Chapitre 29



La sonnerie du téléphone éveilla Largo. Les yeux encore fermés, il décrocha.

- "Winch." Annonça-t-il par réflexe.
- "Monsieur Winch, vous aviez demandé qu'on vous réveille à 10 heures. Faut-il vous monter un petit-déjeuner ?"
- "Oui, je vais faire venir mon équipe pour une réunion. Faites donc venir un petit-déjeuner pour cinq affamés dans ma chambre s'il vous plait. D'ici un quart d'heure. Je vous remercie."

Les cheveux en bataille, les yeux encore embrumés de sommeil, il s'assit sur son lit et s'étira. Il prit le téléphone et entreprit d'appeler ses amis. Il hésita… Son choix se porta sur Joy. La voix énergique de la jeune femme lui répondit. Elle était apparemment réveillée.

- "Ca va ? Bien dormi ?" demanda-t-il.
- "Pas fantastique, mais je ne dors bien que dans mon lit…" répondit-elle.

Le jeune homme se doutait bien que ce n'était probablement pas la raison fondamentale de son insomnie.

- "Ca a été hier soir pour ramener les petits ?"

Il y eut un soupir qui lui serra le cœur à l'autre bout de la ligne.

- "C'était dur, mais c'est fait."

Il sentit qu'elle n'en dirait pas plus pour le moment aussi enchaîna-t-il et la convia-t-il à un petit-déjeuner de travail dans sa chambre.

- "J'arrive. Tu appelles Astrid pendant que je passe chercher Simon et Kerensky ?" proposa-t-elle.

Il acquiesça. Ainsi fut fait et une petite demi-heure plus tard, ils se retrouvaient tous les cinq devant des œufs au bacon, des toasts craquants, des croissants à profusion, le tout servi avec jus d'orange, thé et café. Astrid se mit à rire :

- "Je viens de prendre deux kilos rien qu'en regardant tout ça !"
- "Forcément, tu n'es pas au régime maïs/café soluble depuis pas loin d'une semaine toi ! Tu ne connais pas ta chance !" rétorqua Simon entre deux bouchées.
- "Bon, si on faisait le point de la situation." Proposa Largo.

Les rires cessèrent de bonne grâce et ils écoutèrent ce qu'il avait à dire :

- "Bien, j'ai eu John au téléphone hier soir pour lui faire savoir que nous étions tous sains et saufs et lui expliquer toute l'histoire. Evidemment, il n'est pas tellement ravi de la tournure personnelle qu'ont pris les évènements mais comme il me l'a dit lui même, il s'adapte. Je lui ai demandé de faire jouer ses relations dès ce matin à la première heure pour nous obtenir un rendez-vous avec les dirigeants. Le président Sogal nous fait donc l'honneur de nous recevoir cet après-midi à 14 heures."
- "De mon côté, comme maintenant je maîtrise assez bien le piratage des bases de données de la police chilienne, j'ai vérifié où étaient détenus Ana et Llanquileo et j'ai le plaisir de vous annoncer qu'ils ont été transférés à Santiago dans la nuit. Apparemment, les autorités veulent que le procès ait lieu le plus vite possible. L'opinion populaire est pour le moment très défavorable à ce kidnapping. Les Chiliens ne voient que la détérioration de l'image du pays auprès de l'étranger…"
- "Ce en quoi ils sont généreusement confortés par les médias." Compléta Joy qui, levée depuis plusieurs heures, avait eu le temps de feuilleter les journaux.
- "Bref, ils veulent enterrer l'affaire le plus vite possible. C'est plutôt une chance pour nous. Ca laisse penser qu'ils ont conscience d'avoir une bombe entre les mains."
- "Et nous, on va juste se contenter d'armer le détonateur !" conclut Simon assez fier de sa sortie.

A son tour, le Suisse raconta sa soirée et la récupération de leur pilote. Le pauvre Jerry Morawski dut comprendre ce que c'était que d'avoir les oreilles qui sifflent. Cette anecdote qui aurait pu mal tourner permit finalement de détendre l'atmosphère et ils terminèrent leur petit-déjeuner en devisant de sujets moins graves. Malgré cette détente passagère, ils étaient tous concentrés et décidés quand, à l'heure dite, ils franchirent la lourde porte du palais de la Moneda. Ils n'attendirent pas longtemps après s'être présenté. Très vite un fonctionnaire vint les chercher et les conduisit à travers un dédale de couloirs jusqu'au deuxième étage de l'aile nord où se trouvait le bureau de Sogal.

Flanqué de deux ou trois conseillers et ministres, le président les attendait. Il se leva à leur entrée.

- "Mesdames, Messieurs, je ne saurais vous dire à quel point je suis soulagé de vous voir sains et saufs. Je ne sais que dire et ne peux que vous présenter mes plus plates excuses pour ce dramatique événement. Croyez bien que les coupables d'une pareille malveillance seront mis hors d'état de nuire. Leur procès est déjà annoncé."
- "Monsieur le Président, je vous remercie de prendre sur votre temps pour nous recevoir d'autant qu'il se pourrait bien que notre visite ne soit pas aussi courtoise que ce à quoi vous vous attendiez." Répondit Largo d'une voix charriant des icebergs.
- "Je vous demande pardon ?"

Sogal semblait sous le choc et la mine ahurie de ses ministres amusait prodigieusement Simon.

- "Je crois que nous devrions nous asseoir afin de discuter de tout cela au calme." Reprit le milliardaire.

Ils s'installèrent alors tous autour d'une table et Largo exposa sa vision des évènements. Son exposé des malversations politico-financières ayant sous-tendu l'agrandissement et le réaménagement de l'aéroport de Santiago était précis, incisif. A chaque nouvel échelon, il citait les noms des principaux hauts-fonctionnaires impliqués, les montants investis. Au fur et à mesure de son exposé, il voyait Sogal se décomposer en face de lui. Son visage avait pris une couleur terreuse. Au contraire, autour de lui ses conseillers avaient tout de la cocotte-minute sous pression : visages rubiconds, veines saillantes, respirations haletantes, poings serrés convulsivement. Astrid prenait de temps à autre des notes sur le carnet qui ne la quittait jamais.
Joy, quant à elle, s'était totalement désintéressée de la conversation et gardait le regard constamment fixé sur les collaborateurs de Sogal. Son instinct lui disait que n'importe lequel d'entre eux pouvait à tout moment exploser et être pris de folie. La tension régnant dans la pièce devint palpable quand Largo acheva son exposé et que le silence retomba.

- "Qu'est-ce que vous voulez ?" parvint à demander Sogal d'une voix étranglée.
- "La libération de Llanquileo Tripantu et celle d'Ana Maihue sans condition. Je ne me fais pas de souci, vous trouverez bien une explication bidon pour leur libération, au besoin nous vous en fournirons une. Et puis à plus large échelle, nous exigeons l'ouverture de négociations pour la reconnaissance des minorités dans ce pays."
- "Sinon quoi ?" tenta un des ministres avec rage
- "Sinon, la demoiselle que voilà est journaliste au Washington Post. Elle se fera un plaisir de rétablir la vérité concernant le boom économique chilien. Et vous pensez bien qu'avec une interview du PDG du groupe W, dont la compagnie projetait de mettre la main à la poche pour favoriser cet essor, ses articles pourraient avoir un crédit certain auprès des milieux d'affaires. Il serait ennuyeux que d'autres sociétés se retirent de vos beaux projets d'ouverture à l'étranger…" rétorqua Largo en désignant Astrid.
- "Bien entendu, les faits que nous vous avons présentés figurent dans des documents que nous avons fait mettre en sécurité et il va de soi que si un quelconque accident devait arriver, ils parviendraient très vite dans les rédactions du monde entier." Conclut Georgi jusque-là silencieux.

Durant un moment, personne ne prononça plus un mot. Les membres de l'Intel Unit étaient conscients d'avoir joué le tout pour le tout. Ils pensaient avoir pesé tous les scénarios, envisagé toutes les réponses qu'on pourrait leur faire et bloqué toutes les échappatoires, mais qui sait, peut-être allaient-ils leur sortir une solution non envisagée de leur chapeau. Finalement, un éclair de haine pure dans le regard, Sogal annonça à l'attention de Largo :

- "Je n'ai pas le choix, je ferai ce que vous dites."
- "Oh non… vous ne FEREZ pas. Vous faites tout de suite ! On a oublié de vous dire : on ne quitte votre bureau qu'avec Llanquileo et Ana."

La conclusion sarcastique de Simon acheva le président qui regarda ses conseillers d'un air désespéré. Ces derniers rongeaient leur frein. Comme si ce regard avait été un signal, la pièce s'emplit d'une incroyable cacophonie. Tous voulaient faire valoir leur point de vue. Finalement, aussi vite qu'il avait commencé, le chahut s'éteignit et la morosité remplaça la colère.

- "Faites-les libérer et amenez-les ici. Je veux que dans une demi-heure ceux-ci aient disparu de ma vue." Cracha Sogal à l'attention de l'homme qui devait apparemment avoir un rôle quelque part entre la police et la justice.
- "C'est parfait, une demi-heure, c'est juste le temps qu'il faut pour préparer l'allocution que vous présenterez pour expliquer l'ouverture de ces négociations…" ironisa Largo.

Durant les trente minutes qui suivirent, effectivement, Sogal et ses conseillers, sous la surveillance étroite de l'Intel Unit et d'Astrid, mirent au point un communiqué qui serait diffusé par le porte-parole de la présidence le jour même. Une copie de l'allocution fut remise à Largo à sa demande.

- "C'est pour avoir un souvenir." Ironisa-ce dernier.

Avant que Sogal puisse répondre, on frappa.

- "Entrez !" hurla-t-il manifestement à bout de nerfs.

Précédés par un militaire, Ana et Llanquileo pénétrèrent dans le bureau. Leur physionomie reflétait un mélange de fatigue considérable, d'abattement, mais aussi d'espoir. Un large sourire éclaira leur visage lorsqu'ils aperçurent l'Intel Unit.

- "Alors c'est donc vous !" commenta Astrid, les bras croisés.

Son regard accrocha celui de Llanquileo qui grimaça un sourire :

- "Navré pour le dérangement, Mademoiselle… ?"
- "Weiss, Astrid Weiss, journaliste au Washington Post et, à mes heures perdues, amie et sauveuse de ces quatre-là." Fit-elle, tout sourire en désignant l'Intel Unit.
- "Ils ne connaissent pas leur chance. Soyez assurée que je suis réellement confus de vous avoir causé tant de problèmes."

Astrid détaillait l'homme qui lui faisait face.

- "On devrait pouvoir s'arranger. Il n'y a rien qu'une petite interview de votre part pour mon canard ne puisse effacer…"

La phrase en elle-même restait relativement neutre mais le ton d'Astrid et sa mimique mutine déplurent considérablement à Simon… au moins autant que le regard intéressé de Llanquileo sur la silhouette de son amie. Il s'empressa de détourner son attention :

- "Euh, dites, il y a un président qui a besoin de son bureau, on pourrait peut-être y aller, hein… Vous vous ferez des courbettes plus tard !"

Largo, Joy et Kerensky sourirent sans retenue en remarquant la jalousie manifeste de Simon.

- "Effectivement. Llanquileo nous avons obtenu l'ouverture de négociations. La balle est maintenant dans votre camp, il faut que vous vous fédériez pour parvenir à des résultats concrets."
- "Faites-nous confiance, on saura s'organiser…"

Alors sans plus attendre, les sept étrangers au cercle présidentiel prirent congé.

- "Je vous remercie pour votre hospitalité, Monsieur le Président. Ne doutez pas que nous suivrons avec un intérêt marqué l'évolution de ces pourparlers."

Dans la bouche de Largo, ces paroles résonnaient bien plus comme une menace que comme une marque d'intérêt. Ils se retrouvèrent tous les sept dans la cour de la Moneda. Un vent froid soufflait mais il avait cessé de pleuvoir. Pendant un moment, ils restèrent silencieux. Ils ne parvenaient pas à se réjouir complètement de cet accord et des promesses obtenues. Ce qui avait précédé avait été trop éprouvant. Finalement, Ana leva la tête, elle inspira profondément et, sans regarder personne, elle annonça d'une traite :

- "Je vais rentrer. J'ai trop longtemps délaissé mon rôle de mère. Je ne veux pas que mes enfants souffrent davantage. Ils ont besoin de grandir dans un foyer, pas une succursale de parti politique. Et je vais partir m'installer à Temuco. C'est au milieu des miens que j'arriverai le mieux à les élever."

Llanquileo eut un mouvement de surprise :

- "Tu nous lâches maintenant ?"
- "Je ne vous lâche pas petit frère, je serai là-bas pour relayer ce qui se passe ici. Je viendrai te voir, mais je suis fatiguée. Maintenant que nous avons obtenu des garanties, je suis sûre que tu sauras très bien t'en tirer. Il reste tous nos amis ici, tu n'es pas seul... Tu as tout un peuple derrière toi, en fait. Et puis, la relève est déjà assurée : Picasso te regarde comme un Dieu vivant, avec ce qu'on a obtenu, ça ne va pas s'arranger !"
- "A ce propos, tu as pensé à la réaction de Solana quand tu vas lui annoncer ta décision."

La jeune femme eut un sourire un peu gêné :

- "A vrai dire, oui, j'y ai pensé…"
- "Et ?"
- "Et bien effectivement, je la connais je pense qu'elle refusera de me suivre. J'aurai beau lui promettre tout ce que je voudrai, je doute qu'elle m'écoute. Elle serait capable de revenir ici en stop au cas où je ne lui laisserais pas le choix."

Ana fit une pose.

- "Et ?" réitéra Llanquileo, sentant venir l'arnaque.
- "Et bien… Je ne sais pas, elle pourrait peut-être habiter chez toi."
- "Pardon ? Ana, c'est impensable ! Je vais être débordé ! Je ne serai jamais chez moi. Je n'aurai pas le temps de m'en occuper."
- "Je pensais que tu avais compris qu'elle n'a pas vraiment besoin qu'on s'occupe d'elle. Elle a avant tout besoin d'un toit. Pour le reste, je lui fais confiance, et puis tu seras quand même dans les parages. De toute façon, si tu refuses, elle trouvera une autre solution. Et à choisir, je serais plus rassurée si je la savais chez toi."

Llanquileo soupira.

- "C'est bien ta fille… On verra bien. Il n'y a pas urgence, de toute façon, tu ne vas pas partir demain."
- "Je plie bagage cette semaine. J'ai trop de mauvais souvenirs ici pour m'attarder plus longtemps. Des cousins m'ont déjà proposé de m'accueillir le temps que je trouve un logement et un travail."
- "Si vite ?"

Le jeune homme parut un instant décontenancé mais se reprit.

- "Très bien. Si c'est ce qui te semble le mieux, tu as sûrement pris la bonne décision."

Elle hocha doucement la tête avant de se tourner vers l'Intel Unit et Astrid, restés volontairement en retrait durant cette conversation entre le frère et la sœur.

- "Je vous remercie pour tout. Peu de gens dans votre situation auraient pris de pareils risques pour nous. Je… je ne sais pas quoi dire de plus."

La voix de la jeune femme s'était faite presque inaudible sur la fin. Simon s'était soudain intéressé à un avion qui filait dans le ciel, tandis que Joy se souvenait d'un besoin urgent de vérifier l'état de son arme... Un silence s'était installé, qui tenait plus de la communion que de la gêne: ils étaient tous conscients de l'étrange émotion qui s'était emparée d'eux et qui les laissait désarmés. L'intensité des moments qu'ils avaient partagés durant ces quelques jours, cette rencontre insolite entre des hommes et des femmes que rien ne destinait à s'écouter et se comprendre, l'imminence de la séparation... Un amalgame de joies et de regrets qui rendait l'instant exceptionnel Il y avait tant à se dire et si peu de temps pour le partager, si peu de moyens pour dire l'émotion qui les prenait à la gorge. Largo se ressaisit le premier et d'une voix qu'il voulait assurée déclara:

- "Vous savez bien qu'il n'y a pas de merci à dire. Si jamais vous aviez besoin de quoi que ce soit, pour vous, les enfants, des amis… je voudrais juste que vous me promettiez de me le faire savoir. Vous savez où nous joindre. N'hésitez surtout pas."

Ana hocha la tête sans répondre. Elle lui tendit la main, mais au lieu de la serrer, Largo saisit la jeune femme par les épaules et l'étreignit chaleureusement. Elle prit congé de chacun d'eux avec un sourire qui menaçait à tout instant de se transformer en larmes. Llanquileo mit fin aux effusions en proposant à sa sœur de la raccompagner à l'extérieur. Il salua le reste du groupe en leur faisant promettre de le contacter si jamais ils repassaient par Santiago.

- "C'est promis." Avait répondu Largo. "Après tout, une fois les finances assainies et les hommes d'affaires véreux éliminés du circuit, il se peut très bien que la Winchair les développe, ces lignes aériennes !"
- "Ca serait bien pour l'économie de ce pays, mais il va falloir du temps…"

Sur ces mots, les deux Indiens se détournèrent et le bruit de leurs pas sur les pavés résonna un moment dans le silence de la cour. Cinq regards les suivirent jusqu'à ce qu'ils franchissent la lourde porte de bois. Quand la porte claqua et que seule la rumeur étouffée de la capitale se fit entendre, ils détournèrent les yeux. Pendant un bref instant, ils restèrent muets. Quelque chose venait de s'achever… Puis, brusquement, Simon redressa la tête.

- "Tu rentres avec nous, Princesse ?" questionna-t-il tout sourire "Mon jet nous attend dehors…" ajouta-t-il avec emphase en glissant un clin d'œil à Largo et en s'inclinant cérémonieusement devant Astrid.

La jeune femme secoua la tête en riant.

- "Ce qui va se passer ici dans les semaines à venir risque d'être essentiel. Je reste. Il y a matière à constituer des articles de tout premier ordre et je n'aurais rien contre l'idée de m'octroyer un Pulitzer. Et puis… je n'ai pas encore eu le temps de m'imprégner à fond de la culture de ce pays… C'est bien toi qui m'a expliqué à maintes reprises à quel point cela pouvait être enrichissant, exaltant, fantastique, j'en passe et des meilleures ?" termina-t-elle d'un ton malicieux.

Sur un geste de la main en direction de l'équipe, elle fit demi-tour et sortit. C'était sa façon de faire : les adieux la mettaient mal à l'aise et elle s'en débarrassait toujours le plus vite possible avec une fausse légèreté. Lorsqu'elle poussa la porte, ils aperçurent la silhouette de Llanquileo, nonchalamment appuyé contre un panneau de signalisation, les bras croisés, l'air sûr de son fait. Astrid se dirigea vers lui sans hésiter. La porte se referma…
Ebahi, Simon parvint à articuler :

- "Mais… tu ne crois quand même pas que…"

Il ne parvint même pas à finir. Son visage déconfit trahissait sa stupeur et son désarroi. Largo sourit, mi-nostalgique, mi-amusé :

- "Elle a toujours eu un penchant certain pour les aventuriers et les mauvais garçons."
- "Non… Enfin, oui, mais…Mais c'est parce que c'était NOUS, pas n'importe qui !"
- "Ah, que c'est dur de perdre ses illusions n'est-ce pas, Simon" constata Joy narquoise en lui tapotant le dos.
- "Oh, nul doute qu'il se consolera bien vite de sa déconvenue dans les bras de quelques jolies poupées." Renchérit Kerensky.

Pour rester conforme à son image de clown volage, Simon grimaça et, d'un ton tragique, conclut :

- "Quelqu'un de très sage a dit une de perdue, dix de retrouvées. Je vais m'empresser de mettre cet adage en application. Il faudra bien tout ça pour me consoler !"

Ils se mirent à rire mais le regard de Simon resta voilé. Dans le fond, la désinvolture d'Astrid le peinait et l'inquiétait. Il la sentait moins attachée à lui que lui à elle. C'était peut-être la première fois que cela lui arrivait et il détestait ce sentiment. Il savait qu'il faudrait un jour qu'il mette les choses au clair avec elle et qu'il prenne une décision. Jusqu'alors, sa rivalité avec Largo avait été une excellente excuse pour ne pas se découvrir. Mais désormais, la donne semblait différente.
Il repoussa ces pensées. Après tout, il serait toujours temps de se poser la question quand il la reverrait. Pour le moment, ils étaient tirés d'affaire, ils allaient rentrer dans un pays où il faisait une température décente, il allait pouvoir siroter un whisky hors d'âge avant de rattraper des heures de sommeil dans le jet … Non tout n'allait pas si mal. Il suffisait de reléguer ce genre d'interrogations au fond de son cerveau. C'était sa méthode habituelle, une fois de plus il l'appliquerait. "Technique de l'autruche" lui soufflait une petite voix, mais il prit soin de ne pas y prendre garde.

Quand il sortit de ses songes, il se rendit compte que ses amis s'étaient un peu éloignés. Il pressa le pas pour les rattraper. Il n'eut pas de mal à reprendre le fil de la conversation qui restait très pragmatique : heure de décollage, récupération de bagages, planning des jours à venir. Il soupira… une page de tournée. Tous les quatre franchirent la lourde porte du palais présidentiel sans déplaisir. La lutte avait été rude et rien de bon ne les retenait ici.





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