UNE RIVIERA POUR JOY
Neuvième partie



Le soleil venait de se coucher. La jeune femme, ligotée sur la chaise, avait assisté au ballet flamboyant du crépuscule grâce à la vue qui donnait au sud. Personne n'était venue la voir depuis que « Jim » l'avait quittée le matin. Elle avait entendu de l'activité depuis, le bruit de chaussures sur des graviers, des rires, des conversations dans une langue inconnue. Rien qui lui aurait permis de comprendre exactement ce qu'elle faisait ici.
Elle se doutait pourtant de ce qui se passerait d'ici peu. Jim voulait lui arracher des renseignements. C'était la seule raison pour laquelle elle vivait encore. Il alternerait les récompenses et les punitions jusqu'à ce qu'elle cède. Il ne comptait pas la torturer brutalement, sinon il aurait déjà commencé. Il procèderait autrement. Ses actes, la moindre de ses paroles seraient destinés à l'affaiblir.
Elle avait bien tenté de s'échapper, mais ses liens étaient trop bien assurés. Elle n'avait réussi qu'à s'entailler un poignet. De toute façon, l'omniprésence des hommes de main rendait toute fuite en plein jour suicidaire.
Elle entendit des pas dans l'escalier qui menait à sa pièce. Jim entra derrière elle.
- Joy, ma chère. J'espère que vous avez passé une excellente journée. Je sais que cela vous paraît long, mais croyez-moi, c'est nécessaire. « Tout vient à point à qui sait attendre ». Je vous promets que vous ne serez pas déçue.
Il parlait avec un ton guilleret.
- Je vous ai amené un peu d'eau, reprit-il en passant devant elle.
Il tenait une gourde à la main. Il lui ôta son bâillon, déboucha la gourde et la porta aux lèvres de la jeune femme. Joy but goulûment. C'était peut-être une bêtise, mais elle était assoiffée et déshydratée. Son geôlier la laissa faire. Elle s'arrêta lorsque la gourde fut vide. Elle voulut parler, mais il lui remit son bâillon avant qu'elle ne prononce le moindre mot.
- Voilà. C'est bien. Je ne veux pas qu'il vous arrive quoi que ce soit avant que je ne le décide. Je vous ai préparé une surprise.
Il fit basculer sa chaise en arrière et la tourna à cent quatre vingt dix degrés. Joy faisait maintenant face à l'autre baie vitrée. Elle donnait sur un entrepôt généreusement éclairé. Elle plissa les yeux, la lumière était trop vive.
Jim parla dans une langue étrangère, trois mots murmurés qui n'étaient pas destinés à sa prisonnière. L'éclairage de l'entrepôt se réduisit brusquement à un disque de six ou sept mètres de diamètre au centre.
- Un spectacle pour vous toute seule.
Joy frissonna. Jim lui avait donné à boire. Maintenant venait le bâton.
- Je veux que vous sachiez à quel point votre coopération m'est précieuse. Rien ne me ferait plus plaisir que de vous faire confiance. Mais je ne peux pas me reposer sur ce que vous me direz. Pas encore.
Il se redressa et se tint très droit à côté de sa prisonnière. Il semblait vouloir donner une forme cérémonieuse à ce qui allait se passer. Il murmura quelques autres mots étrangers et en bas, dans l'entrepôt, des hommes firent leur apparition sur la périphérie du disque de lumière. Ils étaient grands, musclés et portaient des complets noirs. Une parfaite caricature. C'étaient les individus qui les avaient poursuivis.
Joy se rendit soudainement compte qu'elle voyait parfaitement la scène. Ce n'était pas comme le lever et le coucher de soleil qui avaient été coupés par le mur. Jim voulait qu'elle assiste à son petit spectacle et qu'elle en saisisse tous les détails.
Elle perçut de l'activité en bas. Deux gorilles amenèrent une forme humaine au centre de la « scène ». Ils l'y jetèrent violemment. Joy retint un sursaut. Simon ! C'était Simon ! Sale, affaibli, les yeux bandés et les poignets attachés. Pourquoi n'avait-il pas été à l'encontre de sa nature ? Pourquoi n'avait-il pas fui, comme elle l'avait souhaité. Pourquoi ne l'avait-il pas compris ? La jeune femme pressentit ce qui allait suivre. Elle le redouta plus qu'une simple exécution.
- Regardez bien, mademoiselle Arden. Et surtout, ne fermez pas les yeux. Je le ferais assassiner dans la seconde.
Trois gorilles s'avancèrent. Deux se saisirent de Simon, le troisième lui enfonça son poing violemment dans l'abdomen. Le Suisse retint un cri. Les yeux bandés, il n'avait pas vu le coup venir. Les mains liés, il ne put que se débattre faiblement. Les brutes ne le remarquèrent probablement pas. Un autre coup vint, puis un suivant, et encore un autre. Ils frappèrent ailleurs aussi. Sans pitié.
Joy serra les dents. De son point d'observation privilégié, elle percevait tous les détails du passage à tabac. Surtout le visage de Simon rapidement figé dans un rictus de douleur ininterrompue et d'incompréhension.
Elle aurait parlé. Elle le savait. Mais son tortionnaire ne lui en laissait pas la possibilité. Il paraissait fasciné par sa victime, les soubresauts de résistance qui le prenaient parfois, la volonté qui l'habitait encore. Muette et impuissante, Joy se concentra alors pour garder les yeux ouverts et dans la bonne direction. Il lui fallait sauver cette vie, pour un temps au moins.
Le temps passa, chaque seconde comme une année, chaque minute comme une éternité, chaque coup lacérant son être. Ils lâchèrent enfin Simon. Le suisse retomba sur le sol, quasi inconscient. Il remua faiblement les jambes, puis ne donna plus signe de vie. Même sa poitrine paraissait immobile.
Jim se pencha vers elle, tout prêt de son oreille, et murmura dans un souffle :
- Nous allons le laisser récupérer toute la nuit. Deux heures avant le lever du soleil, nous irons le déposer près d'une habitation où les gens le trouveront quand ils iront travailler. Ils l'emmèneront à l'hôpital. Il faudra un peu de temps avant qu'il ne reprenne conscience.
L'homme laissa son discours en suspens et quitta la pièce. Ses pas résonnèrent dans la cage d'escalier. Joy n'y prêta pas attention. Elle guettait la marionnette inanimée au milieu du cercle de lumière. Elle surveillait sa respiration, son visage, le moindre soubresaut de son corps.
Puis cela vint. La rage. Animale, impérative. Joy se redressa brutalement, saisie par l'adrénaline et la chaise suivit dans un craquement pénible. La jeune femme insista, tendit son corps plus fort, banda ses muscles de plus en plus violemment. Elle s'arqua au point de faire hurler la chaise qui ne céda pas. Ses forces la quittent quasi instantanément. Elle s'affala lourdement, trop fatiguée, trop à bout.
Tandis qu'elle reprenait son souffle, retenant ses larmes et entretenant sa colère, son regard tomba sur Simon. Il bougeait faiblement. Elle comprit alors le plan machiavélique de Jim.






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