Bartlett régla la vision de ses jumelles et les dirigea vers la maison de Beth. Il réussit à voir ce qu’il s’y passait à travers l’une des fenêtres du salon. Un homme était avec elle. Il ignorait de qui il s’agissait, mais il avait vu des photos de lui chez Mary Arden, le soir où il l’avait assassinée et l’avait identifié comme son compagnon. Il avait aussi vu là-bas une photo de Mary avec Beth, c’est comme ça qu’il avait appris que les deux femmes se connaissaient. Beth était donc dans le coup ...
Il eut un mince rictus.
Pendant toutes ces années passées en prison, il s’était tellement focalisé sur la perspective de ce qu’il ferait subir à Charles Arden et à sa famille pour se venger de ce qui lui avait été pris qu’il en avait presque oublié cette chère Beth. Oui, elle aussi devait payer. Si la CIA avait fini par l’arrêter en 1983 c’était bien parce qu’elle avait dû les aider. Son heure viendrait à elle aussi. Aucune raison qu’elle s’en sorte. Et qui était-elle pour lui après tout ? Qu’avait-elle fait pour lui ?
Il regarda le compagnon de Mary Arden l’aider à s’allonger sur son canapé, puis apporter un linge mouillé pour le tamponner sur son front. Elle était ivre morte. Certaines choses ne changeaient donc jamais. Beth Miller resterait à vie cette ivrogne pathétique à laquelle il avait eu la faiblesse de s’attacher autrefois. Ses mains se crispèrent sur sa paire de jumelles. Il se remémora la dernière fois qu’il avait vu Beth, belle, jeune, et si vulnérable. Il savait que la CIA lui collait aux basques et ne pouvait pas risquer d’emmener Rebecca avec lui. Il avait donc demandé à sa mère de venir à Londres pour prendre soin d’elle le temps qu’il trouve une planque idéale et qu’il puisse faire revenir sa fille auprès de lui.
Mais rien ne s’était déroulé comme prévu. Ce salopard de Charles Arden les avaient emmenées, l’avait piégé et il s’était retrouvé en prison. On lui avait tout pris. Privé de sa liberté, il avait aussi été séparé de sa fille. Être seul, c’est se préparer à être mort. Alors pour ça, il avait bien le droit à sa vengeance. Peu importaient les conséquences, il ne trouverait de repos qu’une fois que la vérité aura éclatée et qu’il les aura détruits. On lui devait ça.
***
Joy, soucieuse et le visage fermé, déambulait dans l’aéroport, son bagage à l’épaule, sans regarder devant elle. Une main large et familière la retint par le bras alors qu’elle passait devant Kenneth Goren sans le voir.
“ Eh bien ? Tu veux m’éviter ? ”
Joy esquissa un mince sourire, posa son bagage à terre et vint enlacer son vieil ami qui ouvrait les bras en grand vers elle.
“ C’est bon de te revoir ... dit-il en la serrant.
- J’aurais préféré que ce soit en d’autres circonstances, rajouta-t-elle, la voix un peu faiblarde.
- Fatiguée ?
- Fatiguée, découragée, triste, tout ce que tu veux. ”
Il desserra leur étreinte et la tint par le menton, pour la forcer à le regarder droit dans les yeux.
“ Je suis désolé. ”
Elle hocha la tête.
“ Évitons les larmes et soupirs de dépression, tu veux ? Je ne veux me concentrer que sur un seul objectif. ”
Son ami esquissa un sourire.
“ Froide et solide comme du roc. Je retrouve bien là ma petite Joy de l’Université.
- Merci de m’aider ...
- C’est normal, lâcha-t-il, un peu plus grave. C’est fait pour ça les amis. ”
Joy fronça les sourcils quand elle vit le regard de son ami changer.
“ Tu veux me dire autre chose Goren ? ”
Il enfonça ses larges mains dans les poches de son imperméable et soupira.
“ J’ai vu ton père. ”
Le visage de Joy se ferma presque aussitôt.
“ J’imagine que tu te poses pas mal de questions sur ma famille ...
- C’est le moins qu’on puisse dire. Joy, il voulait me convaincre de te cacher la vérité au sujet du meurtre de ta mère.
- Je sais. Quand il m’a annoncé sa mort, il m’a juste dit qu’elle avait eu un accident. Il espérait me manipuler.
- Pourquoi ? C’est tout de même tordu !
- En fait c’est assez typique de mon père. Laisse tomber, mes histoires de famille sont assez complexes, ne t’en mêle pas.
- Si tu insistes. Mais tu es sûre de vouloir enquêter toi-même sur la mort de ta mère ? Ca risque d’être dur tu sais. Tu devrais peut-être me laisser faire, et je te tiendrai au courant, mais ...
- Pas la peine d’essayer de me convaincre. Je tiens à tout contrôler. J’en ai assez qu’on me mente.
- Tu sais bien que jamais je ne te mentirais ...
- Ca ne change rien. Le fait que mon père ait voulu me cacher la vérité signifie que sa mort n’est que l’arbre cachant la forêt. Il y a une histoire plus grosse derrière tout ça, qui me concerne directement. Je veux découvrir de quoi il retourne.
- Tu as une piste ?
- Des documents, que j’ai découvert dans le coffre de mon père chez lui. Un rapport concernant une opération de la CIA. J’ai demandé à un ami de procéder à quelques recherches à ce sujet, et j’ai un nom. Ted Bartlett. ”
Kenneth Goren fronça les sourcils sous ce nom familier.
“ J’ai entendu parler de lui, la presse évoquait sa libération sur parole, la semaine dernière ... C’était un criminel de grande envergure qui finançait un trafic d’armes qu’il vendait aux organisations terroristes dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Un réseau très dangereux, qui avait des ramifications partout dans le monde. Il avait deux complices, Laughton et Viszcenski, qui ont été exécutés. Lui s’en est sorti pour avoir collaboré avec la CIA.
- Je connais l’histoire. Et apparemment il s’agissait d’une des premières missions importantes de mon père à la CIA.
- Tu penses que ça a un rapport ? Une fois libre, ce Bartlett se vengerait de ton père en s’en prenant à sa famille ?
- Possible.
- Si c’est le cas, tu devrais te mettre à l’abri. ”
Joy émit un petit rire.
“ J’ai quelques arguments qui feraient fuir n’importe qui. Je n’ai pas peur. Tout ce qui m’intéresse, c’est savoir. Et si ce salaud a tué ma mère, je le lui ferai regretter. ”
***
Gordon coupa le moteur de sa voiture. Il resta quelques secondes au volant, découragé et épuisé. Beth était en train de cuver tout l’alcool qu’elle avait ingurgité et il en avait eu assez de la veiller. A vrai dire, il avait eu peur de croiser son regard à son réveil. Il ne savait plus quoi lui dire. Il craignait de se mettre en colère contre elle, une telle rage dévastant déjà ses sens depuis la mort injuste de Mary.
Il ferma les yeux et se força à s’extirper hors de son véhicule. Quelques heures de sommeil ne lui feraient aucun mal. Mais alors qu’il délaissait sa voiture pour se diriger vers son immeuble, il fut interpellé par une voix dure et sèche qu’il reconnut instantanément.
“ Charles Arden ... soupira-t-il en se tournant vers lui. Vous savez, ma journée a été suffisamment pénible comme ça, alors allez-vous en.
- Nous devons parler.
- Je n’ai rien à vous dire, moi !
- Mon problème c’est que vous serez peut-être beaucoup plus bavard devant ma fille. ”
Gordon secoua la tête d’un air navré.
“ Foutu égoïste manipulateur. Votre ex-femme vient d’être assassinée et tout ce qui vous intéresse ce sont vos minables petits secrets. Eh bien oui, puisque vous voulez à tout prix le savoir, je compte dire tout ce que je sais à Joy.
- Je ne vous conseille pas de faire cette stupidité.
- Sinon quoi ? Vos trucs d’agent secret ne m’impressionnent pas. Et qui croyez-vous être pour espérer contrôler la vie de cette jeune femme ? Elle a le droit de savoir. D’ailleurs, Mary le pensait aussi. ”
Charles se mit à pâlir soudainement.
“ Que voulez-vous dire ?
- Avant sa mort, Mary avait écrit une lettre à sa fille. Une lettre lui révélant qu’elle n’était pas sa mère et qui doit déjà être en possession de Joy.
- Non ... murmura Charles, vert de colère. Non pas ça ...
- Ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne découvre que vous n’êtes pas non plus son vrai père. Elle voudra savoir qui sont ses vrais parents. Et c’est cela qui vous inquiète n’est-ce pas ? Mary m’a confié qu’elle ne vous a jamais cru au sujet de la façon dont vous aviez trouvé Joy. Et je ne crois pas non plus que votre fille se satisfera de cette réponse. D’une manière ou d’une autre, elle connaîtra la vérité. Elle n’a pas besoin de moi pour ça, ni de vous d’ailleurs. ”
Le ton commençait à monter entre les deux hommes, si bien que plusieurs passants se détournèrent, et que plusieurs des voisins de Gordon passèrent leur tête par la fenêtre pour observer les deux hommes se disputer.
“ Pour qui vous prenez-vous ? gronda Charles. Vous n’avez aucun droit de vous mêler de ma vie et de celle de ma fille !
- C’est ce que Mary aurait voulu. Qu’on cesse de lui mentir !
- Ce n’est pas à vous d’en décider ! Je sais ce qui est bien pour mon enfant ! ”
Gordon eut un rire nerveux.
“ Mary m’a souvent parlé de la manière dont vous aviez élevé votre fille. Monsieur, je crois que vous êtes totalement irresponsable et qu’on aurait dû vous retirer la garde de cette enfant il y a vingt ans ! ”
Gonflé par la rage, Charles empoigna Gordon par le col de sa chemise et le secoua brutalement.
“ Vous dépassez les limites Finch ! Je ne sais pas ce qui me retient de vous massacrer !
- Allez-y frappez-moi ! Vous n’êtes qu’un salaud ! ”
Charles fulminait et devait se retenir pour ne pas le frapper, mais comme les passants se rapprochaient d’eux pour les séparer, il le lâcha à regrets.
“ On se retrouvera Finch. Je vous le promets. ”
Puis il tourna les talons pour reprendre le volant de sa voiture de location. Il démarra sur les chapeaux de roue, tandis que plusieurs personnes demandaient à Gordon s’il allait bien. Il les rassura, laconique et furieux, puis rentra dans son immeuble sans demander son reste.
Non loin, Bartlett, qui avait suivi Gordon Finch depuis la maison de Beth, avait observé le spectacle amusé. Ce qu’il venait de voir lui donnait une idée. D’après ses contacts, Joy était déjà arrivée à Londres. Il avait vraiment envie de l’avoir pour lui seul et d’évincer Arden, sans avoir à exécuter sa vengeance de façon trop précoce.
Il venait de trouver comment.
***
Largo ferma l’écran de la vidéoconférence. Il soupira et se réinstalla plus profondément dans son fauteuil pour mieux réfléchir. Simon choisit alors ce moment pour sortir des toilettes du jet.
“ Je t’ai entendu parler tout seul ... Tu étais en communication avec Kerensky ou alors il faut que je t’emmène chez un psy ? plaisanta-t-il.
- Réponse a), Kerensky. Il m’a appelé pour me dire qu’il avait eu une conversation avec Joy. Il ne lui a pas dit qu’on arrivait.
- Oh je vois déjà sa mine réjouie quand nous débarquerons avec nos gros sabots pour nous mêler de ses affaires.
- J’imagine très bien aussi. Kerensky m’a dit qu’elle lui avait demandé de faire des recherches pour elle au sujet d’une opération de la CIA appelée Opération Carrousel. Elle a l’air de croire que c’est en rapport avec la mort de sa mère.
- C’est une de ses anciennes affaires ? s’interrogea Simon, intrigué, en venant s’asseoir face à Largo.
- Non, c’est une enquête sur un réseau terroriste vieux de trente ans. Une opération de son père. Kerensky est inquiet, pour lui l’histoire sent très mauvais.
- A ce point ?
- L’un des protagonistes de l’époque, un dénommé Bartlett, vient de sortir de prison. Pour lui, c’est lié.
- Donc il va falloir être sur nos gardes ?
- C’est plus prudent ... approuva-t-il. On ne sait jamais quel coup fourré se cache dans cette affaire. Dès qu’on mentionne la CIA quelque part, on saute dans le vide sans filet. ”
Simon hocha la tête puis tenta de sonder le regard de son ami.
“ Il y a quelque chose que tu ne me dis pas ? ”
Largo soupira.
“ Joy ne voulait pas que j’en parle mais elle a fait des découvertes sur ses origines.
- Comment ça ?
- Avant de mourir, Mary Arden lui a révélé qu’elle n’était pas sa vraie mère. ”
Simon émit un sifflement gêné.
“ Ca complique encore les choses. Tu crois que ces révélations ont un rapport avec sa mort ?
- Disons que je ne crois pas aux coïncidences. Mais surtout, je ne suis pas certain que Joy soit de taille à lutter toute seule cette fois-ci. Les choses se passent trop vite. ”
Simon secoua la tête et fit un grand sourire.
“ Ben et alors ? On est là nous, on va lui filer un coup de pouce. Et tout se passera bien.
- C’est à espérer. ”
***
La porte de sa chambre d’hôtel s’ouvrit. Le soir était tombé, l’obscurité envahissait la pièce. Charles Arden tâtonna à la recherche de l’interrupteur, et finit par abandonner, ses yeux étant trop fatigués pour supporter une lumière vive. Il claqua la porte derrière lui et traîna des pieds jusqu’à se laisser tomber lourdement sur un fauteuil. Il sentait que la situation lui échappait, et son manque de sang-froid devant Gordon Finch n’en était qu’une preuve parmi tant d’autres. Combien de temps allait-il encore pouvoir cacher la vérité à Joy ? Combien de temps avant qu’il ne commette erreur sur erreur, par fatigue et culpabilité ?
“ Fatigué papa ? ”
Il sursauta. Il était tellement épuisé et contrarié qu’il n’avait même pas remarqué une présence dans la pièce. Joy était assise à l’autre bout de la pièce, dissimulée dans la pénombre. Il ouvrit la mâchoire pour lui parler mais fut comme coupé dans son élan par la lumière qui inonda la pièce. Elle venait d’allumer une lampe qui se trouvait à proximité d’elle. Il pouvait voir son visage à présent. Il était dur, si dur qu’il aurait pu y voir une réelle ressemblance avec lui. Mais c’était impossible.
“ Tu es venue à Londres, donc ... ” dit-il seulement, constatant l’évidence.
Ses yeux se mirent à luire de colère.
“ Surprise ... lâcha-t-elle sur un ton grinçant. Je parie que tu ne t’y attendais pas ...
- Après avoir parlé à ce Goren, si.
- S’il n’avait pas été là je n’aurais pas su que ma mère a été assassinée pas vrai ?
- Je te l’aurais caché.
- Pourquoi ? ”
Le ton était monté presque naturellement, et Joy avait presque hurlé sa phrase, sans vraiment s’en rendre compte, portée par sa rage.
“ Il y a certaines choses que tu ne peux pas comprendre.
- Je veux savoir ce que tu me caches.
- Non. ”
Elle se leva brusquement, rapide et féline, puis tourna en rond dans la chambre quelques instants avant de fixer de nouveau son père.
“ Qui était ma mère ? ”
Son visage de granit ne cilla pas.
“ Réponds-moi bon sang ! J’ai le droit de savoir ! Maman m’a écrit une lettre me révélant que je n’étais pas sa fille. Et voilà qu’elle meurt avant que je n’aie le temps de la questionner ... Je vais finir par croire qu’il y a cause à effet. ”
Charles fronça les sourcils.
“ Ne vas pas trop loin Joy.
- Et pourquoi ça ? Tu sembles tellement pressé de garder tes petits secrets, que je suis en droit de me poser des questions ...
- Jamais, tu m’entends, jamais je n’aurais fait le moindre mal à Mary, pour quelque raison que ce soit.
- Alors dis-moi la vérité ! Parle papa !
- Je n’ai rien à te dire. ”
La jeune femme fulminait sur place et laissa venir son père qui se décidait enfin à se lever de son fauteuil pour lui parler en face.
“ Comprends-moi Joy. Je tiens juste à te protéger.
- On ne protège personne en lui cachant la vérité.
- Toute vérité n’est pas bonne à entendre. Si tu savais, tu me remercierais.
- Qu’est-ce qui te permet d’en juger ? Tu ne me connais pas. Tu ne m’as jamais comprise. En fait tu ne sais rien de moi.
- J’ai toujours su ce qui était bon pour toi. ”
Joy cracha une grimace dépitée.
“ Je ne peux pas croire ce que je viens d’entendre ... Tu pourrais essayer de me comprendre. Au moins essayer. J’ai besoin de savoir qui je suis. Je veux savoir qui était ma mère. ”
Elle lui lança un regard soupçonneux.
“ Et toi ? Es-tu au moins mon père ? ”
La phrase glaça le sang de Charles. Il se sentit perdre le contrôle. Depuis le tout début, depuis ce fameux jour où il avait ramené chez lui une petite fille de quatre ans pour la présenter à sa femme, il avait eu peur d’entendre un jour cette phrase. Voilà que ça venait d’arriver, et il n’était pas prêt à l’accepter. Sans réfléchir, il gifla sa fille.
“ Je t’interdis Joy ... Je ... ”
Il ne put finir sa phrase, paralysé par l’incertitude. Joy, qui n’avait pas bougé d’un centimètre, se tint la joue, douloureusement. Puis courbée et perdue, elle recula lentement. Elle comprit.
“ Alors c’est ça ? Tu n’es pas non plus mon père ? Nous ne sommes rien l’un pour l’autre ? ”
Charles fut incapable de prononcer une seule parole.
“ Alors je suis qui moi ? demanda-t-elle, la voix tremblante. D’où est-ce que je viens ? ”
Il ferma totalement son visage, bien décidé à ne rien lui dire. Joy se sentit brisée de l’intérieur. Elle baissa la tête.
“ Je vois. Tu aurais au moins pu faire ça pour moi. Pour une fois dans ta vie, tu aurais pu faire quelque chose pour moi. Tant pis. Je découvrirai la vérité par moi-même. ”
Elle se fraya un chemin jusqu’à la porte de la chambre et évita au maximum le moindre contact avec Charles.
“ Adieu. ” dit-elle simplement avant de franchir la porte.
***
Andrew Waters faisait défiler à vitesse rapide des images en noir et blanc sur un petit poste de télévision. Il était fatigué, et fixer l’écran inlassablement commençait à lui donner la nausée. Il finit par tomber sur une image intéressante et sourit.
“ Enfin ! Rappelez les chiens la chasse est terminée ! ”
Goren, installé dans son bureau à compulser des données sur Ted Bartlett, se déplaça sur sa chaise à roulettes jusqu’à la porte communicante avec le bureau de son coéquipier.
“ Tu as trouvé ?
- Ouais. Et la prochaine fois que tu oublies d’étiqueter des cassettes de vidéosurveillance, tu t’y colles pour retrouver les images. ”
Goren haussa les épaules et quitta sa chaise pour rejoindre le bureau de son ami.
“ Je les avais posées dans l’ordre sur ton bureau. C’est pas de ma faute si tu les as fait tomber en jouant au basket avec Burns. Alors que nous disent les images ? ”
Waters appuya sur la touche lecture du magnétoscope et les images de la caméra de surveillance du magasin d’antiquités où avait eu lieu le meurtre défilèrent. On y voyait très clairement un homme entrer pour faire l’acquisition d’une boîte à musique, puis assassiner la vendeuse d’un coup de couteau dans le ventre. Les deux policiers eurent une grimace dégoûtée.
“ Quel salaud ...
- Attends une minute ... marmonna Goren. Tu peux repasser le passage où on voit le visage du mec ? ”
Waters s’exécuta et son partenaire examina attentivement l’image de mauvaise qualité en plissant les yeux.
“ Bon sang ... murmura-t-il avant de retourner dans son bureau.
- Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? s’interrogea Waters.
- C’est lui, répondit Goren de son bureau.
- Comprends pas. ”
Kenneth réapparut, brandissant le dossier de Ted Bartlett.
“ Regarde ! C’est lui, c’est Bartlett. ”
Waters saisit le dossier et observa la photo de l’ancien terroriste.
“ T’es sûr ? Elle date de plus de vingt ans ta photo ...
- Bien sûr que j’en suis sûr. Toi, t’es bigleux. ”
Waters haussa les épaules et ouvrit son tiroir, pour y fouiller et en retirer un exemplaire de journal du début de semaine.
“ Ouais t’as raison ... ”
Il montra à Goren une photo récente de Bartlett, prise à sa sortie de prison, publiée dans le journal.
“ Le bel enfoiré ... murmura Goren pour lui-même.
- Cela dit je ne comprends pas le mec, réfléchit Waters. C’était un pro dans le temps, et il se fait piéger par une caméra de surveillance d’une petite boutique ? Et puis pourquoi prendre le risque de tuer cette fille sans raison alors qu’il vient de sortir de prison ? ”
Kenneth s’assit sur le bureau de son coéquipier, sans lâcher du regard le visage de Bartlett, après le meurtre, sur la vidéo en mode pause.
“ Je t’ai parlé de ma théorie sur la mort de Mary Arden ?
- Ouais, Bartlett l’aurait tuée à cause de son mari, qui était de la CIA. Vengeance.
- C’est ça. Bartlett est ici pour une affaire personnelle. Il voulait qu’on sache que c’était lui le meurtrier. Il voulait qu’on le voit. C’est un message qu’il essaie de passer.
- A qui ? A ce Charles Arden ?
- Sûrement. En tout cas il va falloir lui mettre la main dessus avant qu’il ne tue à nouveau.
- Pas facile facile. Londres est une grande ville, il est né ici, sans compter qu’il doit lui rester des contacts.
- Eh ben on va lancer un avis de recherche. De toute façon, s’il veut accomplir une vengeance il finira par se montrer tôt ou tard.
- Protection rapprochée pour ta copine ?
- Non. Elle est sa protection rapprochée. C’est son métier. Enfin, nous pourrons ... ”
Goren fut interrompu par un sergent du nom de Burns qui frappa un bref coup à la porte avant de l’ouvrir et de passer sa tête au travers.
“ Les gars, on a un truc pour vous. Un mec appelé Gordon Finch qui a été tué chez lui. ”
Goren et Waters échangèrent un regard.
“ Finch ?
- Le compagnon de Mary Arden.
- Et merde. ”
***
Le vent soufflait dans les feuilles des arbres. Leur bruissement sonnait comme une mélodie élégiaque chantée par une voix lointaine parlant aux âmes perdues du sanctuaire. Il ne pleuvait plus, mais l’herbe était verte et fraîche, le gravier humide et glissant. Une vingtaine de personnes vêtues de noir se tenaient réunies autour d’un prêtre qui lisait son bréviaire. Un trou profond creusé dans la terre attendait qu’on y descende un cercueil.
Joy, une rose blanche à la main, avait le regard rivé sur la fosse. Elle n’avait pas de manteau noir, si bien qu’elle était vêtue d’un simple ensemble sombre, et frissonnait, glacée par le souffle du vent. Ses lèvres minces étaient scellées, une grosse paire de lunettes noires empêchait de voir ce qu’il se passait dans ses yeux.
Son père était debout à côté d’elle, écoutant le prêtre. Son visage granitique ne marquait aucune expression si ce n’était une lassitude intense dont témoignaient les profondes cernes creusées sous ses yeux. Le père et la fille ne se regardaient pas, évitaient de se frôler. Ils étaient l’un à côté de l’autre par convention mais tout un monde les séparait. Le chagrin de Joy était étranger à son père, et lui commençait à se résigner à l’idée de perdre sa fille.
Après quelques derniers mots et prières, le prêtre finit par se taire. Le cercueil fut mis en terre, la terre fut bénite. Les amis et proches passèrent les uns après les autres pour rendre un dernier hommage à Mary. Joy ne bougea pas et assista à la scène, passive. Son père l’observa une seconde, souhaitant lui parler. Il se ravisa et s’éloigna d’elle, la laissant seule avec ses démons.
Une femme aux cheveux roux attachés en chignon s’agenouilla au bord du trou et se recueillit devant le cercueil. Elle n’avait pas assisté à la cérémonie comme les autres, et venait d’arriver dans le cimetière, se fondant dans la foule. Sa rose alla rejoindre les autres au fond de la tombe, puis elle envoya un baiser en direction de Mary, quelque part cachée dans tout ce cérémonial.
Pour la première fois, le regard de Joy se détacha du cercueil pour s’attarder sur cette femme aux cheveux flamboyants. Elle eut une sensation étrange. Lorsque la femme se releva, elle se tourna, et rencontra avec surprise le regard interrogateur de Joy. Elle esquissa un mince sourire que la tristesse rendit pathétique. Puis elle se rapprocha de Joy.
“ Je m’appelle Beth. ”
Joy pencha légèrement la tête, son index courut sur l’une des pétales de la rose qu’elle tenait contre sa poitrine. Elle examina Beth, son teint pâle, sa taille petite et gracieuse, son visage anciennement beau mais bouffi par des excès, ses yeux noisettes devenus ternes. Une chaleur vint envahir le cœur de Joy pour la première fois depuis qu’elle avait lu sur une lettre quelques mots griffonnés par Mary “ Je ne suis pas ta mère Joy. ”. Elle sentait comme un réconfort émanant de la simple présence de cette inconnue, pour quelque raison obscure. Pourtant elle ne la connaissait pas.
“ J’étais une amie de votre maman. ”
Beth alla chercher l’une des mains de Joy, posée sur la rose tout comme l’autre, et s’offrit le droit de la tenir pour la réchauffer. La jeune femme la laissa faire, à la fois intriguée et confiante.
“ Je suis de tout cœur avec vous. ”
A une dizaine de mètres de là, Charles, qui était sur le point de regagner sa voiture de location pour rentrer à son hôtel, demeurait estomaqué. Il voyait les deux femmes face à face et se sentait impuissant. Il ne pouvait pas y aller. Il ne pouvait pas l’empêcher sans créer un scandale, et cela, à l’enterrement de Mary, il ne le pouvait pas. Sa femme devait partir dans la dignité, elle le méritait. Il ne pouvait rien faire. C’était trop tard, la mécanique de la machine était lancée, à présent plus rien ne pourrait empêcher Joy de connaître la vérité.
Sans le savoir, sa fille parlait à sa véritable mère.
Charles, qui avait toujours gardé Beth sous surveillance, après sa sortie de l’asile où il l’avait envoyée après sa tentative de suicide, savait parfaitement de quoi avait été faite la vie de cette femme depuis vingt ans. Il savait bien sûr que sa femme avait fait sa rencontre à Londres, voilà plus d’un an, mais il n’était pas intervenu, ne voulant pas réveiller les soupçons de Mary. Il savait que ni Beth, ni Mary n’étaient femmes à se raconter avec profondeur. Et même si elles avaient fini par découvrir la vérité, cela n’aurait rien changé. Elles en auraient eu peur. Le secret était bien gardé.
A présent Mary n’était plus là. Bartlett l’avait tuée et toutes les données avaient changé.
Il suffisait que Beth jette un seul coup d’œil dans sa direction. Il suffirait d’un pur hasard pour qu’elle découvre qu’il était le père de Joy. Et alors elle comprendrait, elle saurait que la jeune femme à qui elle présentait ses condoléances était sa fille. Celle qu’il lui avait enlevée quand elle avait quatre ans.
Non. Ce ne serait pas par lui que la vérité éclaterait. Elle lui échappait peut-être, mais il ne voulait pas voir ça. Il se dirigea d’un pas sûr vers sa voiture de location et s’y engouffra pour partir au plus vite. Beth n’avait pas remarqué sa présence et continuait à offrir ses paroles réconfortantes à Joy. Elle n’avait pas encore compris. Il soupira. Non, il ne l’aiderait pas.
Il démarra et laissa le cimetière derrière lui.
Beth continuait à serrer la main de Joy. La jeune femme regardait leur deux mains entrelacées, puis levait les yeux vers son visage, en alternance. Elle se sentait perdue, embourbée par l’étrange familiarité que cette femme lui inspirait. L’avait-elle déjà connue ?
“ Nous nous sommes déjà vues ? ”
Beth fit non de la tête.
Joy ne se satisfaisait pas de cette réponse. Elle revoyait des images défiler dans sa tête. Celle d’une femme aux longs cheveux roux qui s’occupait d’elle, et qui l’emmenait sur un manège. Elle avait toujours jusque-là identifié la femme de son souvenir comme une baby-sitter oubliée.
“ Quand j’étais enfant ? ”
Beth sourit.
“ Je ne connaissais votre mère que depuis un an. ”
Joy hocha la tête et parut se résigner à cette réponse, lâchant la main de Beth.
“ Je dois vous confondre avec une autre. Excusez-moi.
- Je vous en prie. Je suis aussi amie avec Gordon. Son absence m’inquiète. ”
Joy fit tourner la rose entre ses deux mains, le visage penché au-dessus de ses pétales blancs, laissant leur odeur tenter de guérir ses maux.
“ Il n’a sans doute pas eu le cœur de venir. Ma mère et lui avaient une relation très particulière. Il doit faire son deuil à sa manière.
- Sans doute.
- Je vous remercie de ce que vous m’avez dit sur ma mère. Ca me touche beaucoup.
- Mary était une femme d’exception. Elle vous aimait beaucoup, et vous trouvait formidable. ”
Joy détourna les yeux, amère. Elle cherchait à répondre quelque chose à Beth lorsqu’elle reconnut les silhouettes familières de deux de ses amis, adossés à un arbre, qui assistaient de loin à la cérémonie. En les voyant, un sentiment mêlé d’agacement et de soulagement, lui monta au visage. Elle s’excusa auprès de l’amie de sa mère.
“ Il faut que j’aille saluer quelques personnes. Mais nous nous reverrons à la veillée.
- Bien sûr. Courage Joy. ”
La jeune femme lui fit un signe puis commença à traverser le cimetière pour rejoindre Largo et Simon, acceptant au passage les diverses condoléances des personnes présentes à l’enterrement. Elle se planta devant eux, indécise, ne sachant que leur dire, gênée qu’ils soient témoins de son égarement et de son chagrin. Désarmée, sa rose abandonnée piquant le bout des doigts de sa main gauche, elle les laissa parler en premier.
“ Ca ira Joy ? demanda Simon, intimidé.
- Il faudra bien que cela aille. Vous êtes ici depuis longtemps ?
- On est arrivés au milieu de la cérémonie. On n’a pas osé nous rapprocher ... expliqua Simon.
- Que faites-vous ici ?
- S’il te plaît Joy ! protesta Simon. Tu ne croyais quand même pas qu’on allait te laisser toute seule avec ce qui t’arrive ! On est tes amis. ”
Joy baissa la tête.
“ Merci. ”
Sa voix était rauque et mal assurée. Elle était plus émue qu’elle ne voulait le faire paraître.
“ Mais je ne saurais pas comment partager ça. Les choses qui arrivent sont tellement étranges. Ma vie se remet totalement en question. ”
Largo, qui n’avait rien dit jusque là, fit quelques pas vers elle pour la regarder bien en face. Doucement, il lui retira ses lunettes noires et put enfin voir ses yeux tristes et hagards. Il lui sourit avec tendresse et caressa lentement du creux de sa main sa joue froide. Puis il l’embrassa sur le front et la prit par les épaules.
“ Repose-toi sur nous, dit-il calmement. Et on arrivera au bout. ”
Elle cligna des yeux et ne répondit rien, tentant de se laisser contaminer par le calme de son ami.
“ Qui était la femme avec qui tu parlais ? demanda Simon.
- Personne ... répondit-elle distraitement.
- Joy. ”
La jeune femme leva les yeux vers Largo, qui la tenait toujours par les épaules.
“ Qu’y a-t-il ?
- Quelqu’un pour toi. ”
Elle regarda dans la direction que lui indiquait son ami, et reconnut Kenneth Goren qui avançait lentement vers les trois jeunes gens.
“ Goren ? s’étonna-t-elle. Que fais-tu ici ? ”
Elle était bien plus surprise par la mine grave et coincée de son vieil ami que par sa présence aux funérailles.
“ Je suis désolé de ne pas avoir assisté à la cérémonie, commença-t-il, mais il s’est passé quelque chose cette nuit. Gordon Finch a été assassiné chez lui.
- Oh non ... murmura Joy, troublée par la nouvelle.
- Qui était-ce ? s’enquit Largo.
- Le compagnon de ma mère. Tu as l’enquête ? fit-elle à l’intention de Goren.
- Oui, j’ai pris le dossier.
- Kenneth est un ami, il est policier. Il m’aide à voir clair dans l’assassinat de ma mère ... expliqua-t-elle succinctement à ses deux amis. Goren, je te présente Largo Winch et Simon Ovronnaz. Ils sont ici pour m’aider. ”
En entendant sa dernière phrase, Largo délaissa son étreinte, et posa une main protectrice et affectueuse sur la nuque de la jeune femme. Elle lui sourit. Goren observa leur manège, à moitié soulagé de savoir que Joy n’était pas seule, mais toujours ennuyé par ce qu’il avait à lui dire.
“ Ce n’est pas tout Joy. Pour la mort de Finch, on a voulu diriger nos soupçons sur Barlett, mais le problème c’est que ... ”
Il hésita, cherchant ses mots avec difficulté. Il décida d’être direct.
“ Pour être honnête, si je suis venu au cimetière aujourd’hui, c’est pour mettre en état d’arrestation ton père.
- Quoi ? lâcha Joy, estomaquée. C’est insensé.
- Des témoins ont vu ton père et Finch avoir une altercation hier dans la journée. Charles aurait proféré des menaces contre lui. Et nous avons trouvé ses empreintes sur le lieu du crime. ”
Joy resta bouche bée, incapable d’avoir la moindre réaction, violente ou pas.
“ Non, dit-elle finalement. Ce n’est sûrement pas lui qui a fait ça. Bartlett veut sa peau, c’est un piège. N’oublie pas que Charles était un agent d’exception à la CIA, tu crois vraiment qu’il est homme à laisser des empreintes partout sur le lieu d’un meurtre ?
- Je sais que c’est un piège, mais je suis lié. Je ne peux rien faire d’autre, au vu des preuves, je suis obligé de procéder à son arrestation si je ne veux pas être retiré de l’affaire par mes supérieurs. Écoute, je ferai tout ce que je peux, mais pour l’heure, il faut que je trouve ton père. Où est-il ? ”
Joy baissa la tête, dégoûtée par la tournure que prenait l’affaire.
“ Nous somme censés aller à la veillée, dans la maison d’une amie de ma mère. Mais il n’ira peut-être pas. Il doit être retourné à son hôtel, le Bridge Colonial.
- Merci. Je te tiendrai au courant. ”
Goren tourna les talons et saisit son téléphone pour prévenir ses équipes à la recherche de Charles, tout en s’éloignant rapidement.
“ Tu nous expliques tout ? lança Largo. Tout ça c’est une histoire de vengeance menée par Ted Bartlett ?
- Kerensky vous a parlé des recherches que je lui ai fait faire ?
- Oui.
- En effet, je pense que c’est lui qui est derrière tout ça. Je dois le retrouver, au plus vite.
- On y arrivera, ne t’en fais pas.
- J’ai une question ... réfléchit Simon à haute voix. Si tout ça c’est une vengeance de Bartlett contre Charles, pourquoi le piège-t-il maintenant ?
- Parce qu’il a le champ libre, répondit Joy, soucieuse. Il sait que Charles sera libéré tôt ou tard, faute de preuves. Il veut juste l’évincer le temps de faire ce qu’il a en tête.
- Et qu’a-t-il en tête ? ”
La jeune femme garda le silence, le front plissé par l’inquiétude.
“ Joy. ” répondit à sa place Largo.
***
Ted remonta rapidement son pantalon. Il faisait froid en cette saison à Londres. Mieux valait ne pas attraper de maladie ou de virus, parce que là, il ne serait plus très efficace pour faire ce qu’il rêvait d’effectuer depuis des années. Ce qu’il planifiait dans sa petite cellule jour après jour depuis un peu plus de vingt ans. Ce qui lui avait permis de survivre dans cette cage parmi les fous, les violeurs, les kidnappeurs ... Juste y penser lui donnait des frissons de dégoût. Les gens ne savent pas tout ce qui se trame dans ce genre d’endroit.
Par chance, il avait été craint par la majorité des prisonniers. Le terrorisme, ou l’écho de ce mot, car peu de gens savaient exactement pourquoi il était emprisonné, faisait naître la méfiance et la crainte, même en prison. Alors, il n’avait jamais été trop dérangé. Il avait eu tout le temps pour préparer sa vengeance. Tout revenait à ça. La vengeance. La sienne. Il était si près du but, il pouvait presque le toucher ... Là, tout de suite, il était dans un tel état d’euphorie, il avait presque envie de chanter. I feel good de James Brown lui vint immédiatement en tête. L’une de ses chansons préférées. Oui, il se sentait bien. Trop même. La vie n’était pas si injuste avec lui, après tout. Il allait retrouver sa chair et son sang. Et venger leur trop longue séparation.
Ah la vengeance est si douce à mon cœur ...
Bartlett eut un rire mauvais. A ce moment, une jeune femme près de lui, murmura quelque chose à propos de bas déchirés. C’est vrai, monsieur avait de la compagnie ! Candy. Il était tellement perdu dans ses pensées, qu’il avait complètement oublié sa présence. Il faut dire que ce qu’il venait de vivre avec elle n’avait pas été quelque chose qu’il pourrait classer dans la catégorie des moments inoubliables. Il avait connu mieux. Dans le genre sainte nitouche, Beth était pas mal dans le temps ... Très chère Beth. Bientôt. Ton tour viendra aussi. Tu vas payer. Comme Mary, comme Gordon, comme tous les autres ...
“ Jack ? Jack, tu m’écoutes au moins ? ”
Bon, cette sale bonne femme lui parlait. D’ailleurs, elle n’arrêtait pas de parler. Ted l’avait vue sur le trottoir quand il revenait de chez Gordon, elle lui avait offert une bonne rasade de whisky. Puis son corps. Gratuitement qu’elle avait dit. Jack _ c’était le nom qu’il avait emprunté _ lui plaisait. D’abord il n’avait pas été très intéressé, mais il lui avait cédé. Ca faisait longtemps qu’il n’avait pas eu de contact avec une femme. Et, il s’était senti excité en pensant à ce qu’il avait fait un peu plus tôt dans la journée. Alors il l’avait prise. Dans cette vieille ruelle mal famée, avec pour seuls témoins, ces gros rats dégoûtants ...
Maintenant, Bartlett avait vraiment envie de l’envoyer au Diable, mais il avait encore besoin d’elle. Candy allait lui rendre un dernier petit service.
Allez Ted, force-toi, montre un peu d’enthousiasme à la dame. Sois poli voyons ! On n’attire pas les mouches avec du vinaigre tu sais ...
L’homme se tourna alors vers sa compagne et tenta de lui sourire. Ca ressemblait plutôt à une grimace, mais la jeune femme ne parut pas le remarquer et lui fit un clin d’œil.
Quelle idiote cette fille !
“ Tu disais ?
- Alors, t’as aimé bébé ?
- Oui, oui. C’était ... potable. ”
Candy éclata d’un rire idiot.
“ T’es drôle Jack. Je t’aime bien tu sais. T’as vraiment l’air d’être un gars cool.
- Eh bien je suis content que tu me dises ça. Écoute Candy, tu me rendrais un petit service ? Rien de bien compliqué, tu vas voir.
- Bébé, je ferai tout ce que tu voudras.
- Bien. Alors voilà ce que je veux que tu fasses ... ”
Tout en parlant, Ted sortit une boîte à musique de sa veste. C’était maintenant le grand moment. Cette chose allait lui donnait la chance, sa première chance d’avoir un contact privilégié avec sa petite fille ... Son cœur battait à toute allure. Il se savait être un véritable salopard, mais on ne lui enlèverait jamais ce sentiment étrange qui brûlait au fond de son cœur : un amour insensé pour son enfant.
***
Assise sur son canapé, Beth attendait que les heures s’écoulent. La veillée en hommage à son amie aurait lieu dans exactement deux heures. Depuis quelques minutes, le regard de la femme revenait sans cesse se poser sur le carrousel qu’elle possédait. Elle ne savait pas trop pourquoi, mais depuis qu’elle était allée dans ce cimetière un peu plus tôt, elle ne cessait d’être obsédée par cet objet. Et par Joy. La fille de Mary. Peut-être était-ce parce que la jeune femme lui rappelait trop de souvenirs ? Sa Becky. Mais pourquoi ? Beth eut soudain un énorme mal de tête. Il fallait arrêter de penser à ça. Elle ferma les yeux. Maintenant elle allait se reposer. Ce serait beaucoup mieux pour elle.
***
Dans sa chambre d’hôtel, Charles Arden était très énervé. Rien ne se déroulait selon ses plans de départ. Sa fille ne lui parlait plus, elle avait failli apprendre pour sa véritable mère, ce Goren lui faisait du tort en parlant trop, et ce Bartlett de malheur était encore en liberté ! Rien n’allait comme il le voulait. Mais Charles ne se sentait pas découragé pour autant. Il n’avait pas pour habitude de baisser les bras. Il allait réagir ! C’était le moment. L’homme sortit un revolver d’un tiroir d’un des bureaux de sa chambre, et sortit discrètement. Il allait s’occuper de retrouver ce Bartlett maintenant.
***
Après avoir cherché aux alentours du cimetière, Kenneth Goren, et deux autres policiers, arrivèrent à l’hôtel Bridge Colonial. Ils se dirigèrent immédiatement vers la réception de l’établissement. Après avoir vérifié auprès de la réceptionniste que l’homme qu’ils cherchaient était bien dans sa chambre, Goren soupira. Le moment était arrivé. Charles Arden allait devoir les suivre au poste. L’ami de Joy savait qu’il aurait été très facile d’arrêter Charles Arden en le prenant par surprise dans sa chambre, avec toute une équipe policière derrière lui, mais l’homme voulait faire les choses autrement. Pour Joy. Pour Charles Arden également. Et puis, il n’avait pas envie de créer un scandale dans un hôtel qui accueille une clientèle aussi distinguée. Il laisserait donc une chance au père de Joy. Tant pis s’il se faisait réprimander par son patron ! Charles les suivrait de plein gré. Sinon, eh bien ... Il aviserait si ça ne se passait pas comme il le souhaitait.
“ Il n’est pas dans sa chambre.
- Vous êtes certaine ? Réessayez encore une fois, je vous prie.
- D’accord Monsieur. ”
La jeune femme tenta d’appeler à nouveau mais fit la grimace.
“ Je regrette il n’y a aucune réponse. Désolée. ”
Arrivé au rez-de-chaussée, Charles aperçut Kenneth Goren et deux autres policiers. Charles ne savait pas pourquoi ils étaient là, et il ne voulait pas le savoir. Alors, il sortit de l’ascenseur, et se sauva dans la direction opposée. Alors qu’il atteignait le parking de l’hôtel, quelqu’un attendait l’homme tout à côté de as voiture. Un autre policier. Andrew Waters prit son talkie-walkie, et parla à son équipier, tout en surveillant Charles du coin de l’œil.
“ Kenneth ? Devine qui vient me rendre une petite visite au parking du sous-sol ? Lui-même. Oui, oui, on t’attend. ”
Waters retourna son attention vers Charles Arden.
“ Alors Monsieur Arden, nous partons quelque part ?
- Non, non, je ... Qu’est-ce que vous faites ici ?
- Ah, mais je vous attendais voyons.
- Vraiment très drôle. Que se passe-t-il ? ”
Andrew remarqua alors l’arme de Charles, à moitié dissimulée dans son imperméable.
“ Tiens, tiens, tiens ... Qu’avons-nous là ? Vous vous promenez toujours avec une arme sur vous Monsieur Arden ?
- Ca ne vous regarde pas.
- Je vais devoir vous la confisquer.
- Pourquoi ? ”
Au moment où Andrew s’apprêtait à répliquer quelque chose, Kenneth arriva encerclé de ses deux autres coéquipiers.
“ Charles Arden, vous devez nous suivre au poste. Vous êtes en était d’arrestation pour le meurtre de Gordon Finch.
- Finch est mort ? Mais qu’est-ce que c’est que tout ça ? Je n’ai rien fait, je lui ai juste parlé hier après-midi ! ”
Kenneth jeta un coup d’œil compatissant vers l’homme qui se tenait devant lui. Il avait vraiment l’air ahuri. Goren savait, ou plutôt sentait, qu’il était sincère. C’était dans ce genre de moments, que Kenneth n’aimait pas son boulot. Mais quelqu’un devait le faire.
Alors que la voiture policière s’éloignait devant quelques curieux, Charles Arden eut une pensée pour Ted Bartlett. Il allait payer ce salaud ! Car il en était bien certain maintenant, c’était lui qui avait orchestré tout ça ... Certainement pour avoir le champ libre et ...
Joy.