Chapitre 27



- "Maintenant il faut prendre une décision. Qu'est-ce qu'on attend d'eux et que cherche-t-on à obtenir ?" demanda Largo.
- "De toute façon, ils vont nous arrêter. Je pense que l'aventure s'arrête là. "répondit Llanquileo défait. "Tout ce que je voudrais c'est que nous ayons un procès et qu'on ne disparaisse pas en laissant les autorités étouffer l'affaire."
- "Non. Je suis sûr qu'on peut trouver une issue plus satisfaisante pour tout le monde." S'exclama Simon. "Je suis certain que nos témoignages peuvent faire changer les choses."

Ana sourit doucement.

- "Tu es un idéaliste Simon. Dans ce pays, il y a des choses immuables, malheureusement. L'argent reste toujours dans les mêmes quartiers et la misère dans les autres."

Cette remarque interpella Largo qui redressa la tête.

- "Georgi, quand tu as cherché des informations sur le projet Cap au Sud, tu m'as bien dit que le projet d'extension de l'aéroport de Santiago était un des fers de lance de la campagne présidentielle du président Sogal ?"
- "Absolument. C'est principalement sur l'ouverture du pays vers l'extérieur qu'il avait basé ses propositions."
- "Tu as les noms des instigateurs, des chiffres pour étayer la débâcle financière ?"
- "Oui, j'ai tout ça sur mon portable. J'ai fait des recherches un peu poussées parce que j'ai eu du mal à saisir pourquoi Cardignac, d'habitude si préoccupé de ses précieux dollars, voulait investir là-dedans."
- "Et bien dans ce cas nous disposons d'un excellent moyen de pression sur les hautes sphères au pouvoir."
- "Qu'est-ce que vous voulez dire ? Ce projet dont vous parlez, de quoi s'agit-il ?"

Largo expliqua alors à Llanquileo et Ana les raisons de sa présence au Chili, le projet sur lequel il était venu prendre des renseignements, ce que Kerensky avait découvert… La colère des deux Indiens attestait de leur ignorance de ce gaspillage d'argent.

- "Et pendant ce temps, ma gamine est obligée de travailler pendant cinq heures après l'école pour nous donner un coup de main ? Il y a vraiment quelque chose de pourri dans ce pays !" s'exclama Ana, écœurée, quand il eut fini.

Mais au-delà cette colère, les deux Indiens commençaient à entr'apercevoir l'ébauche d'une solution. Ils se prenaient à croire que la balle était dans leur camp et qu'ils pourraient faire autre chose que subir.

- "Mais pour ça, il faut sortir d'ici vivants." Tempéra Joy, les ramenant à la situation immédiate.
- "Je crois que malheureusement il n'y a pas cinquante solutions. Il va falloir que vous vous rendiez et que les militaires nous libèrent" observa Simon ajoutant une touche d'ironie marquée sur son dernier mot.
- "Ca paraît évident. Ce qu'il faut c'est arriver à négocier au mieux les conditions de cette reddition." Intervint Kerensky.

Il le regardèrent tous avec une certaine surprise et Simon fit la synthèse de leurs pensées :

- "Qu'est-ce que tu veux dire ?"
"D'abord, on emmène les gamins avec nous, ils ne les mettent pas en tôle. Ensuite, vous ne sortez pas seuls mais au milieu de nous. Dans la confusion, ce serait trop facile de faire un carton sur vous si vous êtes isolés. Il faut aussi les prévenir que tu es blessé et exiger que tu sois soigné et conduit dans un hôpital, au moins pour la nuit. Et surtout, si on veut que la suite du plan fonctionne, il faut qu'on puisse arriver au plus vite à Santiago pour rencontrer un dirigeant. Dès notre sortie on devra trouver un avion et rentrer. Plus ça traînera et plus la probabilité qu'il vous arrive un accident est élevée. "

Llanquileo hocha la tête :

- "C'est bien connu les taux de suicides sont incroyablement hauts dans les prisons…"
- "Pourquoi accepteraient-ils ces exigences ?" demanda Ana.
- "Parce qu'on va demander au préalable qu'Astrid écoute et prenne note de la conversation. Ces conditions sont plus que raisonnables. S'ils les refusent, ils feront preuve d'une mauvaise volonté manifeste. Devant une journaliste étrangère, cela ferait désordre…"
- "Bien, je crois que nous sommes d'accord, il n'y a plus qu'à les appeler et à espérer que ça marche comme prévu.

Ainsi fut fait. La négociation fut longue. Llanquileo dut se battre bec et ongles pour obtenir qu'ils puissent sortir tous ensemble et non en deux groupes séparés. Mais finalement, Ils parvinrent à se mettre d'accord : les preneurs d'otage sortiraient les mains sur la tête encadrés par leurs ex-otages. Les gamins seraient ramenés chez eux.

Llanquileo raccrocha le téléphone. Un instant, le temps resta comme suspendu puis le jeune homme se leva…

- "Quand il faut y aller…"

Sans un mot, les autres lui emboîtèrent le pas. Le groupe sortit dans la cour puis dans la rue. Chacun d'entre eux sentait la tension chez les autres. A chaque pas qu'ils faisaient vers les militaires, ils se mettaient un peu plus à découvert. Si ces derniers avaient prévu de se débarrasser d'eux malgré tout, ça n'allait plus tarder… soixante mètres… Simon ferma un instant les yeux, retrouvant une vieille prière… cinquante mètres… carton probable pour un bon tireur avec une bonne arme de poing songea Joy… quarante mètres, les contours devenaient précis et rien ne s'était encore produit… vingt cinq mètres, à cette distance, si jamais les carabiniers changeaient d'avis, ils n'avaient pas l'ombre d'une chance…. Dix mètres, Astrid était là, une blouse de médecin sur le dos, un léger sourire aux lèvres… Cinq mètres, deux… un… Les menottes claquèrent sur les poignets de Llanquileo et Ana. Solana n'eut que le temps d'embrasser sa mère avant que les deux Indiens ne soient emmenés. Leurs regards disaient toute la confiance qu'ils mettaient dans l'Intel Unit.

Astrid se précipita vers ses amis. Malgré la fatigue, le temps qui pressait, les gyrophares et les sirènes; Simon et Largo ne purent s'empêcher de céder à leur vieille habitude :

- "Astrid ! Regard d'acier, charme de déesse, elle nous tiendra toujours en laisse."

La jeune femme rit avant de les embrasser chaleureusement. - "Vous avez failli vous faire attendre ! Faut-il que je sois une amie hors-pair pour faire des milliers de kilomètres dans le seul but de vous tirer du pétrin ! En échange, vous allez devoir me raconter l'intégralité de cette histoire dans tous ses détails. Je veux tout savoir. "

Mais bien vite le badinage fut abandonné. Largo fut accaparé par l'officier avec lequel ils avaient négocié.

- "Monsieur Winch, croyez bien que nous sommes absolument confus de ce qui vous est arrivé. Nous ferons l'impossible pour que ces criminels soient jugés le plus rapidement possibles. Soyez assuré de notre volonté de vous être le plus utile possible. Avez-vous besoin de quoi que ce soit pour vous ou vos amis ? Les médecins sont là. Peut-être devriez-vous les laisser vous examiner ?"

Largo profita de cette perche tendue. Du ton qu'il réservait habituellement aux réunions du conseil houleuses, il répondit :

- "Je ne doute pas un seul instant de votre bonne volonté, Général. Seulement, mes amis et moi sommes fatigués. Nous n'aspirons qu'à retrouver une vie normale. A ce titre, pensez-vous que nous pourrions rentrer à Santiago dès ce soir. Vous comprendrez aisément que nous n'ayons pas envie de nous attarder dans une ville où nous ne sommes arrivés que contraints et forcés."

Intérieurement, il se demandait comment il arrivait à débiter de telles sornettes emplies de mauvaise foi avec un pareil sérieux. Il se sermonna in petto : aucune importance du moment que cela fonctionnait !

Appuyé contre la voiture de la jeune femme, Simon avait entrepris de lui raconter leur épopée. Fréquemment rappelé à l'ordre d'une remarque cinglante par Joy ou Kerensky quand il enjolivait un peu trop son rôle.

- "Et ils sont où vos ravisseurs ? Soit dit sans te vexer Simon, en tant que journaliste, c'est leur point de vue qui m'intéresse."

Le Suisse se renfrogna.

- "Pff, tu as de la chance d'être particulièrement sexy dans cette blouse sans quoi je ne t'aurais pas pardonné cet affront !"

Par contre; la mention de Llanquileo et Ana venait de lui rappeler qu'il avait perdu Picasso et Solana de vue. Il les chercha du regard. Les gosses avaient été oubliés dans un coin, sous la garde de deux militaires. La fatigue se lisait sur leurs visages tendus, ajoutée à une anxiété mal dissimulée. Sans plus se préoccuper d'Astrid, il se dirigea vers eux. La jeune femme le suivit des yeux, surprise et vaguement vexée qu'il se détourne d'elle de cette façon.

- "Qu'allez-vous faire de ces enfants ?" demanda Simon.
- "Je ne peux pas vous répondre."
- "Ok, j'ai bien noté, ça c'était la réponse officielle. Maintenant, que donne la version réelle ?"

Le militaire secoua la tête en signe de refus.

- "Bon, et bien si vous n'avez rien de prévu, je pense que je vais pouvoir les emmener avec moi dans ce cas. Il est tard, à cette heure-là les enfants sont couchés normalement."

Il tendit la main à Solana qui s'empressa d'y glisser la sienne. Picasso se leva à son tour.

- "Monsieur Ovronnaz, je vais vous demander de rester là et de ne pas emmener ces enfants. Je me verrais dans l'obligation d'utiliser tous les moyens à ma disposition pour vous empêcher de le faire."
- "Vous regardez trop de films, je vous le dis. Votre discours ampoulé sent la mauvaise série B à plein nez !"

Le ton menaçait de monter entre les deux hommes aussi l'arrivée de Largo flanqué de son général fut-elle salutaire.

- "Parfait, je vois que nous allons pouvoir partir." Fit le milliardaire.
- "Disons que mon échange de point de vue avec ce monsieur laisse à penser qu'il ne souhaite pas nous voir ramener les gamins à Santiago."
- "Sergent, laissez-les partir. J'ai convenu d'un arrangement avec Monsieur Winch."

Le militaire ne broncha pas mais lança à Simon un regard lourd de sous-entendus. Largo prit congé du général qui avait en outre mis un véhicule à leur disposition pour aller jusqu'à l'aéroport.

- "Bien, on peut y aller maintenant ?" demanda Kerensky. "Nous ne sommes pas au bout de nos peines, je vous rappelle."

Bien vite tous montèrent en voiture et rejoignirent l'aéroport où les attendait un avion de l'armée pour les ramener à Santiago.





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