Candy rajusta sa jupe et vérifia une dernière fois sa tenue. Elle sourit. Elle était torride. Elle jeta un petit coup d’œil par la fenêtre, le halo des réverbères éclairaient les minces gouttes de pluie qui encombraient le ciel. Elle soupira. Les mecs n’ont pas envie quand il pleut. Elle haussa les épaules et ramassa son sac à main. Pas le choix, elle devait bien gagner sa vie.
Elle s’apprêtait à sortir lorsqu’on frappa à sa porte. Un instant, elle craignit qu’il s’agisse de son mac, Rickie. Elle lui devait du fric _ raison pour laquelle elle devait à tout prix faire une ou deux passes ce soir-là _ et demanda prudemment l’identité de son visiteur.
“ Candy, c’est Jack. ”
Elle fut soulagée et ouvrit la porte.
“ Jack, trésooor ... Tu commençais à me manquer. Mais tu n’es pas venu seul ... rajouta-t-elle, un peu déconcertée.
- Tu as déjà vu ma fille, Rebecca. ”
Bartlett esquissa un sourire forcé. Il tenait Joy par la taille, et pointait son revolver dans son dos. Sa fille ne bougeait pas, mais son visage contracté était suspicieux.
“ Si tu veux que cette fille reste en vie, Joy, tu as intérêt à jouer le jeu ... ” murmura-t-il.
Candy plissa le nez, perplexe devant ces messes basses.
“ Que se passe-t-il ?
- Oh rien ... C’est juste que ma fille et moi, on a besoin d’un petit pied à terre, seulement pour cette nuit, voire quelques heures à tout casser. Ca ne te dérange pas ?
- Oh eh bien euh ...
- Rassurez-vous, nous nous ferons tous petits. C’est temporaire, sourit Joy, jouant le jeu de la fille aimante, par peur qu’il ne fasse du mal à cette femme.
- Ben non alors, c’est juste que c’est pas le grand luxe ici.
- Ca nous ira très bien. ”
Candy s’écarta du seuil et laissa entrer Ted et Joy. Bartlett dissimula savamment son revolver.
“ Euh écoutez, il faut que j’aille bosser. J’en ai pour quelques heures, alors, euh ben installez-vous, faites comme chez vous. A plus tard.
- C’est ça, marmonna Ted, à beaucoup plus tard. ”
Candy mima un baiser en direction de Bartlett et celui-ci esquissa un rictus qui se voulait complice. Puis la prostituée claqua la porte derrière elle. Aussitôt les visages de façade de Joy et de son père disparurent.
“ Salopard.
- Ce n’est qu’une pute.
- C’est un être humain. Je suis sûre qu’elle ne mérite pas ça.
- Ce n’est pas ton problème Becca.
- Ne m’appelle pas comme ça !
- C’est pourtant ton nom. Je l’ai choisi à cause de l’héroïne d’un film du même nom. Je te voulais aussi belle qu’elle. ”
Il la détailla de bas en haut.
“ Et sur ce point-là, au moins, tu es parfaitement réussie. ”
Bartlett fouilla dans un des tiroirs de Candy et trouva une paire de menottes. Il attacha l’un des anneaux au poignet de Joy, puis l’autre au barreau du lit de Candy. Puis il rangea son revolver dans sa ceinture.
“ Au moins tu resteras un peu tranquille comme ça. ”
Il se dirigea vers la salle de bain et en ressortit un nécessaire médical. Lors de la fusillade dans l’entrepôt de Main Street, Charles Arden avait tiré en direction de sa main et son poignet avait été éraflé par une balle. Il saignait peu mais craignait que cela ne s’infecte. Il déposa le nécessaire sur le lit de Candy et s’assit aux côtés de Joy.
“ Tu vois, Arden continue à me pourrir la vie.
- On se demande pourquoi ... rétorqua Joy, grinçante.
- Ne sois pas si dure. Tu changeras d’opinion sur moi un jour. J’ai pensé à toi tous les jours depuis vingt ans. J’essayais de m’imaginer comment tu étais, ce que tu faisais. J’avais des contacts à l’extérieur que je payais pour te surveiller. Oh Charles Arden en a bien tué quelques uns, mais j’en trouvais toujours d’autres pour les remplacer. L’appât du gain ferait faire n’importe quoi aux êtres humains qui sont si faibles. Toi et moi nous sommes d’une autre trempe de personnes. Même si c’était à distance je t’ai vue grandir. On me rapportait ce que tu faisais, où tu étais. Parfois on m’amenait même des photos de toi. Je t’ai vue t’épanouir, de la plus belle petite fille au monde, tu es devenue une splendide jeune femme, si attirante ... Et désirable. Il y a beaucoup d’hommes qui te désirent pas vrai ? ”
Joy ne répondit rien, dégoûtée par le ton rauque qu’il avait pris en lui parlant, détaillant son physique.
“ Je l’ai eu en travers de la gorge quand j’ai appris que tu étais entrée à la CIA. L’éducation de Charles t’avait pervertie. Mais qu’est-ce que j’étais fier quand j’ai su que tu étais devenue une tireuse d’élite, l’une des meilleures de l’Agence. Quand tu as claqué la porte de la CIA, faisant preuve de tout ce courage et ce caractère, j’ai bien reconnu là ma fille. J’ai de quoi être fier de toi. ”
Joy détournait toujours les yeux, bien décidée à ne pas lui parler. Bartlett parut agacé, il voulait avoir son attention. Il délaissa la bouteille de désinfectant pour la lui tendre.
“ Soigne-moi. ”
Elle tourna vaguement la tête vers lui mais ne fit aucun mouvement. Agacé, Bartlett dégaina son revolver et insista.
“ Allez soigne-moi. Avec délicatesse, je te prie. Comme une fille soignerait son père. ”
Joy préféra ne rien répondre, et décida de jouer le jeu, jusqu’à ce qu’elle trouve un meilleur plan pour lui fausser compagnie. Endormir sa confiance était la meilleure manière. Elle saisit la bouteille de désinfectant, en imbiba un coton, et commença à le tamponner sur sa plaie, sans mot dire.
“ C’est bizarre, je n’avais jamais voulu avoir d’enfants. Ca ne m’avait même jamais effleuré l’esprit. Quelle inutilité ... Et puis avec le métier que je faisais, un gosse, ce n’était qu’un boulet, fait pour ralentir. Mais quand Beth m’a annoncé qu’elle était enceinte, bizarrement, ça m’a rendu heureux. Heureux comme je ne l’avais jamais été de toute ma vie. J’ai aussitôt claqué la porte à toutes mes maîtresses, et je me suis consacré exclusivement à ta mère, ou plutôt à sa grossesse. Elle, elle ne m’intéressait plus vraiment. Je n’en avais que pour toi. Si tu avais la moindre idée de tout le bonheur que tu me procurais. Tu dois bien t’en souvenir non ? Tu dois bien savoir comme tu as aimé ton père autrefois ? Becca ! ”
De sa main valide, il la saisit par le menton pour la forcer à le regarder droit dans les yeux. Son regard était étrange, bien différent du regard cruel et suffisant qu’il arborait la plupart du temps. Il semblait réellement sincère, pathétique. Dans ses yeux se lisaient une réelle détresse, un désir intense de s’accrocher à un passé aujourd’hui révolu, envers et contre tout. Joy se sentit glacée en comprenant que l’homme qui se trouvait face à elle et qui la répugnait éprouvait une affection et une tendresse réelle et sincère envers elle.
“ Tu ne te souviens pas ? ” murmura-t-il, la voix rauque.
Joy se contenta de baisser la tête et de continuer à soigner sa blessure. Elle posa la bouteille de désinfectant, ainsi que le coton, pour dérouler un bandage qu’elle commença à installer autour de son poignet. Bartlett poussa un soupir vaincu.
“ Bien sûr que tu ne te souviens pas. C’est si loin de toi tout ça. Je ne suis qu’un inconnu pour toi. On t’a lavé le cerveau. C’est étrange. J’aurais dû prévoir que cela se déroulerait ainsi, mais c’est triste de comprendre qu’on a donné tout son amour et toute sa vie pour une enfant qui des années après ne s’en rappelle même pas. Et s’en moque éperdument.
- Ne crois pas que je vais avoir pitié de toi, lâcha Joy, neutre.
- Pas de pitié, non, je hais la pitié. Je veux juste que tu acceptes le fait que je sois ton père. Je veux que tu acceptes que je sois capable de tendresse et d’amour. ”
Il caressa lentement son visage, avec une infinie douceur.
“ Mais seulement pour toi. ”
Joy fixa le bandage.
“ C’est fini. ”
Ted parut ne pas entendre et continuait à fixer le visage de sa fille, rêveur, coupé du monde. Sa main droite continuait à serrer son revolver. Il le braqua sur elle, méfiant malgré tout, leva le bras, jusqu’à ce que son arme vienne frôler sa nuque. Joy frissonna en sentant le contact froid du revolver sur sa peau. Son cœur s’accéléra, et comme s’il ne s’en était pas rendu compte, Bartlett recommença à parler, la voix lente, presque dans un murmure.
“ Si tu savais à quel point c’est difficile ... Je suis obligé de menacer la chair de ma chair avec une arme barbare pour espérer la toucher. Je dois déclencher le chien du revolver, et tenir fermement la gâchette, si je veux embrasser ma petite fille sans qu’elle ne se débatte ... C’est horrible tu ne trouves pas ? ”
Le visage de Bartlett se rapprocha sensiblement de celui de Joy, elle put sentir son souffle chaud sur son visage, et son estomac se souleva de dégoût. Elle tenta de détourner la tête, insensiblement, mais son père s’en rendait compte, et à chacun de ses mouvements, enfonçait plus profondément le canon de son revolver contre sa gorge, le doigt fébrile sur le gâchette. Joy étouffa un gémissement nerveux et paralysée par la peur ne put que fermer les yeux lorsqu’il posa ses lèvres sur les siennes.
Le chaste baiser ne dura qu’un instant, mais Ted continua à frôler le visage de Joy du sien, comme pour mieux la sentir, et sa main libre parcourait les courbes de son corps pour la caresser. Joy, nerveuse et horrifiée, se contractait le plus possible, et se raidissait, espérant avec ferveur qu’il arrêterait. Alors que sa main prenait possession de l’une de ses cuisses, elle laissa échapper une plainte de dégoût, et aussitôt la caresse prit fin.
“ Je te répugne n’est-ce pas ? demanda-t-il.
- Plus encore que ça ... ” lâcha-t-elle entre ses dents, la mâchoire crispée.
Il s’écarta d’elle, et scruta son regard. Le sien semblait blessé, et mêlait colère et frustration.
“ Même les miens ne me comprennent pas. La solitude ... C’est être déjà mort. J’ai déjà perdu la fille aimante que j’ai eue autrefois. Une fille qui ne veut plus de l’amour de son père. ”
Il cessa de braquer sa nuque mais continua à la viser. Il soupira, d’un air plaintif et désabusé.
“ Je t’ai vue chez Beth. Sur le porche, avec cet homme, celui pour lequel tu travailles. Tu aimais ça quand il t’embrassait, pas vrai ? ”
Bartlett se para d’un regard cruel.
“ Ma jalousie pourrait me le faire rajouter à la liste de personnes à abattre. J’imagine que tu aurais beaucoup de peine si je tirais une balle en plein dans sa belle gueule ? Ca t’arracherait le cœur, pas vrai ? ”
Joy se contenta de poser sur Bartlett un regard haineux.
“ Oui, c’est une bonne idée. Au moins tu pourrais ressentir ce que moi je ressens. Le cœur arraché et piétiné par sa seule famille.
- Espèce de sale pourri ! Je te promets que je te ferai la peau ! Tu ...
- Chut ... Ne crie pas comme ça. Je ne lui ferai rien à ton playboy ... C’est vrai que j’ai envie de ... le démolir. Si je n’avais pas passé tout ce temps en prison, ce genre de type n’aurait même pas pu te regarder de loin. J’aurais su te préserver de tous ces regards masculins pervers. Tu aurais été à moi, et rien qu’à moi. Mais je ne veux pas te faire de mal, Becca. Dorénavant, quand tu souffriras, je souffrirai avec toi. Non, je ne le tuerai pas. ”
Bartlett pointa son revolver contre le ventre de Joy et se rapprocha d’elle. Il sentit son parfum, nichant son visage au creux de sa nuque. Puis il posa sa tête contre son épaule et soupira profondément.
“ On sera bientôt tous les deux. ”
Puis sans crier gare, il enfonça une aiguille, qu’il avait saisie discrètement dans la poche de sa veste, de l’autre côté de sa nuque. Elle poussa un petit cri étouffé, puis tourna de l’œil au bout de quelques secondes.

***



Largo essuya une larme d’angoisse coulant sur son visage d’un geste précipité de la main. Ses doigts ensanglantés laissèrent une trace rouge sur sa joue. Puis sa main alla rejoindre l’autre qui compressait à l’aide d’un chiffon la plaie de Simon saignant abondamment en pleine poitrine. Son ami avait perdu toutes ses couleurs, et ne réagissait toujours pas. Régulièrement, Largo prenait son pouls pour s’assurer qu’il était toujours vivant. Et il l’était, même si son cœur battait faiblement et irrégulièrement. C’était ce qui lui donnait la force de continuer.
“ Allez, accroche-toi Simon, l’ambulance va arriver ! ”
Il soulevait ses paupières de temps en temps, mais rien à faire, son ami était toujours inconscient. Et c’était mauvais signe pour une plaie par balles. Que faisaient ces foutus médecins ? Cela faisait plus d’un quart d’heure qu’il avait appelé l’hôpital !
Il pensa rapidement à Joy. Son cœur se serra, il était angoissé pour son amie, mais savait qu’elle était vivante. Si Bartlett avait pris la peine de la kidnapper plutôt que de l’abattre sur place, cela signifiait qu’il la voulait en vie. C’était ce qui lui permettait de se concentrer sur Simon, dont l’état était affolant.
Il sursauta, entendant la porte d’entrée de la maison s’ouvrir d’une volée. Comme si c’était le moment. Il ramassa son revolver, échoué aux côtés de Simon, souillé par la mare de sang s’écoulant de son ami, l’essuya fugitivement sur son jean avant de viser vers l’entrée du salon, prêt à accueillir les visiteurs. Il vit leurs armes d’abord, la tension monta d’un cran, puis il reconnut deux visages. Charles Arden et Kenneth Goren. Épuisé, il lâcha son revolver, et sans plus faire attention à eux, reporta ses soins sur Simon.
“ Que s’est-il passé ici ? demanda Goren tandis que Charles allait prendre le pouls de Beth, gisant au milieu de salon.
- Rien à faire pour elle, grinça Largo, la voix exaltée par l’adrénaline. Elle est morte sur le coup. Simon est encore vivant, mais je ne sais pas s’il va tenir longtemps ...
- Vous avez appelé une ambulance ?
- Naturellement ! ” rétorqua Largo avec impatience.
Charles échangea un bref regard avec Goren.
“ Bartlett nous a devancés. Où est Joy ?
- Bartlett l’a enlevée.
- Comment ? hurla Charles. Et vous avez laissé faire ça ? ”
Largo sortit de ses gonds et pointa d’un doigt accusateur, enduit de sang, le père adoptif de Joy.
“ Et vous comment avez-vous pu laisser faire ça ? Si vous aviez raconté la vérité dès le départ à Joy au lieu de courir après vos secrets, rien de tout cela ne serait arrivé ! Tout ce sang, tous ces morts, on vous les doit ! ”
Charles resta sans voix et Goren allait calmer le jeu quand une alarme d’ambulance retentit.
“ Les voilà, c’est pas trop tôt ! ”
Goren courut vers l’entrée de la maison, pour accueillir les ambulanciers, qui débarquèrent au bout d’une minute dans le salon, munis d’un brancard. Largo s’écarta, laissant les deux hommes examiner sommairement Simon avant qu’ils ne le fassent basculer sur le brancard pour l’hospitaliser d’urgence. Largo essuya rapidement ses mains sur son pantalon puis sortit une carte de sa veste qu’il tendit à Goren.
“ Je vais à l’hôpital. Retrouvez-moi Joy. Dès que vous avez du nouveau, contactez-moi à ce numéro.
- Aucun problème. Bonne chance. ”
Largo hocha la tête puis courut à la suite des ambulanciers pour partir avec eux. Une fois l’ambulance partie, un calme plat retentit dans la sombre maison. Goren décrocha son portable pour appeler une équipe du coroner et d’agents de périmètre pour sceller les lieux. Puis il passa un rapide coup de fil à son partenaire pour lui expliquer la situation tandis que Charles marchait de long en large dans le salon ravagé. Le corps sans vie de Beth, une morte blanche et pâle. La mare de sang qui commençait à sécher en lieu et place de Simon Ovronnaz. Lors d’un échange de coups de feu, le lustre du salon avait été touché. L’endroit était sombre.
“ Largo Winch avait raison ... lui dit Goren, le sortant de ses rêveries. Tout ce gâchis pour rien.
- Je croyais prendre la meilleure décision.
- Quatre meurtres. Un blessé grave. Votre fille disparue. Acceptez votre erreur.
- Je ne voulais pas que ça aille si loin. Ce n’est pas moi qui ait fait libérer Bartlett.
- Mais vous avez caché la vérité à tous ces gens. Ca les a tués. ”
Goren soupira.
“ Ne touchez à rien, les renforts que j’ai appelé ne vont pas tarder. Vous devriez sortir. ”
Charles ne releva pas l’offense à son expérience solide de fin limier, et se contenta de quitter la maison. L’odeur de sang et de poudre mélangés commençait à devenir nauséeuse, il avait besoin de prendre l’air. La nuit froide fouetta son visage. Ils avaient tous raison. C’était de sa faute. Mais ils l’accusaient, haineux et agressifs, comme si lui ne s’en rendait pas compte. Il savait parfaitement à quoi s’en tenir. Il avait juste cru qu’il parviendrait à maîtriser Bartlett avant qu’il ne fasse trop de dégâts. A présent que faisait-il à Joy ?
Il grimaça de dégoût. Même s’il retrouvait sa fille, elle le haïssait. Il avait tout perdu. Il aurait dû se douter que cela se terminerait comme cela. Mais il n’y pouvait rien. La toute première fois qu’il avait vu cette petite fille, qui se promenait dans les rues de Paris avec Ted Bartlett, il en était tombé amoureux, et il la voulait, pour lui et sa femme. Il était dégoûté de savoir qu’un homme tel que Bartlett pouvait chérir une enfant si douce et joyeuse alors que lui et sa femme restaient désespérément seuls.
Lorsque Bartlett avait quitté Londres, laissant Rebecca seule avec Beth Miller, il avait surtout pensé à lui et à cette petite fille, beaucoup plus qu’au terroriste qu’il devait appréhender. Il avait ordonné cette extraction, sous le regard perplexe des membres de son équipe. Son bras droit avait bien tenté de le raisonner, mais sa décision était prise. Il ramènerait cette enfant avec lui aux États-Unis. C’était ce qu’il avait fait.
Tandis qu’on interrogeait Beth Miller pour qu’elle donne Bartlett, lui s’était attaché à l’enfant. Plus il lui parlait, plus il était certain de ce qu’il voulait. Il voulait adopter cette enfant, en faire sa fille. Ce désir est devenu plus fort chaque jour et à l’issue du procès de Bartlett, il prit la cruelle mais juste _ du moins était-ce ce qu’il pensait _ décision de séparer Rebecca de Beth. Et il avait ramené cette petite fille rebaptisée Joy chez lui pour la présenter à sa femme.
Joy était devenue leur fille.
Même si au fond de lui il savait cette situation fragile, il pensait que quoiqu’il arrive, il pourrait toujours tout contrôler.
Mais il s’était surestimé.
La sonnerie stridente d’un téléphone portable retentit. Il n’avait pas de téléphone portable. Méfiant, il sortit la petite machine de sa poche et répondit.
“ Bartlett ? ”
Un rire retentit à l’autre bout du fil. Il avait vu juste.
“ Où est Joy ?
- Avec moi. Elle fait un petit somme pour l’instant.
- Nous avons un compte à régler Bartlett.
- C’est le moins qu’on puisse dire. Une rencontre s’impose. ”

***



Largo faisait les cent pas. Simon était monté au bloc opératoire depuis plus d’une heure déjà et il n’avait aucune nouvelle. Le médecin urgentiste qui l’avait pris en charge à son arrivée avait paru optimiste. Selon lui, l’hémorragie avait été stoppée et son rythme cardiaque avait été régulé. Seulement, la balle s’était logée dans une artère, et s’il voulait survivre, il fallait que les chirurgiens l’extraient. L’intervention promettait d’être corsée.
Une grande main se pose sur son épaule. Largo sursauta et se tourna vers la personne qui attirait ainsi son attention. Il reconnut avec stupeur Kerensky.
“ Georgi ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?
- J’ai pris l’avion pour vous rejoindre. Tu dois avoir une mauvaise influence sur moi, je deviens de plus en plus impatient. L’action et l’adrénaline me manquent par moments. Et puis les dernières révélations sur Bartlett m’ont inquiété. Je savais que je n’en découvrirai pas plus à New York, alors je suis venu aux nouvelles.
- Comment tu m’as trouvé ? ”
Le Russe haussa les épaules, avec évidence.
“ Dès mon arrivée à Londres, je me suis branché sur les fréquences de la police. J’ai appris pour la fusillade chez cette Beth Miller. Et je suppose que tu dois déjà le savoir, mais Beth Miller était la compagne de Ted Bartlett, c’est elle qui l’a dénoncé à la CIA. ”
Largo lui fit signe d’arrêter.
“ Pour Charles. Je suis au courant. Le père de Joy a gâché sa vie ... La pauvre femme. Elle vient de se faire assassiner par Bartlett.
- Et Simon ? Puisque tu es sur pied, je suppose que c’est lui l’inconnu qui a pris une balle lors des échanges de coups de feu. ”
Le milliardaire acquiesça tristement.
“ Alors comment va-t-il ?
- D’après les médecins, il est stable, mais il n’a toujours pas repris connaissance. Ils l’ont emmené au Bloc pour l’opérer et extraire la balle. Elle est passée à ça du cœur ... Les chirurgiens espèrent qu’il sera assez fort pour supporter l’intervention chirurgicale.
- T’en fais pas, tout va bien se passer, il est costaud.
- Espérons-le.
- Et où est Joy ? ”
Largo eut un geste d’impuissance.
“ Elle a disparu.
- Comment ça ?
- Bartlett l’a kidnappée.
- Il veut la tuer ? ”
Largo soupira et fit non de la tête.
“ Ted Bartlett est son père. Son père biologique.
- Tu te fous de moi ?
- Oh non. C’est dangereusement sérieux. Beth Miller était sa mère ... En fait, c’est Joy la petite fille de l’Opération Carrousel, l’extraction illégale de Charles. Il a mis en prison son père, l’a séparée de sa mère et ensuite l’a adoptée, cachant soigneusement la vérité. Je ne sais absolument pas ce que Bartlett veut à Joy. En fait, je ne sais plus rien, à part qu’elle est quelque part en danger et que Simon est entre la vie et la mort dans une salle d’opération. Je suis perdu.
- Ce que je vais te dire va peut-être t’aider. J’ai entendu en arrivant ici, par les fréquences de la police, qu’on lançait un avis pour retrouver Charles Arden.
- Comment ?
- Il s’est fait la malle, peut-être pour retrouver Bartlett et Joy. Les policiers lui collent au train, ils ont la description de la voiture banalisée qu’il a volée pour s’enfuir. Il est sans doute sur quelque chose, et si c’est le cas, les flics arriveront en renfort.
- S’il y a du nouveau, on m’en informera. Je ... ”
Largo ne poursuivit pas, puisque Kerensky lui fit signe qu’un médecin arrivait. C’était l’urgentiste auquel Largo avait parlé à l’arrivée de Simon à l’hôpital. Il arborait une mine réjouie.
“ Monsieur Winch ? L’opération pratiquée sur Monsieur Ovronnaz s’est très bien déroulée. Il est vivant, la balle a été extraite. On l’a transfusé et il est stable. Il n’y a plus qu’à attendre qu’il reprenne conscience pour nous assurer qu’il n’a aucune lésion, mais il est tiré d’affaire. ”

***



Charles ouvrit la portière et quitta la voiture qu’il avait volée à Goren, posant ses pieds dans une grosse flaque boueuse. Ted Bartlett lui avait donné rendez-vous sur un terrain vague, aux abords de Londres. Sans attendre de l’apercevoir, l’ex-fantôme de la CIA dégaina le second revolver de service de Goren, qu’il avait déniché dans la boîte à gants sous le tableau de bord. Il était décidé à ne pas voir cette journée se finir sans avoir abattu Ted Barlett.
Les premières lueurs de l’aube éclairaient un ciel toujours gris et triste. Il avait plu toute la nuit, et il allait sans doute encore tomber des cordes dans la journée. L’accalmie était brève. Charles inspectait les alentours, se demandant si Bartlett l’avait abusé, quand il perçut le ronronnement d’un véhicule traverser le terrain vague en diagonale, pour se garer dans un crissement de pneus, non loin de celui de Charles.
Revolver à la main, Bartlett descendit, offrant un large sourire à Charles.
“ Me voilà. Excusez mon retard, Arden, mais il a fallu que je change de voiture. Précautions basiques de sécurité.
- Où est-elle ? ”
Bartlett contourna lentement la voiture et ouvrit le coffre. Joy y était allongée, les poings liés, à moitié groggy toujours sous l’effet du cocktail de sommeil que lui avait injecté Bartlett.
“ Les retrouvailles père-fille ont été très émouvantes.
- Libérez-la. ”
Bartlett fit mine de réfléchir.
“ Non. Non bien sûr que non, Arden. J’ai été privé de ma petite fille pendant si longtemps, que je ne vais pas faire la bêtise de m’en séparer maintenant. Si elle est ici c’est pour deux raisons. La première, c’est pour vous attirer. Vous êtes seul avec moi, en terrain neutre et isolé. Idéal pour vous abattre comme le chien que vous êtes. ”
Charles ne releva pas. Il jetait de brefs regards vers Joy, tentant de deviner si elle était suffisamment consciente pour être capable de prendre la fuite au cas où les choses tourneraient mal.
“ Et la seconde raison, poursuivit Bartlett, c’est qu’elle puisse vous voir mort. Elle comprendra alors, que vous n’êtes rien pour elle. Et que c’est toujours moi qui a compté.
- Vous n’êtes pas digne d’elle Bartlett. Elle ne vous ressemble pas. Elle vous méprise. Que croyez-vous ? Qu’il suffit d’un lien biologique pour être le père véritable d’un enfant ?
- Oui je le crois. Sinon, pourquoi avez-vous craint toutes ces années de lui dire que vous n’étiez pas son père ? Maintenant, vous allez payer vos trahisons. Celle envers moi, celle envers Beth, envers votre idiote d’épouse. Et surtout, vous allez payer pour avoir trahi ma fille. ”
Charles et Bartlett se visaient l’un l’autre avec attention, sans faiblir. Ils se fusillaient du regard et se concentraient. Il s’agissait d’un véritable duel, ils allaient tous les deux tirer quasiment en même temps, mais qui tomberait en premier ? Qui allait abattre qui ? La tension montait par crans, insoutenable, la respiration de Charles était faible et irrégulière. Puis soudain, deux éclairs de feu, deux bruits assourdissants. Les deux hommes avaient tiré.
Par réflexe, Charles s’était couché sur le sol après avoir appuyé sur la gâchette. Il pensait au départ ne pas avoir été touché, mais il avait senti la balle siffler près de son oreille, et à présent, une douleur lancinante le tiraillait. Du sang chaud coulait tout doucement le long de sa peau. La balle avait éraflé sa nuque, mais il se sentait toujours d’attaque. La main bien fixée sur le revolver, il se redressa pour observer Bartlett et eut la surprise de le voir se débattre avec Joy.
Dans la précipitation, il n’avait pas remarqué que sa fille, toute sa lucidité retrouvée, s’était extirpée précautionneusement du coffre, et avait foncé sur Bartlett comme un bélier au moment où il tirait. Elle lui avait probablement sauvé la vie. Charles se ressaisit et se releva le plus vite qu’il pouvait, patinant légèrement dans la boue du terrain vague. Mais lorsqu’il s’était redressé, il remarqua que Bartlett avait pris le dessus sur Joy, celle-ci étant entravée par ses liens aux poignets. Il la repoussa derrière elle, elle glissa, et se retrouva à genoux sur le sol.
Puis tout se déroula en quelques secondes. Bartlett, visa de nouveau Charles. L’ancien agent de la CIA tira le premier, mais le manqua. Le meurtrier répliqua, et une balle vint percuter le poignet de Charles. Sa main ensanglantée trembla et lâcha son revolver. Le vent, accompagné d’un fin rideau de pluie, se levait, et Charles se sentit s’engourdir en comprenant que sa dernière heure venait. Il entendit un hurlement.
“ Non ! Papa ! ”
Joy s’était relevée, et se précipitait vers Bartlett pour tenter à nouveau de le désarmer. Mais elle échoua. Le coup de feu fut tiré. Joy s’interposa. En une fraction de seconde, tout bascula et s’écroula. La jeune femme avait pris la balle en plein ventre et s’était écroulée, baignant dans une flaque d’eau et de boue qui se répandait peu à peu en sang. Charles sentit son cœur l’abandonner, et se pencha, le regard trouble, les yeux emplis de larmes, pour retrouver de sa main valide le revolver qu’il avait laissé tomber.
Mais lorsqu’il se redressa, serrant fermement l’arme entre ses doigts gauches, il comprit que cela ne servait plus à rien. Ted Bartlett, livide, était tombé à genoux sur le sol, près du corps de Joy. Il ne se préoccupait plus de Charles, il ne se préoccupait plus de rien, à part de sa fille. Des larmes silencieuses coulaient à mesure qu’il contemplait le corps sans vie de Joy. Charles s’avança lentement, hagard. Il ne pouvait pas y croire. Non, ce n’était pas possible. Pas Joy. Elle était une battante, une survivante. C’était comme ça qu’il l’avait élevée. Pas elle.
Au-dessus de son corps inerte et de son visage pris de raideur, Bartlett se balançait d’avant en arrière, le regard fou.
“ Pas comme ça ... Ca ne devait pas se passer comme ça ... Becca ... Becca ... ”
Charles regarda ce criminel, que la prison avait rendu inconscient, que la séparation de sa fille avait rendu impitoyable, et que sa mort rendait à présent complètement fou.
“ Vous avez eu ce que vous vouliez Bartlett. Vous avez semé la destruction. ”
Ted ne le regardait pas mais Charles le vit tressaillir. Il toucha le visage de Joy, la main tremblante, le corps secoué de spasmes. Il venait de comprendre qu’il avait de sa main ôté la vie de sa fille. Qu’il avait tout gâché, il avait fait du mal à son seul amour, à son unique raison de vivre pendant les vingt années d’incarcération. Son rêve venait de lui échapper.
Alors, sans que Charles n’esquisse même un seul geste pour l’en empêcher, il posa son revolver contre sa tempe et se tira une balle dans la tête. Son corps sans vie s’écroula sur celui de Joy. Charles le repoussa aussitôt, comme si son cadavre ne devait pas polluer Joy. Puis il s’agenouilla près d’elle. Il tenta de sentir un pouls, le visage grave.
“ C’était un fou ... murmura-t-il, la voix rauque. Un fou qui n’a jamais su voir la vérité en face. Je suis et je resterai à jamais ton seul père Joy. Et je sais comment je t’ai élevée. Comme une battante. Alors bats-toi. ”
Il la prit dans ses bras et au loin, les sirènes de police et d’ambulance apparaissaient. Comme il l’avait prévu, la voiture de Goren était dotée d’un signal de traçage comme toutes les voitures banalisées de la police de Londres.

***



" … Alors, voilà toute l’histoire. Je ne sais pas quand je reviendrai John, Vous comprendrez que, pour le moment, j’ai autre chose en tête que la signature de ce contrat avec les Japonais. Non, non il ne s’est pas encore réveillé, mais son médecin est optimiste. Je le suis également, je sais qu’il va s’en sortir. C’est un battant. "
A la question suivante de son bras droit, le visage du PDG changea soudain, et sa voix se cassa.
" Non, elle … elle est encore en salle d’opération. Elle … "
Largo fut incapable d’ajouter autre chose, car il allait éclater en sanglots.
Joy … A la pensée de sa garde du corps et amie, Largo eut un léger étourdissement. Le manque d’heures de sommeil des derniers jours, combiné à son inquiétude pour deux des personnes les plus importantes dans sa vie, commençait à se faire ressentir.
" John, je crois que je vais vous laisser. Oui, oui, ne vous inquiétez pas pour moi … John ? Merci. Merci, pour tout. Vous êtes formidable. On ne réalise pas toujours sa chance d’avoir, autour de nous, des gens aussi précieux. Je … "
À nouveau, sa voix se brisa, les derniers mots étaient presque imperceptibles à Sullivan qui préféra raccrocher rapidement la ligne. Avec un soupir à fendre l’âme, Largo se laissa tomber sur la chaise qui était tout à côté de lui, et ferma les yeux. Il était en train de vivre un véritable cauchemar. Il fallait qu’il arrête d’y penser. Joy et Simon. Simon et Joy. Seuls et fragiles dans ces lits blancs et froids…
Pourquoi est-ce que tout ça arrivait ?
Cette question, il ne cessait de se la poser depuis que ses deux amis étaient ici. Tout allait relativement bien avant que n’arrive cette histoire : la commission se faisait discrète depuis un long moment déjà, les membres du conseil lui lâchaient la bride depuis quelques temps, et, par-dessus tout, Joy, son amie, sa confidente était de plus en plus présente pour lui. Depuis quelques semaines déjà, Largo avait senti que la jeune femme se détendait de plus en plus en sa présence, elle se laissait même aller à certaines confidences, ce qui avait agréablement surpris le jeune homme. Puis, la lettre de Mary Arden avait tout fait basculé. Sa vie qui ressemblait presque à un long fleuve tranquille, s’était alors transformée en véritable enfer.
Pourquoi eux, et pas lui ?
Même si les médecins lui avaient assuré que Simon s’en sortirait, Largo avait peur. Il y a quelques mois, il avait bien failli le perdre, et il pensait que ça n’arriverait plus. Pourquoi avait-il fallu qu’il l’amène avec lui aussi ? Il n’aurait jamais dû. Et puis, qu’allait-il devenir si son meilleur ami l’abandonnait ? Et si Joy … ?
Arrrête de penser à ça !
Largo se sentait seul et désemparé. Par chance que Kerensky était présent, il lui avait été d’un grand secours. En ce moment, il était ce qu’il avait toujours été pour l’Intel Unit : le pilier du groupe. Celui sur lequel, à cause de son expérience, de sa sagesse, les autres se reposaient. Le Russe était beaucoup plus important pour l’Intel Unit qu’il ne le pensait, sans aucun doute.
Même si le Russe aimait beaucoup Simon et Joy, il savait rester présent pour soutenir son patron. Pour voir à tous les détails. Le PDG lui en était infiniment reconnaissant de s’être occupé de tout, il n’aurait jamais été capable de s’en sortir seul. Largo était chanceux de pouvoir compter sur un homme de sa trempe …
Une main sur son épaule le sortit de ses pensées. Largo s’apprêtait à répondre à cette satanée infirmière qui ne faisait que le déranger aux cinq minutes, de le laisser tranquille, mais il se ravisa quand il aperçut Kerensky qui le regardait dans les yeux. Le Russe lui souriait tranquillement.
" Le médecin vient de m’avertir. ll y a quelqu’un qui voudrait te voir. "
Largo se dépêcha d’entrer dans la chambre de son ami, Kerensky derrière lui. Quand il vit Simon le regarder, il lui dédia un énorme sourire. Il semblait faible, mais, au moins il était en vie ! Largo eu l’impression qu’une tonne de briques lui tombait des épaules. Il s’approcha du lit de son ami, et lui ébouriffa les cheveux dans un geste affectueux.
" Simon ! Comment ça va ?
- Oh, je ne courrai certainement pas le marathon de New York demain matin, mais, ça peut aller. "
Largo ébaucha un sourire, mais redevint sérieux, quelques secondes plus tard.
" Tu te souviens de …
- Oui. Après avoir tué Beth ... "
Simon s’interrompit quelques instants.
" Enfin après avoir atteint Beth, Bartlett tenait Joy en joug et il m’a tiré dessus … Après ça, c’est le vide total. Et, Joy, comment elle va ? Elle n’a rien ? "
Avant que l’un ou l’autre de ses deux amis ne puissent répondre, le médecin de Simon entra dans la chambre de son patient.
" Content de vous voir réveillé, Mr. Ovronnaz. J’ai de très bonnes nouvelles. Les derniers examens révèlent que la balle n’a causé aucun dommage interne, n’ayant atteint aucun de vos organes vitaux. Nous avions peur, surtout depuis que votre dossier médical indiquait une récente opération pour une greffe de rein … Enfin, vous avez été très chanceux. Vous pourrez reprendre vos activités normales, après une période de convalescence de quelques semaines.
- Merci beaucoup Dr. Peters.
- Je repasserai vous voir plus tard. En attendant, reposez-vous bien.
- Ne vous en faites pas docteur. Et, merci encore. "
Quand le docteur sortit de la chambre, Simon se tourna vers Largo et Kerensky.
" Alors, Joy elle est où ? Et Bartlett, la police a arrêté ce salaud ? "
Largo se détourna vers la fenêtre de la chambre sans répondre. Simon porta alors toute son attention vers Kerensky.
" Kerensky ?
- Simon, je ne suis pas certain que …
- Arrête ! Je viens peut-être de me faire opérer, mais je ne suis pas encore à l’article de la mort. Je veux savoir. Je dois savoir ! Où est-elle ? "
Voyant qu’il était inutile d’essayer de ménager le Suisse, qui ne se contenterait pas d’une réponse vague, le Russe décida alors de jouer la carte de la franchise.
" Elle est ici. En salle d’opération. "
Largo, qui regardait dehors, frissonna quand il entendit la dernière phrase de son informaticien.
" Quoi ?
- Bartlett est mort. Mais avant, il a eu le temps de tirer sur Joy.
- Oh mon Dieu ! Et, elle va s’en sortir ?
- Nous n’en savons rien. Nous attendons toujours des nouvelles de son état de santé. "
Largo, sembla choqué par ce que Kerensky venait de dire. Il se tourna alors vers les deux hommes et dit, d’un ton décidé :
" Elle va s’en sortir ! Vous m’entendez, Joy va vivre ! "

***


Assis dans un des bancs de la petite chapelle de cet hôpital de Londres, où sa fille avait été amenée, quelques heures plus tôt, Charles Arden, les yeux fermés, priait. Il ne savait pas quoi faire d’autre. Pour la première fois de sa vie, l’homme se sentait totalement démunit et impuissant face à une situation. Et, il n’appréciait pas cette sensation. Il n’aimait pas être vulnérable. Même dans les moments les plus difficiles, Charles avait toujours été capable de se raisonner, de rester le combattant qu’il avait toujours été. Il arrivait à tout régler, tout arranger comme seul un Arden digne de ce nom pouvait le faire. Comme son père avant lui, qui avait été la fierté de la famille quand il était devenu policier. C’était d’ailleurs lui, qui lui avait appris à être ce qu’il était aujourd’hui. Léon Arden lui répétait toujours que, peu importe ce qui nous attend, il fallait être fort, se battre pour arranger les choses en utilisant tous les moyens possibles mis à notre disposition pour que les problèmes disparaissent. Et, surtout, ne jamais se fier sur les autres. Les Arden n’étaient pas des lâches ! Charles avait toujours suivi l’exemple de son père, avec succès.
Cette fois, par contre, tu ne peux rien arranger du tout.
Bien qu’il n’avait jamais été un fervent pratiquant et bien qu’il n’ait jamais vraiment adhéré à aucune religion en particulier, Charles avait désespérément besoin de se raccrocher à quelque chose en ce moment. Quelque chose de plus grand que lui, quelque chose de plus fort, qui lui permettrait de sauver sa petite fille, qui se battait présentement pour sa vie.
Car, maintenant, tu ne peux plus rien faire pour elle.
Avec tout ce qui s’était déroulé dans les derniers jours, Charles était incapable de remettre entièrement le destin de Joy entre les mains des médecins de cet hôpital. Après tout, le personnel médical n’était pas infaillible. Alors, Dieu, Yahvé, ou peu importe le nom utilisé par les fidèles pratiquants dans le monde entier, restait un de ses derniers recours. Son seul recours en fait.
Kenneth Goren observait, depuis quelques minutes déjà, Charles Arden. Goren devait parler au père de Joy, mais il hésitait. Il ne voulait pas le déranger, mais plus vite cette enquête serait classée, plus vite, il pourrait clore ce dossier et passer à autre chose. Alors, il s’approcha lentement de l’homme, et lui déposa une main sur l’épaule. Charles sursauta.
" Goren ! Que faites-vous ici ? Les charges portées contre moi pour avoir emprunté votre voiture ont été abandonnées, vous savez.
- Je sais. Je suis venu prendre des nouvelles de Joy.
- Elle est encore en salle d’opération.
- On me l’a dit. Écoutez, ce n’est sans doute pas le bon moment, mais avant de repartir aux Etats-Unis, vous allez devoir venir au poste faire votre déposition pour ce qui s’est passé. Nous allons enfin pouvoir classer cette histoire. "
Charles regarda méchamment Kenneth, et répondit :
" Cette histoire sera classée seulement quand ma fille se réveillera ! Maintenant, laissez-moi seul ! "
Kenneth se leva, et se dirigea vers la sortie. Avant de partir, il regarda une dernière fois l’homme qui avait à nouveau porté son attention sur la croix accroché au mur de la chappelle. Goren aussi espérait que Joy se réveillerait. Elle le devait. Après tout ce qu’elle avait vécu dernièrement, le destin serait trop cruel de lui faire quitter ce monde à jamais, et de cette façon.
Non ! Kenneth la connaissait bien : elle se battrait. Joy n’aimait pas laisser les choses en plan. Et, elle avait encore bien des choses à régler avec tout ce qui lui était tombé dessus dans les derniers jours … Elle allait vivre. Kenneth le sentait au plus profond de lui-même.

***


Arpentant le couloir blanc de cet hôpital, Largo ne tenait pas en place. Il fallait qu’il s’occupe l’esprit. Quand le médecin lui avait annoncé que son meilleur ami allait s’en sortir, il s’était dit que, enfin, tout allait redevenir normal, qu’il allait pouvoir avoir l’esprit en paix … Ce sentiment n’avait guère duré, par contre. Car, peu après, il avait vu Joy arriver ici. Jamais il n’oublierait ce qu’il avait ressenti en la voyant étendue sur cette civière. Pâle, immobile, inerte. Le cauchemar de Montréal recommançait …
Son propre cœur avait manqué un battement quand il avait compris que c’était grave. Comme un spectateur, qui suit l’histoire d’une série télé sans jamais pouvoir participer à l’action, il avait vu Kerensky parler aux médecins, il avait aperçu Charles Arden qui tenait la main de sa fille tout en lui disant de se battre, de s’accrocher … Puis, il ne se rappellait plus rien. Quand il était revenu à la réalité, quand le brouillard dans lequel flottait son cerveau s’était dissipé, il était au téléphone avec son bras droit pour l’informer de la situation. Le PDG regarda le gobelet qu’il tenait dans ses mains. Le café refroidit, lui donna la nausée. Alors, il jeta le gobelet à la poubelle. C’était le sentiment d’impuissance qu’il ressentait qui le mettait dans cet état. Il ne pouvait tout simplement rien faire, et ça le rendait fou !
Une infirmière se dirigea vers lui, le regard sérieux, l’air grave.
" Mr Winch, Mlle Arden vient de sortir de la salle d’opération. Le médecin m’a dit de vous dire ...
- Joy est réveillée !
- Non, Monsieur. Je vous ai seulement dit que Mlle Arden est sortie de la salle d’opération.
- Comment va-t-elle ?
- Écoutez, je ne peux malheureusement pas vous répondre, mais son médecin traitant …
- Elle est sur quel étage ?
- Au 4er, mais … Attendez Mr. Mr Winch ! Vous ne pouvez pas aller la voir ! "
Mais, Largo ne l’écoutait plus. Il se dirigeait à grandes emjambées vers la chambre de Joy.

***


Mal à l’aise, Charles Arden regardait Joy étendue sur son lit d’hôpital. Une poupée de porcelaine. C’est ce à quoi elle ressemblait en ce moment. Joy était exactement comme Kiara, la poupée espagnole que sa fille lui avait si souvent demandée. Jouet, qu’il n’avait jamais voulu lui acheter, d’ailleurs, même avec l’intervention de Mary. Joy ne devait pas avoir trop de jouets. Elle devait être sérieuse et mature. Se comporter comme une grande. Oui, c’est ça, une grande. Alors, pourquoi tu ne lui as jamais parlé de cette histoire Arden ? Pourquoi ? Parce qu’il avait été égoiste, voilà pourquoi ! Il avait voulu garder sa fille pour lui. Ne pas lui révéler son secret pour ne pas la perdre … Mais, ça ne lui avait rien apporté de ne rien dire, sa fille avait fini par tout découvrir, et elle s’était quand même éloignée de lui. Et, c’était sa faute. C’était lui le responsable de tout ça. Bon Dieu, comme il pouvait se détester à ce moment ! Il avait gâché la vie de sa petite fille, à force de vouloir la façonner à son image. Tout comme son père l’avait fait avant lui. Il le regrettait tellement maintenant …
Doucement, comme s’il avait peur de l’effrayer, Charles s’approcha de Joy, et lui passa doucement la main sur les cheveux.
" Ma fille, tu dois te battre. Je sais que je n’ai pas toujours été un bon exemple pour toi, et que tu t’es souvent rebellée contre moi, avec raison je devrais ajouter, mais cette fois, tu dois m’écouter. Bats-toi ! Je suis fier de toi, tu sais … Et … je ne changerais rien à tout ce qui s’est produit. Je te protégerais encore de ton père, enfin de Bartlett, si je devais retourner dans le passé. Joy, ma petite fille, je ne te l’ai jamais dit, mais je … je t’ ... je t’aime. "
Même s’il n’eut comme seule réponse que le bruit régulier des machines sur lesquelles Joy était branchée, Charles se sentit étrangement bien. C’était la première fois qu’il osait avouer à Joy ce qu’il ressentait pour elle, et il se sentait heureux, en paix avec lui-même pour un des rare fois dans sa vie …
Entendant des voix à l’extérieur de la chambre, dont une qu’il connaissait très bien, Charles délaissa sa fille, et sortit de la chambre.
" Winch, vous n’avez pas le droit d’être ici !
- Ah ? Et, qu’est-ce qui vous donne le droit de me dire où je dois me trouver ? Vous n’avez pas assez fait de mal autour de vous Charles, pour vouloir encore tout régler ? "
Voyant que le ton des deux hommes montait, le médecin intervint alors.
" Écoutez, messieurs. Ce n’est pas le moment, ni l’endroit. Mlle Arden a besoin de repos. Comme je vous le disais plus tôt, nous lui avons retiré la balle, mais son état est encore bien précaire. Nous craignons une hémorragie abdominale.
- Il y a des risques pour sa vie? demanda alors Charles.
- Ils sont minimes, mais quand même présents, je suis désolé." fut la réponse du médecin.
Largo blêmit, et Charles se laissa tomber sur une chaise l’air effaré. Largo se sentit bien imbécile de se quereller avec le père de Joy, quand celle-ci se battait pour rester en vie.
" Je m’excuse Charles, je ...
- Ce n’est rien Winch, je comprends. Moi aussi je me fais du souci pour elle.
- Docteur, demanda Largo, je peux la voir un instant ?
- D’accord, mais pas plus de cinq minutes.
- Merci. "
Comme il ouvrait la porte de la chambre, le moniteur de Joy se mit à s’emballer.
" Joy ! crièrent d’une même voix Charles et Largo.
- Non, restez dehors ! " leur intima le médecin.
Le docteur et quelques infirmières se dépêchèrent d’entrer dans la chambre.
" On doit la remonter au bloc ! Elle semble nous faire une hémorragie. Vite, prévenez le docteur Richards, on doit préparer la salle un. Dépêchez-vous ! "
Tout se passa alors comme dans un cauchemar pour Largo et Charles. Ils virent des gens s’activer autour de Joy. Ces mêmes personnes sortirent de la chambre, et s’engouffrèrent dans l’ascenseur avec elle, sans que Largo, ou son père n’aient pu dire quelque chose à Joy.

***


Ils étaient tous réunis dans la salle d’attente. Les hommes de la vie de Joy. Charles, Largo, Kerensky, et même Simon assis dans un fauteuil roulant. Ils attendaient anxieusement des nouvelles de leur fille, de leur amie. Mais les informations arrivaient au compte-goutte. Les infirmières qui venaient les renseigner n’étant pas toujours au courant des derniers développements. Les minutes d’attente leur semblaient être des heures. Ils ne savaient rien de ce qui se passaient, et ils angoissaient terriblement.
Tout à coup, ils virent le médecin qui avait opéré Joy. Charles et Largo se levèrent en même temps, et tous les quatre allèrent à la rencontre du docteur.
" Alors ? demanda Largo, tout en retenant son souffle. Comment va Joy ?
- Elle va s’en sortir, leur assura le médecin, le regard fatigué, mais confiant. Elle est présentement en salle de réveil, et devrait être transférée dans une chambre un peu plus tard. Elle n’aura visiblement aucune séquelle. Nous avons pu stopper l’hémorragie à temps. "
Les quatre hommes se regardèrent soulagés. L’un après l’autre, ils ébauchèrent un sourire.
" Merci beaucoup docteur ajouta Charles, nous vous devons beaucoup.
- C’est quelqu’un de très fort vous savez. C’est beaucoup à cause d’elle si elle est toujours en vie.
- Nous pourrons aller la voir plus tard ? demanda alors Kerensky
- Bien sûr. Si vous me promettez de ne pas trop la fatiguer. Elle sera ravie de tous vous voir. "
Un peu plus tard, Largo entra dans la chambre de son amie. Elle semblait dormir. Il hésita alors à s’avancer vers elle, de peur de la réveiller. Elle semblait tellement paisible. Dire qu’il aurait pu la perdre à jamais. Le cœur de Largo se serra. Il chassa rapidement cette sombre pensée. Tout irait bien maintenant. Elle s’en était sortie.
" Largo ? demanda une voix ensommeillée.
- Joy ! Tu nous as fait une de ces peurs, tu sais. "
Joy sourit faiblement.
" Ce n’était pas mon intention. Désolée.
- Alors comment te sens-tu ?
- Bien, enfin j’imagine. Je me sens un peu faible, mais ça va sûrement passer. "
Elle hésita avant de demander
" Et Bartlett, il est … ?
- Joy, tu ne devrais pas …
- Largo, je dois savoir.
- Oui, il est bien mort.
- Et Charles je veux dire, mon père, il va bien ?
- Oui, il se porte très bien. Simon également.
- Je suis soulagée de l’apprendre. Je ne voulais pas vous embarquer dans toute cette histoire, tu sais. "
Largo s’approcha alors de Joy, et lui déposa affectueusement un baiser sur le front.
" Ne me refais plus jamais ça Joy. Je … j’ai pensé mourir quand j’ai su que … "
Largo et Joy échangèrent un regard intense, quand la porte de la chambre s’ouvrit pour laisser entrer deux autres personnes.
" Joy ! rit Simon tout en approchant son fauteuil roulant de son amie. Je suis tellement heureux de te revoir ma belle.
- Moi aussi Simon. Je suis désolée pour ce qui est arrivé. Je ne voulais pas que tu sois blessé.
- Oublie ça, lui dit Simon. J’aurais pu être plus malchanceux. Les infirmières sont toutes très jolies ici.
- Heureux de te revoir Joy.
- Kerensky. Merci beaucoup pour ton aide. Je n’aurais pas découvert tout ça sans toi.
- Mais voyons, dit le Russe bien modestement, je n’ai rien fait de bien extraordinaire … Mais, content d’avoir quand même pu t’aider. "
Joy regardait fixément la porte, comme si elle s’attendait à voir celle-ci s’ouvrir pour laisser apparaître une personne devant elle. Puis, après quelques secondes demanda :
" Mon père il est … là ? Je veux dire, il n’est pas parti ?
- Non, il est là répondit Largo, il attend dans le couloir.
- Je … pourrais lui parler ?
- Bien entendu.
- Je vais le chercher, dit alors Kerensky, en s’avançant vers la porte, poussant Simon devant lui.
- Hey, dit celui-ci, pas si vite ! Je suis en convalescence après tout. Kerensky ! "
Largo pris la main de Joy, lui fit un clin d’œil, et sortit derrière les autres.
Après quelques secondes, Charles fit son entrée. Joy le regarda quelques instants, puis elle baissa les yeux. Elle avait désespérement voulu le voir, constater qu’il allait bien, mais maintenant qu’il était là, elle ne savait pas vraiment quoi lui dire, ou si elle avait vraiment envie de lui parler. N’était-ce pas toujours ainsi avec lui d’ailleurs ? Même avant toute cette histoire, elle ne savait jamais vraiment comment se comporter avec lui.
Par quoi devait-elle commencer ? Que devait-elle lui dire ? Qu’elle le comprenait ? Qu’il avait fait ce qu’il fallait ? Elle ne savait même pas si elle le croyait vraiment. Il l’avait peut-être protégé de Bartlett, mais, d’un aurte côté, il l’avait privé de sa mère biologique, une mère qu’elle n’aurait jamais la chance de connaître maintenant…
Charles, quant à lui, se tenait droit, tout près de la porte, s’attendant presque à entendre Joy lui dire de retourner à New York. Mais, elle ne disait rien, elle ne faisait rien. Et, ça le blessait. Ce silence faisait plus mal que si elle lui avait jeté à la figure tout ce qu’elle était en droit d’éprouver après avoir traversé toutes ces épreuves. Après quelques minutes, il pris enfin la parole.
" Écoute Joy. Je sais que tu …
- Pourquoi ? fut la seule réponse à laquelle il eu droit.
- Je, je ne sais pas. Je connaissais ton père, je savais qu’il était dangereux. Puis, je t’ai vu lors de cette mission, tu étais si jolie, si innocente, j’ai senti le besoin de te protéger, et je me suis alors dit …
- Qu’il faudrait te débarrasser de mes parents, de ma mère, ajouta sèchement Joy.
- Non ! Joy, ce n’est pas ce que j’ai pensé voyons ! Ta mère, enfin Mary et moi avions de la difficulté à avoir un enfant, puis je me suis dit que … Si j’avais pensé aux conséquences de mes actions, je … Je n’ai jamais rien fait de délibèrément méchant, tu dois me croire. "
Voyant que Joy ne répondait rien, Charles, mal à l’aise, pensa qu’il était temps de s’éclipser :
" Je, je crois que je vais te laisser te reposer. Nous reparlerons de tout ça une autre fois. Tu as vécu beaucoup de choses ces derniers jours, plus que tu aurais dû d’ailleurs. "
Comme il faisait demi-tour pour sortir de la pièce, Joy lui demanda alors :
" Répond seulement à cette question. Si tu avais à tout recommencer, tu ferais la même chose ? "
Charles, surpris se tourna alors vers elle, et la regarda droit dans les yeux.
" Non, lui dit-il sincèrement. Je te sortirais des griffes de Bartlett, ça c’est certain, mais je ne te priverais pas de l’amour et de l’affection ta véritable mère. Joy, je suis désolé. Vraiment. J’ai été égoiste, je n’ai pensé qu’à moi. Je voulais avoir un enfant. Et, puis je voulais te protéger. J’ai été trop loin … encore une fois. Je m’en veux, si tu savais à quel point ! "
Joy fut stupéfaite de voir dans le regard de Charles, quelque chose qu’elle n’y avait encore jamais vu auparavant. Cette insécurité, ces regrets : son père était sincère. Pour la première fois de sa vie, elle voyait les faiblesses de son père. Elle ne sut pas pourquoi, mais elle se sentit émue. Il n’était pas parfait, loin de là, mais c’était son père. Son visage s’illumina.
" On reparlera de tout ça plus tard, papa. "
Charles regarda alors Joy. Elle lui souriait. Charles lui retourna son sourire, soulagé. Il s’avança lentement, et gauchement, s’assit sur le lit en face de sa fille. Ils échangèrent un autre sourire, À cet instant, ils surent que leur relation reposerait maintenant sur de nouvelles bases. Beaucoup plus solides qu’avant. Il leur faudrait du temps, mais ils y arriveraient tous les deux. Ensemble.
" Papa ? dit Joy pendant que Charles lui carressait doucement les cheveux.
- Oui ?
- Je, je t’aime aussi. "
Charles resta un moment interdit, elle l’avait entendu. Joy l’avait entendu lui dire quand elle était branchée à toutes ces machines… Une drôle de sensation envahit alors Charles. C’était la première fois que sa fille lui disait une telle chose. Les larmes lui montèrent rapidement aux yeux, et incapable d’ajouter autre chose, il la serra contre son cœur. Sa fille était de retour. Et, jamais plus il ne se séparerait d’elle. Plus jamais.
Dans le couloir, Largo regarda par la fenêtre de la chambre, et vit Joy et son père dans les bras l’un de l’autre. Il sourit. Ils s’étaient retrouvés, tout irait bien maintenant.
" Tout est fini, lui dit alors Simon tout en le regardant.
- Oh, je ne sais pas, répondit Largo, j’ai l’impression que l’histoire ne fait que commencer … "

Fin.






Joy