UNE RIVIERA POUR JOY
Vingt-et-unième partie



Jim s'était tu. Il observait le lever du soleil. Il tournait fréquemment la tête pour s'assurer de son état. Son visage marqué par des années de baroud exprimait la patience inhérente aux longues attentes.
Une fusillade éclata soudain. Elle était proche. Joy retint une exclamation de joie, mais le bâillon l'aurait de toute façon étouffée. Son corps soudainement tendu trahissait son excitation. La boîte qui gisait à ses pieds était encore fermée. Ses amis l'avaient trouvée avant l'heure.
"Calmez-vous, ma chère, fit Jim en s'agenouillant près d'elle. Il ne s'agit probablement que de promeneurs."
Il porta la main à son oreillette et ouvrit les yeux de surprise.
"Je vous présente mes plus humbles excuses. La cavalerie est en avance."
Il sourit, affable, et caressa la joue de sa prisonnière. Joy lui envoya un regard batailleur : « je le sais ».
"- Et bien, que le spectacle commence !" murmura t-il.
Il se releva avec vivacité, fit basculer la chaise de Joy en arrière et lui imprima un demi-tour. L'entrepôt en contrebas était chichement éclairé, mais ce fut suffisant pour apercevoir des hommes de main prendre position derrière des caisses qu'elle n'avait pas aperçues la veille dans l'obscurité.



Georgy les avait prévenus. Leurs ennemis tenteraient de les rabattre vers le côté opposé à la cellule de Joy. De l'avis de Largo, ça marchait rudement bien. Chaque fois qu'il voulait aller dans une direction, il se trouvait contraint d'en choisir une autre. Et à présent, il se trouvait du mauvais côté du bâtiment.
Il se releva et courut jusqu'à la ramure dénudée d'un buisson, près du mur. C'était une protection dérisoire, mais il n'était plus qu'à quelques pas de son objectif.
Puisque les méchants ne voulaient pas de lui à l'entrée principale, il emprunterait la porte de service. Il ne restait plus qu'à trouver un moyen de l'ouvrir sans se faire tirer comme un lapin. Dire qu'il ne pouvait même pas demander à Simon de lui procurer une diversion !
Une violente explosion balaya brusquement les piètres stratagèmes qu'il passait en revue. Instinctivement, il se plaqua contre le mur. L'explosion fut suivie du fracas d'une chute, comme celui d'une voiture broyée par un camion.
Largo réalisa soudain que la fusillade s'était arrêtée. C'était le moment ou jamais ! Il se précipita vers la porte. Calant son arme entre son bras et sa poitrine, il glissa ses ongles et l'extrémité de ses doigts dans un interstice et entreprit de tirer sur le battant.
C'était une porte de sécurité métallique, épaisse, qui avait mal travaillé avec le temps. Elle grinça sans bouger. Largo raffermit sa prise. Il tira encore plus fort, faisant appel à toutes ses ressources, mentales et physiques, pour enjoindre le battant à céder. Il posa un pied contre le mur et força violemment sur ses muscles et son dos.
La porte capitula brusquement, sans aucun signe avant-coureur. Elle s'ouvrit en grand. Largo fut projeté en arrière à deux ou trois mètres.
Il se redressa sur les coudes, observant l'ouverture béante sur une obscurité poisseuse. Il ne connaissait rien, ou presque, en serrurerie, et espérer que cette entrée soit tout simplement non verrouillée était à peine moins fou que le plan de Georgy.
Un coup de feu éclata, suivi d'un second. La fusillade reprenait. Largo se releva à toute vitesse et se précipita vers le trou noir qui le mènerait à Joy. Il stoppa soudain net, fit demi-tour, courut ramasser son arme et se retourna aussi sec vers le bâtiment.
Une balle fit éclater le vieux ciment de l'embrasure à quelques centimètres au dessus de sa tête alors qu'il gagnait l'abri des murs.




Accroupi contre le mur, Georgy écoutait : deux respirations, donc deux hommes. Il aurait bien jeté un oeil, mais il n'avait plus la vivacité de ses vingt ans. Il aurait probablement été repéré. Pourtant, il devait passer devant cette porte.
Il se trouvait près de l'entrée du bâtiment. A tout instant, des hommes armés pouvaient faire irruption et c'en aurait été fini de lui.
Le Russe devait prendre des risques.
« Bah, un de plus, un de moins. », songea t-il.
Il tendit le bras pour ramasser un fragment de ciment, dans l'idée de créer une diversion. A cet instant précis, une explosion d'une violence inouïe arracha la porte d'entrée et souffla Georgy.
Le Russe fut propulsé dans le couloir comme une poupée désarticulée. Il retomba lourdement sur les gravats et les éclats de verre qui jonchaient le sol.
« Quoi que ce fût, c'était rudement proche. », pensa t-il, avant de se relever.
Avec un peu de chance, les hommes qui occupaient le petit local ne l'avaient pas aperçu ou avaient été aussi malmenés que lui par l'explosion. Mais il savait par expérience que la chance était rarement au rendez-vous. Aussi devait-il agir, se cacher ou attaquer, très vite.
A peine avait-il basculé pour se relever qu'un cuisant élancement dans l'épaule gauche lui arracha un hurlement de douleur. Il bascula sur le côté droit et se remit debout en s'appuyant sur le mur.
" Autant pour la discrétion", marmonna t-il, les dents serrées, en ramenant son bras meurtri contre sa poitrine.
Le sol crissa près de lui. Il se retourna brusquement et aperçut un jeune homme, un peu moins de trente ans, le type arabe, costume Cerruti et lunettes mode. Une blessure saignait abondamment à la tête. Il tenait une arme à la main qu'il ne tenait pas très fermement. Perdu pour perdu, Georgy se jeta sur lui.



Penolo décida de changer de position. Cela devenait vraiment trop dangereux, ici ! Il avait couvert Largo et Georgy pour qu'ils entrent dans le bâtiment.
Tout ne s'était pas déroulé comme prévu. Le Russe avait pu entrer, mais Largo avait dû battre en retraite derrière la bâtisse, là où Penolo ne voyait plus rien.
Désormais, il constituait la seule cible pour les « gars d'en bas » qui, d'ailleurs, s'en donnaient à coeur joie. C'était une excellente raison pour déménager.
L'Espagnol recula de quelques mètres pour sortir des haies. Entre la rosée du matin et la pluie des jours précédents, la végétation regorgeait d'humidité. Il n'avait pas envie de terminer avec les chaussettes bonnes à essorer.
Sitôt sur le chemin, il courut, cassé en deux, pour gagner une position située cinquante mètres plus loin. Il y serait mieux protégé et donc, il tiendrait plus longtemps face aux hommes qui détenaient Joy.
Soudain, une explosion monumentale couvrit le bruit de la fusillade. Instinctivement, il se jeta par terre et se couvrit la tête de ses mains. Puis vint le silence marqué par le bruissement du vent dans les arbres et les haies. Les oiseaux ne chantaient pas. Il y avait longtemps qu'ils avaient déménagé.
Penolo sortit la tête de la boue du chemin. Plus personne ne tirait. Il se hâta vers sa nouvelle planque. Une fois arrivé, il constata avec stupéfaction le retournement de situation.
Un engin, probablement une moto, brûlait juste devant l'entrée du bâtiment où Georgy avait disparu une minute auparavant. Un homme se tenait là où Largo et le Russe avaient marqué un temps d'arrêt avant de se séparer. Il essuyait les tirs nourris de l'ennemi.
Penolo était trop éloigné pour distinguer ses traits, mais il avait une idée sur la question. Il sortit son arme et entreprit de couvrir le nouvel arrivant. Quelques minutes plus tard, l'inconnu se soustrayait à ses assaillants par le même chemin que Largo.




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