UNE RIVIERA POUR JOY
Dix-neuvième partie


Un grincement sinistre le tira de sa torpeur. Puis il sursauta subitement. Il s'était endormi ! Il attrapa son automatique et se leva, immédiatement alerte et dangereux. Avant de quitter son poste, il jeta un oeil sur l'écran. Centre d'études céréalières du Middle West : 7; Kerensky : 0. Il avait encore échoué.
Il se précipita vers la cuisine, plongée dans l'osbcurité, et prêta l'oreille aux grincements du plafond. Quelqu'un se déplaçait dans le grenier. Un courant d'air frais provenait de l'entrée.
Georgy nota soudain la présence de documents poussiéreux sur la table de la cuisine. Il se saisit du premier de la pile. C'était une carte de randonnée similaire à celles sur lesquelles ses compagnons avaient travaillé tantôt. Elle avait au moins vingt ans d'âge et sentait fortement le moisi.
Les grincements changèrent de tonalité; l'intrus quittait le grenier. Georgy lâcha la carte et se plaqua contre le mur près de l'entrée de la cuisine, de façon à surprendre le visiteur inopiné.
Quelques secondes plus tard, il vit passer une forme claire les bras chargés d'autres cartes et de plusieurs annuaires qui puaient autant que les précédents. Le russe tendit le bras et alluma le plafonnier de la cuisine.
Il fut stupéfait de découvrir Cécile pieds nus en nuisette à nounours roses. La jeune femme s'immobilisa, la bouche ouverte de surprise. Elle fixa d'abord l'arme que Georgy pointait sur elle, puis leva ses yeux très clairs sur lui.
"Monsieur Kerensky, pourriez-vous avoir l'obligeance ...", commença t-elle d'une voix étranglée
Le russe baissa immédiatement son arme. La respiration de la jeune femme reprit instantanément son cours normal.
"Vous auriez dû me réveiller, fit-il doucement.
Vous avez besoin de sommeil."
Elle resserra la pile de cartes contre sa poitrine. Sa nuisette remonta sur ses jambes de trois ou quatre centimètres. Le rouge lui monta aux joues.
"Vous devriez poser tout ça sur la table.
Oui, mais ... c'est que ... vous voyez bien ... ", bafouilla t-elle.
Ses yeux restaient fixés sur son interlocuteur. Ils trahissaient le besoin éperdu de ne pas être là et le considérable effort de volonté qui contrecarrait cet instinct.
Georgy sourit. Cécile Thompson était désemparée. Il aurait eu de la peine à le croire s'il ne l'avait vu lui-même. Il sortit de la cuisine d'un pas tranquille. Sitôt le dos tourné, il entendit les cartes et les annuaires tomber sur la table. Des pieds nus pressés de regagner leurs confortables chaussons martelèrent le couloir aussitôt après.
Georgy retourna dans la cuisine et entreprit de tirer les cartes par numéro IGN. Les plus récentes dataient des années quatre-vingt. Ce faisant, il repensa à sa jolie secrétaire. Au milieu de la nuit, elle avait eu l'inspiration à la fois géniale et outrageusement bénigne que le lieu qu'ils cherchaient était trop ancien pour figurer sur un annuaire récent ou même sur une carte détaillée. Elle en avait été excitée au point d'oublier sa sempiternelle pudeur pendant quelques instants.
Georgy songea aussi qu'elle avait de bien jolies jambes. Certes, il y avait cette cicatrice à l'intérieur de sa jambe gauche. C'était une entaille profonde qui paraissait difficile à dissimuler. Etait-elle la conséquence d'une jeunesse tumultueuse ou plus banalement la séquelle d'un quelconque d'accident ?
Il secoua violemment la tête. Il divaguait alors qu'il aurait dû se concentrer sur les études céréalières du Middle West américain. Il contempla la pile de cartes. Cécile s'engageait totalement dans cette sale affaire. Pourtant, Joy et elle se connaissaient peu et maintenaient même une certaine distance. C'était probablement une question de caractères.
Qu'escomptait-elle obtenir en retour ? L'avancement n'était pas envisageable. Quant à l'estime du chef, au vu de ses rapports avec Largo, elle n'y prétendait pas. Le fait était qu'elle ne calculait pas ses actes. Dans le cas contraire, elle ne se serait pas retrouvée pieds nus dans la cuisine.
Il feuilleta rêveusement les annuaires. De la poussière noire voleta lourdement des pages vers les plans de travail.
"Mon intuition me susurre que la réponse est là dedans."
Elle était revenue. Ses cheveux ébouriffés et son pull de travers témoignaient de sa hâte à se mettre au travail.
"Avez-vous une idée du nombre d'entreprises qui ont ouvert ou fermé boutique en trente ans ?
Je trouverai. Et vous, vous ne mangez pas assez."
Elle faisait allusion aux crêpes qu'elle lui avait préparées et qu'il n'avait même pas goûtées. Il retint un soupir d'exaspération.
"Ne réveillez pas Monsieur Winch et Monsieur Modrillas. Je n'en ai que pour une heure ou deux et cela n'ira pas plus vite avec leur aide."
Cécile lui paraissait bien trop optimiste, aussi Georgy préféra ne pas la contredire. Il sortit de la cuisine, signifiant tacitement son accord.
Il sentit alors le courant d'air frais provenant de l'entrée. La trappe menant au grenier était ouverte, une lampe de poche posée sur l'une des marches de l'escalier amovible. Il déplaça la lampe sur un meuble voisin et rétracta l'échelle. Puis il retourna dans le salon et se replongea dans les méandres du système informatique qui lui résistait depuis plusieurs heures.




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