrosa, infirmerie
Un instant plus tard
Lorsque Largo débarqua avec fracas sur le seuil de l’infirmerie, il eut le souffle coupé. Joy, sa Joy était là, devant lui. Mais les yeux clos, étendue sur une couchette, inerte, le teint pâle et portant des traces de coups sur le visage. Près d’elle, un homme. De taille moyenne, mince, le visage enfantin mais la bouche pincée, et de petits yeux sombres très enfoncés dans leurs orbites. Il prenait Joy par la main et ne prêtait pas la moindre attention à Largo. Sur ses gardes, celui-ci arma son revolver et le visa tout en s’approchant lentement.
- “Montrez-moi vos mains! Ecartez vous d’elle!” lui ordonna-t-il.
Youri ne bougea pas d’un cil.
- “Ecartez vous d’elle! cria Largo.
- Je n’ai pas l’intention de la laisser...
- Et si je ne vous laisse pas le choix?” fit Largo, le canon de son revolver pointé contre sa tempe.
Youri n’avait toujours aucune réaction, alors Largo le prit par le col de sa chemise et l’écarta loin d’elle en le jetant contre le mur. Puis, tout en le menaçant de son revolver, il s’assit près de Joy et la regarda avec appréhension.
- “Joy? murmura-t-il. Joy c’est moi, réveille-toi, je t’en prie...”
Ce disant, il avait posé sa main sur son visage pour le caresser, la toucher enfin après ses longues semaines de séparation et il se figea sur place en sentant sa peau lisse si froide sous ses doigts. Paniqué, il laissa tomber son revolver, complètement indifférent à Youri, et prit le visage de Joy entre ses mains.
- “Joy? Joy tu m’entends? Réponds-moi je t’en supplie!”
Comme elle n’avait aucune réaction, il prit son pouls et réalisait que si son cœur battait encore, c’était à un rythme très faible, irrégulier et espacé. Aussitôt, la fureur prit le dessus sur lui et il se tourna vers Youri, qui s’était relevé et s’était approché pour la regarder.
- “Ce sera bientôt fini pour elle... Elle ne souffre plus...” déclara-t-il tranquillement.
Largo écarquilla les yeux et remarqua sur une tablette contenant des instruments médicaux, une seringue avec le flacon de poison trônant à ses côtés. Aussitôt, il empoigna Youri et le plaqua avec violence contre le mur.
- “Qu’est-ce que vous lui avez fait? Qu’est-ce que vous lui avez fait?” hurla-t-il en le secouant et en le cognant contre le mur.
Youri ne lui répondit pas tout de suite, plongé dans une silencieuse contemplation de Joy.
- “Elle est si belle, vous ne trouvez pas? Même au seuil de la mort...
- Je vous interdis de dire ça!” rugit Largo en lui donnant un coup de poing dans le ventre que Youri encaissa, le souffle coupé.
Puis Largo l’empoigna à nouveau avec violence, pour le forcer à le regarder dans les yeux.
- “Maintenant dites-moi!
- J’ai accompli ce que vous n’avez jamais réussi: je fais cesser toutes ses souffrances.
- Espèce de salaud!” hurla Largo en l’assommant d’un coup de poing si magistral que Youri alla s’écraser sur le sol, KO, la bouche en sang.
Puis Largo courut vers Joy, le regard embué de larmes.
- “Joy? Tiens bon, je t’en supplie! Je t’aime, je t’en prie, ne nous laisse pas!” cria-t-il en inondant son visage inerte de larmes.
Simon arriva alors à son tour dans l’infirmerie et son cœur fit un bond de trois mètres en découvrant son meilleur ami serrant une Joy inconsciente dans ses bras. Largo leva son visage en larmes vers le Suisse.
- “Simon elle va mal!”
Le Suisse se ressaisit en remarquant à son tour le flacon de poison avec lequel la jeune femme avait été contaminée. Il réagit aussitôt en conséquences.
- “Il y a un hélico qui nous attend dans le parc. On va l’emmener à l’hosto!”
Largo souleva Joy dans ses bras et Simon le laissa passer, tout en saisissant au passage le flacon de poison pour identifier de quoi elle souffrait. Les deux amis dévalèrent les escaliers à toute vitesse, sans prêter la moindre attention au vacarme ambiant fait par la CIA qui finissait de coffrer les hommes de Cordoba. Ils n’entendirent même pas, à l’extérieur, assourdi par le bruit de pales de l’hélicoptère parqué sur l’immense jardin de la propriété, le cri de Felipe, attaché les mains au dos et conduit de force dans une camionnette de la CIA, qui en apercevant Joy de loin, avait hurlé dans sa direction “Puerca!”.
A bord de l’hélico les attendait déjà une équipe d’auxiliaires médicaux qui prirent tout de suite Joy en charge en l’allongeant dans le fond de l’appareil.
- “Qu’est-ce qu’elle a? demanda l’un d’eux.
- Ces salauds ont voulu la tuer! Avec ça!” expliqua Simon en tendant le flacon de poison au médecin.
Largo voulut monter avec elle, à bord de l’hélicoptère, mais on l’en empêcha.
- “Vous ne pouvez pas venir! l’arrêta le pilote.
- Je ne peux pas la laisser seule! Pas dans son état! Je vous en prie!
- L’hélico est bourré! expliqua le pilote. Si vous voulez qu’on l’emmène à temps dans un hôpital pour qu’elle soit soignée, laissez-nous faire!”
Largo ne trouva rien à dire et fut simplement tiré en arrière par Simon pour que l’hélicoptère décolle. Le jeune homme eut à peine le temps de hurler le prénom de celle qu’il aimait alors que l’appareil prenait de l’altitude dans un vacarme assourdissant et des bourrasques violentes, emportant Joy loin de lui, entre la vie et la mort.