Epilogue



Avançant lentement entre les différentes pierres tombales, Charles Arden était nerveux. Il n’avait jamais aimé venir dans ce genre d’endroits. Et, après tout ce qui était arrrivé dans les dernières semaines …
C’était la première fois qu’il venait dans un cimetière. Enfin, première fois depuis qu’il y avait enterrée Mary, et que toute cette histoire avec Bartlett était terminée. Il ne savait pas s’il faisait une bonne chose en venant ici, mais il devait le faire. Soulager sa conscience qui le torturait sans cesse depuis plus d’un mois et demi.
Arrivé devant la tombe de Beth Miller, Charles s’agenouilla en silence. Il regarda l’épitathe sur la pierre, BETH MILLER, FEMME EXCEPTIONNELLE, MÈRE COURAGEUSE. REPOSE EN PAIX. Joy avait fait un travail remarquable. C’est elle qui s’était occupée de lui trouver cette pierre tombale, et, avec l’appui de Charles, elle avait décidé de lui acheter un monument ici à New York, bien qu’elle fut enterrée à Londres avec Mary. Charles savait que Joy avait besoin d’avoir quelque chose de tangible qui lui rappellerait sa mère naturelle qu’elle n’avait malheureusement pas connue. Le père de Joy toucha aux lettres dorées qui formaient le nom de la femme dont la vie avait été brisée, en grande partie par sa faute, et se sentit terriblement mal à l’aise.
" Beth, je suis désolé vous savez. Je sais ce que vous pouvez avoir pensé pendant toutes ces années, mais je, je ne voulais pas ... "
Bien qu’il se sentit quelque peu idiot de parler seul, il continua. Il fallait qu’il se libère de tout ce qui lui serrait le cœur depuis si longtemps.
" Écoutez Beth, par le passé, j’ai dit que vous étiez folle, une alcooolique sans avenir, que vous ne méritiez pas votre enfant, mais je ne pensais pas que … Enfin, ce que j’essaie de vous dire c’est que j’ai fait du mieux que je pouvais pour élever votre, notre fille, et que je … Durant toutes ces années, je n’ai jamais pensé à votre chagrin. Je n’ai pensé qu’à moi …Si seulement je pouvais revenir en arrière … Joy est une femme formidable, et c’est beaucoup à cause de vous. Je sais que je ne vous ai pas beaucoup connue, mais, pour arriver à vivre sans son enfant, ça demande beaucoup de force de caractère … Vous avez été très courageuse. J’aurais tant voulu que vous la connaissiez, comme une mère connaît son enfant. Pardonnez-moi …
Une main sur son épaule, le fit se retourner. Sa fille se tenait derrière lui.
" Elle le sait. Beth sait que tu désolé. Et, je suis certaine que de là où elle est, elle te pardonne. "
Charles soupira.
" Oh, je ne sais pas si je le mérite vraiment Joy. Je n’ai pas toujours été correct par le passé. Avec toi, Mary, ou même Beth.
- Peut-être, mais tu as beaucoup appris de toute cette histoire. Tu es différent de ce que tu étais. C’est ce qui est vraiment important. "
Charles se releva, et prit sa fille dans ses bras. Il lui faudrait encore un peu de temps pour se remettre de tout ce qui s’était passé, mais avec Joy à ses côtés, il était certain que tout irait bien.
" Que fais-tu ici ? Tu n’étais pas supposée retourner au Groupe W aujourd’hui ?
- Oui, mais avant je voulais venir voir Beth … enfin maman. Je, j’avais besoin de lui parler.
- Alors, je vais te laisser un peu seule avec elle. Je t’appelle plus tard d’accord ?
- Oui. Papa ?
- Quoi ?
- Merci. Pour être venue la voir. Et, euh … pour le reste. Merci, pour tout. "
L’homme lui sourit et s’éloigna vers sa voiture. Joy s’assit dans l’herbe, et caressa les lettres du monument.
" Maman. Tu me manques énormément. J’aurais tellement aimé te connaître. Tu aurais fait une mère exceptionnelle. "
La jeune femme essuya une larme qui coulait lentement sur sa joue.
" C’est difficile tu sais. Depuis que toute cette histoire est arrivée, je ne me sens pas très bien. Je me sens un peu coupable. Si seulement j’avais pu te parler avant, si seulement j’avais empêché Bartlett de t’approcher. J’essaie de toutes mes forces d’avoir l’espoir qu’un jour tout aille mieux pour moi, mais j’ai peur. J’ai peur de ne jamais me débarraser de ce sentiment d’impuissance qui m’habite. J’ai peur de ne jamais pouvoir être tout à fait heureuse. Après tout ce qui c’est passé … J’aimerais tant que tu puisses me répondre. Que tu me fasses un signe pour me dire que tout ira mieux bientôt … "
Joy attendit, avec l’espoir un peu fou, que quelque chose, tel un bruissement dans les arbres, ou le souffle du vent sur sa peau, pourrait lui assurer qu’elle se sentirait mieux, que tout irait bien maintenant, mais en vain. Joy soupira. Pensait-elle réellement que Beth, de là-haut, réussirait à entrer en contact avec elle ? La jeune femme se traita d’idiote, et sourit. Décidément il était temps de retourner au boulot.
L’influence qu’avait eu la télévision sur elle, plus particulièrement tous ces soaps américains de fin d’après-midi, que Joy s’était amusée à regarder pendant ses vacances, avait sans aucun doute été trop forte, et ça commençait à l’affecter.
Elle se leva et, après un dernier regard en arrière, s’éloigna.

***


Joy composa le code d’accès de la porte en souriant. Ca faisait bien longtemps qu’elle n’était pas venue ici, et cet endroit lui avait drôlement manqué !
Lorsqu’elle entra au bunker, Simon se jetta sur la jeune femme, l’embrassant, et la serrant si fort, qu’elle pensait étouffer. Son ami était bien heureux de la revoir après toutes ces longues semaines. Kerensky fut moins démonstratif que le Suisse avant lui, mais serra quand même Joy dans ses bras. Joy fut réconforté dans son idée : il faisait bon de rentrer à la maison après une si longue absence. Tout à coup, le visage de Simon s’illumina :
" J’avais raison Kerensky ! Six semaines, exactement six semaines. Pas un jour de plus. Je crois que j’ai gagné …
- Oh, mais arrête avec ça, veux-tu !
- Tu sais ce que ça veut dire hein mon Russe préféré ?
- Que tu es un génie ? Que tu te reconvertiras dans la divination, et que je pourrai enfin travailler en paix ?
- Non, non, non. Ca veut dire que TU dois faire ce qui ME plaira pendant quelques heures. Je me demande bien ce que je vais te faire subir Kerensky.
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? " demanda alors Joy amusée.
Simon regarda Joy et dit fièrement :
" Eh bien, vois-tu, j’avais affirmé à monsieur le Russe ici présent que tu reviendrais aujourd’hui. Après tout, ça fait six semaines que tu es partie. Kerensky, pour sa part, pensait que tu reviendrais bien avant. Monsieur l’ex-espion m’avait dit que tu ne pourrais pas rester loin du Groupe plus de trois semaines. Mais je te connais moi Joy. Je sais que tu ne ferais jamais rien pour inquiéter Largo, ce qui n’aurait pas manqué d’arriver si tu étais revenue plus tôt … Bref, il t’a dit six semaines de repos, ce qui est plus que ce que j’ai moi-même obtenu en passant, et toi tu l’as écouté. J’ai gagné ! Ce qui signifie que Kerensky ici présent doit être à ma merci pour quelques heures. Je peux lui faire faire ce que je veux, et il ne dira rien. J’avoue que, sur ce coup là, j’ai été brillant ! "
Avant que Joy ne puisse décider comment prendre le fait qu’on faisait des paris sur son compte, ou qu’elle puisse répondre quelque chose, le portable de Simon se fit entendre.
" Allo ? Cathy ! Quelle bonne surprise. C’est toujours ok pour ce soir ? Oui, tout à fait ma belle, j’ai hâte de te revoir aussi. Je passerai te prendre à 18h30. Je vais devoir te laisser. Le travail m’appelle. "
Simon aperçut alors Kerensky, qui baissa alors le regard vers son écran d’ordinateur, comme pour se faire oublier, et un énorme sourire apparut alors sur son visage. Il venait de trouver quoi lui faire subir ! Avec moi Kerensky, tu ne t’en sortiras pas comme ça …
" Cathy ? Tu as encore cette amie australienne dont tu m’as tant parlé, Vicky Sanders ? Oui ? Et, elle est présentement en ville ? Génial tout ça ! Écoute, tu crois qu’elle aimerait venir dîner avec nous ce soir ? Super ! J’ai un ami à qui je voudrais la présenter, coulant un regard vers le Russe qui était de l’autre côté de la pièce, il sera très excité, tu sais. Il me dit depuis des jours et des jours à quel point il s’ennuie, tout seul à New York. Il ne sort pas très souvent, alors quand l’occasion se présente, il saute rapidement dessus. Oui, à plus tard.
- Oh, ne te sentais pas obligé de faire tout ça Simon, lança ironiquement Kerensky. Mon ordinateur et, surtout, la finale de la partie d’échecs Russie/Etats-Unis aurait fait l’affaire pour occuper ma soirée.
- Voyons Kerensky, fit Simon un faux air insulté sur le visage, j’honore toujours mes paris, MOI. Et puis, je sais qu’au fond de toi, tu es ravi de mon initiative.
- Mouais …Je ne sais pas ce qui m’a pris de faire ce stupide pari. J’aurais dû me méfier. Avec toi, on ne sait jamais ce qui nous pend au bout du nez. Enfi n… ajouta le Russe tout en tournant toute son attention vers la nouvelle arrivante. Alors comment ça va Joy ?
- Ca va, fit celle-ci amusée. Et vous deux aussi à ce que je peux voir.
- Oui, ça va très bien, répondit Simon. J’ai bien récupéré de mon opération, et j’avais très hâte de revenir ici. "
Regardant Kerensky, puis, à nouveau Joy d’un air malicieux, il ajouta en murmurant :
" J’avais peur qu’il s’ennuie tout seul, tu comprends. "
Joy éclata de rire, pendant que le Russe marmonna des mots inaudibles.
" Allez Kerensky, arrête un peu de faire la gueule, rit Simon, ça va te faire du bien de sortir d’ici. Tu verras, tu me remercieras un jour ! "
Ignorant délibérément Simon, Kerensky se tourna vers Joy.
" Le patron aussi voudrait te voir.
- Largo sait que je suis ici ?
- Non, mais il m’a dit : dès qu’elle montrera le bout de son nez ici, fais-là monter au penthouse s’il te plaît. Peu importe l’heure. Alors, je transmets le message.
- Bon, alors j’y vais. Bonne soirée à vous deux !
- C’est ça …
- Oh, allez Kerensky, tu vas t’amuser ! Je te raconterai ça demain Joy. Content de t’avoir revu et bienvenue parmi nous !
- Merci Simon. "
Joy était d'humeur joyeuse en se dirigeant vers l’ascenseur qui l’amènerait au penthouse. Rien n’avait vraiment changé pendant son absence.
Devant la porte du penthouse de Largo, Joy cogna, puis entra. Son patron était au téléphone à son arrivée, le visage tourné vers la terrasse. La jeune femme s’approcha de son bureau, et attendit.
" Vous savez ce que tout ça signifie Michel. Oui j’avais compris que c’était pour le Groupe W que vous aviez fait ça, mais quand même je … "
Largo se retourna, et aperçut Joy. Un large sourire illumina imméditatement son visage.
" Michel ? Je vais devoir vous laisser. J’ai un rendez-vous important qui ne peut malheureusement pas attendre. Oui, je vous rappelle. Joy ! Quel plaisir de te revoir ! "
Largo se leva, fit rapidement le tour de son bureau, et vint prendre la jeune femme dans ses bras.
" Tu m’as manqué tu sais. Alors comment vas-tu ? demanda t-il le regard légèrement anxieux.
- Je vais mieux merci.
- Tu es certaine ? Tu sais si tu veux un peu plus de temps pour te reposer … "
Joy eut l’air offensé par une telle suggestion.
" Ah non ! Certainement pas. Les derniers jours ont été beaucoup trop longs. J’avais terriblement hâte de revenir ici. "
Largo lui sourit. Lui aussi avait eu hâte de la revoir. Elle lui avait drôlement manqué.
" Alors, j’ai râté quelque chose pendant que je n’étais pas ici ?
- Oh, pas vraiment. Rien de bien important, à vrai dire. "
Largo lui demanda alors :
" Alors, comment ça va entre ton père et toi ?
- Mieux, je dois dire. On n’a pas encore une relation parfaite, mais on y travaille. "
Après un moment, Joy, mélancolique ajouta :
" Et, depuis que Beth … enfin, depuis cette histoire nous, nous sommes plus proches qu’avant. "
Beth. C’est vrai ! Largo pensa soudain à cet objet … Il se dirigea alors vers sa chambre.
" Ca me fait penser, j’ai quelque chose pour toi. "
Joy, curieuse regarda son ami s’approcher d’elle avec ses mains derrière son dos.
" Qu’est-ce que c’est ?
- Kenneth, ton ami de Londres est venu me voir il y a trois semaines.
- Je sais, lui répondit alors Joy, il me l’a dit. Le pauvre n’a pas osé venir me déranger. J’étais alors chez mon père.
- Il m’a apporté ceci. Et, il m’a demandé de te le remettre en mains propres, il a pensé que ça te ferait plaisir. "
Largo lui donna alors un magnifique carrousel.
" Il a appartenu à Beth. Ta mère. Kenneth a pensé que ça te revenait de droit. "
La jeune femme, comme hypnotisée, prit l’objet des mains de son ami, et le regarda, fascinée. Le souvenir de cette magnifique journée d’automne où elle avait été en parfaite harmonie avec sa véritable mère, dans ce manège, lui revint en mémoire. C’est Beth qui lui avait offert cet objet … Elle eu soudain les larmes aux yeux.
" Oh, Largo, merci. Merci beaucoup ! Si tu savais à quel point ça me touche. "
Joy s’approcha de lui, et carressa sa joue. Celui-ci, essuya une larme qui menaçait de couler dans son cou, se pencha lentement, hésita quelques secondes, mais devant le regard de son amie, il ne put résister, et il échangea un tendre baiser avec elle. Quand le baiser se fit plus passionné, Joy arrêta tout, et s’éloigna de lui.
" Joy …
- Tu n’aurais pas dû faire ça, dit la jeune femme d’un ton fatigué. "
C’était inévitable, la discussion à propos d’eux allait recommencer, et elle ne savait pas si elle prête à ça. Pas après tout ce qu’elle avait vécu les dernières semaines.
" Je n’aurais pas dû ? Mais, c’est toi qui as commencé ! "
Joy lui lança un regard noir.
" Je n’ai rien commencé du tout Largo ! dit-elle.
- Non, c’est ça. C’est toujours de ma faute, bien entendu. "
Largo commençait à sentir la moutarde lui monter au nez.
" Mais c’est ta faute ! ajouta Joy. Tu m’as embrassé ! Tu sais ce que …
- Je sais, je sais, la coupa alors Largo. C’est toujours comme ça quand nous partageons un moment d’affection, tu te braques, et tu recules.
- Je ne recule pas, mais …
- Mais, quoi ? soupira Largo toute colère l’ayant abandonné. Tu sais les sentiments que j’éprouve, j’ai toujours été franc avec toi.
- Mais moi aussi ! fit Joy. Je te l’ai toujours dit que je ne voulais pas mélanger le boulot et …
- Oui, et je te comprends, mais … Ah, et puis laisse tomber, ajouta Largo désabusé en s’éloignant vers la terrasse, on ne s’en sortira jamais ! "
Après avoir déposé le carrousel sur la table basse du salon de Largo, Joy s’approcha doucement de lui et alla se positionner à ses côtés. Les deux jeunes gens regardèrent un moment la ville de New York. Muets et songeurs. N’en pouvant plus de ce silence, la jeune femme reprit la parole.
" Largo.
- Qu’est-ce qu’il y a ? " lui demanda alors son patron qui regardait, d’un air absent, un gratte-ciel se dressant devant lui.
La jeune femme le prit par le bras, pour le faire tourner vers elle.
" Regarde-moi s’il te plaît.
- Voilà, je te regarde. Alors ? fit le jeune homme un peu brusquement.
- Je suis désolée. Vraiment. Après le baiser que nous avons échangé chez Beth, je … enfin, j’y ai beaucoup pensé.
- Moi aussi Joy. Je ne savais pas quoi en penser d’ailleurs.
- Ce fut assez confus pour moi aussi, et après il est arrivé tout ça, et … Enfin, bref, je ne suis pas très bonne quand les sentiments entrent en jeu. Je te l’ai souvent dit d’ailleurs.
- Mais je tiens énormément à toi, et je ne voudrais pas te perdre.
- C’est ce qui risquerait d’arriver si nous faisions évoluer à nouveau notre relation, pour le moment du moins, et ça je ne me le pardonnerais jamais. Je veux être là, bien te protéger, faire tout en mon possible pour t’aider du mieux que je le peux. Ca serait impossible si, enfin tu comprends … "
Elle fit une légère pause.
" Je sais que ce n’est pas toujours facile de me cotoyer, je suis compliquée, bornée …
- Et très efficace, lui dit alors Largo. Tu es la meilleure, ma meilleure. "
Les yeux de la jeune femme pétillèrent. Largo et Joy se sourirent alors.
" Dis-moi seulement qu’un jour nous arriverons à nous retrouver.
- Un jour, ajouta Joy, en lui prenant la main. Dis donc, sourit-elle, changeant de sujet, c’est ton estomac qui fait tout ce bruit ?
- Oui, j’ai une faim de loup ! Je vous invite à dîner gente dame ?
- Avec plaisir cher monsieur.
- Alors allons-y. Je connais un petit resto italien génial. "
Les deux jeunes gens sortirent alors de l’appartement de Largo en riant. Un léger vent se leva au dehors, et le carrousel se mit à tourner, faisant entendre une douce musique. Le signe de l’au-delà que Joy attendait ?
Peut-être.

The End

Joy