Should I stay or should I go?



Étendue sur ce lit qui n’était pas le sien, Joy regardait le plafond de la chambre où elle était. Pendant quelques secondes, elle se demanda où elle était justement… Ah oui ! Ça lui revenait maintenant : Hôtel des Rives. Chambre 202. Hôtel inconnu quelque part entre New York et Montréal. Elle ne savait plus trop le nom de la ville exactement, mais ce n’était pas important. Elle ressentait une énorme fatigue, comme un genre d’étrange lassitude qui lui dévorait tout le corps. Cependant, elle se sentait bien incapable de fermer l’œil. Elle repensait à tout ce qui s’était passé au cours des derniers jours…

Elle l’avait fait. Elle était partie. Elle se surprenait elle-même. Jamais elle n’aurait pensé en arriver là. Jamais elle n’aurait pensé en avoir le courage. Joy avait agit sur un coup de tête, trop fâchée pour bien réfléchir avant d’agir. Ça avait toujours été un peu ça avec elle : Joy s’emportait facilement quand les gens atteignaient plus qu’elle ne pouvait en supporter… Bon, elle admettait bien volontiers que ses limites étaient atteintes plus rapidement que la plupart des gens : après tout elle était comme ça, c’était sa nature ! Que ceux qui n’aimaient pas comment elle était, passent leur chemin !

Joy essaya encore de ne plus penser à cette histoire: ça allait être difficile et elle le savait! Avec un soupir elle abandonna la contemplation du plafond terne et sans vie que l’on voyait dans ce genre d’endroits, et ferma les yeux. Avec un peu de chance, elle dormirait dans quelques minutes…

*


Elle l’avait fait. Elle était finalement partie. Largo espérait seulement que ce n’était pas pour toujours. En fait, il n’en savait rien, mais ça n’augurait rien de bon tout cela… Il ne comprenait pas pourquoi elle avait réagit aussi dramatiquement. En fait, oui il ne savait que trop bien ce qui l’avait poussé à partir.

C’était sa faute s’il se retrouvait sans garde du corps. Il avait été trop loin, encore une fois. Malheureusement, c’était une fois de trop pour elle. Et cette fois-ci, user de son charme n’avait rien changé. Les limites avaient été dépassées et elle en avait eu assez. Aussi simple que cela.

Largo s’agita un peu dans son lit : deux heures du matin. Il ne pouvait pas dormir. Pourtant il devait le faire car demain euh… ce matin il devrait affronter le regard sérieux de John, et cette tête de fouine qu’était Cardignac. Eux seraient en pleine forme. S’il ne suivait pas la conversation, il savait que son bras droit le lui reprocherait. Cardignac lui… Il valait mieux ne pas y penser.

Cependant, il ne pouvait fermer l’œil. Joy occupait toutes ses pensées. Il fallait qu’il sache où elle était, ce qu’elle faisait. Oh il savait qu’elle était capable de se débrouiller toute seule, elle avait toujours été forte, courageuse, capable de se défendre… C’était d’ailleurs pour cela qu’il ne s’inquiétait jamais pour sa sécurité quand il était avec elle. Largo se dirigea vers la terrasse : un peu d’air lui ferait le plus grand bien. Il regarda la ville qui dormait à ses pieds.

- Joy, où es-tu ? S’il te plaît reviens. Je ferai tout ce que tu voudras !

Largo sourit. Il parlait tout seul maintenant. Il fallait qu’elle revienne. Il ne serait pas en paix avant qu’il ne la voit à nouveau…

*


Joy repensa à tout ça. Ils avaient été tellement inconscients tous les deux. Largo et Simon. Les inséparables larrons du Groupe W. Le PDG et le vice-président de la sécurité.

Ils avaient des postes importants au sein d’une des plus grosses compagnies du monde occidental, et ils s’entêtaient à se comporter comme deux enfants! Ils étaient si immatures quelquefois ! Il fallait constamment les surveiller…

Toute cette histoire aurait pu être banale. Largo et Simon avaient décidé de sortir en boîte comme ils le faisaient si souvent. Jusque là rien de bien compliqué. Ils n’avaient averti personne comme presque à chaque fois. En d’autres occasions tout aurait été parfait. Mais là c’était différent. Largo savait qu’il ne devait pas sortir seul de la Tour depuis les menaces qui pesaient sur sa personne depuis près de deux semaines. Même Kerensky lui avait interdit de sortir sans sécurité. Mais, Simon et lui n’avait écouté personne. Ils étaient bien capables de se défendre tous seuls. Ils étaient donc allés faire la fête sans en avertir personne.

À leur sortie d’un bar, ils avaient été attaqués par deux hommes qui sortaient de prison. Les gars voulaient de l’argent. Alors, ils les avaient passés à tabac, puis s’étaient sauvés. Largo et Simon avaient été chanceux de n’avoir que quelques blessures mineures, un œil amoché pour Simon, un poignet déboîté pour son ami… Rien de bien grave. Selon eux.

Joy ne se souvenait que trop bien de la peur qu’elle avait eu en les voyant le lendemain matin. Elle les avait engueulés, leur avait fait la morale: après tout ils auraient pu y rester!!! Largo et Simon lui avaient promis de ne plus lui refaire le coup. Avec des yeux tristes, qui avaient fait fondre Joy. Comme toujours elle avait craqué devant ces deux idiots ! Elle leur avait pardonné. Encore une fois.

Quelques jours plus tard, Joy montait au penthouse pour parler à Largo: elle avait une bonne nouvelle. Les policiers de New York avaient arrêté l’auteur des menaces qui sévissait depuis quelques jours ! Arrivée près de la porte, elle entendait Largo et Simon. Elle ne pouvait pas y croire : " Dieu faites que je sois sourde ! " avait-elle pensé.

Elle les avait entendus parler, lui et Simon, de sortir entre eux le soir même pour faire la fête. Joy avait senti la colère la submerger. Ils n’oseraient pas tout de même si tôt après avoir été attaqués !!! Ils ne perdaient pas de temps ces deux là !

Elle ne savait toujours pas si c’était le fait que Simon et Largo étaient si inconscients, ou encore qu’elle travaillait sans relâche presque 16 heures par jour avec Kerensky pour attraper l’auteur des menaces, mais elle savait qu'elle avait craqué. Après une bonne engueulade avec Largo, devant les yeux ahuris de Simon, elle lui avait dit " je pars. " Après tout, il ne semblait pas avoir besoin d’elle. Alors, elle allait lui épargner une dépense superflue : son salaire ! Son patron avait tout essayé, rien n’avait fonctionné. Elle était partie.

Elle bougea légèrement dans le lit. Elle était partie sur un coup de tête oui, mais maintenant qu’elle s’était reposée, elle voyait les choses un peu plus calmement. Elle comprenait Largo. Elle savait que la vie de PDG pesait parfois lourd sur ses épaules.

Il avait besoin de faire la fête, de s’éclater, de vivre autre chose que des réunions et des voyages d’affaires…

Elle l’enviait de pouvoir prendre la vie légèrement quand il en sentait le besoin. Ça n’avait jamais été son cas à elle. Elle avait toujours été si sérieuse. Tout analyser, peser le pour, le contre avant d’agir. C’était elle tout ça. Joy savait que ça faisait partie de son job d’être un peu le côté fort, solide sur lequel Largo se reposait. Sans fausse modestie, elle avouait qu’elle lui avait sauvé les fesses plus souvent qu’à son tour… Elle en était fière, elle faisait bien son travail !!!

Pour elle, cependant, une question demeurait : devait-elle quitter le Groupe, ou rester avec l’homme qu’elle protégeait maintenant depuis près de trois ans et continuer d’être présente à ses côtés ? Partir ou rester ?

Car, depuis quelques jours, depuis son départ du Groupe en fait, elle avait beaucoup pensé à la vie qu’elle avait menée jusqu’à maintenant. Une sorte de bilan de ce qu’elle avait fait, ce qu’elle voulait faire. Elle avait eu du temps pour réfléchir.

Elle se demandait si elle en avait assez de cette vie dangereuse. Joy savait que son métier ne pouvait pas être pratiqué éternellement. Un jour il faudrait tout arrêter, mais était-elle prête à tout laisser derrière elle, si vite, si tôt ?

*


Largo respirait l’air de New York depuis 25 minutes environ, mais ça ne le calmait pas. Il savait qu’il avait été trop loin. Joy était habituée, quoique c’était la première fois qu’il la voyait si en colère… Il avait eu peur quand il avait vu briller dans ses yeux un éclat étrangement dangereux… Vraiment peur. Et si elle ne lui pardonnait pas cette fois?

Il savait qu’il était assez inconscient du danger parfois, mais il n’y pouvait rien. Ça faisait partie de lui tout ça. Tellement qu’il oubliait parfois qu’il était mortel. Que tout pouvait s'arrêter d’un coup. Mais, il savait aussi qu’il pouvait compter sur Joy pour le remettre à sa place quand il allait trop loin.

Depuis qu’elle était partie, il se sentait perdu. Au début il voulait lui laisser du temps pour se calmer, pour penser. Il s’imaginait qu’elle reviendrait au bout de deux ou trois jours… Ça faisait presque deux semaines qu’elle ne donnait plus signe de vie. Simon était persuadé qu’elle reviendrait, tout comme Kerensky. Il fallait qu’il lui laisse du temps. Largo n’était pas aussi certain.

Il avait l’effroyable sentiment qu’elle l’abandonnait. Il ne savait pas pourquoi, mais il la voyait partir loin de lui pour ne plus jamais revenir. Ce sentiment grandissait en lui un peu plus chaque jour qu’il passait loin d’elle. Il ne fallait pas qu’elle parte. Il ne le voulait pas.

C’était décidé, il allait la ramener. Demain matin, il demanderait à Kerensky de retrouver sa trace. Il la convaincrait de revenir, de rester…

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Joy regarda le cadran de sa montre : quatre heures du matin. Décidément elle ne dormirait pas beaucoup cette nuit. Elle se demandait si Largo dormait ou non. Il le devait car il ne serait pas en forme pour sa réunion du conseil dont il lui parlait depuis quelques semaines. Il avait aussi sa rencontre avec le président japonais de cette compagnie que le Groupe devait acquérir bientôt… La rencontre devait se tenir loin du Groupe, et si Largo était attaqué ou pire encore ??? Même si elle était partie, elle continuait de s’inquiéter pour lui : c’était plus fort qu’elle.

Joy sourit. Sa décision était prise : elle retournait auprès de Largo. Elle n’était pas prête à l’abandonner. Pas maintenant du moins. Elle allait avertir Kerensky, elle allait revenir vers eux…

Largo par contre… Elle avait envie de le faire languir encore un peu. Elle voulait qu’il vive ce qu’elle vivait quand c’était lui qui lui faisait le coup de disparaître comme ça. Elle admettait que c’était enfantin tout ça, mais Largo méritait de s’inquiéter pour elle… Juste un peu… Peut-être que ça le calmerait pour un moment… Largo calme? Ouais autant rêver !

Fin.