Le lendemain, après une mise au point plutôt orageuse, tout revint dans l'ordre : Marina, en professionnelle, expliqua à Largo qu'elle était garde du corps, pas poule de luxe, et que ça ne se reproduirait pas. Largo, vexé, lui fit la tête pendant quelques jours, mais finalement, tout retourna dans l'ordre.

Une semaine plus tard, dans un coin sombre, une ombre était au téléphone.
- Tout se passe comme prévu.
- Sûre ?
- Tu me prends pour une bille ou quoi ? Je te signale que c'est toi qui m'a chargée de cette mission !
- Fais gaffe à ce qu'ils ne te démasquent pas. Sinon, ma couverture est grillée par la même occasion...
- Je sais... Au fait, je voulais te dire…
- Oui ?
- … Non rien, laisse. On se voit bientôt ?
- S’ils me laissent respirer un instant… Bon, je dois raccrocher, on m’appelle sur une autre ligne. Bye. Mets-les au courant.
- Bye…

La conversation était close. L'ombre avait raccroché. Mais à peine son geste exécuté, elle décrocha son téléphone, et tapa un autre numéro.

- Tout se passe comme prévu ? demanda une voix masculine.
- Encore mieux que ce que vous imaginiez monsieur.
- C'est à dire ?
- La ligne n'est peut-être pas sécurisée. Vous saurez tout lors de notre prochain RDV.
- Je n'aime pas cette façon de…
- Je dois vous laisser Monsieur.

La silhouette raccrocha une nouvelle fois, et soupira. Puis la porte du Bunker s'ouvrit, et Simon se dirigea vers l'ombre.

- Bon, tu viens ? On n'attend plus que toi !

*



Marina entra dans le Bunker, suivie par Simon. Kerensky était assis à sa place, et Largo attendait patiemment que tout le monde soit là.

- Désolée… Un problème personnel, expliqua Marina. Que se passe-t-il ?
- Un agent actuel désireux de quitter la Commission depuis quelques temps déjà, a trouvé où était le Livre. Kroënberg est prêt à nous donner le Livre en échange d'un très importante somme d'argent. Il est dans un entrepôt à Delhi, en Inde, et ça fait deux semaines qu'il y est. Ça c'était la bonne nouvelle.
- Et la mauvaise ? demanda Largo, devançant les autres.
- Kroënberg m'a avoué que c'était très rare que le livre reste aussi longtemps au même endroit, et que lui-même était peut-être repéré. Ce qui veut dire…
- Que c'est peut-être un piège, termina Marina.
- C'est en effet une possibilité.

Elle se tourna vers Largo.

- Tu n'y vas pas.
- Pardon ?
- Tu n'y vas pas, répéta-t-elle. C'est trop dangereux.
- Tu n'as pas l'air de te rendre compte que c'est une aubaine !
- Et toi tu n'as pas l'air de te rendre compte que c'est un piège !
- C'est un risque à prendre ! De plus, je n'ai rien à craindre, j'ai avec moi la meilleure équipe du monde.
- Le risque zéro n'existe pas.
- On dirait que tu ne veux pas qu'on retrouve le livre !
- Bien sûr que si ! protesta Marina en s'énervant. Seulement ça pourrait mal tourner, et c'est un piège. Ou en tous cas, s'en est sûrement un.
- Le meilleur moyen de le savoir, c'est d'essayer !

Marina le dévisagea.

- Et pour cela tu serais prêt à risquer ta vie, et la nôtre par la même occasion.
- Je veux le Manuscrit, donc j'irai là-bas, avec ou sans vous. Je ne force personne.
- Peut-être ! Mais nous sommes aussi des professionnels ! Du moins Kerensky et moi !
- Hey ! protesta Simon.
- Et alors ?
- Et alors nous connaissons mieux les risques que toi. Ceux que l'on peut te faire courir, et ceux qui sont trop dangereux. Et celui-là est trop dangereux.
- De toutes façons, que tu le veuilles ou non, j'irai.
- Alors explique-moi à quoi je sers ? Pourquoi m'avoir engagée si tu ne m'écoutes pas ? Tu étais pareil avec Joy Arden ?
- Je t'interdis de me parler d'elle ! Ça n'a aucun rapport !
- Alors ça ne t'a pas servi de leçon ?

Le ton montait dans le Bunker entre le patron et la garde du corps. Simon et Kerensky assistaient à cette dispute, sans intervenir. D'ailleurs, qu'auraient-ils pu dire ?

- Qu'est-ce qui aurait dû me servir de leçon ?
- Ça tient en un mot Largo : Montréal !

Largo se tut. Mais Marina, très en colère, ne s'arrêta pas là.

- Il ne t'est pas venu à l'esprit que ça pouvait être le même piège ? Sauf que ton père a été remplacé par le livre ! Je sais que tu ne m'aimes pas comme tu l'aimes elle, mais est-ce que tu as pensé aux conséquences ? Alors oui, j'avoue, c'est le livre de la Commission, c'est la clé de ta liberté, mais un jour où l'autre, tu devras payer le prix de tes actes, parce que la chance tourne. Profites-en bien.

Sa tirade terminée, Marina tourna les talons et sortit du Bunker, énervée comme jamais ses amis ne l'avaient vue tout le long de cette année écoulée. D'habitude elle prenait sur elle, ou du moins essayait, mais jamais elle n'avait crié sur Largo avec tant de hargne. Presque de la haine. Largo en était tout retourné. Il se tourna vers Simon et Kerensky :

- Euh… On fait quoi ? demanda finalement Simon.

Largo regarda Georgi.

- C'est toi le patron, répondit celui-ci. Mais n'oublie pas que Marina n'a pas tort. C'est un gros risque à courir.
- Mais je ne peux pas me permettre de laisser passer ça.
- Alors on fait quoi ?
- On prend le risque, Simon. Mais on prépare un plan bien ficelé.
- Et Marina ?
- Marina fait comme elle veut. Ou elle nous suit, ou elle nous quitte. On verra bien si elle revient.

*


Dans la soirée :
Marina réapparut dans les environs de minuit, deux ou trois gros sacs à la main, visiblement calmée, voire même de bonne humeur.

- Re, tout le monde !
- Ça va mieux, t'es calmée ? demanda Kerensky.
- J'ai une manière infaillible pour me décontracter.
- Oh ?
- Le shopping ! fit-elle en montrant ses paquets. Bon, j'avoue, mon compte en banque apprécie moins, mais ça arrive tellement rarement…
- C'est bon Marina ! s'exclama Largo. Je suis désolé de m'être emporté comme ça.
- À voir tous les papiers, tu n'as pas renoncé.
- Non, en effet. Mais je te jure que je serai prudent !
- Je ne suis toujours pas d'accord, Largo ! Tu connais la Commission mieux que moi, elle ne te fera pas de cadeau ! Nous n'avons aucun point de chute, c'est trop risqué !

Le ton monta une seconde fois, mais la dispute semblait moins violente que la fois précédente.

- Aller là-bas, c'est de la folie ! Mais soutenez-moi bon sang, vous autres ! Il y aura d'autres occasions ! Largo, Kroënberg a lui-même avoué qu'il était sûrement découvert ! Un commando armé t'y attendra sûrement !
- Mais jusqu'à preuve du contraire, c'est moi le patron. C'est très important, et je suis conscient que c'est très risqué. Mais je ne peux pas me permettre de laisser passer cette chance. Alors tu choisis : ou tu nous suis et on t'expose le plan dans le jet, ou tu prends la porte.

La garde du corps dévisagea Largo. Devait-elle le suivre, ou devait-elle arrêter ? Le suivre, c'était se jeter dans la gueule du loup, c'était beaucoup de risques. Mais en même temps, si elle ne le suivait pas, elle faillirait à sa mission : le protéger. Et elle était trop professionnelle pour tout laisser tomber maintenant. De plus elle se savait l'une des meilleures. Kerensky n'était plus habitué au terrain et Simon n'était pas un professionnel, donc sans elle, Largo se ferait sûrement tuer. Et elle ne le voulait pas.

- Je reste. Mais s'il t'arrive quelque chose, je t'aurai prévenu.
- Il ne m'arrivera rien. J'ai confiance en vous.
- Quand partons-nous ?
- Maintenant. Kerensky, on garde le contact, Marina, on t'explique le plan dans le jet.
- Pas le temps de faire des valises, je prends mes nouvelles fringues…
- D'ailleurs, commença Simon, on peut voir ?
- Hors de question, répondit-elle sèchement.
- C'est bon ! Calme ! Zen ! Pas mordre ! Moi gentil…
- Il faut savoir, mon cher Simon qu'une fille ne montre pas ses vêtements tout de suite. Je vous ferai une surprise, s'excusa-t-elle, radoucie.
- Bon, allez, on y va. Nous n'avons que très peu de temps.

Largo, Simon et Marina sortirent du Bunker, et se rendirent à JFK. Mais alors qu'elle allait monter à bord, Marina descendit :

- J'ai oublié quelque chose ! Je reviens tout de suite !
- Quoi ? Mais… ?
- Je reviens !

Elle alla s'isoler dans un coin, sortit son portable, tapa sur une touche de la mémoire de son téléphone.

- On a un problème.
- Que veut-il faire ?
- La même chose que la dernière fois. Sauf que ce n'est pas son père, c'est le livre. Je ne pourrai pas le retenir, il ne se rend pas compte.
- J'arrive.
- Non ! Tu mets ta mission en danger en venant !
- Je n'ai pas le choix. Je sais où vous vous rendez, je prends le premier avion.
- Tu es au courant de tout ?
- Je me tiens au courant de tout.
- Alors attention à toi.
- Je ne cours aucun risque en prenant l'avion. Toi par contre… Veille sur lui le temps que j'arrive.
- J'y compte bien.

*


Le temps était orageux et la lune entièrement recouverte par d'épais nuages gris annonciateurs de pluie. Le tonnerre grondait au loin. Un vent glacial soufflait.

- Je n'aime pas ça, on aurait dû… commença Marina.
- Ouais ouais, la coupa Simon. On comprend l'idée générale.

Elle lui lança un regard furibond et ils continuèrent d'avancer. Un couinement les fit tous sursauter. Un rat énorme passa en courant devant eux et alla se réfugier dans un coin d'ombre.

- Saleté de bête, je les déteste, chuchota la garde du corps.
- Ça me rappelle quelqu'un… fit l'ex voleur en souriant.
- Vous voulez qu'on se fasse repérer ? s'enquit durement Largo.

Marina soupira tout en re-vérifiant pour la énième fois que son chargeur était plein et le mécanisme en état de marche. Ils avaient assez de balles pour tenir un siège, mais, selon elle, ça ne suffisait pas. Il leur manquait quelque chose… Quelqu'un.

Un autre bruit la fit sortir de sa réflexion. Cette fois-ci, il ne s'agissait pas d'un rongeur. Un groupe d'hommes se dirigeait vers eux, discutant à voix basse. Avant même que les trois amis aient pu se dissimuler, les individus commencèrent à les assaillir, certains apparaissant comme par magie de tous côtés, tirant sur eux, comme déchaînés.

- Et bien sûr, il ne s'agit en aucun cas d'un piége ! ironisa Marina en tirant elle aussi sur leurs ennemis.
- Comment je pouvais savoir, hein ? dit Largo sur le même ton.
- T'avais qu'à nous écouter, pour une fois ! Si on sort d'ici, je te jure que je te fais la peau !
- Non mais, vous avez fini ! s'énerva Simon en rechargeant son arme, alors qu'une balle faisait exploser le coin d'une caisse, à moins de trente centimètres de sa tête. Eh m… cria-t-il par-dessus tout le tintamarre.
- Qu’est-ce que je vous avais dit ! répéta-t-elle.
- Je crois que je vois le porteur du Livre ! dit soudain Largo. J’y vais ! Couvrez-moi !
- Ne bouge pas ! firent en cœur ses deux amis.

Mais c’était trop tard. Il s’élançait déjà faisant fi des projectiles, semblant insensible au fait que sa vie était plus en péril à chaque pas qu’il faisait. Ce fut alors qu’il faisait un bond prodigieux, expédiant l’homme grisonnant porteur d’un étrange sac en toile sur le sol, que Marina fut touchée par une balle – destinée à Simon qu'elle avait poussé pour le protéger – qui lui érafla seulement le bras, mais lui fit un mal de chien. Grimaçant, elle relâcha un instant sa surveillance, et Simon vint près d’elle pour s’assurer qu’elle allait bien. Ce fut assez pour perdre de vue leur patron qui, lui non plus, ne vit pas l’autre individu un peu plus loin qui le visait. Il était trop occupé à ouvrir le sac, pour finalement n’y découvrir que des documents sans réelle importance. (note de Geneviève : Montréal, quoi !)

Un sourire apparut aux lèvres du tueur de la Commission. Enfin…

Mais alors que la balle quittait son chargeur, une ombre quitta un recoin et sauta, voire vola, percutant de plein fouet Winch et le sauvant par la même occasion.

- Joy ? Fit Largo en découvrant sa sauveuse.
- Espèce d’idiot ! lança-t-elle en roulant sur le côté pour ensuite abattre l’homme qui les regardait, étonné.

Ce dernier s’effondra. Joy se releva, épousseta son pull noir et lui jeta un regard en coin tandis qu’il se relevait, un peu plus difficilement.

- Mais qu’est-ce que tu… commença-t-il avant que le bruit des balles ne le ramène à la réalité.

Il reprit rapidement son arme tombée par terre. Lorsqu’il voulut se retourner vers Joy à nouveau, elle avait disparu. Encore.

*



- Mais puisque je vous dis que je l’ai vue ! répétait le milliardaire à ses amis, installés dans le Bunker. Elle était là !

Depuis plus d’une heure, il leur débitait ce monologue. Il cessa soudain de tourner en rond, ce dont le remercia mentalement Simon qui avait le tournis, et se frotta les yeux.

- Elle n’a quand même pas pu savoir toute seule où nous nous trouvions ! À moins d’avoir bénéficié d'une aide intérieure, bien sûr.

Il se tourna vers Kerenksy.

- Imaginons un bref instant que… qu’elle ait posé des micros ici, tu arriverais à les détecter ?
- Sans problème, répondit l’informaticien. Mais…
- Je te charge de l’affaire.Bon, il est tard. Rentrez tous chez vous, on se revoit demain.

Et il partit, Simon derrière lui

Dans le couloir :
- Larg’ ! Attends !
- Tu te rends compte qu’elle était là, Simon, et que je n’ai même pas pu lui parler ?

Il fit une pause et ralentit sa marche.

- Elle n’a pas changé, tu sais, dit-il doucement, le regard lointain.
- Elle te manque, pas vrai ?
- Si tu savais… Je ne parviens pas à l’oublier, même après tout ce temps. La revoir, tout à l’heure c’était… magique. J’ai oublié tout le reste soudainement. Comme s’il n’y avait plus qu’elle.

Ils montèrent dans l’ascenseur.

- Il faut que je la retrouve, vieux frère. On doit avoir une discussion.

*



Kerensky se mit à l’œuvre sitôt ses coéquipiers sortis. Le problème auquel il était confronté le tourmentait assez. Chaque semaine, il passait la pièce au peigne fin, armé de gadgets dernier cri dans le but, justement, de parer à toute éventualité. L’espionnage était monnaie courante, dans son milieu. Mais la routine à laquelle il se soumettait démontrait bien qu’aucun micro ni aucune caméra, si petits soient-ils, n’étaient dissimulés.

Il refit néanmoins l’expérience, histoire d’être sûr, puis, redoutant que l’ennemi se soit infiltré dans l’ordinateur principal, passa quatre bonnes heures à vérifier si tout était en ordre. Ensuite, il passa au crible tous les employés du Groupe W, usant d’un nouveau programme russe dont la provenance ne concernait que lui.

Ne trouvant rien, il décida, en soupirant, de mettre sur écoute les téléphones du Groupe. Il hésita tout d’abord, mais finit par mettre ceux des membres de l’Intel Unit aussi sous surveillance. Ce qu’il avait vécu l’année précédente, il ne le souhaitait à personne, car il se souvenait de ce qu’il avait alors ressenti ; mais sa conscience professionnelle reprit le dessus en lui disant qu’il n’avait pas le choix.

En éliminant dès le départ Largo, principale victime, et lui, bien sûr, il ne restait que Simon et Marina. Simon. Marina. Deux amis, même s’il connaissait la jeune femme depuis moins d’un an. La simple idée de croire à leur supposée traîtrise lui fendait le cœur, mais il se dit qu’il n’avait pas le choix. Il centra la surveillance sur eux.

Puis, satisfait, mais sachant que sa lourde tâche ne faisait que commencer, il se redressa sur son siège, s’étira longuement, bailla et ferma les yeux. Dehors, l’aube pointait son nez.

Lorsqu’à 11 heures, ce matin-là, Simon pénétra dans le Bunker, il alla s’asseoir face à Georgi qui, déjà, tapait frénétiquement sur son clavier. Nulle trace de fatigue sur son visage.

Marina fit un brève apparition, un peu plus tard, mais repartit bien vite, ayant un rendez-vous qui, comme elle l'avait agréablement fait remarquer à Simon, ne concernait qu'elle. Elle lui avait aussi conseillé de se préoccuper de sa propre vie privée et non de la sienne, mais Kerensky n'était pas sûr que Simon l'ait entendue, trop occupé à ne pas trembler de peur devant le regard glacial qu'elle lui lançait.

La semaine passa ainsi, sans que rien ne vienne troubler la routine du Groupe W. Les recherches que poursuivait le Russe dès qu’il était seul ne donnaient rien, ce qui désespérait leur instigateur. Largo, en effet, prenait cette affaire très à cœur. Chaque soir, il se rendait sur la terrasse de son appartement et, pendant de longues heures dont il perdait le fil, il songeait, et s’interrogeait. Bien sûr, il tentait de cacher à ses amis son état d’esprit, mais ceux-ci n’étaient pas dupes, car, de toute façon, son petit air mélancolique ne trompait personne.

Au plus profond de lui, malgré le fait qu’il en voulait terriblement à Joy de l’avoir fui pour la deuxième fois, il voulait comprendre les motivations qui l’avaient poussée à faire une telle chose. Mais il n’y arrivait pas. Ce qui le mettait plus en colère encore…


Bref, la routine…

Un matin, Kerensky, comme tous les matins, se mit au travail. Quelques minutes plus tard, Largo entra à son tour.

- Alors ? Demanda celui-ci après les salutations matinales.

Devinant quel sujet son patron voulait aborder, l’informaticien, peiné, commença :

- Rien, désolé.

Le milliardaire soupira. Il en avait assez.

- Alors on laisse tout tomber, déclara-t-il. Si jamais les autres découvraient que nous les avons fait surveiller, je n’ose imaginer leur réaction.
- Tu es certain ?
- Oui.

Un bip se fit soudain entendre, perçant.

- Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Largo.
- Je ne suis pas sûr, mais… je crois que nous avons finalement quelque chose.
- C’est vrai ? fit-il en s’approchant rapidement. Qu’est-ce que c’est ?
- Attends voir…

Il tapota quelques touches et ouvrit une fenêtre. Kerensky mit le son des enceintes plus fort, pour être sûr d'entendre tout ce qui se dirait de la conversation téléphonique.

" Allô ? "
" Marina ? Il faut qu'on parle. "
" Tiens, ça m'étonnait que tu me laisses m'en tirer à si bon compte aussi… "
" Tu peux venir à quelle heure ? "
" Quand tu veux, Largo ne sort pas du groupe aujourd'hui. "
" Huit heures ce soir, près de la statue de Washington dans Central Park. "
" A tout à l'heure. "



*


- Ce n'est peut-être pas avec Joy que Marina parlait… !
- Qui veux-tu que ce soit d'autre ?
- Je ne sais pas ! Elle a une vie privée aussi, elle aussi ! Peut-être que c'est une amie et que… Qu'il s'est passé quelque chose dont nous ne sommes pas au courant !

Mais la remarque de Kerensky ne convainquait personne, ni lui-même, ni Largo, ni Simon qui avait été appelé. Kerensky et Largo ne lui avaient pas dit que lui aussi avait été mis sur écoute, et pour le moment, ils avaient éludé la question.

- Le meilleur moyen de savoir, c'est d'aller voir.
- Et si ce n'est pas Joy ? Et si elle nous voit ? Tu lui diras quoi ? " On t'a mis sur écoute parce qu'on voulait savoir si tu étais en contact avec Joy Arden, mon ancienne garde du corps ! "
- Mais ce serait logique ! Elles auraient pu se connaître de la CIA et… Comme elle avait quelque chose à faire, elle lui a demandé de venir à sa place. C'était risqué, mais…
- Tu t'enflammes, Largo… Elle nous l'aurait dit ! On est ses amis, merde ! cria presque Simon.
- Peut-être qu'elles sont de la Commission, continua le milliardaire, et que ce sont elles qui, depuis le début, nous balancent.
- Tu deviens parano, Larg' !
- Comment savoir ? Elles ne nous disent rien ! Non, c'est décidé, à huit heures ce soir, je la suivrai. Vous viendrez si vous voulez, j'en prends la responsabilité.

*



A huit heures moins le quart, Marina rentra chez elle. Comme d'habitude, les autres la laissèrent faire, Largo étant dans son bureau, et les deux autres travaillant. Une fois la porte du Bunker close, Kerensky appela son patron, et tous les trois la suivirent. Malgré l'avance qu'ils avaient laissée à Marina, ils la rejoignirent vite.

Cachés derrière un bosquet, ils arrivèrent sur une dispute bien entamée.

- Non mais tu te rends compte de ce que tu as fait ? Tu n'as pas à protéger Simon, mais Largo !
- Tu aurais fait pareil ! protesta Marina.
- Et j'ai dû griller ma couverture ! poursuivit Joy. Ils m'avaient oubliée et à cause de ton incompétence, je me fais griller !! Que va dire mon père ?

Marina eut un sourire ironique.

- Que va dire ton père ? Tu te poses cette question, dans un moment pareil ? Je suis peut-être incompétente, Joy, mais moi, au moins, je ne suis pas le larbin de mon père ! Et puis si tu m'avais écoutée depuis le début, nous n'en serions pas là !
- Alors c'est ma faute ?! Tu n'as pas été capable de le protéger ! Tu préfères t'envoyer en l'air avec lui !
- Oh ! Alors ça, c'est bas, Joy ! très bas ! Parce que un, je ne me suis pas envoyée en l'air avec lui, j'ai stoppé quand ça a commencé à déraper…

De l'autre côté du buisson, Simon et Kerensky tournèrent le regard vers Largo, étonnés, et un peu en colère de n'avoir pas été mis au courant.

- Et petit deux tu n'avais qu'à leur dire la vérité !
- Tu peux parler !
- C'est toi qui me tiens la grappe pour que je me la ferme ! Tout ça pour protéger un secret débile ! La CIA est vraiment tombée bien bas !
- Tu en fais pourtant partie !
- Je… J'ai mes raisons.
- Lesquelles ?
- Tu veux quitter la CIA, c'est ça ?
- Ce n'est pas un secret.
- Il ne te reste plus qu'un an, Joy. Un an, et tu es libre.
- Oui, mais seuls mon père et moi étions au courant ! Comment… ?
- Après ton départ, ton père a un peu changé les règles. C'est ma liberté contre la tienne.

Largo ne savait plus comment réagir. Simon et Kerensky non plus. Leurs amies, Joy et Marina, non seulement se connaissaient, mais travaillaient pour la CIA. Le cerveau de Largo était en ébullition. Joy était donc partie car sa mission était terminée. Pourquoi l'était-elle ? Mystère. Peut-être avait-on besoin d'elle ailleurs. Mais pour une raison qu'il ne connaissait pas, la CIA voulait le garder en vie. Ils avaient donc pistonné Marina, à qui il avait fait confiance. Il s'était fait manipulé depuis trois ans. Soudain emporté par une colère, une rage infinie, il sortit de sa cachette, et se retrouva en face de Joy, qui s'arrêta dans son emportement. De dos à Largo, Marina ne le voyait pas.

- Quoi ?
- Comment… ? commença Joy.

Puis elle se tourna vers Marina, énervée.

- L'idée de vérifier si tu n'étais pas suivie ne t'as pas effleuré l'esprit, non ?
- Eh, je suis désolée, ça te suffit pas ! Je ne croyais pas qu’ils me suivraient !

Elle se tourna vers eux.

- Les gars, vous… commença-t-elle doucement.
- Je crois que tu en as assez fait comme ça, Marina, la coupa froidement Largo. Quant à toi, Joy, tu me déçois énormément.
- Largo… tenta celle-ci.
- J’avais confiance en toi ! cria-t-il. Et tu m’as trahi. Tu m’as menti, chaque jour depuis notre rencontre. Dis-moi, lorsque nous étions ensemble, c’était encore un jeu pour toi ? Ça t’amusait, de voir que je croyais réellement que tu pouvais ressentir quelque chose pour moi ?
- Largo, non… Je… Je ne jouais pas un rôle… Je… Je t'aimais réellement…
- Non, c’est terminé, je ne te crois plus.
- Laisse-moi au moins t'expliquer !
- Il n'y a rien à expliquer ! Tu m'as trahi, et rien de ce que tu diras ne pourra changer ça !

Le visage de son ancienne garde du corps se ferma et elle baissa les yeux.

- Je vois, fit-elle, la voix rauque, puis, en se tournant vers Marina. Tu sais où me trouver.

Après un dernier regard en direction de son ancien patron et ami qui lui lança un regard glacial, elle partit, disparaissant rapidement entre les arbres qui peuplaient le parc. Face aux regards durs que pointaient sur elle l’Intel Unit, Marina ne sut que dire. Alors qu’elle allait prononcer quelque chose, Largo lança :

- Venez, on s’en va.

Et elle resta seule, les regardant s’éloigner.

- Et merde !

*


Après une semaine d'enfermement dans le silence et dans le travail, Largo était finalement parti se balader avec Simon. A leur retour, le Bunker était vide. Largo alla s'asseoir sur le siège que Georgi occupait habituellement. Il finit par regarder l'écran de son ami.

- Hey ! Qu'est-ce que tu fais ?! demanda Simon.
- Ben je lis !
- Un conseil, Largo, ne fouille pas dans les affaires de Georgi ! La dernière fois que je l'ai fait, il m'a presque tabassé ! Heureusement que…

Mais un regard de Largo le fit taire. Il avait failli prononcer le mot tabou : Joy. " Marina " aussi était banni de son vocabulaire. Ça faisait beaucoup de mot bannis en peu de temps. De toutes façons, pensa Simon, avec le peu qu'il parle en ce moment...

- Bah, Georgi n'est pas comme elles, il n'a rien à cacher

Il parcourut du regard l'écran de Kerensky, et pâlit. Finalement, il commença à se mettre en colère.

- Ou peut-être qu'ils sont tous pareils !
- Quoi ?
- Lis !

A ce moment-là, le Russe entra dans le Bunker.

- Qu'est-ce que vous faites sur ma bécane !? rugit-il en fonçant sur eux comme un fauve pour les éloigner, ce qu'ils firent.
- Si tu me racontais plutôt pourquoi tu nous as caché que tu savais où se trouvait le livre ? demanda Largo en tentant de se contenir.
- Rien n'indiquait que les renseignements m'ont fournis mes sources étaient valables !
- Alors pourquoi de pas nous l'avoir dit, on aurait compris ! fit Simon.

Le Russe ne trouva rien à répondre. Il se contenta de fermer la fenêtre de son ordinateur, faisant ainsi disparaître toutes les données, de toutes façons déjà lues par ses amis.

- Pourquoi ai-je l'impression que tout le monde me fait des coups dans le dos, en ce moment ?! cria Largo en frappant du poing sur la table. D'abord Joy, puis Marina, et enfin toi ? Qui sera le prochain ? Toi, Simon ? continua-t-il en se tournant vers l'intéressé qui fit un pas en arrière.
- Eh ! Te trompe pas de cible non plus, hein ! Sans vouloir t'offenser, Kerensky, tu dois avouer que c'était pas très malin d'agir ainsi !
- Je craignais justement une réaction comme celle-ci, que je qualifie d'injustifiée. Je reconnais que j'aurais dû tout vous dire, mais maintenant, de toutes façons, il est trop tard. Une telle information à une semaine d'intervalle, c'est forcément un piège. Cet agent a le livre en sa possession, mais la Commission est sûrement déjà sur ses traces, et ce serait se jeter dans la gueule du loup que d'aller à ce rendez-vous.
- Tu sais quoi, je me fous pas mal de ce que tu penses ! jeta le PGD en tournant les talons et en se dirigeant vers la sortie d'un pas décidé.
- On peut savoir où tu vas ? questionna son meilleur ami.
- Dans cette casse dans la banlieue de New York. Départ dans une heure. Vous êtes libres de me suivre, mais je ne vous oblige à rien.

La porte se referma derrière lui. Simon regarda Georgi, qui comprit immédiatement, puis sortit à son tour rapidement. L'informaticien décrocha le téléphone et, calmement, composa un numéro. Un numéro qu'il avait relevé lors des investigations sur le " traître ". C'était le numéro de téléphone qu'il avait réussi à récupérer grâce à son tout nouveau programme. Mais pour le moment, là n'était plus la question…

- Joy ? On a des ennuis...

*


- Tu es sûr que c'est ici ? demanda Simon.
- C'est bien là, Simon, mais je continue de penser que c'est un piège, répondit Kerensky.
- On ne t'a pas obligé à venir, répliqua Largo.
- Tu préfères que je te laisse crever ? Mon indic est là.

Des voitures dans tous les états possibles et inimaginables étaient empilées les unes sur les autres, ou étaient seules, comme perdues au milieu des autres. Le lieu était morbide, à cause du ciel gris qui régnait en maître. Ils avancèrent dans ce qui semblait être l'allée centrale, et rencontrèrent un homme trapu d'une cinquantaine d'années. Il avait une barbe de plusieurs jours, et était agité de tics. Mais il n'avait rien dans les mains. Dès qu'il vit l'ancien agent, Largo accéléra le pas, en lui demandant où était le livre.

- Vous ne pensez pas que je l’aurais amené ici ? Le terrain est découvert, nous sommes à la merci du premier tireur venu ! Vous me donnez l’argent, et je vous dis où il est.

Largo lui tendit une mallette. Après que Kroënberg ait vérifié qu'il y avait bien la somme demandée, il leva la tête vers Largo, un sourire aux lèvres.

- Où est-il ? demanda Largo.

D'un geste de la tête, il montra une vieille carcasse de voiture, sans aucune vitre.

- La plage arrière.

Mais un bruit de crissement de pneus se fit entendre, et le groupe se retourna. Quatre camionnettes noires étaient entrées dans la casse. Le milliardaire se tourna vers Kerensky qui lui lança un regard qui signifiait " Je te l'avais bien dit ! ", et se jeta derrière une pile de voitures, tandis que Kerensky et Simon allaient de l'autre côté. Les balles commencèrent à ricocher. Le Russe se retourna et remarqua que son indic avait disparu dans la nature. Il n'était plus là, le Livre non plus. Ils avaient peut-être fait tout ça pour rien. Il maudit Largo et son ego, rechargea son revolver déjà vide, et se remit à tirer. A côté de lui, Simon n'en menait pas large. Il n'était pas un professionnel, et semblait chercher quelque chose du regard. Kerensky regarda dans la même direction que son collègue, et remarqua que Largo aussi avait disparu.

*



La fusillade a déjà commencé. Joy et moi échangeons un bref regard, et nous élançons dans la casse. La bataille semble faire rage. D'après la taille des camionnettes " garées " par un dérapage, ils doivent être une quarantaine d'hommes. Nous nous séparons, chacune d'un côté : moi à droite, elle à gauche. Je cours entre les carcasses de voitures, esquive des balles tirées par un agent que je tue rapidement. J'en rencontre encore quelques uns pendant ma course. Trois ou quatre, pas plus, je les tue, et j'aperçois Simon et Kerensky derrière une pile de voitures. Je les rejoins le plus rapidement possible.

Simon me voit, et donne un coup de coude à Georgi. Il ne semble pas spécialement surpris.

- Te voilà enfin ! fait Kerensky. Où est Joy ?
- J'en sais rien ! On s'est séparées.
- Pas très professionnel tout ça !
- Où est Largo ?
- Je ne sais pas !
- Pas très professionnel tout ça !
- Oh hé ! intervient Simon. Vous vous boufferez le nez plus tard !
- Quel est le plan ? demandé-je.
- On tire sur tout ce qui bouge et qui est de la Commission.
- Ça me va.

Je vérifie mon revolver, et commence à tirer.

- Combien sont-ils ?
- Il doit en rester une vingtaine. Ils sont bien cachés ces salauds !
- Bon, avec les quatre que j'ai tué, ils ne sont plus que seize ! Joy et Largo n'ont pas dû chômer non plus.
- Il faut partir d'ici ! fait Kerensky.
- Et laisser le Livre ici ? Non ! réplique Simon.
- Très bien, partez ! fais-je. Je m'occupe du Livre.
- Et qui nous dit que tu vas nous le ramener ? déclare Simon.

Il croit vraiment qu'on a le temps pour ça ?

- Ecoute, j'avoue, je vous ai menti vis à vis de mon vrai travail, de ma vraie motivation à venir bosser pour vous, mais je te jure que je vous rendrai le Livre si je le trouve.
- Après l'avoir filé à la CIA !
- Simon, je te demande de me faire confiance ! Si vraiment le Livre, et uniquement le Livre m'intéressait, tu penses vraiment que je serais ici ?

Il ne répond rien. Tant pis, je n'ai pas le temps de savoir si c'est un acquiescement ou non, j'y vais.

- Où est ton Kroënberg Georgi ?
- Disparu.
- De quel côté ?
- L'autre, sûrement, je sais pas !
- D'accord, couvre-moi.

Et je m'élance de l'autre côté de la casse. J'évite les balles de justesse, et je cours, zigzagant entre les voitures, et les pièces de toutes sortes. Je tourne le regard dans l'allée principale.

Largo, le Livre à la main, tire sur un homme, qui s'écroule. Un deuxième, puis un troisième. Mais il ne voit pas l'homme qui est derrière lui. Je cours le plus vite possible, mais plusieurs voitures me barrent la route.

En face de moi, Joy me regarde. L'agent de la Commission vise. Elle va le faire, il ne faut pas. Elle court, saute, et tire, tuant par la même occasion l'homme. Je hurle ; elle s'effondre, Largo n'a pas l'air de s'être rendu compte de ce qui s'est passé, et mon cri a été couvert par le bruit des coups de feu. Avec rage, je détourne les voitures, et me rue sur Joy.


*


Le temps semblait comme tourner au ralenti. Kerensky et Simon tiraient toujours, et Largo se retourna. Il remarqua Marina. Etonné de la voir ici, et surtout agenouillée auprès de quelque chose, ou quelqu'un, il leva le regard, et découvrit un agent de la Commission étendu dans la poussière, mort. Quelqu'un lui avait sauvé la vie en lui tirant dessus. Marina était là. Elle semblait tenir quelqu'un dans ses bras. Il accourut, pris de panique. Car si Marina était là, alors Joy ne devait pas être bien loin. Et si Marina tenait quelqu'un dans ses bras… il se pouvait que ce soit…

- Joy !

*


- Tu lui… diras que…
- Non non ! Tu le lui diras.
- Marina, la ferme ! Je…
- Allez, accroche-toi… C'est bon, ça ira, c'est rien ! C'est ce que tu m'as dit quand ça m'est arrivé la première fois, pour ma première mission…

Elle aperçut Largo à travers ses larmes. Il était en face d'elle.

- Joy !

Il la prit dans ses bras, et Marina le laissa faire, un peu sous le choc.

- Largo ? demanda Joy dans le flou le plus total.
- Oui, oui, c'est moi Joy ! Ça va aller ! Je… je suis désolé…

La bataille était terminée. Il n'y avait plus un bruit, ou, s'il y en avait, ni Marina ni Largo ne l'entendaient. Georgi et Simon arrivèrent, inquiets.

- Je… Pas dû te men… tir…
- Kerensky !! Appelle une ambulance ! cria Marina.
- Non… protesta Joy. J'ai eu de la… chance une fois…
- Jamais une sans deux ! tenta son amie.

Joy eut un faible sourire, et le cœur de chacun se serra, se doutant que ce serait le dernier.

- Largo… Je… Fais pour… toi. Je… t'aime…
- Moi aussi… Joy reste… S'il te plaît… Joy ! JOY !!

Mais c'était trop tard, après un dernier regard rempli d'une tendresse infinie, celui-ci devint vide. Ses paupières se fermèrent. Ses muscles se détendirent. Elle poussa son soupir, tandis que Marina criait un " Nooon " désespéré. Largo berçait Joy dans ce qui semblait un acte de folie. Kerensky et Simon regardaient sans vraiment le voir le visage désormais sans vie de celle qui avait été leur amie, malgré tout.

Et c'est alors que, au loin, les sirènes des pompiers et de la police résonnèrent, mais cette fois-ci, trop tard.

Ça fait trois semaines. Trois semaines que je vis sans toi, enfin, sans te savoir en vie, capable de revenir un jour, un jour où je ne t'attendrai pas. Trois semaines que j'ai récupéré le Livre, mais je n'en tire aucune fierté. Ce Livre c'était la clé de ma liberté, mais pourtant, c'est pire qu'avant. J'ai tout perdu. Si tu savais, Joy, comme je préfèrerais ne pas avoir ce foutu Livre, comme j'aimerais remonter dans le temps, et tout changer. Marina nous a tout expliqué. Je m'en veux encore plus. Je ne t'ai pas écoutée, je ne l'ai pas écoutée. J'étais aveuglé par la haine, par la rage de ce que je pensais être une trahison, parce que j'avais le sentiment que tu m'avais trompé. Je n'avais pas tout à fait tort, mais ce n'était pas ce que j'imaginais. En fait, la CIA se battait contre la Commission, mais de façon non officielle. Lors de ma " montée " au pouvoir, ton père a pensé que je pouvais être une arme contre la Commission. Alors il a fait comme avec Donovan, il t'a choisie, Joy. Il a envoyé sa propre fille à la mort. Et tu as accepté. Mais finalement, tu avais décidé de quitter la CIA. Tu n'en pouvais plus de me mentir, de nous mentir, à nous, ta nouvelle famille. Alors tu as conclu un pacte avec ton père. Tu faisais quelques missions importantes pendant deux ans, et ensuite, tu étais libre. Mais ce que tu ne savais pas, c'est que Marina avait fait elle aussi un pacte avec Charles. Car s'il trouvait que tu étais un excellent élément, il estimait encore plus Marina. Cette révélation m'a donné envie de vomir. Alors si tu avais quitté la CIA, Marina aurait exécuté tes missions. C'était sa liberté contre la tienne. Et j'ai tout gâché. Tout aurait pu redevenir comme avant si je n'avais pas tenté l'impossible, si j'avais, pour une fois, écouté les conseils de mes amis, beaucoup plus professionnels et compétents que moi. Je ne t'ai pas écoutée, je ne t'ai pas crue quand tu m'as dit que tu m'aimais. Je n'ai pas su t'écouter lorsqu'il le fallait et maintenant, j'en paie le prix. La peine, la douleur de ton absence d'une année n'étaient rien comparés à ce que je vis depuis trois semaines. Je sais que je ne te reverrai jamais. Et pourtant, finalement, c'était pour nous que je faisais tout ça. C'était pour nous, mais j'ai tout gâché. Ça ne va pas. Ça ne va plus, Simon n'est plus que l'ombre de lui-même ; son pacte étant rompu puisque tu es morte, Marina est venue travailler pour nous à la demande de Kerensky, qui lui non plus n'est pas dans son état normal. Quant à moi… Ben je te l'ai déjà dit, Joy, ça ne va pas du tout. Mais il paraît que ça ira mieux. Un jour. Mais ce jour est loin. Pour le moment, je me déteste. Je me détesterai toujours, mais ça ira mieux. Je réussirai à me regarder en face dans une glace sans éclater en sanglot. Un jour. Un simple jour… ça ira mieux.



Fin.





Joy