UNE RIVIERA POUR JOY
Dix-huitième partie



Le retour s'effectua en silence.
Sitôt rentrés, Penolo et Largo informèrent John et Georgy des mésaventures de Simon. Pendant ce temps, Cécile dénicha des cartes de randonnées et un annuaire. Les recherches s'organisèrent. Narquois, le russe préféra la voie informatique.
Vint l'heure du repas et John se dévoua pour la corvée. Il avoua à mots couverts que les lettres dansaient devant ses yeux et qu'il avait besoin d'une pause. Anxieuse, Cécile invoqua maints prétextes pour papillonner dans la cuisine. Laisser une poêle remplie d'huile chaude dans les mains d'un cador de la finance bousculait son sens des convenances.
Le dîner passa, il n'y eut aucune indigestion à déplorer, et aucun indice n'apporta sa parcelle d'espoir.
John Sullivan abandonna le premier. L'annuaire avait été lu, relu et analysé encore, les cartes avaient été griffonnées et chiffonnées au point d'en être illisibles. Toutes les entreprises ne figuraient pas dans les pages jaunes, mais même les listes on ne peut plus complètes des chambres de commerce de Nice, Menton, Grasse et même celle de Sophia Antipolis qui n'avait pourtant pas grand chose à voir avec l'entreprise recherchée, s'étaient avérées inutiles.
Une fois John parti, Largo et Cécile reprirent tout depuis le début pendant que Penolo établissait la liste des sites qu'ils visiteraient le lendemain. Georgy s'attela à l'obtention d'une carte botanique précise de la région, tout en maintenant une sévère vigilance téléphonique et satellite.
Hélas ! Adresse après adresse, lieu après lieu, malgré les murmures studieux et acharnés, l'existence de Joy s'effilochait et leur échappait. Largo s'effrondra sur une chaise, à bout de courage et de volonté.
"Allez vous coucher, Monsieur Winch.
Non, il faut continuer", marmonna le jeune homme.
"Monsieur Modrillas et vous devrez visiter ces usines demain matin", fit Cécile en désignant la liste que Penolo vérifiait. "Vous êtes réputé pour manipuler des armes à feu. Le manque de sommeil est fortement déconseillé dans ces cas là."
"Il faut continuer, nous avons manqué quelque chose.
Non, monsieur Winch, nous n'avons rien manqué. Mademoiselle Arden se trouve ailleurs."
Largo se releva brusquement.
"Alors pourquoi explorer la région si les adresses de Pen ne valent rien ?
Vous trouverez peut-être un endroit qui n'est signalé sur aucune carte ou aucun panneau routier et cet endroit sera celui que nous recherchons. Au point où nous en sommes, arpenter les montagnes est la meilleure solution pour le moment. Il est hors de question d'abandonner. J'expliquerai l'affaire à monsieur Sullivan. Monsieur Cardignac et lui s'occuperont du contrat Someta. Allez vous reposer."
Le ton ferme de la secrétaire balaya toute velléité de protestation. La jeune femme se tourna ensuite vers Penolo qui obtempéra immédiatement, puis vers Georgy. Le russe lui adressa un sourire effronté. Cécile soupira puis avant qu'elle n'ait entrouvert ses lèvres, le russe murmura :
"C'est non. Même pas la peine d'y penser ou je vous colle la fessée.
Vous n'avez même pas dormi dix heures au cours des deux derniers jours !" S'exclama t'elle.
"Et je dormirai encore moins. Je me trouve au beau milieu d'une attaque informatique, le piratage, précisa t-il, d'une organisation gouvernementale américaine qui conserve des clichés satellites d'une précision record et des cartographies thématiques de toute la planète sur les sujets les plus extravagants. Votre « petit houx » pourrait bien en faire partie."
Cécile ne répondit pas immédiatement. De l'indignation, son beau visage passa à la résignation.
"Je vous prépare du café et des crêpes.
Le café suffira."
Elle rétorqua froidement :
"Café et crêpes."


Un : libération. La porte s'ouvre. Le vent quasi-immobile fouette son visage et ses jambes dont la sensibilité s'est trouvée exacerbée par plusieurs jours d'enfermement. Senteurs arborées. Ivresse.
Deux : obscurité insuffisante. La porte donne à l'est.Le soleil va bientôt se lever. Austère, il annonce son arrivée par un modeste dégradé qui va du bleu nuit à une nuance si claire qu'on dirait du jaune. Le dégradé occupe tout le ciel. Le grand événement est pour dans quelques minutes. Joy sait que sa silhouette offrira à ses kidnappeurs le spectacle d'une ombre chinoise, autrement dit une cible facile. Qu'importe, elle tente quand même sa chance.
Trois : chaleur. Celle de l'espoir fou, celle de ses membres endoloris et harassés qui se meuvent, celle de son coeur qui s'accroche aux yeux de ses proches. Largo, Simon et Georgy lui paraissent soudain nimbés de perfection. Même ces petites choses qui l'agacent, les blagues idiotes, le cynisme, les expressions libertines, l'appellent. Libre, libre, libre. Quatre : un pas de plus. Stupéfaction. Le vent chargé d'humidité lui glace les os. Le spectacle, c'est pour elle qu'on le donne. Le soleil jaillit derrière les reliefs et les ombres apparaissent. Ils sont neufs ? Onze ? Elle ne sait plus compter. Ils l'attendaient. Elle est leur invité d'honneur.
Cinq : humiliation. On lui permet de se laver et de se restaurer. On devrait la punir, mais on la récompense. On la récompense sous forme d'humiliation. La vitre de la douche est transparente et les regards lubriques des gardes la caressent sans relâche. La nourriture est excellente, mais le goût du médicament est trop fort. Elle a besoin de reconstituer ses forces. Elle a trop faim pour résister. « On » se présente. C'est un homme de trente ans. Costume, cravate et lunettes de marque. Cela dépare sur son teint naturellement foncé. L'endroit ne lui plait guère, mais c'est lui qui l'a choisi. Il est le maître d'oeuvre de cette opération. Il parle, il parle, ...
Six : mort et désolation. Joy perd son interlocuteur. De toute façon, elle ne se souvient plus de son nom. Jim clame, ironique : « vive les bonnes vieilles méthodes ! ». Il range l'arme du crime, Joy note que c'est la sienne. Ca y est ! Il n'est plus le pion frustré, il est (re)devenu le chef et les brutes autour approuvent. Soudain, tout devient fou, le temps remonte, les mouvements s'enchaînent dans une esthétique à rebours et quelques secondes plus tôt, la détonation retentit. Elle voit le jeune homme tomber. Lorsqu'il touche terre, elle se réveille.



Sa joue gauche s'était enflammée. Elle n'eut pas le temps de se préparer que la joue droite subissait un choc encore plus violent. Jim lui rappelait qu'elle n'avait pas le droit de dormir. Elle rouvrit les yeux pour que cela s'arrête.




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