JOUR 57
La Casa Peligrosa
Infirmerie
Youri attendait patiemment que Joy ouvre les yeux. Après sa première attaque dans le parc, presque quarante-huit heures auparavant, il avait eu toutes les peines du monde à la sortir de sa léthargie et dut utiliser la très désagréable technique de la piqûre d’adrénaline. Joy avait repris connaissance, mais la fièvre s’y était mise et elle avait déliré pendant des heures au point que Youri avait dû se résoudre à lui administrer un puissant sédatif, bien que la dernière fois qu’il s’y était risqué, elle avait frôlé l’overdose. Mais cette fois-ci, il avait bien étudié les mélanges et les doses qu’il lui administrait de façon à ce que l’opération se déroule sans danger pour elle. A présent, il restait assis à son chevet, car d’après ses calculs, elle était sur le point de reprendre connaissance.
Il eut l’étrange sentiment qu’elle l’avait entendu car ses paupières s’ouvrirent doucement et la jeune femme gémit doucement tout en essayant de se mouvoir dans sa paralysante torpeur.
- “Hola! l’arrêta-t-il d’une voix douce. Doucement jolie demoiselle... Ne fais pas de gestes brusques, tu dois laisser ton corps se remettre de lui-même du choc qu’il a subi.
- Un choc?...” murmura-t-elle en recouvrant peu à peu ses souvenirs.
Youri lui sourit avec bienveillance et elle le dévisagea d’un air complètement vide et hagard. Elle le reconnaissait, mais bizarrement, elle ne ressentait plus rien en le voyant alors qu’avant elle avait tellement confiance en lui.
- “J’ai froid, déclara-t-elle d’une voix un peu plus audible.
- Tu es en état de choc, c’est normal, ça va passer...”
Youri se leva de son chevet et alla chercher une couverture supplémentaire qu’il lui disposa soigneusement sur le corps. Joy ne broncha pas.
- “Que m’est-il arrivé? s’enquit-elle.
- Je ne sais pas... fit Youri, évasif. Tu nous as peut-être fait une petite crise de manque... Ca arrive parfois... Un choc violent a dû provoquer ta perte de connaissance. Tu t’en rappelles?
- Non.” mentit-elle.
En réalité, elle se souvenait dans les détails de ce qu’il s’était passé, et de ses souvenirs lancinants de l’homme sans nom qui lui donnaient ces atroces migraines. Mais elle était perdue, elle ne savait plus du tout faire la part des choses, elle ignorait complètement ce qu’il allait advenir d’elle. Elle savait juste qu’elle était à une croisée des chemins et qu’elle devrait faire un choix. Youri passa délicatement sa main dans ses cheveux.
- “Tu as l’air de te sentir bien mieux, pas vrai? Ca ira encore mieux quand tu auras pris une petite pilule verte.”
Joy ne répondit pas et regarda bizarrement tout autour d’elle, à l’infirmerie.
- “Où est Jack?” demanda-t-elle.
Sa question parut figer sur place Youri. Il fit une grimace qui devait sans doute être destinée à paraître un sourire apaisant mais Joy fit la différence.
- “Jack va bien.
- J’étais inquiète pour elle, avant de m’évanouir... Je ne sais plus pourquoi...
- Oui... s’embarrassa Youri. Euh Jack était malade... Elle a attrapé un petit virus. Ne t’en fais pas pour elle, on s’en occupe. Je veille sur sa santé.”
Joy lui lança un regard dénué de la moindre expression. Youri mit ça sur le compte du choc et de sa difficulté à reprendre ses esprits, sans voir, ou ne voulant pas voir que la jeune femme était différente, qu’elle se posait des questions. Bien trop de questions. Il alla chercher un verre d’eau et une pilule verte qu’il lui tendit. Joy saisit le tout, le visage fermé.
- “Je pourrai aller dehors tout à l’heure?”
Youri parut surpris.
- “Tu es encore fragile...
- Prendre l’air me fera du bien... J’ai envie de me dégourdir les jambes... Je suis restée longtemps allongée?
- Deux jours.”
Youri réfléchit un instant.
- “Oui, tu n’as qu’à y aller... Ca te fera du bien et il faut que tu retrouves tes couleurs, ton client rentre demain soir. Tu dois être en forme pour l’accueillir.”
Joy esquissa un faible sourire.
- “Merci.
- Mais ce matin, tu restes allongée et interdiction de faire le moindre effort. Compris?”
Joy hocha la tête et comme Youri lui lançait un regard insistant, elle mit sa pilule dans sa bouche et l’avala.
Domicile de Cesare Cordoba
Au même moment
- “Merde!” hurla Largo trop brusquement à son goût tiré de son sommeil.
En effet, le jeune milliardaire, ainsi que ses deux amis, Simon et Kerensky, étaient enfermés dans la cave de Cordoba depuis deux jours sans avoir pu parler à leur hôte, ni trouver de moyen de s’échapper. Après une longue nuit d’angoisse, Largo avait enfin réussi à trouver un sommeil lourd et reposant quelques heures auparavant mais il en fut arraché par les hommes de Cordoba qui lui avaient lancé un seau d’eau glacée pour le sortir de sa douce léthargie.
Les poings attachés derrière son dos par des liens extrêmement serrés qui lui labouraient les poignets, il se laissa faire quand les hommes de main l’empoignèrent pour le remettre debout. Il regarda tout autour de lui, en clignant des paupières à cause des grosses gouttes d’eau qui perlaient dans ses yeux et remarqua que Simon et Georgi n’étaient plus enfermés avec lui.
- “Où sont-ils? cria-t-il, alerté. Qu’est-ce que vous leur avez fait? Que les han hecho?”
Aucun des hommes de Cordoba ne répondit et Largo fut traîné hors de la cave. Il monta de force les escaliers menant au rez-de-chaussée de la magnifique demeure de Cordoba et fut en définitive conduit dans l’immense bureau de celui-ci. Un des hommes de main trancha ses liens et le força à s’asseoir sur un siège, en face du bureau du trafiquant argentin, tout en l’incitant tranquillement, pointant son canon de revolver sur sa tempe, à ne pas jouer au malin. Largo, sur ses gardes, cessa de gigoter et regarda attentivement tout autour de lui, à la recherche d’une éventuelle issue, tout en malaxant ses poignets endoloris.
Cordoba apparut dans son bureau. Il salua d’un signe Largo et s’installa à son bureau, face au jeune homme.
- “Bonjour Mr Winch. Ravi de vous rencontrer.”
Largo fronça les sourcils, se demandant bien où cet homme voulait en venir.
- “Je n’en dirais pas autant à votre service... Mr Cordoba, je présume?
- Vous présumez bien... sourit le vieil argentin. Oh, je vois que vous faisiez allusion à votre accueil, disons, un peu brusque, dans notre petite ville.
- Vous avez le sens des pléonasmes... ironisa Largo.
- Oh je regrette ces petits désagréments mais si nous avons refusé que votre jet se pose dans notre petite ville, c’est qu’il y a une raison. Notre ville est en quarantaine. Pour une fuite de gaz toxique.”
Largo étouffa un grondement ironique.
- “Ben voyons... C’est une excuse très intéressante.
- Mais je dois avouer que je suis assez curieux de savoir ce qu’un homme tel que vous, Mr Winch, fait dans notre belle communauté?
- Du tourisme?”
Cordoba grinça des dents.
- “Vous avez une drôle de manière de faire du tourisme... Et dans une ville de notre classe, il faudrait dorénavant vous habiller...”
Le vieil homme désigna Largo, qui, les vêtements froissés, déchirés par endroits et couverts de quelques tâches de sang, faisait vraiment négligé, un gros cocard à l’œil, une barbe de trois jours au visage et les cheveux encore dégoulinants après la flotte qu’il avait reçue au visage.
- “Je n’ai pas eu le temps de passer chez mon tailleur...” répondit simplement Largo.
Cordoba soupira et prit un cigare, qu’il alluma.
- “Vous en voulez un Largo? Je peux vous appeler Largo?
- Non... dit-il du tac au tac. Et je ne fume pas.
- C’est bien... Moi, mon médecin me répète depuis des années que je devrais arrêter et que c’est mauvais pour ma santé... Bah... C’est un vieux fou... La vie est si dangereuse de nos jours... Ce n’est pas un cancer qui m’aura le plus rapidement, vous ne croyez pas?
- J’en suis certain. Il se pourrait même qu’un jour prochain je vienne moi-même vous faire la peau...”
Cordoba éclata de rire.
- “Ah... On ne m’avait pas menti à votre sujet... Vous êtes vraiment très courageux. Stupide, mais courageux.”
Largo fit de son mieux pour garder son sang-froid et pour ne pas lui sauter à la gorge. Tout ce qu’il lui importait, c’était de retrouver Joy, et une fois mort, il avait peu de chance d’y arriver.
- “Écoutez, Mr Cordoba. Vos affaires, je m’en fiche éperdument. Votre ville, également, c’est le cadet de mes soucis. Tout ce qui m’intéresse, c’est une femme. Et je ferai ce qu’il faudra pour la retrouver.”
Cordoba ne répondit rien et claqua des doigts. Un de ses hommes de main alla ouvrir une porte communicante avec le bureau du trafiquant et quatre hommes de mains en sortirent, portant par les épaules Kerensky et Simon, qui atrocement tabassés, traînaient sur leurs jambes, à peine conscients. Les hommes de main les lâchèrent et ils s’écroulèrent lourdement sur le sol, en sang. Largo eut un mouvement vers eux mais se rappela le contact froid du canon de revolver contre sa peau. Il s’abstint donc de tout mouvement tout en regardant ses deux meilleurs amis d’un air mélangeant l’inquiétude, la douleur et la rage.
- “Je crois que vos deux amis ont eu un accident... expliqua Cordoba. Ils ont eu beaucoup de chance de s’en sortir. Cette fois-ci.”
Largo ne répondit rien, le regard toujours fixé sur Simon et Kerensky.
- “La prochaine fois, Mr Winch, un nouvel incident pourrait leur être fatal. Aussi je vous conseille de rentrer chez vous à New York, jouer avec vos millions. Nous nous sommes bien compris?”
Largo leva ses yeux bleus enfiévrés vers son ennemi.
- “Vous avez le mérite d’exposer les choses très clairement, Mr Cordoba.”
Le vieil argentin sourit et fit signe à ses gorilles de virer Largo, Simon et Kerensky hors de sa villa.
La Casa Peligrosa
Dans le parc, début d’après-midi
Après avoir dormi de longues heures pour récupérer de son choc, Joy avait enfin pu obtenir de sortir prendre l’air et de refaire marcher ses muscles. Elle regarda attentivement autour d’elle, alerte, consciente de tout ce qu’il se passait, tous ses sens en éveil. Elle croisa les regards de certains de ces hommes armés qui la surveillaient de loin sans doute par peur qu’il lui arrive encore une autre de ces crises spectaculaires.
Mais Joy était assez loin de tout ça. Elle ne pensait plus à rien tentant de se fier à ses sens et à ses sentiments car elle était sûre d’une seule chose à présent: seuls ses sentiments, ses émotions qui la torturaient au plus profond d’elle-même pourraient l’aider à distinguer le vrai du faux, à comprendre ce qu’il lui arrivait. Elle respirait lentement, fermait les yeux, laissant les sentiments venir à elle, prendre le contrôle d’elle-même. Puis, pour la première fois depuis longtemps, la pilule que Youri lui avait confiée avant qu’elle ne sorte dans le parc, restée coincée sous le palet de sa langue, elle la recracha.
Elle l’examina, au creux de sa main, un long instant. Elle fut sérieusement tentée de la reprendre et de l’avaler, elle se sentait fiévreuse et tremblante à l’idée de ne pas en prendre, mais elle devait savoir. Oui, elle devait savoir pourquoi elle se sentait si malheureuse alors que tous prétendaient vouloir son bonheur ici. Elle devait comprendre pourquoi elle avait laissé cet homme coucher avec elle sans résistance alors qu’elle n’en avait pas envie. C’était plus fort que tout. Rien ne pourrait entacher cette nouvelle volonté. Elle ferma les yeux, prit son courage à deux mains, laissa tomber à la pilule à terre et l’y écrasa.
Une montée d’adrénaline s’empara d’elle en réalisant ce qu’elle avait fait et elle porta la main à sa bouche pour s’empêcher de crier. Pourquoi avait-elle fait ça? Elle ne pourrait pas l’expliquer avec des mots, mais même si c’était terriblement dur pour elle d’être privée de sa mixture qui la faisait se sentir si bien, elle sentait au plus profond d’elle-même qu’elle devait le faire.
Elle se le devait à elle-même.
Elle le devait à l’homme sans nom.
Hôtel Choza del Pescador
Un peu plus tard dans la journée
Largo aida à soutenir aussi bien qu’il le put Simon et Kerensky qui trébuchaient à chaque pas, peinant à retrouver leur équilibre. Une fois à l’intérieur de sa chambre double qu’il partageait avec Simon, il les déposa l’un après l’autre sur chacun des lits simples de la pièce. Puis il les regarda en grimaçant.
- “Je suis désolé, les gars... Ca va?
- Au poil... marmonna Simon, en crachant du sang.
- Je me sens comme à mes vingt ans...” dit à son tour Kerensky.
Largo soupira et leur lança un regard réprobateur.
- “Vous croyez vraiment que c’est le moment de faire de l’esprit?”
Le jeune homme se dirigea vers la salle de bain pour espérer trouver quelque chose qui les aiderait à désinfecter leurs plaies.
- “Bordel, y a rien ici! s’énerva-t-il.
- Regarde dans ma valise...” articula Simon en voulant se lever mais renonçant bien vite à cette idée saugrenue dans son état.
Largo émergea de la salle de bain et trouva un nécessaire à premier secours.
- “Ca ira? demanda-t-il.
- Mouais... Donne-moi ça... fit Simon. Je peux rêver mieux que toi comme infirmière...”
Largo se laissa tomber sur un fauteuil et observa Simon prendre ce dont il avait besoin dans la trousse de secours pour nettoyer ses plaies et lancer ensuite la boîte à Kerensky.
- “Non merci... marmonna celui-ci. Ce qu’il me faut à moi c’est trois aspirines et un gros sac de glace sur la tête...”
Largo se leva aussitôt et alla chercher ce qu’il fallait dans le distributeur à glaçons trônant dans le couloir de l’hôtel. Il en enveloppa une dizaine dans une sorte de chiffon et revint dans la chambre, tendant le tout à Kerensky qui se l’appliqua sur le crâne en soupirant de soulagement.
- “Bon Dieu ça fait du bien...
- Tout ça c’est de ma faute... soupira Largo en se prenant la tête dans les mains...
- Mais c’est rien... Aïe! cria Simon en se piquant avec de l’alcool à 90°.
- Tu disais? s’amusa Largo.
- C’est rien qu’un peu de tôle froissée... reprit le Suisse. On survivra, question d’un jour ou deux.”
Kerensky tenta de s’asseoir sur son lit et étouffa un gémissement.
- “Bljat! gronda-t-il. Je dois avoir une côte fêlée...
- Tu parles d’une troupe... soupira Simon en se détaillant et en détaillant Kerensky. Si Joy doit compter sur nous pour la sauver...
- Il va falloir appeler du renfort... marmonna entre ses dents Largo. Je vais essayer de contacter Charles Arden...
- Et en attendant?”
Largo se tut une minute.
- “Je ne bougerai pas de cette ville tant que je suis certain que Joy y est. Je me fous des menaces de Cordoba. Naturellement je le comprendrai si vous...
- Ahhhhhh! le stoppa Simon tout net. Ne continue pas cette phrase ou je te fais la tête au carré. Hors de question qu’on bouge, nous non plus.”
Largo sourit.
- “Merci les gars.”
Ses amis ne répondirent rien. Au bout d’une minute, Kerensky émit un grognement plaintif.
- “Quand j’y pense, c’est toujours les mêmes qui ont du bol... marmonna-t-il. Moi j’aurai pas de Loreena pour me chouchouter quand on rentrera à New York.”
Simon lui lança un regard noir.
- “Dis donc le ruskov? Je sais que t’as pas de vie privée, mais je te serai gré de ne pas te mêler de la mienne, non mais oh!”
Puis, il joignit le geste à la parole en lançant un oreiller sur le visage de Kerensky.
- “Hey! J’ai un mal de crâne carabiné moi!”
Largo soupira et sourit silencieusement tandis que se deux amis se chamaillaient.
- “On ne pourra pas dire que vous n’avez pas la tête dure tous les deux...” conclut-t-il simplement.
La Casa Peligrosa
A la nuit tombée
Joy bougeait et bougeait encore sans cesse au fond de son lit, elle avait de plus en plus froid et se sentait terriblement mal. Son cœur battait si vite qu’elle finissait par croire qu’il s’arrêterait bientôt. Elle se frottait énergiquement les bras pour essayer de se réchauffer, mais rien n’y faisait, elle était en état de manque. Elle finit par se lever et elle marcha de long en large dans la chambre, jetant un coup d’œil de temps à autres à Ophélie, qui dormait paisiblement à côté d’elle, sur un autre lit. Elle avait l’air si bien...
- “Je vais devenir folle... pensa Joy avec ce qu’il lui restait de cohérence. Je vais devenir folle si je n’en prends pas.”
Elle commença à se ronger les ongles, puis elle s’adossa au mur et se laissa tomber à terre, se balançant d’avant en arrière fébrilement, grelottant de froid, et une envie irrépressible de vomir la plongeant encore un peu plus au fin fond du gouffre. Au bord de la crise de désespoir, elle se releva en un bond, et attrapa sur sa table de chevet la pilule verte que Youri lui avait donné. Elle la serra entre ses doigts glacés et la porta à sa bouche sèche et déshydratée.
Elle lutta, elle lutta plus fort qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant et la serra encore plus fort entre ses doigts crispés, résistant à l’avaler. Elle se retourna pour contempler la lune au dehors, par la fenêtre, pour penser à autre chose, mais ça ne fonctionnait pas. Elle courut vers la salle de bain pour vomir et après avoir recraché ses tripes, elle fit couler le robinet d’eau et s’humidifia le visage avant de la boire goulûment. Puis elle regarda à la lumière blafard de la pleine lune son visage marqué et creusé par la fatigue et l’état de manque. Elle pensa à Jack, tout d’un coup et retourna sur le seuil de la salle de bain pour contempler son lit vide. Jack lui manquait tellement. Elle avait si peur pour elle.
- “J’ai peur de mourir Joy...” lui avait-elle dit.
Avait-elle raison? Voulaient-ils vraiment la tuer? Etait-elle encore en vie?
Une leur de panique traversa le regard de Joy. Et dire qu’elle avait refusé de l’aider. Aussitôt, elle laissa tomber sur la moquette la pilule verte qu’elle serrait entre ses doigts et courut hors de sa chambre, son cœur s’affolant. Elle se rua dans les couloirs de la maison précipitamment espérant retrouver le chemin de la cave mais fut bientôt stoppée dans son élan par le retentissement d’une alarme et entendit du bruit dans les escaliers peu après. Elle prit peur et se cacha dans un recoin sombre du mur, examinant Felipe, accompagné de ses hommes, qui leur donnait des ordres d’un air sévère. Puis des domestiques arrivaient de toutes parts et s’affairaient afin de fermer à clé les portes de toutes les chambres. On voulait empêcher de sortir les filles réveillées par l’alarme.
Joy, de plus en plus intriguée, suivit discrètement un des hommes de main de Felipe auquel ce dernier avait ordonné d’aller près du générateur. Celui-ci, une fois posté près de l’engin, qui se trouvait à l’extérieur de la villa, posa son index sur la gâchette de sa mitraillette, prêt à faire feu au moindre mouvement suspect. Joy, planquée derrière la porte de service entrouverte, menant au générateur, l’observait en fronçant des sourcils, se demandait vraiment quelle était la raison de leur agitation et elle comprit lorsqu’elle aperçut, à travers la mince fente de la porte Jack, qui avait apparemment réussi à quitter la cave où elle était prisonnière, et qui courait comme une folle à travers le parc, en direction des grilles encerclant la propriété.
- “Oh Mon Dieu...” pensa Joy en comprenant que la jeune femme voulait s’enfuir.
Elle commença sérieusement à paniquer pour elle, d’autant plus que le garde la repéra et armait sa mitraillette dans sa direction pour lui tirer dessus. Joy, dans un élan instinctif qu’elle ne s’expliquait pas, se jeta alors sur lui, empoigna sa mitraillette qu’il portait en bandoulière autour du cou et l’assomma violemment au crâne avec la crosse de celle-ci. Le garde tourna de l’œil et s’écroula à terre, sans que Joy n’arrive à comprendre comment elle était capable de faire ça à un homme. Elle fut assaillie d’une dizaine d’instantanés successifs où elle se revoyait se battre contre des hommes et capable d’exploits bien plus impressionnants que celui-ci encore. Elle fut prise d’une de ces violentes migraines, à nouveau, mais se reprit bien vite en réalisant que Jack allait tenter d’escalader les grilles de la propriété.
- “Haute sécurité... murmura-t-elle. Elle va mourir électrocutée.”
Joy prit une grande respiration et se jeta vers le générateur pour le débrancher un tirant d’un coup sec sur la grosse manette alimentant toute la propriété. Elle retint son souffle puis regarda à nouveau dans la direction de Jack qui escaladait sans difficulté la haute grille, précipitamment et regardant dans tous les sens, terrorisée, puis, une fois de l’autre côté, qui se mit à courir comme une folle, pour s’éloigner au plus vite de la propriété. Quelques instants plus tard, une voiture remplie des hommes de Felipe quitta à son tour la villa pour se lancer à sa poursuite. Joy ferma les yeux, priant pour qu’ils ne la rattrapent jamais et rentra précipitamment à l’intérieur de la maison, craignant que quelqu’un ne la surprenne.
- “Réussis Jack... pensait-elle. Fais-le pour moi.”