UNE RIVIERA POUR JOY
Quinzième partie



Largo pesta. Pen ne broncha pas, mais il était au moins aussi dubitatif que Largo était furieux. Non seulement Cécile s'était faite avoir, mais en plus, elle disparaissait sans crier gare. Pour compléter le tableau, ils étaient dans l'enceinte d'un centre hospitalier et ne pouvaient pas se servir de leurs téléphones portables.
Pen observa son compagnon. Largo lui renvoyait sa propre image quelques heures plus tôt, lorsque le milliardaire avait fait son apparition dans la salle à manger de la confortable villa de l'arrière-pays niçois, avec un air parfaitement innocent sur le visage. Il y avait une raison à la pseudo-disparition du jeune homme, mais sur le coup, la fureur de Penolo aurait déraciné les arbres.
- Calme-toi, Larg'.
- Elle va me le payer, cette ...
- Lécheuse de pompes ?
- Oui !
Pen considéra son compagnon quelques secondes.
- Tu te trompes du tout au tout, asséna t-il calmement.
Largo ne répondit pas immédiatement. Un groupe de personnes endimanchées, de quatre à soixante-quinze ans, passa à côté d'eux, un air suspicieux sur leur visage.
- La chouchou de Sullivan s'est lamentablement plantée, insista t-il dès que la famille se fut suffisamment éloignée.
- Non, Largo. Tu lui en veux parce qu'elle donne l'impression de diriger son petit monde, ce qui n'est d'ailleurs pas complètement faux.
- Elle m'a envoyé réveiller Georgi ! Comme un domestique !
- Ce qui t'a évité le magnifique savon que Sullivan t'aurait passé s'il nous avait vus en train de papotter comme si de rien n'était sur le canapé du salon. Il est apparu quelques secondes après que tu sois entré dans la chambre de Georgi et Cécile l'a immédiatement pistonné chef cuistot. Après ça, il était bien trop occupé à apprendre à se servir d'une cuiller en bois pour te tancer.
- Et le regard qu'elle a lancé à Cardignac ? J'ai demandé qu'on lui pardonne. Après le repas, il a détalé dans sa chambre comme un lapin devant un renard.
- Devant deux renards, corrigea Pen, et comme il cherchait des arguments pour raisonner son camarade, il analysait de plus en plus finement le comportement de l'austère assistante, et saisissait la subtilité de son jeu, de même que la force de son caractère. Larg', Michel a privé Georgi de son outil durant toute une nuit. Comment réagiras-tu si tu apprends que c'est à cause de ça que nous n'aurons pas retrouvé Joy et Simon à temps ?
Le milliardaire ne répondit pas immédiatement.
- Pourquoi deux ?
- Georgi n'avait pas l'air très heureux de la proximité de son copain le capitaliste. Si Joy et Simon ne nous reviennent pas en un seul morceau, il ne se posera pas de question, il agira.
- Que vient faire Cécile dans tout ça ?
- Elle a rappelé à Michel que rien n'est pardonné. Pas encore du moins.
- Mais qu'est-ce qu'elle en a à fiche de nous, de moi, de Joy, de Simon ? Tu veux me le dire ? C'est une secrétaire, un foutu standard téléphonique à deux pattes, et même pas un joli en plus !
- Elle a donné son ordinateur portable à Georgi.
Pen avait parlé très bas. Largo crut un instant n'avoir pas saisi tous les mots, mais comme leur signification commençait à lui apparaître, il résolut de garder le silence et de comprendre. Comprendre le café, les crêpes qu'il avait entr'aperçus cette nuit. Comprendre les instructions sans appel qu'elle avait données lorsqu'elle était revenue le matin, à la volée, quasiment sans réfléchir pour qu'il n'affronte pas Sullivan. Comprendre que l'avocat ne s'était pas retrouvé par hasard en tête à tête avec les casseroles et un gigot d'agneau, un domaine dans lequel il n'excellait pas. Elle l'avait placée en situation d'infériorité pour tempérer son mécontentement. Elle s'acharnait à maintenir la tension à un niveau supportable. Mais elle allait trop loin. Ce n'était pas à elle de prendre les choses en main. En plus, elle s'était fourvoyée. Simon n'était pas là, un point c'est tout ! Elle avait besoin d'une bonne leçon.
- Mon instinct me dicte de lui faire confiance.
Largo planta ses yeux dans ceux de Pen, pensif, puis lâcha :
- Je vais la retrouver et la ramener ici par la peau des fesses si nécessaire. Ensuite, on rentre. Georgi aura sûrement du nouveau.