Machination


Le bruit de l'agitation, les sonneries des téléphones portables résonnaient, et dans le bureau, c'était l'effervescence. Mais, imperturbable, la jeune femme avançait dans les couloirs, sans accorder un seul regard aux autres personnes, elle savait où elle se dirigeait. De toute façon, personne ne faisait attention à elle.

Arrivée en face d'une porte, elle sembla hésiter pour la première fois. La nouvelle qu'elle allait devoir annoncer n'était pas la meilleure. Surtout qu'elle ne savait pas comment allait réagir son patron. Finalement, elle frappa, et ce fut un " Entrez " froid qui l'autorisa à pousser la porte.

- Bonjour, dit-elle.
- Assieds-toi.

Ça sonnait plus comme un ordre que comme une invitation. Mais elle était habituée.

- D'après les récents évènements, l'issue de la partie n'est plus aussi certaine. Il vaut mieux abandonner, commença-t-elle.
- Tu es pessimiste.

La jeune femme ne préféra pas relever.

- On m'a chargée d'une mission. Je préférais te demander ton avis avant d'y aller.

L'homme aux cheveux grisonnants réfléchit, sans laisser la moindre trace d'hésitation ou quoi que ce soit d'autre sur son visage. Au bout d'un moment, sans jamais avoir décroché le regard de la jeune femme, il lâcha :

- Retournes-y. Nous serons en contact permanent.

Sans rien ajouter, la jeune femme se leva, et prit la porte. Une fois celle-ci fermée, elle soupira. Pourquoi voulait-il continuer ? Ce nouvel élément ne pourrait pas leur être de grande utilité… Mais les ordres étaient les ordres, et elle devait les exécuter.

*


Quelques années plus tard…
Le soleil se couchait à l’horizon, se reflétant sur l’océan étincelant. Joy avançait lentement, ses pieds nus foulant le sable brûlant. Une brise salée soufflait dans ses cheveux, les faisant valser doucement. Elle en ramena une mèche derrière son oreille et sourit, en pleine quiétude : elle profitait de ses vacances, trop rares.

A chacun de ses pas, son léger paréo orange brûlé caressait sa peau comme un doux chatouillis, et une fois de plus, elle se dit qu’elle avait de la chance d’être ici, en ce moment. Elle ferma les yeux et tendit l’oreille aux mouettes qui, au loin, plongeaient dans l’eau à la recherche d’un crustacé quelconque.

Un homme s'avança, et engagea la conversation avec Joy. Elle lui répondit tellement froidement, que l’homme déglutit péniblement. Comme beaucoup, il connaissait la réputation de la femme qui se tenait devant lui. En d’autres occasions, il l’aurait trouvée magnifique, débordante de sensualité dans son bikini. Mais sachant de quoi elle était capable, il se sentait étrangement petit, même dans son costume trois pièces noir qui le faisait transpirer abondamment, surtout en ce moment. Il bénit le ciel d’avoir pris ses lunettes fumées, car sinon, elle aurait pu voir la crainte qu’elle lui inspirait.

Après une discussion quelque peu houleuse où l'homme en prenait pour son grade, celui-ci la salua d’un hochement de tête, puis tourna les talons et s’en fut. Joy resta seule, les bras ballants. Au bout de quelques minutes, elle se retourna vers l’océan qui s’assombrissait, privé de soleil. Son regard fixa le lointain, l’inaccessible. Ses poings de crispèrent, et elle ferma les yeux.

*


Une semaine plus tard…
La porte s'ouvrit, et Largo leva les yeux de son dossier. Il avait travaillé assidûment presque toute la journée, et il espérait que ce fut Joy ou Simon qui viendrait lui remonter le moral. Mais ce fut une toute autre personne qui se présenta : Kimberley. Cependant la jeune femme en question le fit sourire davantage que l'idée que son meilleur ami et son garde du corps ne viennent lui changer les idées. Car Kimberley le faisait très bien elle aussi.

- Hey Largo ! lança la jeune femme brune en s'avançant d'une démarche féline.
- Kim !
- Je t'ai attendu toute la soirée d'hier, moi…
- Tu n'as pas reçu mon message ? Je te disais que je ne pourrais pas venir à cause d'une réunion de dernière minute…
- Je ne reçois jamais ce genre de message… fit elle en s'asseyant sur ses genoux.
- J'ai bien pensé à venir te voir…
- Mais ?
- Mais je ne suis pas sûr que tu m'aurais accueilli les bras ouverts à quatre heures du matin.
- Mais je t'aurais accueilli les bras ouverts à n'importe quelle heure, Largo… Et il n'y aurait pas eu que mes bras d'ouverts, d'ailleurs…

Elle l'embrassa fougueusement, ne laissant pas le milliardaire émettre la moindre parole. Il commença à passer ses mains sous le t-shirt de la jeune femme, mais elle mit fin au baiser avant qu'il n'ait pu continuer son absorbante tâche…

- Que faisons-nous ce soir ? demanda-t-elle un sourire espiègle aux lèvres.

Largo grogna un peu, mais au moment où il allait répondre, quelqu'un frappa à la porte. Largo râla, soupira, alors que Kimberley passait ses mains dans les cheveux du milliardaire. Après avoir retiré ses mains du t-shirt de sa petite amie, il permit à la personne d'entrer. Joy pénétra dans l'appartement. Mais si elle fut un peu gênée à la vue de Kimberley sur les genoux de Largo, elle n'en laissa rien paraître.

- Joy ! Tu vas bien ?
- Oui. Enfin… il faut qu'on parle, Largo.
- Si tu parles d'hier soir, je ne suis pas sorti, j'avais une réunion qui m'a pris toute la soirée. Et puis, rassure-toi !

Il croisa le regard de sa garde du corps à ce moment là, y lut quelque chose. Quoi, il n'en savait rien. Mais il avait lu quelque chose qui ne lui plaisait pas. Cependant l'appel de la testostérone prit le dessus, lorsque Kimberley commença à lui mordiller l'oreille, sans plus se préoccuper de Joy.

- C'est important, Largo.
- Ecoute Joy… Je suis fatigué, j'ai beaucoup bossé cette semaine, je voudrais me détendre un peu. Alors oui, je me doute que ce que tu veux me dire est important, sinon, tu ne viendrais pas me déranger… Mais s'il te plaît, on en parlera plus tard…
- Bien.

Sans plus d'égard, il embrassa Kimberley, tandis que Joy mettait une enveloppe dans la veste de Largo, et refermait la porte. Mais Largo était trop occupé pour le voir, et pour entendre ses derniers mots :

- Sois heureux…

*


Quelques heures plus tard…au Bunker
- Coucou !! Vous allez bien, tous !? Vous savez où est Joy ? Je devais lui parler tout à l'heure, mais j'étais occupé avec Kim, et j'avais besoin de décompresser. Le problème, c'est qu'elle n'avait pas l'air bien…
- Ben je ne sais pas… répondit Simon. Elle nous a dit qu'elle allait te voir. C'est vrai qu'elle a été bizarre toute la semaine.
- Vous ne l'avez pas revue ?
- Ben non…
- Bon, je vais l'appeler… Mon portable…

Il chercha dans ses poches son portable, et mit la main sur une enveloppe. Etonné, il l'ouvrit, avec un mauvais pressentiment. Dans le Bunker, seuls les ordinateurs troublaient le silence pesant qui s'installait alors que Largo sortait l'enveloppe. Ou plutôt dès qu'ils lurent le " Largo " écrit dessus. Car c'était l'écriture de Joy.

Largo hésita avant de l'ouvrir, car il savait que ça n'allait pas être de bonnes nouvelles. Mais après un bref regard échangé avec Simon puis avec Georgi, il glissa un stylo dans la fente et sortit une lettre.

lettre de Joy



Largo se laissa tomber sur un fauteuil. Il relut la lettre, ignorant les questions de Simon, et le regard inquiet et interrogateur de Kerensky. Finalement, au bout de la troisième fois, il commença à assimiler l'information. Elle était partie. Elle avait voulu le lui dire, mais il l'avait envoyée promener, pour changer. Juste pour pouvoir tranquillement s'envoyer en l'air, alors qu'il se doutait que ce qu'elle avait à lui dire était très important. C'était sa faute. Et elle avait prévu sa réaction. Etait-il à ce point prévisible ? Non, la question n'était pas là. C'est vrai que pour une fois, il ne pouvait pas lui reprocher d'avoir fui, puisqu'elle avait voulu lui parler.

- QUOI ? hurla à moitié Simon, qui venait de lire la lettre. Qu'est-ce qu'elle raconte… ? Largo, ne me dis pas que tu as refusé de l'écouter ?
- Si. Mais… Je… Je ne savais pas que…

Il s'interrompit. Si. Si, il savait que c'était important, et il se doutait qu'il n'allait pas aimer, il l'avait su dès qu'il avait croisé le regard de Joy. Mais c'était lui qui avait préféré éluder la discussion. C'était sa faute, quoique Joy en dise. Il fallait qu'il la rattrape, il fallait qu'il l'empêche de faire ce qu'il estimait être une bêtise. Il fallait qu'elle s'explique, il fallait qu'elle lui dise pourquoi elle partait, où elle partait, et quand ils se reverraient. Parce qu'elle n'avait pas le droit. Elle n'avait pas le droit de partir comme ça. Son portable. Il devait l'appeler. Lui dire de rester, lui dire de ne pas bouger.

Il sortit son cellulaire, et tapa le numéro de portable de Joy. Mais la seule réponse qu'il obtint fut un " Le numéro que vous demandez n'est pas attribué… ". Surpris, Largo raccrocha, et tapa une nouvelle fois le numéro, pour obtenir la même réponse.

- Quoi ? demanda Kerensky, voyant la tête de son ami.
- Joy… Son numéro n'est plus attribué.
- Comment… ? commença Simon.
- Elle veut nous empêcher de la retenir, et donc de partir.
- Je vais chez elle, déclara Largo.
- Je viens avec toi, fit Simon.
- Et moi, je fais des recherches sur des réservations de vol. Elle n'est pas suffisamment bête pour utiliser son vrai nom, mais bon… On peut toujours voir ce que ça donne.

*


Dans la voiture, aucun mot ne fut échangé. Simon marmonnait des monosyllabes inintelligibles, tandis que Largo tentait de se concentrer au maximum sur la route, pour éviter de penser à ce qui pourrait être son ultime erreur. Car non seulement il ne savait pas pourquoi elle partait, mais en plus il était certain qu'il aurait pu la retenir.

Quand, enfin, il arriva à l'immeuble de Joy, il se dirigea le plus vite qu'il put vers son appartement, et frappa. Au bout de quelques minutes, la porte s'ouvrit.

- Joy, écoute, je suis déso…

Il s'arrêta, se rendant compte qu'il parlait à un homme.

- Y'a pas de Joy ici, monsieur… fit l'homme.
- Pardon, excusez-moi… Je… Savez-vous quand la dernière personne qui habitait ici a déménagé ?
- Euh… Ben, y'a une dizaine d'années, monsieur… répondit l'homme, totalement largué.
- Pardon ? demandèrent Simon et Largo à l'unisson.
- C'est pas possible… Vous ne pouvez pas vivre ici depuis dix ans ! C'est impossible !
- Ecoutez monsieur, je sais quand même depuis combien de temps je vis ici !
- Mais… Et Joy ?
- Ah, je peux vous dire que je n'ai jamais vu de Joy dans cet immeuble. Je le saurais !
- Mais… Je ne suis pas fou, je suis venu ici presque tous les jours pendant deux semaines ! Je peux entrer !?
- Ben…

L'homme n'eut pas le temps de répondre, Largo pénétrait déjà dans l'appartement. Mais tout avait changé. Ce n'était plus l'appartement de Joy, bien rangé, mais un appartement de garçon, où la télé était allumée devant un fauteuil à moitié rongé par il ne savait quoi, tandis que sur le sol, traînaient pop-corn, canettes de coca, préservatifs usagés, vêtements en tous genre. Tout dans l'appartement puait le shit et la cigarette.

- Monsieur, ça va ! Je suis chez moi, je vous l'ai dit, il n'y a jamais eu de Joy ici. Alors maintenant, partez !
- Allez, viens Largo, elle n'est pas là, tu vois bien ! Au revoir monsieur, et merci.
- Ouais… Mais je vous rappelle qu'il est onze heures du soir, et que je bosse, moi, demain !
- Nous sommes désolés. Au revoir.

Simon traîna Largo en dehors de l'appartement, puis vers la voiture. Et c'est une fois sortis qu'une ombre se détacha de l'obscurité. Et dans le silence de l'immeuble, si on tendait bien l'oreille, on put entendre un chuchotement dire par l'intermédiaire d'un portable : " C'est bon mademoiselle, ils sont passés… "

*


- Elle était là, Simon, déclara finalement Largo. Je suis allé chez elle, j'ai dormi chez elle, j'ai mangé chez elle ! Alors je peux t'assurer, te jurer que nous étions bien dans son appartement, j'en mettrais ma main à couper !
- Je te crois Largo, j'y suis allé moi aussi… Mais comment expliques-tu que ce type habite ici depuis près de dix ans ?
- Elle l'a payé ?
- Si elle avait déménagé, on l'aurait vu, ou plutôt on l'aurait su !
- Pas si elle voulait partir !
- Mais l'appartement de Joy n'était pas peint de cette façon ! Il y avait des couleurs vives, et c'était bien rangé ! Si Joy avait déménagé, alors ou elle l'a fait il y a quelques temps déjà, puisque la peinture a eu quand même le temps de sécher, et la moquette de pourrir à moitié - quoique quand on voit comme il prend soin de ses affaires ce brave type on peut se poser des questions - ou alors, comme l'a dit l'homme : elle n'a jamais vécu là-bas.
- Ce qui est impossible puisque je suis allé chez elle plusieurs fois ! Simon ! Crois-moi !
- Mais je te crois ! Je suis venu te chercher plusieurs fois chez elle, lorsque Sullivan en avait marre que tu disparaisses… Donc Joy a bien habité ici. Mais depuis quand n'es-tu pas allé chez elle ?
- Ben… il y a quelques jours ! Quand on rentrait de la signature du contrat avec Risler ! Je l'ai raccompagnée !
- Mais chez elle ? Je veux dire, dans son appartement ?
- Non… Elle m'a dit que ce n'était pas mon rôle de la raccompagner jusqu'à chez elle, et qu'elle connaissait bien le chemin.
- Il y a combien de temps que tu n'es pas allé chez elle, dans son appartement ?
- Ben… Depuis notre rupture.
- Alors ça fait un sacré bout de temps.
- De fait.
- Ça nous aide pas, ça…
- Elle a bien monté son coup ! Pourquoi je n'ai pas accepté de lui parler ! Pourquoi est-ce que j'ai écouté Kimberley au lieu de… de… De faire la plus grosse connerie de toute ma vie !?
- Parce que tu es un con.
- Ça ne m'aide pas, ça !
- C'est quand même ta faute ! Moi, ce qui m'énerve, c'est qu'elle ne nous en ait pas parlé à Kerensky et moi ! On est ses amis !
- Et moi, je suis quoi ?!
- Toi, c'est différent. Tout le monde sait que vos relations sont complexes.
- Pas du tout.
- Si.
- Non.
- Si ! Même Kerensky le dit. Alors…

Largo soupira. Il leva les yeux vers l’immeuble, vers le fenêtre de l’appartement de Joy. Du moins, de ce qui devait l’être.

- Qu’est-ce qu’on fait ? s’enquit Simon.
- On rentre au Groupe. Kerensky entreprendra des recherches. C’est tout ce qu’on peut faire.
- Bien, fit le Suisse en s’éloignant vers la voiture, garée un peu plus loin.

Resté seul, Largo jeta un dernier regard vers la fenêtre où se détachait une ombre masculine.

- Je te retrouverai Joy. Où que tu sois, je te le promets. Rien n’est terminé.

*


Les jours se succédèrent, monotones, mais surtout d’une longueur infinie. Largo avait rapidement largué Kimberley, ne se consacrant plus qu’aux recherches de sa garde du corps. Un beau matin, alors qu’il allait pénétrer dans le Bunker, il entendit des éclats de voix provenant de l’intérieur et ressemblant fort à une dispute. Intrigué, il tendit l’oreille.

- Kerensky, il n’est pas prêt !
- Tu crois que je ne le sais pas ?! Mais si on se fie aux derniers jours, il n’est pas prêt de l’être. Et tu sais comme moi qu’il ne peut pas rester indéfiniment sans protection. Tu as vu son emploi du temps de la semaine prochaine ? Plus de quinze rendez-vous à l’extérieur. Il lui faut un nouveau garde du corps. Et ce, le plus rapidement possible.
- Je sais, soupira Simon.

Sentant une rage froide l’envahir, Largo déboula dans le Bunker, légèrement rouge.

- Sachez qu’il est hors de question que quelqu’un la remplace. C’est clair ?

Ses amis sursautèrent, surpris par l’intrusion, mais ne furent pas étonnés de ses propos.

- Larg’, il n’a jamais été question que quelqu’un prenne sa place. Mais il te faut un personne compétente pour veiller sur toi. Joy elle-même l’a dit dans sa lettre, elle ne veut pas que tu te retrouves…
- Si elle l’avait voulu tant que ça, elle serait restée, le coupa son ami.
- Sois raisonnable. De toutes façons, continua le Russe, affichant une expression impassible, les bras croisés sur sa poitrine, j’ai déjà commencé les recherches pour lui trouver un remplaçant. Je n’abandonne pas pour autant l’espoir de la retrouver un jour, mais cela peut prendre du temps. Joy a été un agent secret pendant longtemps et les chances qu’elle ait laissé le moindre indice derrière elle sont infimes. Je m’acharne à la retracer, mais pour l’instant, je ne trouve que des anomalies.
- Que veux-tu dire ? demanda Largo en s’asseyant.
- Eh bien, j’ai vérifié dans la base de données du propriétaire de l’immeuble où vivait Joy.
- Et ? s’impatienta Largo.
- Rien. Aucune trace d’un quelconque bail ou contrat qu’elle aurait signé. Quant à l’hurluberlu que vous avez rencontré en allant chez elle, il est fait mention, comme il vous l’a lui-même dit, qu’il habite l’appartement depuis plus de 10 ans, maintenant.
- Mais c’est impossible puisque j’y suis allé !
- Je sais, mais je ne l’explique pas. Surtout qu'au début de notre collaboration, j'avais fait des recherches poussées sur elle. Là où elle vivait. Et bien tout était en ordre. Joy Arden a bien existé les gars, rassurez-vous. Elle a vécu là-bas, mais… C'est comme si on avait effacé sa trace, comme si on voulait faire croire qu'elle n'avait jamais existé. Elle n'apparaît même plus dans les fichiers de la CIA.
- Quoi ?
- Officiellement, Joy Arden n'a jamais existé.
- Ça me fait peur. Je ne connais qu'une personne capable de faire ça. Ou plutôt qu'une organisation… commença Simon.
- La Commission, termina Kerensky. Ou la CIA.
- La CIA ? demanda Simon. Elle leur a claqué la porte au nez je te rappelle ! Après l'histoire Donovan, elle les a envoyer paître… Je ne l'imagine vraiment pas allez faire une mission pour la CIA après ce qui s'est passé.

Kerensky lui jeta un regard glacial. Non seulement Simon le reprenait, mais en plus, il avait raison… Il commençait à se faire sérieusement vieux pour ce genre de trucs… Devant le sourire vainqueur de Simon, le Russe eut encore plus envie de le tuer. Mais à contre-cœur, il dû avouer :

- Tu as sûrement raison. Nous en revenons donc à la Commission.
- Non, refusa Largo. Non, je refuse de croire que Joy puisse faire partie de la Commission !
- Pour le moment, nous ne pouvons rien affirmer, rien dire. Et c'est ça qui m'énerve ! soupira le Russe.

Kerensky supportait très mal d'être mis en échec. Il s’enfonça dans sa chaise en se malaxant l’arrête du nez.

- Tu devrais rentrer chez toi et te reposer, proposa gentiment Largo. Tu as l’air épuisé. Et je n’ose imaginer depuis quand tu n’es pas sorti de cette pièce.
- Tu es sûr ?
- Oui, nous continuerons les recherches demain.
- Et pour ce qui est de ta protection ? s’immisça Simon en le regardant.
- Je vous laisse carte blanche, fit-il dans un soupir. Mais je me réserve le droit de renvoyer quiconque ne me plaira pas. Et je vous avertis, ce n’est que temporaire.

Il se leva.

- Del Ferril m’attend dans mon bureau. Si vous avez besoin de moi pour quoi que ce soit, je suis disponible. Vous n’avez qu’à m’appeler. Bonne fin de soirée, ajouta-t-il en sortant.
- J’ai comme l’impression que ce sera pas un jeu d’enfant, lâcha le Suisse.

*


Quelques semaines plus tard…
- Au revoir M. Richards. Nous vous rappellerons.
- Bien. Au revoir M. Ovronnaz.

Simon serra la main à l'homme, qui s'en alla aussitôt après, tandis que le Suisse rentrait dans le Penthouse.

- Pfiou, ce type est pire que toi Kerensky. Professionnel jusqu'au bout des ongles ! " Monsieur " ! Aucun moyen de plaisanter avec ce type ! C'est à faire peur ! Ben tu vois, t'es peut-être pas très bavard, Kerensky, mais au moins, tu envoies des piques. Lui… Juste du boulot… Arg, non Largo, pitié, ne le prends pas !
- Rassure-toi, je ne le prends pas. Il n'est pas assez intéressant.
- On a perdu une journée… Une journée à voir des armoires à glace plus professionnelles que Joy et Kerensky mélangés, qui ne pensent qu'au job, et qui ne disent rien.
- J'en ai marre ! râla Largo.
- Allez, le dernier.
- Après, je renonce !
- Le dernier est une dernière ! fit Kerensky en lui tendant son dossier.
- Une der… ? s'étrangla à moitié Largo en le parcourant rapidement du regard.
- Oui, mais pour le moment, elle est en retard…
- Pas bon pour elle ! lâcha Largo.

A ces mots, la porte du Penthouse s'ouvrit à la volée sur une jeune femme à peine plus jeune que Joy.

- Excusez-moi… Les embouteillages ! Je suis pourtant partie avec beaucoup d'avance ! Foutu trafic ! râla-t-elle. M.Winch, je suis sincèrement désolée.
- Melle Cole, salua Largo en la dévisageant.

La jeune femme était plutôt mignonne, des cheveux mi-longs châtains, et de magnifiques yeux verts. Elle était habillé en noir, et à peine maquillée. Elle ne ressemblait pas vraiment à Joy. Juste cette aura de mystère qui tournait autour d'elle. En un instant, cette fille lui plût. Joy lui manquait, mais il essayait de tirer un trait. Elle était partie, il aviserait quand elle reviendrait.

- Je suis vraiment désolée…
- Vous vous rendez compte qu'un simple retard peut mettre la vie de Largo en danger ? attaqua immédiatement Kerensky.
- Kerensky… fit la jeune femme.
- Vous vous connaissez ? demanda Simon.
- De réputation, répondit Cole. Mais je vous connais aussi. Je ne fais pas les choses au hasard
- Ah ! Qui suis-je ? interrogea Simon.
- Simon Ovronnaz… trente-deux ans, né le 27 octobre 1971 à Verne. Vous avez une sœur de cinq ans votre cadette. Emprisonné à l'âge de 20 ans pour vol, vous avez été incarcéré durant deux ans. Mais d'après certaines de mes sources, vous auriez pris pour votre sœur. Vous êtes quelqu'un de loyal, et très dévoué pour vos amis. Une qualité très importante. Vous aimez la mode, et êtes AB négatif. Je m'arrête là, où vous en voulez encore ?
- Vous êtes bien renseignée, concéda Simon.
- Et moi ? enchaîna Kerensky.
- Georgi Kerensky. Quarante-trois ans, né le 19 avril 1960 à Saint-Pétersbourg, encore appelé Leningrad. Vous avez passé une partie de votre enfance dans l'Ohio. Vous avez commencé à travailler pour le KGB en 1980, âgé de vingt ans. Mais vous démissionnez après le coup d'Etat d'août 1991. Vos raisons sont obscures, mais vous avez été un des meilleurs agents que le KGB ait compté. Après avoir quitté le KGB, vous revenez aux Etats-Unis, où vous travaillez pour le compte de plusieurs terroristes et de la mafia… continua Melle Cole en commençant à marcher de long en large, ménageant son effet.
- Effectivement, vous en connaissez un rayon sur notre équipe, accorda Largo.
- Mais je ne suis pas là pour vous raconter vos vies, Messieurs. Après tout, vous les connaissez déjà. Je suis là, si vous me prenez dans votre équipe, pour protéger M. Winch, et cela au prix de ma vie.
- Justement. Parlez-nous de vous.
- Vous savez déjà tout ce que vous avez à savoir, M. Winch. Je fais confiance à Kerensky, il a fait toutes les recherches nécessaires, et doit savoir tout de ma plus petite enfance à aujourd'hui, en passant par mes flirts de lycée et mon dernier travail…
- Qui était ?
- La CIA. J'étais agent à la CIA, mais j'ai été renvoyée pour manquement à un ordre. Je ne supporte pas les crétins qui n’hésitent pas à tuer des innocents alors qu’il y a d’autres voies pour arriver au même résultat. J'ai refusé un ordre, on m'a virée, tant pis. Qu'ils aillent au diable.
- Vous travailliez à la CIA…
- Comme je vous le dis. C'était il y a un an.
- Et… Donnez-moi une seule bonne raison de vous engager, Melle Cole.

Elle fixa Largo et, sans sourcilier une seule fois, lâcha d'une traite :

- Parce que je suis l'une des meilleures dans mon domaine, et que je ne suis pas une de ces armoires à glace qui exécutent les ordres sans se poser de questions.
- C'est tout à votre honneur. Mais si nous étions comme cela ?
- Qui ne tente rien n'a rien. Même si je sais ce que je fais. Je connais votre réputation en matière d'humanisme et de votre refus des conventions, Monsieur Winch. Votre côté " chien-fou " en quelque sorte…

Largo et Simon échangèrent un regard en souriant. Simon avait déjà adopté la jeune femme, et Largo en semblait heureux. Il se tourna vers Kerensky. Marina Cole, pour sa part, savait que tout se jouait maintenant. Kerensky l'observa, se demandant si elle ferait l'affaire, si elle prendrait bien le relais de Joy, et si elle était capable de tenir tête à Largo. Cole soutint son regard sans ciller.

- Accepte-la. Elle a de l'expérience, et doit avoir plus de répartie que ces armoires à glace, comme tu dis, Simon…
- Donc c'est oui ? demanda celui-ci.
- Ça m'ira si elle n'est pas trop bavarde.
- Elle est adoptée ! s'exclama Simon avec enthousiasme.
- Alors vous êtes prise Melle Cole, déclara Largo.
- Merci.
- Nous ferons un essai de quelques semaines, et si cela vous convient, vous ferez partie de notre équipe.
- Très bien.
- Ici, le tutoiement est de rigueur, si ça ne t'ennuie pas… et appelle-moi Largo.
- Comme tu veux.
- Simon va te montrer le Bunker et ton appartement…
- Merci.
- Allez viens, on y va ! s'exclama Simon en lui passant le bras autour des épaules. D'abord, ton appartement, on fera le déménagement demain, nous te paierons ton hôtel…
- Kerensky vous a dit que j'étais à l'hôtel ?
- Kerensky sait tout princesse… Au fait, je peux t'appeler par ton prénom ?
- Si tu veux… Ça me changera du " Cole " ou du " Melle Cole " !

La fin de la conversation se perdit dans les couloirs.

- Tu es sûr que ça ira ? demanda Largo.
- Elle a l'air aussi responsable et aussi professionnelle que Joy.

Largo frémit lorsque le Russe prononça le prénom de son ancienne garde du corps.

- J'ai fait des recherches sur elle. A part la CIA, elle est clean.
- Tu trouves que bosser pour la CIA c'est une tare ?
- Disons qu'il faut être légèrement taré ou avoir un père complètement dingue pour y aller…
- Et elle fait partie de quel groupe ?
- Les deux.
- Hein ? Les deux ?
- Son père était une sorte de Charles Arden. Sauf que, comme elle nous l'a expliqué tout à l'heure, elle refusait ses ordres, et n'en faisait qu'à sa tête. Mais chassez le naturel, il revient au galop : elle adorait l'action, et est entrée à la CIA il y a cinq ans. Pendant quatre ans, elle a fait un travail exceptionnel, mais l'an dernier, elle se fait virer par un des grands patrons de la CIA. Un vrai bout de femme. Je sens qu'on ne va pas s'ennuyer avec elle.

Et les quelques semaines se firent quelques mois, pour devenir une année. Après des débuts difficiles avec Largo, Marina Cole fut définitivement acceptée comme garde du corps dans l'équipe. La routine s’installa donc tranquillement. Entre voyages et contrats à domicile, le nouvel Intel Unit apprenait à se connaître.

*



Tout allait pour le mieux, même si Largo avait cessé quelque peu de sortir en boîte avec son meilleur ami, se plongeant dans le travail. " Pour oublier ", disait Kerensky. Car au bout d’un moment, tout reprit comme avant, devenant même pire.

L’incident se produisit en septembre, un samedi. Largo et Marina étaient ensemble en Californie pour un rendez-vous d’affaires, et logeaient pour quelques jours dans une somptueuse villa appartenant à Largo, dotée d’une grande piscine extérieure.

Ce soir-là, victime d’insomnies, la jeune femme s’y rendit. Elle s’y plongea rapidement, sentant immédiatement les effets bienfaiteurs de ce bain de minuit. Après quelques longueurs, elle alla s’appuyer contre le bord et ferma les yeux, avant de se détendre complètement. Mais ses sens, toujours en éveil, l’avertirent d’une présence derrière elle. Elle se retourna vivement, pour découvrir son patron.

Celui-ci s’assit près d’elle. Elle sortit de l’eau et essora ses cheveux avant de s’adresser à lui.

- On dirait que tu as le même problème que moi, sourit-elle.

Il hocha la tête.

- Joli maillot, fit-il après un moment.
- Pour le prix qu'il m'a coûté, j'espère bien ! plaisanta-t-elle.
- Tu rentres ?
- Oui, je commence à m'endormir ! mentit-elle.
- Sûre ?
- Ça vaut mieux, Largo.
- Reste, demanda-t-il.

Ça semblait plus à une supplication qu'à une simple demande. Comme Joy auparavant, Marina se sentit fondre devant son regard. Elle soupira, et se maudit de répondre :

- Bon d'accord… Mais pas longtemps, sinon, comment veux-tu que je te protège convenablement ?
- Merci.

Il plongea dans l'eau, bientôt suivi par Marina. Ils nagèrent quelques minutes en silence, puis commencèrent à discuter.

- Satisfait ? demanda-t-elle. Je peux retourner me coucher, ou môssieur mon patron tient à ce que je fasse des heures sup. ?

Largo sourit.

- Plains-toi ! Tu trouves que je ne te paie pas assez ?
- Vu les risques que tu prends, oui !!! plaisanta-t-elle en lui faisant un clin d'œil.
- Pff, les employés ne sont plus ce qu'ils étaient !
- Oh ! Alors je suis une mauvaise employée selon toi ?
- Oui ! Tu n'en fais qu'à ta tête !
- Toi aussi !
- Non !
- Mais moi je t'avais prévenu que je faisais les choses à ma manière !
- Moi aussi !
- Non !
- Si !
- Tu vas voir que j'ai raison !

Elle lui jeta de l'eau à la figure, et Largo riposta, ce qui fut le déclenchement d'une longue et rigoureuse bataille d'eau. Sous les assauts de son patron, la garde du corps dut reculer jusqu'à arriver contre le bord, les bras de Largo l'entourant et l'empêchant de faire un quelconque mouvement. Un peu crispée, elle demanda :

- Je peux savoir ce que tu fabriques ? bien que sachant pertinemment, d'après le regard de son ami, ce qu'il avait en tête.

En effet, pour appuyer son raisonnement, le jeune homme se pencha vers elle et, effleurant tout d'abord ses lèvres, l'embrassa passionnément. Marina répondit à son baiser après une légère hésitation. Il la rapprocha de lui. Au bout de quelques minutes, ils se lâchèrent enfin. Front contre front, à bout de souffle, ils se fixèrent un instant, puis Largo l'aida à sortir de la piscine. Ils s'embrassèrent encore une fois, tandis qu'aveuglément, le milliardaire tentait de trouver une serviette qu'il enroula autour d'eux. Alors, lentement, ils se dirigèrent vers la chambre de Largo...

A peine la porte refermée derrière eux, " la garde du corps qui faisait des heures supplémentaires " s'écarta, soudainement.

- Attends... Largo, je suis ta garde du corps...

Largo soupira.

- Elle me disait ça aussi, et regarde où on en est.
- Comment était-elle ?
- Qui ?
- Joy… Arden ! se reprit-elle.

Largo la regarda un instant, mais Marina ne sourcilla pas.

- Parfaite.

La jeune femme sourit légèrement. Alors qu'elle allait détourner la tête, Largo lui saisit le menton et le souleva vers lui.

- Mais elle est partie, dit-il. Et tu es là.

Puis, il vint quérir ses lèvres, avant de la conduire vers le lit. Passive, elle se laissa faire… Même si, au fond, cette petite voix lui disait qu'elle faisait une bêtise. Mais elle refoula cette " intruse " décidant que, pour une fois, elle profiterait de la vie…

*







Joy