UNE RIVIERA POUR JOY
Dix-septième partie
Lorsque Largo et Penolo revinrent à la voiture, la secrétaire n'était pas là. Ils durent patienter une demi-heure et chaque minute qui passait intensifiait la fureur de Largo. Cécile fit enfin son apparition, un livre serré sur sa poitrine. Son visage trahissait une certaine satisfaction. Elle monta immédiatement à l'arrière du véhicule et boucla sa ceinture sans consulter ses compagnons.
Puisque vous avez l'impudence de nous faire attendre sans aucune raison, mademoiselle Thompson, vous conduirez, lâcha Largo sèchement.
Ce ne serait guère prudent, monsieur Winch. Je n'ai pas le permis, répondit la jeune femme sans se départir de son expression de contentement.
Largo explosa. Le calme souverain de son interlocutrice avait égratigné une fois de trop la sphère de son autorité. Le milliardaire n'était pas homme à rappeler sa position, mais la douce aura de plénitude de sa subordonnée se révéla soudain comme la plus détestable manifestation de dédain et de supériorité qu'il eût jamais rencontrée. Cette maîtresse femme reléguait Michel Cardignac au rang d'enfant de choeur.
"Qu'est-ce que vous foutiez ?" énonça Largo d'une voix de glace, sachant qu'elle abhorrait la vulgarité.
Cécile ne répondit pas immédiatement. Elle posa son livre avec maintes précautions sur le siège voisin, puis déboucla sa ceinture et descendit de la voiture. Elle se planta devant Largo.
"Mes faits et gestes ne semblaient guère vous intéresser jusqu'à présent, monsieur Winch. Encore moins mes motivations."
Sa voix ne recelait aucune animosité, ni aucune joie. Elle était parfaitement neutre.
"Qu'est-ce que vous foutiez ?" Répéta Largo, sensiblement plus calme.
"Je récupérais un livre."
Largo l'incita à continuer du regard, mais elle ne réagit pas.
"Et ?"
Un mince sourire apparut sur les lèvres de la jeune femme. Elle fit deux pas en arrière et reprit, d'une voix chaude :
"Les personnes qui ont amené monsieur Ovronnaz à l'hôpital se trouvaient dans la salle d'attente. Elles souhaitaient connaître son état. Le médecin a bien entendu refusé de leur parler, mais je me suis permise de leur donner satisfaction."
La remarque fut ponctuée d'un regard lourd de reproches de Largo. Il n'appréciait guère qu'elle parle de son meilleur ami à de parfaits inconnus. Et puis, il aurait apprécié de rencontrer ces personnes. Aux yeux noirs du multi-milliardaire, Cécile rétorqua par un court, mais perceptible instant de silence.
Penolo, resté en retrait, observait Cécile et la façon dont elle allait, manifestement, amadouer son employeur.
"Il se trouve également que monsieur André Sertal consacre ses loisirs au jardinage et qu'il est fort averti en la matière."
Elle se donna encore une fois le luxe d'une pause muette. Ni Largo, ni Penolo ne songèrent à l'interrompre.
"Monsieur Sertal avait remarqué une baie écrasée dans les vêtements de monsieur Ovronnaz et il ne s'est rappelé sa nature exceptionnelle que tard dans l'après-midi. C'était aussi la raison de sa présence en ville. Il venait faire part de cette information à la police."
Largo fixa la secrétaire de Sullivan, toute trace de colère à son égard envolée. Penolo intervint :
"Le livre ?
Oui. Un vrai coup de chance. Je me suis rendue dans le centre ville et j'ai trouvé un marchand de journaux ouvert. Il n'avait pas de livres traitant de la question, mais un ami à lui tient une librairie. Cette personne a gentiment accepté d'ouvrir sa boutique.
Spontanément ? Mais vous lui avez tourné la tête ou quoi ?"
Les traits de la jeune femme devinrent insensiblement plus durs. Le scepticisme de Largo l'avait blessée, mais elle tenta de n'en rien montrer.
"Je lui ai fait part de l'enjeu de la question, en particulier en ce qui concerne mademoiselle Arden. Et j'ai promis de ramener le livre en parfait état. Cette plante ne pousse que dans des endroits très particuliers. Ce livre nous aidera à déterminer le lieu de détention de monsieur Ovronnaz et donc, très probablement, celui de mademoiselle Arden."
Largo se sentit soudain penaud, voire misérable. Sullivan l'avait pourtant prévenu : "Elle a beaucoup de caractère et aime son indépendance. C'est ce qui la rend tellement efficace. " Mais pouvait-il reconnaître son erreur ?
"Et l'usine ? Simon avait de la vieille huile sur son pantalon, fut tout ce qu'il trouva à rétorquer
Il y a énormément de sites de ce type dans la région", répondit-elle d'un ton égal.
"Divination", lança Pen ?
"Non, les « gens du cru »".
Largo se félicita aussitôt de ce qu'un sursaut d'orgueil l'eût retenu de s'excuser de son mauvais jugement. La jeune femme ne semblait pas apprécier la faiblesse, elle s'accommodait mieux des caractères affirmés. La paix s'en trouva implicitement signée.
Alors qu'ils montaient dans la voiture, Penolo se tourna vers Cécile :
"Comment avez-vous fait pour accéder à la chambre de Simon ?
Le médecin qui a aidé les Sertal m'a prévenue par téléphone. Il a placé un petit mot à la réception des urgences pour moi. La police souhaitait conserver une certaine discrétion à son sujet, aussi il a été inscrit de façon anonyme sur le registre de l'hôpital.
Pourquoi ne pas nous l'avoir expliqué plus tôt, Cécile ?" fit Largo.
Un voile blanc passa sur les iris de la jeune femme et elle rétorqua d'un ton à glacer l'échine :
"Mes faits et gestes ne semblaient guère vous intéresser jusqu'à présent, monsieur Winch."