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Ils gardèrent un instant le silence.
Largo la regarda fixement sans dire un mot ; c’était à son tour d’être troublé.
Pour Joy, ce court instant de perplexité semblait durer des heures et la mettait à la torture.
Son "patron" demeurant sans réaction, Joy se décida à briser le silence.
Joy, dont l’angoisse était perceptible : Largo, je t’en supplie, dis quelque chose ! Ne me laisse pas comme ça …
Largo, se ressaisissant : Excuse moi, c’est la surprise. Je ne m’y attendais pas.
Joy, vivement : Tu sais, je ne vais pas tout plaquer du jour au lendemain en te laissant en plan. Il y aura quelques précautions à prendre. D’ailleurs, j’ai commencé à y penser, je connais peut-être quelqu’un qui serait à la hauteur pour le job et qui pourrait même s’intégrer à l’équipe. Et puis, je formerais mon successeur à tes habitudes pour que tu n’aies pas à en pâtir, que ce soit dans ta sécurité ou dans ton quotidien. Et puis, il faudra que…
Largo l’interrompit en déposant son index sur les lèvres de Joy d’un geste doux mais ferme.
Largo : Sssshhhuutttt Du calme. Premièrement, tu n’as pas à te sentir coupable de quoique ce soit. Tu ne me dois rien. Tu as déjà tant fait pour moi ! Tu as bien mérité de prendre un peu soin de toi… Je crois d’ailleurs t’avoir à plusieurs reprises suggéré de le faire un peu plus. Deuxièmement, je suis peut-être ton patron et ton protégé, mais je suis avant tout ton ami… Si c’est ce que tu veux vraiment, alors tu peux compter sur mon soutien. (Doucement) Du moment que tu n’en profites pas pour t’éclipser de ma vie, je crois que je pourrais m’y faire… même si personne ne saurait prendre soin de moi comme toi.
Joy l’écoutait attentivement, le regardant droit dans les yeux… ne remarquant même pas que le doigt qui était posé sur ses lèvres était devenu une main s’attardant sur sa joue…
Largo, continuant : Au fait, tu ne m’as pas encore dit quels sont tes projets ?
Joy lui raconta alors de cette journée décisive … le Dr Adam…sa rencontre avec Andrew Jones. Elle lui rappela également son goût pour l’art, passion héritée de sa mère. Elle lui confia le rôle qu’il jouait dans sa vie, son habitude de trouver refuge dans les musées et les galeries d’art… Largo buvait ses paroles, ravi qu’elle se confie un peu, pour une fois.
Joy : En fait, j’aimerais ouvrir une galerie. Oh, bien sûr une petite pour commencer, mais une affaire bien à moi. Tu vois ce que je veux dire ?
Une fois de plus, Largo resta silencieux. Non seulement toute cette histoire le laissait sans voix, mais surtout il était admiratif devant la passion inhabituelle qui s’était emparée d’elle depuis qu’elle parlait de ses projets… ou plutôt de ses rêves. Cela la rendait encore plus attirante que de coutume. Mais devant son regard toujours interrogateur et inquiet posé sur lui, Largo sentit qu’il était temps de prendre la parole.
Largo : C’est dingue… je ne t’avais jamais vu aussi enthousiaste pour quelque chose. Ca te va bien, très bien même. Ne t’inquiète pas, il n’y aura pas de problème. Après tout ce qu’on a traversé ensemble, le moins que je puisse faire c’est de te soutenir, comme tu l’as fait pour moi.
Pour appuyer ses paroles, Largo prit alors Joy dans ses bras… en tout bien tout honneur. Il put alors entendre Joy laisser échapper un soupir de soulagement et fut touché de constater à quel point elle accordait de l’importance à sa réaction.
Largo, pour détendre l’atmosphère : Hey, je crois que c’est l’occasion de porter un toast. Bouge pas, j’ai du champagne au frais à l’intérieur.
Joy, qui se détendit enfin : Inutile de demander pourquoi tu en as toujours au frais…
Largo, amusé : Je ne vois absolument pas à quoi tu fais allusion.
- Oh, quelle mauvaise foi ! Tu fais concurrence à Simon ?
Des rires éclatèrent à cette évocation.
L’ambiance redevint soudain aussi détendue que dans leurs plus grands moments de complicité.
Largo leur servit une coupe de champagne et porta un toast
Largo, faussement solennel : A ta nouvelle vie !
Joy, d’humeur taquine : Merci. Je suis contente que tu le prennes bien… Quoique je devrais peut-être être vexée, la perspective de devoir te passer de moi ne semble pas te chagriner le moins du monde.
Largo, plaisantant : Oh, ne crois pas ça ! Je fais le fier pour le moment, mais dès que tu auras le dos tourné, j’irais pleurniché sur l’épaule de Simon.
Puis, redevant sérieux : Je te l’ai déjà dit, je veux te voir heureuse… tant que tu restes dans ma vie, ça me va… Plus sérieusement, je dois te prévenir… Je suis pas sûr que Simon le prenne aussi bien. Il va lui falloir un peu de temps pour comprendre et s’y faire. Il t’admire beaucoup tu sais … et il a confiance. L’idée de devoir travailler avec quelqu’un d’autre ne va pas lui plaire. Il a eu du mal à trouver ses marques entre Kerensky et toi, un changement dans l’équipe équivaut pour lui à une remise en cause.
- J’en ai conscience. D’ailleurs, la personne à laquelle je pense est assez ouverte d’esprit pour accepter de travailler pour quelqu’un qui n’est pas du sérail… et avec un ex du KGB. Je pense même que Simon et toi devriez vous entendre avec lui.
Largo, intrigué et presque surpris : Lui ?
- Tu ne croyais quand même pas que je pensais engager une femme ? Avec Simon et toi, ce ne serait pas une bonne idée, je vous connais trop bien.
- Tu exagères, on n’est pas aussi insupportable que ça. De toute façon, je te fais confiance pour évaluer ses compétences. Qui que ce soit, te succéder ne sera pas facile… J’ai du mal à supporter d’avoir quelqu’un sur le dos en permanence… à part toi, bien sûr.
Joy, pas dupe : Bien sûr… quoique…hein, Largo ?
En guise de réponse, Joy eut le droit à son sourire charmeur, toujours si efficace pour esquiver une question embarrassante.
La suite de la soirée se passa dans le même esprit.
Après le départ de Joy, Largo resta un moment sur la terrasse, contemplatif, essayant d’imaginer ce que serait leur vie à tous après la démission de Joy…
Tous deux avaient convenu de ne rien dire aux autres avant que Joy n’ait contacté l’homme qu’elle pressentait pour être son successeur. Ils gardèrent donc le silence quelques jours et
Simon remarqua simplement que Largo était souvent pensif, sans qu’il put déterminer s’il était distrait, préoccupé ou malheureux. L’interroger sur cet état ne donnerait rien, depuis que le Groupe W était entré dans leur vie, Largo avait développé un talent rare pour l’esquive verbale (physique aussi remarquez ! lol).
Quelques jours plus tard, un soir
L’Intel Unit faisait le point des dossiers en cours autour d’une pizza dans l’appartement de Largo quand la standardiste annonça un appel longue distance pour Miss Arden, de la part d’un certain Kyle Church. Aussitôt, celle-ci s’excusa pour prendre l’appel dans la chambre de Largo, ce qui intrigua Simon :
Simon : Largo, c’est qui ce mec pour qu’elle cherche de l’intimité pour un simple coup de fil ? De la concurrence en vue, vieux, tu devrais te méfier…
Largo ne releva pas sa remarque et fit mine de s’intéresser au dossier confidentiel que lui soumettait Kerensky. Celui-ci, pas dupe, haussa un sourcil mais ne souffla mot.
Lorsque Joy sortit de la chambre, elle fit un signe de tête à Largo pur lui signifier que tout était OK… le moment était venu.
Simon : Hé ! On peut savoir ce qui se passe, si c’est pas trop vous demander ?
Pour la première fois, les 3 hommes virent Joy embarrassée, voire intimidée. Elle déglutit péniblement en cherchant ses mots. Largo décida alors de venir à son secours.
Largo, lentement : Suite aux blessures qu’elle a accumulées ces derniers mois, Joy a été vivement incitée par son médecin à réfléchir sur son style de vie…
Simon, méfiant et inquiet : Où tu veux en venir ? Joy, est-ce que ça va, je veux dire … tu n’as pas…
- Non Simon, je vais bien
- Mais alors… ?
Joy « lâcha le morceau » péniblement : J’ai décidé de tout arrêter.
Simon et Kerensky, en chœur : Quoi ? ? ?
Joy baissa la tête.
Largo, étonnamment professionnel : Vous avez bien entendu, Joy a décidé de changer de job. Ce qui veut dire que l’équipe va devoir accueillir un nouveau membre…
- Hey ! STOP ! J’y comprends rien ! J’ai loupé un épisode ou quoi ? Largo, qu’est-ce que…
- Du calme, Simon ! Tu as très bien compris.
- Et TU acceptes ça ? Comme ça, sans rien dire ?
- Simon, s’il te plaît… murmura Joy
- Simon, ça suffit ! Joy a fait son choix, nous devons l’accepter et la soutenir.
- J’le crois pas. Je peux pas le croire.
Largo, ignorant Simon qui arpentait la pièce dans tous les sens : Joy a contacté quelqu’un pour lui succéder. Peux-tu nous en dire plus sur lui, Joy ?
Joy, d’abord bredouillant, puis retrouvant son assurance au fur et à mesure qu’elle parlait boulot : Il s’appelle Kyle Church. Il a la trentaine, je le connais depuis longtemps. Il est très bon et surtout il est fiable. Kerensky, je suis désolée…
- Laisse moi deviner, c’est un ex de la CIA ?
- Gagné, tu crois que ça ira ?
Kerensky, laconique : J’ai connu pire. D’ailleurs, Church a bonne réputation, pour un agent capitaliste.
Largo : Dis m’en plus sur ce type. Après tout, on est censé devenir inséparable lui et moi.
Tu as dit qu’on devrait bien s’entendre, qu’est ce qui te fait penser ça ?
- Hhumm, disons que… vous avez certains goûts en commun.
Kerensky, affirmatif : La fête et la gent féminine.
Joy confirma : La fête et la gent féminine. Ce qui ne l’empêche pas d’être d’une efficacité redoutable. Il ne faut pas se fier à son éternelle décontraction. Elle n’est qu’illusion, Kyle est en permanence aux aguets.
Simon assistait à la scène, médusé. Il n’en revenait pas : Joy les quittaient et les deux autres réagissaient comme si elle partait en vacances ! La "famille" qu’ils avaient formée se disloquait et il était le seul à qui cela posait un problème ! Que Kerensky reste de glace passe encore, mais Largo ! Non décidément, tout ça ne lui plaisait pas du tout !
Sans dire un mot, Simon, furieux, se dirigea vers la porte…
Joy : Simon, je t’en prie je…
Trop tard. Il était sorti et avait claqué la porte. Joy avait beau s’y être préparée, elle était néanmoins consternée de sa réaction.
Largo se leva alors et vint passer un bras autour de ses épaules pour la réconforter.
Largo, doucement : Je t’avais prévenu. Il lui faut du temps…
Kerensky : Il n’est pas du métier… et il prend les choses trop à cœur.
- Toi, tu me comprends n’est-ce pas ?
Kerensky, approuvant de la tête : Par expérience, je sais que, tôt ou tard, c’est une décision que nous devons tous prendre. Que comptes-tu faire à présent ?
- Et bien, j’aimerais ouvrir une petite galerie d’art. J’ai un peu d’argent de côté et quelques contacts… ça sera pas facile, mais ça peut marcher.
Kerensky, songeur : Joy Arden loin de l’action et du danger, je serais curieux de voir ça.
- Oh, mais tu vas le voir, n’en doute pas.
- On te fait confiance pour ce qui est d’arriver à tes fins répliqua Largo, amusé.
Kerensky : L’arrivée de Church est prévue pour quand ?
- Il sera là dans 3 jours.
Kerensky : Si vite ? Je suppose que c’est mieux comme ça.
Sur ce, il sortit à son tour de l’appart et regagna son cher Bunker.
Tard dans la nuit, une boîte à proximité du Winch Building
Simon était assis au bar, devant un whisky et, chose surprenante, il était seul. Il n’avait vraiment pas la tête à draguer ce soir.
Il contemplait, pensif, le fond de son verre presque vide quand il sentit une présence. Un géant blond s’était assis sur le tabouret voisin et commandait une vodka à la barmaid qui s’escrimait en vain à faire du charme à Simon depuis 20 bonnes minutes !
Simon, ironique : Laisse tomber, pas ce soir, j’ai la migraine !
Kerensky : Cesse de te comporter comme un gamin. Joy n’est pas ta mère ! Elle a le droit de vivre sa vie.
- Tu t’en fous qu’elle se barre ?
- J’ai pas dit ça. J’essaye juste de la comprendre. Tu devrais essayer. J’ai cru comprendre que c’est ce que font les amis.
- On a besoin d’elle !
Une voix se fit entendre derrière eux :
Largo : De quoi tu parles ? du boulot ou du reste ?
- Qu’est-ce que tu fous là ?
- C’est plutôt à toi qu’il faut demander ça. T’as été odieux avec elle. Tu es conscient que tu lui as fait de la peine ?
Simon, lui tournant le dos : Je te trouve mal placé pour me faire ce genre de reproches !
Largo, posant sa main sur l’épaule de Simon pour l’obliger à le regarder : Arrête ton cirque, Simon, c’est pas à moi que t’en veux, c’est à Joy ! Tu lui en veux parce qu’elle t’a rien dit alors que d’habitude ; c’est à toi qu’elle se confie.
Simon leva soudain les yeux vers Largo, surpris.
- Tu crois que j’ai pas remarqué vos messes basses dans mon dos ? Mais crois moi, t’as aucune raison de lui en vouloir. T’as même pas cherché à discuter de ça avec elle. Sa décision te pose un problème ? Alors vas lui parler, nom de dieu, au lieu de faire la gueule !
Kerensky, qui était resté en retrait pour laisser les deux amis s’expliquer, commençait à s’inquiéter de la tension qui montait entre eux. Aussi fut-il soulagé de voir Simon se calmer un peu.
Simon : Tu réalises qu’on risque de la perdre.
- Non, Simon, c’est si elle reste qu’on risque de la perdre… définitivement.
- J’ai quand même du mal à admettre que tu la laisses s’éloigner de nous… de toi surtout.
Largo, énigmatique : Qui a parlé de s’éloigner ?
- Qu’est ce que tu veux dire ?
- Moi ? Rien de particulier.
Kerensky, plein de sous-entendu : Ce que Largo essaye de te dire avec sa mauvaise foi de capitaliste, c’est que même si Joy ne travaille plus pour lui… ça ne veut pas dire qu’elle ne fera plus partie de sa vie. Ce sera différent, c’est tout.
Simon : Ooohhh, déjà c’est plus clair ! Remarque, là, t’as plus trop le choix, si tu veux la garder, va falloir faire un effort !
Largo, avec une parfaite mauvaise foi : Je ne vois absolument pas de quoi vous parlez.
Puis, tournant le dos :
Bon, je vous laisse. Pas de bêtises, OK ?.
Simon : Où tu vas ?
- Voir Joy, je crois qu’elle a besoin qu’on lui remonte le moral. Pendant que tu y es, Simon, réfléchis à la manière dont tu vas lui présenter tes excuses. Elle risque de t’en vouloir.
Largo se dirigea vers la sortie.
Simon, donnant un coup de coude à Giorgi : Hey, il a l’air de trouver ça normal de rendre visite à Joy au beau milieu de la nuit.
Kerensky : Et alors ?
3h du matin, chez Joy.
TOC TOC TOC… TOC TOC TOC
Joy qui ne dormait pas, se leva et alla ouvrir… à Largo.
Joy, surprise : Largo, qu’est-ce que tu fais là ?
Largo, réalisant l’heure : Heu… excuse moi de débarquer comme ça, à cette heure… j’avais pas fait gaffe. Je te réveille ?
- Non, en fait, j’arrivais pas à dormir.
- J’ai parlé à Simon, je crois qu’il va faire un effort. Je suis désolé que ça ait été si dur tout à l’heure. C’est ça qui t’empêchait de dormir, pas vrai ?
- Hhhmm, je dois avouer que oui.
- D’après ce que j’ai compris, il a peur que tu ailles faire ta vie ailleurs, loin de nous.
- J’ai pas l’intention de partir où que ce soit pour l’instant. Vous ne vous débarrasserez pas de moi si facilement.
- J’espère bien. Mais histoire de rassurer tout le monde, j’ai une proposition à te faire.
Joy, intriguée : Je t’écoute.
- Voilà, j’ai repensé à ton projet d’ouvrir une galerie. Les contacts d’Andrew Jones te seront utiles, mais ça ne suffit pas ! Si tu veux ouvrir ta propre galerie et faire les chose bien, il va te falloir pas mal d’argent…
- Une minute, je vois où tu veux en venir ; mais je veux me débrouiller seule, monter ma propre affaire… pas une filiale de plus du Groupe W.
- Je sais, je sais. D’ailleurs, le Groupe W n’a rien à voir là-dedans.
Voyant que Joy allait protester, il prit les devant, très pro :
- Laisse moi finir avant de refuser. Il ne s’agit pas de trouver un moyen de te faire rester au Groupe W, ni même de te donner un coup de pouce. Je te parle business.
Joy sourit.
Largo, s’en apercevant : Je sais que j’ai parfois du mal à m’en souvenir moi-même, mais je suis un homme d’affaires. Je te propose simplement d’investir dans ta galerie, à titre personnel. Mais je te préviens, j’espère bien en tirer un retour sur investissement très bientôt. Et puis j’y mets une condition, qui n’est pas négociable.
- Laquelle ?
- Tu t’installes dans le quartier. Il est plutôt prestigieux, c’est bon pour les affaires… Ca devrait également rassurer Simon … (sourire charmeur) Et en plus, je pourrais continuer à te voir tous les jours ! Tout le monde y trouve son compte. Inutile de te décider tout de suite. Je te laisse y réfléchir.
J’avais demandé aux lecteurs de se mettre à la place de Joy, que décider ?
A / elle refuse pour préserver son indépendance : c’est son projet, elle le mènera seule
B / elle accepte en insistant sur le fait qu’il ne s’agit que de business
C/ elle accepte si Largo supprime sa condition : pas question de les laisser régenter sa vie.
D / elle accepte sans réserve.