Onde sensuelle



Groupe W, New York
20 mars
21h34

Dans la salle du Conseil d’Administration, Michel Cardignac pestait contre Largo Winch. Waldo Buzzati et Alicia Del Ferril supportaient ses jérémiades, pour la énième fois.
- “Programme de développement durable! répétait le Normand jusqu’à en étouffer. Quelles inepties! Ce type nous mènera à notre perte.
- Pour l’instant je suis plus riche que je ne l’ai jamais été... soupira Alicia. C’est vrai que ce gamin m’insupporte, mais ça ne sert à rien de se plaindre. Il est là, un point c’est tout...
- Il y a peut-être quelque chose à faire pour nous en débarrasser...
- Michel, vous nous avez déjà fait le coup... le gronda Alicia.
- Et ça nous a valu une belle humiliation. La Justice est de son côté, il a vraiment une chance d’insolent... expliqua Waldo.
- Oui, mais j’ai un plan...”
Alicia et Waldo parurent intéressés.
- “Ah oui? Et quel plan? s’enquit Waldo.
- Ah ah! Vous verrez...” ricana Cardignac de son air de petit piloui conspirateur...


Groupe W
21 mars
9h23

Le lendemain matin, Largo arriva dans les bureaux du Groupe W de fort bonne humeur, ambiance remake fleur bleue façon retour du printemps. En se levant le matin, il avait pris une grande résolution, qui, il en était sûr, changerait sa vie pour toujours. La perspective de ce changement l’effrayait un peu mais le rendait tout aussi heureux. C’est pourquoi, il ne se privait pas de communiquer sa bonne humeur à ses employés.
Se sentant d’une humeur particulièrement charmeuse, il sourit à toutes les femmes, leur fit des regards enjôleurs, des baisemains, le tout avec optimisme et dans une joie béate, voire obtuse, qui fit qu’il ne remarqua même pas que son attitude perturbait toutes ses employées féminines et laissait sur son passage une vague de protestations et de commérages négatifs.
Une fois de retour dans son bureau après être passé au bunker pour saluer ses trois amis, Simon, Georgi et Joy, il aperçut sa secrétaire, Gabriella, qui lui déposait une pile de dossiers sur son bureau. Il lui adressa son plus beau sourire et saisit sa main pour la lui baiser avec attention et galanterie. Mais ce geste, ma foi fort agréable, parut bouleverser la secrétaire.
- “C’en est trop!” s’écria-t-elle soudain, avant de quitter l’appartement en claquant la porte.
Largo, dont rien ne pouvait entacher la bonne humeur, s’interrogea à peine trois secondes sur son comportement et haussa les épaules pour se mettre à l’étude de ses dossiers en sifflotant.


Bureau de Cardignac
9h40

Au même instant, Michel Cardignac travaillait tranquillement dans son bureau avec Jenyfer Connelly, une de ses proches collaboratrices, quand Gabriella entra sans frapper dans son bureau, en colère.
- “Oh la, que se passe-t-il? demanda-t-il, un sourire aux lèvres.
- Ca me fait mal au cœur de l’admettre, s’écria la secrétaire, mais vous aviez raison. Ca commence à devenir invivable! Je vais en parler aux autres, on va le signer votre machin!”
Le visage de Cardignac s’éclaira d’un nouveau sourire de petit Piloui conspirateur et regarda Jenyfer d’un air entendu.


Penthouse
20h01

Le soir, tandis que la nuit tombait sur New York, Largo, Simon et Joy discutaient tranquillement, sans se douter de ce qu’il se tramait derrière leur dos. Joy avait remarqué la bonne humeur de Largo toute la journée, et, à vrai dire, cela durait depuis plusieurs semaines, et elle commençait sérieusement à se demander ce qu’il avait. Simon, de son côté, ne se le demandait pas puisqu’il en avait déjà parlé à son ami.
- “Ca vous dirait qu’on sorte tous ensemble ce soir? proposa Largo avec bonne humeur. On pourrait se faire un bon resto?
- Bonne idée! déclara Simon.
- Ca me va... sourit Joy. On propose à Georgi de venir avec nous?
- Je lui ai déjà demandé, mais il a d’autres projets...
- Non? cria Simon. Mister KGB aurait des projets? Avec un être humain?
- Ca, je n’en sais rien, il faudrait le lui demander... plaisanta Largo. Alors? Marocain ou indien le resto?
- Indien! vota Joy.
- Ca me va... Et toi Simon?”
Largo lança un regard insistant à son meilleur ami, sans que Joy ne le remarque. Simon comprit aussitôt le message. Ce serait pour ce soir.
- “Oh j’y pense! fit Simon en se tapant le front, jouant la comédie du mieux qu’il le pouvait. J’avais complètement oublié, ce soir j’ai un rendez-vous avec une petite italienne... Anna Maria... Il faut que j’y aille, désolé, le resto indien, ce sera sans moi, les gars...”
Simon se leva aussitôt, afin d’éviter le regard soupçonneux de Joy qui voyait venir le piège gros comme une maison. Largo le raccompagna à la porte de son appartement et lui fit une tape amicale dans le dos.
- “Merci mon vieux...
- Ca sert à ça les amis... sourit le Suisse. Et si vous avez des enfants, j’espère que vous me choisirez comme parrain...
- Pour ça, encore faut-il qu’elle veuille de moi...”
Simon fixa son ami d’un air de poisson mort.
- “Qu’est-ce qu’il faut pas entendre... Elle attend que ça, notre petite Joy! Crois-moi!”
Largo esquissa un sourire et Simon s’en alla. Puis il se retourna vers Joy, qui, toujours installée au fond du canapé du salon de Largo, avait observé les deux complices d’un oeil méfiant.
- “C’était quoi ces messes basses? l’interrogea-t-elle.
- Mais rien... C’est ton boulot de garde du corps qui te rend parano?”
Joy continua à le scruter, peu rassurée par l’étrange lueur qui brillait au fond des yeux azurs de son milliardaire de patron.
- “Pourquoi tu me regardes comme ça? demanda-t-elle gênée.
- Je ne te regarde pas, je t’admire.”
Joy se sentit mal à l’aise tout d’un coup. Pour la première fois depuis qu’elle connaissait Largo, elle avait le sentiment que la situation lui échappait totalement et qu’il avait en main toutes les cartes d’un jeu dont elle ne connaissait pas les règles.
- “J’ai loupé un épisode, Largo? s’enquit-elle avec anxiété. Tu veux me dire quelque chose?
- Précisément. Il faut que je t’avoue quelque chose. Quelque chose de très important...”
Largo fit quelques pas vers elle pour s’approcher dangereusement. Ils se dévorèrent du regard pendant un long instant. Un ange passa. Puis Largo ouvrit la bouche pour parler, quand il fut interrompu par John Sullivan, qui entrait en coup de vent dans l’appartement, apparemment très énervé.
- “Largo, on a un problème! s’écria son bras droit.
- John, est-ce que ça ne pourrait pas attendre demain? soupira Largo.
- Oh non... C’est très grave.”
Largo poussa un profond soupir et s’écarta de Joy pour faire face à Sullivan.
- “Je vous écoute John.
- C’est Cardignac... Il a encore trouvé un moyen de vous destituer de la direction du Groupe.
- Quoi? hurla Largo. Mais comment est-ce possible? Il ne renoncera donc jamais?
- Et cette fois-ci, il a des arguments très... particuliers. Des alliées inattendues.
- Quel genre d’alliées?
- Largo... hésita John. Vous êtes attaqués un Justice par une coalition de secrétaires pour harcèlement moral.”
Largo blêmit.
- “QUOI??????” finit-il par hurler, plus fort qu’il ne l’avait jamais fait de sa vie.


Groupe W, ascenseur
22 mars
8h14

Le lendemain matin, après le branle-bas de combat enclenché par l’annonce de la plainte des employées de Largo, les membres de l’Intel Unit s’agitaient dans tous les sens pour soutenir au mieux leur patron. Joy, qui avait passé la nuit auprès de lui pour essayer de le calmer (on se calme, les filles, pas comme vous le pensez...), était rapidement retournée chez elle au petit matin pour prendre une douche et se changer. Dans l’ascenseur qui la menait au soixantième étage, elle se trouva nez à nez avec Donna Martino, une employée de Largo qui avait associé son nom à cette stupide plainte.
- “Oh, mademoiselle Arden, c’est justement vous que je voulais voir... s’exclama-t-elle.
- Oh non... soupira Joy.
- Je voudrais que vous signez cette pétition.
- Non mais ça va pas? s’offusqua Joy.
- Voyons, vous le côtoyez tous les jours, vous devez savoir ce que c’est...
- Vous voulez rire? Il ne m’a jamais harcelée moralement...
- Oh, je vous comprends... sourit-elle avec bienveillance. Il n’a pas l’air méchant comme ça et il ne l’est pas, mais il nous harcèle inconsciemment. Vous aussi, il vous fait sans arrêt des avances...
- C’est faux! grogna Joy.
- Vous êtes aveugle, comment voulez-vous mener une vie normale et faire votre travail avec un séducteur comme lui? C’est impossible. Il dégage trop d’hormones pour qu’on puisse se concentrer...
- Qu’est-ce qu’il faut pas entendre... tonna Joy.
- Oh je vois, il a déjà réussi à vous séduire? C’est pour ça que vous ne voulez pas participer à la plainte... Il y en a d’autres comme vous qu’il a réussi à hypnotiser par son charme et qui nous ont ri au nez quand on leur a demandé de signer la pétition. Mais croyez-moi, si vous ne réagissez pas maintenant, il finira par vous détruire psychologiquement.”
Joy lui lança un regard noir.
- “Vous êtes complètement cinglée et je vous jure que si vous vous repointez devant moi avec cette foutue pétition, vous le regretterez amèrement tout le restant de votre vie!”
Sur ce, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et Joy le quitta, furax.


Penthouse
8h20

Largo tournait en rond dans son bureau, de plus en plus agacé par cette histoire de procès. Ce que lui avait raconté Joy en arrivant à l’appartement sur Donna qui tentait de la débaucher n’avait pas arrangé les choses.
- “Franchement Joy... s’emporta-t-il. Tu es une femme, c’est si horrible que ça de travailler pour moi?
- Mais non Largo... Écoute, elles ne savent pas ce qu’elles font... C’est probablement Cardignac qui les a manipulées et montées contre toi...
- Une coalition de secrétaires... répétait-il. Manquait plus que ça... J’ai survécu à tous les attentats, conspirations et contrats de tueurs à gages et ce sont vingt secrétaires qui vont avoir ma peau...”
A ce moment, John Sullivan fit son entrée dans l’appartement. Largo se jeta presque sur lui.
- “Du nouveau John?
- Oui, le tribunal a accepté la plainte. Le procès commencera après-demain.
- Mais c’est absurde!
- Je n’ai rien pu faire... Écoutez Largo, sur ce terrain, je ne sais pas quoi faire... Ma spécialité c’est le droit des affaires. Vous devez choisir un Cabinet qui saura prendre en main ce genre de dossier et qui en a l’habitude.
- Vous avez une idée?
- Oui... Une amie à moi a eu un problème équivalent. Elle présentait le Journal Télévisé mais a été renvoyée à cause de son physique, parce qu’elle vieillissait. Elle a été représentée par le Cabinet Cage et Fish et elle a largement gagné. Elle m’a conseillé de vous adresser à eux.
- Ils sont bons?
- Dans ce domaine, ce sont les meilleurs. Par contre... hésita John.
- Quoi?
- L’amie qui me les a conseillé m’a confié qu’ils étaient tous cinglés...
- Vous mettez le sort de ma Compagnie entre les mains de cinglés?
- Leur méthodes sont étranges, mais ne vous laissez pas rebuter. Ils ne perdent jamais ce genre de procès... Faites-moi confiance, Largo.
- Très bien, j’irai m’adresser à eux... soupira le jeune milliardaire.
- Bonne chance.”
Largo saisit leur carte et regarda Joy, en lui faisant signe qu’ils y allaient tout de suite.


Cage et Fish
11h12

Lorsque Joy et Largo arrivèrent au Cabinet Cage et Fish, ils le trouvèrent au début des plus normaux. Au début. Ils s’éloignèrent de l’ascenseur et, n’ayant pas pris de rendez-vous, ils se dirigèrent vers une secrétaire pour qu’elle puisse les conduire à un avocat. Malheureusement pour eux, ils firent la grosse erreur de s’adresser à Elaine.
- “Excusez-moi, mademoiselle?”
Elaine jeta un rapide coup d’œil vers Largo, et voyant le morceau, elle se leva aussi sec avec un sourire concupiscent.
- “Elaine...” dit-elle d’une voix très sensuelle, en collant Largo.
Largo lui répondit par un sourire contrit. Puis, trois femmes sortirent de la pièce près de laquelle se trouvait le bureau d’Elaine. C’étaient Ally, Nelle et Renée.
- “Elaine! gronda Ally. Qu’est-ce que vous faites? Ca fait cinq minutes que j’appelle!
- Ally, répondit Elaine avec assurance, je vous aime beaucoup, mais vous ne valez pas un homme séduisant.”
Largo eut un nouveau sourire embarrassé tandis que Ally, Nelle et Renée levaient le regard vers lui. Aussitôt, la température monta d’un cran et les trois femmes se sentirent cramer sur place, comme des oeufs au plat sur une poêle.
- “Oh mon Dieu! s’écria Ally, la mâchoire tombante.
- Mazette, quel morceau... sourit Renée avec lascivité.
- Waw!” ne put s’empêcher de s’écrier Nelle, malgré sa froideur.
Largo commençait à trouver la situation gênante: Elaine se frottait de plus en plus à lui, tandis que Nelle, Ally et Renée lui bavaient presque dessus. Joy, elle, se contentait de leur lancer des regards noirs, et pour empêcher Elaine de s’approcher plus près encore de Largo qu’elle ne l’était déjà, enfin si c’était possible mais avec Elaine c’est toujours possible, elle la fusilla d’un regard tandis que retentissait un rugissement de tigresse. Elaine le remarqua aussitôt et elle s’écarta de quelques millimètres en jetant un oeil vers Joy.
- “Antipathique...” éclata-t-elle pour elle-même.
Richard, qui passait par là, s’arrêta brusquement et huma l’air, comme un chien d’arrêt. Puis, il rejoignit le petit groupe en souriant en coin.
- “Je sens des hormones sexuelles de femmes en chaleur par ici... déclara-t-il d’un air enjoué. J’avoue que cette odeur m’excite. Que se passe-t-il?”
Largo profita de cette diversion pour s’écarter d’Elaine et serra la main de Richard.
- “Bonjour, je cherche un avocat...”
Largo n’eut même pas le temps de terminer sa phrase que déjà Nelle, Ally et Renée se battaient comme des chiffonnières pour être choisies comme avocates pour prendre en main son dossier.
- “Moi! Moi! Moi! crièrent-elles en même temps.
- Calmez-vous les filles... commença Richard. Oh et puis non, ne vous calmez pas, c’est excitant... rajouta-t-il après une seconde de réflexion.
- Richard, je veux son dossier! fit Ally en se mettant devant lui la première.
- Laisse tomber cette idiote, Richard, tu sais que je suis meilleure qu’elle... reprit Nelle en la poussant sur le côté pour prendre sa place.
- Non, Richard, donne le moi... Tu auras le droit de toucher mon menton... reprit Renée en draguant outrageusement Richard.
- Renée, tu ne travailles même pas pour ce cabinet... protesta Ally.
- Je veux bien démissionner pour venir ici...” sourit-elle avec concupiscence en désignant Largo, tandis que Richard essayait de tripoter son menton.
Puis, Renée se dégagea de Richard et prit Largo par le bras, dans un déchaînement de grâce féline.
- “J’ai mon propre cabinet, vous savez, avec une copine... On est bien plus douées et eux... Pfff... Ce sont des cinglés, vous devriez me confier votre affaire...”
- Euh... hésita Largo, un peu perdu entre ses hormones et son cerveau.
- Vous savez, je suis une vraie experte en droit... poursuivit Renée. Et en tout un tas d’autres choses d’ailleurs...”
Cette dernière remarque lui valut un regard noir de Joy, accompagné d’un nouveau grognement de tigresse. Richard, aussitôt attiré par cette manifestation si familière à un ex de Ling, se mit à tourner et à papillonner autour de Joy.
- “Ouh c’est joli tout ça...” fit-il fébrilement tout en approchant sa main de son menton.
Aussitôt, avec ses réflexes de tueuse, Joy lui arrêta la main et lui fit une clé de bras, en le maintenant rigoureusement immobile. Richard ne put s’empêcher de pousser un petit cri de douleur. Ally et Nelle se moquèrent de lui.
- “Ca lui apprendra à confondre les femmes avec des morceaux de viande... commenta cyniquement Nelle.
- Le nombre de fois où j’ai rêvé que je lui faisais ça..” marmonna Ally.
Richard continuait à gémir sous la pression exercée par la prise de Joy.
- “Ouille... Ouah... Ahhh... Madame... Vous... Ohhh... Serait-il possible que vous me lâchiez maintenant?
- Donnez-moi une seule bonne raison! grogna Joy.
- Joy... Lâche-le.” intervint Largo en essayant de calmer sa garde du corps.
Mais Joy ne semblait visiblement pas désireuse de le laisser s’en tirer à si bon compte.
- “Joy... insista son patron.
- Il a essayé de me tripoter, ce dingue! se justifia-t-elle. Entre nous, il a l’air d’avoir des pratiques sexuelles de pervers...
- Je sais, mais il est peut-être le seul à pouvoir sauver ma peau...”
Joy se calma alors, et à regret, elle lâcha Richard, mais resta sur ses gardes en le fixant dangereusement. Richard, quant à lui, se redressa et tout en se malaxant le bras, il lui sourit.
- “Elle m’excite.” commenta-t-il en la dévorant du regard.
Largo commençait déjà à se demander s’il n’avait pas fait une erreur en demandant à Joy de le lâcher, quand il le regarda d’un air sérieux.
- “Alors comme ça, vous cherchez un avocat?
- Oui, c’est ça.
- Ca tombe bien, ici, il y en a plein... Suivez-moi.”
Richard désigna son bureau à Largo et Joy qui s’y hâtèrent, sous les coucous langoureux de Nelle, Ally, Renée et Elaine. Les quatre femmes se regardèrent après que Richard ait refermé la porte.
- “Quel homme... marmonna Ally.
- J’en veux un à la maison... gémit Renée.
- Je l’ai vu la première! intervint Elaine.
- Ca ne compte pas avec lui, Elaine... grogna Ally.
- Et pourquoi? s’étonna Elaine.
- Vous avez vu le gus? Il est d’une catégorie supérieure... sourit Renée.
- Quelle catégorie? demanda Nelle.
- Celle des surhommes... expliqua Renée. La règle est que pour l’avoir, il n’y a aucune règle.
- Chacun pour soi... reprit Ally.
- Tous les coups bas sont permis... acquiesça Renée.
- Je me demande qui c’était... s’interrogea Nelle. Son visage me disait quelque chose..”
A ce moment-là, Mark arriva mains dans les poches, décontracté. Il saisit un dossier sur le bureau d’Elaine, puis il regarda les quatre femmes.
- “Salut... Dites, vous savez ce qu’il veut à Richard, Largo Winch le multimilliardaire?” demanda-t-il d’un air détaché.
Nelle, Ally, Renée et Elaine se regardèrent, bluffée. Puis, elles tombèrent dans les pommes toutes les quatre en même temps, sous le choc. Mark les regarda allongées à ses pieds, perturbé.
- “Qu’est-ce que j’ai dit?” s’interrogea-t-il.


Bureau de Richard Fish
11h34

Une fois dans son bureau, Richard proposa un canapé à Largo et à Joy. Celle-ci s’assit sur l’accoudoir et Richard prit son fauteuil pour se planter juste devant elle, genre super discret.
- “On est pas bien là?” lui sourit-il d’un air pervers en regardant ses cuisses.
Largo se racla la gorge, espérant que ça le calmerait. Peine perdue avec Richard.
- “Au fait, reprit-il d’un air détaché, je ne me suis pas présenté, Richard Fish, grand marabout du Cabinet, toujours à la barre même en cas de naufrage. Et vous êtes?
- Je suis Largo Winch.
- J’accepte votre dossier, poursuivit Richard sur un ton enjoué, mais sans détacher son regard de Joy.
- Mais... s’étonna Largo. Vous ne savez pas encore de quoi il s’agit...
- Et alors? reprit Richard sur le même ton. Vous êtes riche, et j’aime les gens riches parce que je suis moi-même riche. Fishisme. La devise de mon Cabinet est “Pognon, pognon, pognon et pognon.”
- C’est bon à savoir... marmonna Largo, qui n’aime pas beaucoup les gens cupides.
- Et vous...? fit-il fébrilement en s’approchant un peu plus de Joy. Vous êtes...?
- C’est Joy Arden, ma garde du corps.” répondit Largo à la place de Joy qui ne semblait pas vouloir le moindre échange avec Richard.
La nouvelle rendit Richard tout fou. - “Une femme garde du corps? Vous... déglutit-il joyeusement. Vous voulez dire qu’elle se bat et tout, dans ses petites jupes et ses petits débardeurs et qu’elle a un flingue et tout?
- Euh... Oui... répondit Largo tout en le regrettant aussitôt.
- Dites, vous le cachez où votre flingue? demanda-t-il à Joy en fixant ses vêtements moulants.
- Pourrions-nous en revenir à mon affaire? fit Largo, agacé.
- Rien ne presse... sourit Richard. Je parie que vous le cachez dans une de ces petites lanières en cuir qu’on porte autour de la cuisse...”
Alors que Richard, quasiment la langue pendue, voulait s’approcher de la cuisse de Joy pour la tripoter et chercher son revolver, elle lui donna un coup de pied en pleine poitrine, ce qui le fit reculer avec sa chaise à roulettes.
- “Waw! Cette fille c’est de la dynamite! Je suis amoureux! s’exclama Richard.
- Ce type est un ado attardé... grogna Joy.
- Je crois que tu devrais nous laisser, Joy... fit Largo.
- Avec plaisir.”
Elle sortit sous le regard gourmand de Richard. Lorsqu’elle ouvrit la porte, Ally, Nelle, Renée, Elaine, et Mark qui écoutaient leur conversation, collés à la porte, s’écroulèrent tous sur la moquette du bureau de Richard.


Cage et Fish
11h42

Joy, après avoir évacué du bureau de Richard ses cinq collègues qui s’étaient écroulés sur son sol, referma la porte avec violence et fit quelques pas nerveusement en tournant en rond devant, comme pour y monter la garde. Elle détestait tout ce qu’elle avait vu dans le Cabinet jusque-là. Elle était tellement en rogne qu’elle ne vit même pas que Ally, Renée, Nelle et Elaine l’observaient en la critiquant, d’un air narquois. Elle finit par entendre leurs chuchotements et se tourna vers elles avec violence.
- “Quoi? leur cria-t-elle dessus.
- Euh... Rien... fit timidement Ally.
- On se disait juste que Largo Winch aurait pu trouver mieux... déballa Elaine avec son assurance habituelle.
- Hey! Je suis la meilleure sur le marché, moi!” gueula Joy, qui n’aimait pas être critiquée.
Sa remarque figea sur place les autres femmes du Cabinet.
- “Vous... Vous... bégaya Ally. - C’est pas vrai, Largo Winch qui se tape une prostituée, on aura tout vu... soupira Nelle. - Vous êtes folle?” Joy, détestant être insultée, prit Nelle par les épaules, lui coinça les bras et la plaqua sur le bureau d’Elaine, sur le ventre.
- “Osez me traiter de prostituée encore une fois! gueula Joy.
- Mais c’est vous... tenta d’articuler Nelle. Vous venez de dire qu’il vous payait...”
Joy la lâcha, furieuse.
- “Je suis sa garde du corps, espèce d’idiote.
- Vous... Garde du corps... Oh... bafouilla Ally.
- Quoi? Vous ne savez pas articuler une phrase entière, vous?
- Euh non... Excusez-moi... On croyait que vous étiez sa petite-amie...”
Joy croisa les bras et son visage se ferma. Ce n’était pas la première fois qu’on faisait cette erreur. Quand on voyait Largo Winch débarquer quelque part avec une jolie femme, on pensait tout de suite qu’il s’agissait de sa dernière conquête, pas de sa garde du corps. Elaine s’approcha, avide de détails.
- “Il est libre en ce moment? demanda-t-elle.
- Difficile à dire... fit Joy en haussant les épaules. Ses petites-amies ont tendance à aller et venir plus vite que dans un défilé de mode...”
En réalité, Joy ne l’avait pas vu avec une femme depuis plusieurs semaines, mais elle ne voulait pas que ces sangsues s’engouffrent tout de suite dans le filon.
- “Garder le corps de Largo Winch, il y a pire comme boulot... sourit Nelle.
- Vous dites sûrement ça parce que vous n’avez jamais dû prendre de balle pour sauver ses petites fesses...
- Quoi? Une balle de revolver? Vous avez été blessée? demanda Ally, pâle.
- Oui. Vous voulez voir la cicatrice, peut-être?”
Ally devint blême et porta sa main à sa bouche.
- “Quelle horreur...
- Ne vous en faites pas pour elle... sourit Renée en prenant Ally par les épaules. Elle est hyper émotive et ne supporte pas la violence...
- Renée, je me sens mal, j’ai envie de vomir...
- Oui, oui... On y va...” la rassura Renée tout en la conduisant vers les toilettes, sous le regard impassible de Joy.
Puis les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, la Reine des abeilles venait d’arriver: Ling. Joy la reconnut tout de suite et son regard redevint mauvais. Ling l’aperçut et s’arrêta. La musique des abeilles stoppa. Silence total.
- “Joy.
- Ling.”
Ling grogna.
- “Tu n’as pas fait attention au L. Le L est doux.
- J’ai bien compris. Ling.”
Joy avait volontairement prononcé le L très fort pour agacer la jeune asiatique. Ling lui lança un regard noir. Joy aussi. Ling se mit alors à grogner comme une panthère. Joy comme une tigresse. Tandis que la tension montait entre les deux femmes, le blizzard commença à souffler dans la pièce et bientôt, Nelle et Elaine durent mettre leur mitaines et leurs bonnets.


Bureau de Richard
11h45

Pendant ce temps, dans le bureau de Fish, Largo écoutait, navré, Richard se lancer dans un de ses grands discours fishistes débiles et le beau milliardaire se demandait vraiment ce qu’il faisait là.
- “Écoutez, finit-il par l’interrompre, vous n’êtes manifestement pas le Cabinet qu’il me faut...
- Oh la, oh la! le coupa aussitôt Richard. Vous ne partirez pas comme ça, je ne laisse jamais filer une belle occasion de me faire un paquet de pognon.
- C’est un fishisme?
- Non, c’est une vérité universelle...”
Largo soupira.
- “Il va bien falloir me laisser partir, sinon ma garde du corps risque de se mettre en colère.”
Richard arbora un petit sourire de pervers.
- “Est-ce qu’il lui arrive de mettre du cuir?” demanda-t-il d’un air rêveur.
Largo se mit en colère et se leva.
- “Je ne crois pas qu’on arrivera à s’entendre. Vous n’êtes pas le genre d’avocat qui...
- Moi? Avocat? se moqua Richard. Oh non... Enfin, si techniquement je le suis, mais je ne prends presque aucun dossier, je suis nul. Je me contente de gérer le Cabinet, je suis un excellent gestionnaire, l’argent c’est ma vie.
- J’avais cru comprendre, grinça Largo.
- Avec le sexe.
- Oui, ça aussi j’avais cru le comprendre...
- Ca nous fait un point commun alors: fric et femmes, femmes et fric, de quoi avoir envie de lever la patte souvent...”
Largo lui lança un regard noir. Même s’il a les yeux bleus. Ce qui rend cet exploit encore plus exceptionnel. Richard finit par remarquer l’hostilité de son nouveau client plein aux as et se reprit.
- “Je vais vous appeler un vrai avocat.”
Il décrocha son téléphone.
- “Elaine... Allez me chercher John, tout de suite... Mais je m’en fiche qu’il s’occupe de sa grenouille, il est urgent qu’il vienne maintenant: pognon, pognon, pognon et pognon...”
Il raccrocha et sourit à Largo.
- “Le biscuit arrive. C’est le meilleur.
- Le biscuit?” répéta Largo, incrédule.


Cage et Fish
11h50

Elaine alla chercher John dans son bureau. Pendant ce temps, Joy et Ling n’avaient pas bougé d’un pouce, elles se dévisageaient méchamment, sans mot dire, immobiles, presque statufiées, tentant de s’entretuer par le regard. L’ambiance était tellement glacée que de la neige avait fini par tomber au sein du Cabinet (c’est fantasmé, bien sûr, il n’y a pas de la neige en vrai...).
En sortant du bureau de John, Elaine et lui durent fendre la neige, en croisant les bras contre leurs corps pour se réchauffer. John regarda les deux femmes, ce qui le troubla. Puis il rejoignit Elaine à l’intérieur du bureau de Richard.
- “Nous voilà, Richard... Monsieur Winch... rajouta-t-elle d’un air très sensuel. Je vous présente John Cage... C’est un excellent avocat qui saura résoudre tous vos problèmes... Si je peux me permettre, demandez-moi ce que vous voulez et vous l’obtiendrez, chez Cage et Fish, les clients sont traités comme des rois... avait-elle continué avec une voix d’hôtesse de l’air en se pressant contre lui.
- Euh... Merci...” hésita Largo, mal à l’aise.
Elaine resta debout à l’admirer avec un sourire niais aux lèvres. John remarqua l’attitude de la secrétaire et parut troublé.
- “Je... Elaine...
- Oui John? fit Elaine tout en ne détachant pas son regard de Largo.
- Richard, fais quelque chose, je suis mal à l’aise... hésita John.
- Hum? émergea Richard. Ah oui. Elaine, dehors!
- Mais... protesta-t-elle.
- Dehors, allez ouste!” fit Richard en la poussant hors du bureau par les fesses.
Puis, il regarda Largo.
- “Problème de la secrétaire envahissante réglé. Vous voyez, chez Cage et Fish, on est très doués pour régler les problèmes de toute sorte... dit-il fièrement.
- Richard... Je ne crois pas... commença John.
- Allons John, ne sois pas modeste... Monsieur Winch a le droit de savoir qu’il va bosser avec les meilleurs... continua-t-il à tchatcher en prenant John par les épaules.
- Je suis troublé... pensa John.
- Pourquoi? J’ai viré Elaine! s’exclama Richard.
- Oui mais j’ai vu quelque chose d’inquiétant là dehors, Ling avait l’air d’être en froid avec une jeune femme que je ne connais pas. Elles étaient en train de se lancer des regards noirs tout en grognant...
- Telle que je connais Joy... pensa Largo. L’autre femme, ça doit être ma garde du corps...
- Oh? s’excita Richard. Un combat entre Ling et la garde du corps? Faut que je voies ça, moi!”
Déjà Richard allait se précipiter vers l’extérieur de son bureau, quand la porte lui claqua au nez brusquement, toute seule. Largo sursauta et Richard se tourna vers John en lui pointant dessus un doigt accusateur.
- “C’est toi qui a fait ça?” l’interrogea-t-il.
John acquiesça et montra à son associé une petite télécommande qu’il tenait dans le creux de sa main.
- “C’est un système pour fermer les portes automatiquement, expliqua-t-il. C’est utile dans ce Cabinet... rajouta-t-il à l’intention de Largo.
- T’exagères... se plaignit Richard. Ling et la garde du corps, c’est mieux qu’un match de catch féminin dans la boue.”
Largo soupira et se frotta les yeux, soudainement très fatigué par les facéties de Richard. John s’assit alors face à lui.
- “Je vous en prie, monsieur Winch, dites-moi ce qui vous amène ici...”
Largo le regarda, sceptique.
- “Pour être franc, j’ai besoin d’avocats, moi, pas d’un obsédé sexuel avide d’argent et d’un petit bonhomme bizarre qui se balade avec une télécommande dans la main.”
John lui fit un sourire crispé. Richard s’assit à côté de John.
- “Ne faites pas attention à nos méthodes... expliqua-t-il. Elles surprennent, mais elles fonctionnent toujours. John Cage est l’un des meilleurs avocats de la ville, vous pouvez demander à qui vous voulez dans le métier, il approuvera.”
Largo hocha la tête et repensa à la conversation qu’il avait eue avec Sullivan.
- “D’accord... céda-t-il. Voilà ce qu’il m’arrive. Comme vous devez le savoir, je dirige le Groupe W, le conglomérat que m’a légué mon père à sa mort. Et je suis victime d’une conspiration d’un de mes collaborateurs qui souhaiterait reprendre le contrôle du Conseil d’Administration. Pour me renvoyer, il a monté le personnel féminin du Groupe W contre moi en leur faisant signer une pétition qui réclame ma démission.
- Sur quels motifs?”
Largo gigota dans son fauteuil mal à l’aise.
- “Il paraît... D’après elles, travailler pour moi est... Comment dire... Elles disent qu’elles ne supportent pas de travailler pour moi parce que je suis trop... Disons, qu’apparemment je leur plais et... Elles disent que je dégage une sorte de tension, d’onde sensuelle selon leur expression, qui les empêche de se concentrer et de faire leur travail correctement.
- Est-ce le cas? demanda John.
- Pardon?
- Voyons, monsieur Winch, vous avez parfaitement entendu ma question, vous utilisez juste cette figure de rhétorique pour retarder le moment où vous allez m’en donner la réponse. Je n’aime pas ça.”
Largo haussa un sourcil. Ce Cage avait l’air bizarre, mais il aimait son étrange franchise et sa vision des choses. Son calme apparent le rendait beaucoup plus crédible que Richard.
- “Si c’est le cas?... réfléchit Largo. Bien sûr que non... J’admets que j’aime bien faire de l’effet aux femmes, comme tous les hommes... J’ai été élevé en Italie, et là-bas, on aime séduire les femmes, se montrer attentionné et charmant avec elles... C’est un sport national. Moi, tout ce que je veux c’est être agréable, pas un de ces patrons froids qui regardent à peine leurs employés. Je veux ajouter une dimension humaine à mon entreprise. Mais jamais je n’ai voulu mettre mal à l’aise mes employées, et je ne crois pas avoir dépassé la moindre limite...”
John le jaugea sans rien dire. Richard s’excitait et son regard passait de l’un à l’autre sans rien dire. Au bout de très longues minutes de silence qui parurent interminables à Largo, John pointa Largo du doigt.
- “Il est très doué pour parler, les jurés l’aimeront... déclara-t-il enfin.
- Arrête, il est pas crédible... grinça Richard. Trop beau gosse. Ca m’agace d’ailleurs... Passons...”
Le nez de John siffla. Largo le dévisagea.
- “Excusez-moi... reprit John. Votre cas est défendable.
- On a eu la même chose... fit Richard.
- Vous avez gagné une affaire similaire?
- Non, on a eu la même chose, le même problème... sourit Richard avec décontraction. Une superbe jeune femme qui ramassait le courrier. On lui bavait dessus dès qu’elle arrivait... Oh, je l’adorais cette fille. Mais les femmes du Cabinet n’ont pas apprécié. On a été obligés de la virer parce que son onde sensuelle dégageait une mauvaise ambiance de travail, un truc comme ça... Passons... John, tu t’occupes de l’affaire de ce client riche?”
John réfléchit, parfaitement calé au fond de son fauteuil, mains croisées. Il y eut un nouveau grand silence, seulement interrompu par quelques grincements émis par le fauteuil.
- “Oui, il a ses chances. Les jurés l’aimeront, répéta-t-il, fixé par son idée.
- Génial. Au boulot! Tu as besoin de qui?
- Nelle. Elle est un bon exemple qu’on peut travailler avec une bombe sexuelle sans être forcément perturbé. Et Ally.
- Ally? Tu crois? grimaça Richard. Larry vient de la quitter. Elle est nulle quand elle vient de se faire plaquer.
- Elle a une vision romantique des relations hommes-femmes qui pourrait nous être utile.
- D’accord, je transfère leurs dossiers courants à Mark et Jackson.” décida Richard.
Richard s’en alla pour prévenir ses employés, laissant seuls John et Largo.
- “Qui vous a adressé à nous? demanda John.
- John Sullivan. Une amie à lui a été défendue par votre Cabinet, une présentatrice de JT renvoyée à cause de son âge...
- Oh oui, je vois... fit John. Ne vous en faites pas, monsieur Winch. Ce ne sera pas facile, mais le dossier de la partie adverse est sûrement mince...”
Largo le remercia et lui serra la main, à moitié convaincu.


Cage et Fish
12h17

Après avoir conclu leur affaire, John et Largo quittèrent le bureau de Richard. Ils virent alors un attroupement autour de Joy et Ling qui n’avaient toujours pas bougé d’un centimètre et qui se dévisageaient avec haine. Tout le Cabinet avait les yeux rivés sur elles, si bien que Ally ne remarqua pas Largo se faufiler près d’elle.
- “Que se passe-t-il? demanda-t-il.
- Aucune idée... répondit Ally, sans remarquer que c’était Largo qui venait de lui adresser la parole, trop prise par le spectacle. D’après ce que j’ai compris, elles sont comme ça depuis plus d’une heure... Elles ne bougent pas d’un cil, ne disent rien, si ce n’est quelques insultes de temps en temps... C’est à n’y rien comprendre... De la part de Ling, je veux bien, mais l’autre femme, je ne la comprends pas...”
Largo esquissa un sourire. Il savait que Joy avait un sale caractère, elle était bornée et irritable. Cette femme avait dû la provoquer. Il s’avança alors pour fendre la foule et chercher sa garde du corps. Lorsqu’il passa devant Ally, celle-ci réalisa alors qu’elle avait parlé à Largo Winch et elle s’écroula raide dingue, sans que personne ne fasse attention à son évanouissement.
Après avoir dépassé tous les badauds curieux qui fixaient Joy et Ling, Largo essaya d’attirer l’attention de sa garde du corps.
- “Joy? Hey Joy?”
Elle ne sourcilla pas. Il soupira.
- “Joy, il faut y aller, j’en ai terminé ici...”
Toujours aucune réaction.
- “Joy... Si tu veux rester ici, je ne t’attendrai pas, je sortirai tout seul, dans cette ville dangereuse qu’est New York, remplie de terroristes qui veulent ma peau...”
Cette phrase fit réagir Joy qui sembla décontracter légèrement sa mâchoire et se déraidir. Il y eut un double grognement, venant à la fois de Joy et de Ling.
- “Je dois y aller... expliqua Joy d’un ton glacial.
- Alors vas-y, qu’est-ce que tu attends?” lui rétorqua Ling d’un air narquois.
Joy bougea enfin. Elle se tourna vers Largo pour lui faire signe qu’ils y allaient et elle se dirigea vers l’ascenseur qu’elle appela en appuyant sèchement sur le bouton. Puis, elle croisa les bras, le visage fermé. Au bout de quelques secondes, l’ascenseur s’ouvrit et elle et Largo s’y engouffrèrent. Avant que les portes ne se referment, Ling passa rapidement devant.
- “Pétasse! lança-t-elle à Joy.
- Grognasse...” lui répondit-elle, impassible, tandis que déjà les portes se refermaient.


Ascenseur
12h25

Une fois les portes de l’ascenseur fermées, Joy put se détendre et remarqua le regard amusé que Largo posait sur elle.
- “Et quoi? éclata-t-elle.
- D’où tu la connais? C’est une avocate?
- Non, c’est une petite arriviste arrogante. Une vraie garce. On était rival au lycée.
- Rivales? En quoi?
- En tout. Études, sports, arts, garçons, filles, côtes de popularité... Toujours à se faire la guerre.
- Et qui a gagné?
- Moi bien sûr... sourit-elle avec assurance.
- Tu as fait quoi? Tu lui as volé son petit-copain? s’amusa Largo.
- Exactement.
- Oh... Et tu ne trouves pas ça cruel?
- Je l’ai fait parce que cette pétasse avait couché avec mon père.”
Largo grimaça.
- “Pouah... Je me demande ce qu’on peut bien trouver à ton père...
- Rien du tout. Si ce n’est le plaisir de me torturer. Largo, j’ai la permission d’y retourner pour la tuer?
- Non, si tu vas en prison pour meurtre je ne finirai jamais la semaine en vie...
- C’est vrai. Heureusement que tu m’as.
- J’allais le dire..”
Il lui sourit, ce qui eut pour effet de la détendre instantanément (c’est l’effet impulse à la Largo Winch... Mieux que l’huile de Jojoba pour détendre les jeunes femmes stressées...).


Cage et Fish
12h30

Après le départ de Joy, l’attroupement se dispersa au sein du Cabinet. Nelle rejoignit Ling.
- “Qui c’était?
- Joy Arden... Une copine du lycée. J’ai couché avec son père! rajouta Ling fièrement.
- L’orthodentiste? demanda Nelle.
- Non, lui c’était le père d’une autre copine. Le père de Joy était de la CIA.”
Tandis que Nelle demandait des détails, elle et Ling se dirigèrent vers le bureau de cette dernière, tout en enjambant Ally qui était toujours dans les vapes suite à son bref contact avec Largo. De loin, John remarqua que son amie était allongée par terre et il s’approcha d’elle au moment où elle rouvrait enfin les yeux. La première chose qu’elle aperçut fut donc John, accroupi au-dessus d’elle. Elle grimaça.
- “Oh... Tu n’es pas Largo Winch.
- Effectivement.” répondit John sans se démonter.
Il lui tendit la main et l’aida à se relever. Elle se dépoussiéra les vêtements distraitement.
- “Que faisais-tu par terre Ally? s’interrogea John.
- J’essayais de compter le nombre de trous au plafond...” rétorqua-t-elle.
John leva le nez en l’air pour vérifier et elle lui prit le bras.
- “Mais non, John, je plaisantais...”
John siffla du nez. Puis il regarda à nouveau Ally.
- “Que t’est-il arrivée?
- Oh... Je suis tombée dans les vapes... reprit Ally en se dirigeant dans son bureau.
- Tu es malade?
- Oh non... sourit Ally. Largo Winch m’a parlée...”
John referma la porte de son bureau et la fixa perplexe.
- “Et bien? Il t’a parlée et tu es tombée dans les pommes?
- Oui.
- Pourquoi?
- Mais c’est Largo Winch! Il est beau comme un Dieu, il est riche, puissant et d’après les journaux c’est un idéaliste qui traite ses affaires avec intégrité. Tout ça dans un seul et même homme. Aucune femme ne peut décemment rester de marbre face à lui... Tu n’as qu’à demander à Renée, Nelle ou Elaine...
- Ca, c’est vrai... retentit la voix d’Elaine de derrière la porte.
- Je vois... marmonna John... Ca ne va pas être facile dans ce cas...
- Quoi?
- Nous devons le défendre lors d’un procès... expliqua-t-il. On veut le renvoyer parce qu’il fait trop d’effet sur ses employées féminines...
- Attends, attends... Quand tu dis “nous” devons le défendre, tu parles de qui?
- Moi, Nelle et toi...”
Ally tomba à la renverse derrière son bureau. John alla la rejoindre pour l’aider à se relever .
- “Rien de cassé?
- Non... Non... Alors... Je vais le défendre... sourit-elle avec concupiscence.
- Ally, tu ne défendras personne si tu n’es pas capable de rester consciente en sa présence...
- Oh, je te promets que je me calmerai!
- Admettons... Explique-moi... Hier encore, tu étais déprimée par le départ de Larry et aujourd’hui tu sembles subjuguée par ce Largo Winch...”
Ally eut un sourire énigmatique.
- “Tu me connais John... Je suis une romantique et je suis une de ces rares personnes dans ce monde froid et cruel à croire encore au mythe du Prince Charmant... Tu vois, je croyais avoir trouvé en Larry mon Prince Charmant à moi et quand il est parti je me suis dit que c’était fini et que c’était une chance qu’on avait qu’une fois dans sa vie... Et aujourd’hui, j’arrive au bureau et je rencontre le symbole même du Prince Charmant.
- Tu es tombée amoureuse de Largo Winch?
- Non... Non... Mais je me dis que c’est un signe, et que rien n’est terminé, que je peux encore le rencontrer: mon Prince Charmant à moi...”
Elle sourit à John d’un air malicieux.
- “Mais si Largo Winch veut bien de moi, je ne cracherai pas dessus...”
John porta sa main à son menton et s’y appuya. Son nez siffla et Ally eut un rire mutin.


Groupe W, penthouse
16h28

Pendant ce temps, de retour au Groupe W, le “symbole même du Prince Charmant”, alias Largo Winch, s’inquiétait de la tournure qu’allait prendre son procès. Simon, lui, semblait plus intéressé par la description des membres du Cabinet.
- “Quand je pense que je pourrais perdre le contrôle de ma Compagnie... Je ne me suis pas battu tout ce temps contre la Commission Adriatique et le Conseil d’Administration pour que ça se termine comme ça...
- Et tu dis que la secrétaire se frottait à toi? s’amusa Simon.
- Simon!
- Quoi? Je m’informe... Et la petite chinoise qui a couché avec le père de Joy, elle est mignonne?
- Simon!
- Ok, ok, j’ai compris, je me tais...
- Quand j’y pense, ça m’effraie, mais tu as des points communs avec ce Richard Fish...” marmonna Largo.
Leur conversation fut interrompue par Georgi qui ouvrit la porte brusquement et jeta au sol, en un geste musclé, deux types pas très virils, ni costauds, vêtus de trench-coats gris, couverts de chapeaux et portant des lunettes noires. Largo se leva.
- “Que se passe-t-il? s’enquit-il.
- J’ai surpris ces deux marioles à fouiller un peu partout dans le Groupe et à poser des questions aux employés. Ce sont des espions... répondit Georgi calmement.
- Qui êtes-vous?” leur demanda alors Largo.
Les deux hommes se relevèrent maladroitement, en se bousculant et ils retirèrent embarrassés leurs chapeaux et lunettes noires. Il s’agissait de John Cage et de Richard Fish. Quand il les reconnut, Largo poussa un profond soupir.
- “Mais qu’est-ce que vous fabriquez, je peux savoir? s’emporta Largo.
- C’était son idée! s’empressa de dire Richard en pointant du doigt John, dont le nez siffla.
- Tu connais ces marioles? s’étonna Georgi.
- Ce sont mes avocats... marmonna Largo d’un air navré.
- Waw! se moqua Simon. Ce que tu nous a raconté était bien en dessous de la réalité...
- Je suis sincèrement navré de cette intrusion monsieur Winch, mais...”
John hésita, le regard ailleurs.
- “Ta... Dadam... Da... Tadam... chantonna-t-il pour reprendre le fil de ses idées.
- Mais qu’est-ce qu’il me fait? fit Largo, consterné.
- Laissez-le, il reprend ses esprits.
- Nous voulions juste vérifier par nous-même, conclut finalement John.
- Vérifier quoi?
- Ce que vos employées féminines pensent de vous... Nous voulions le faire incognito...
- D’où le déguisement... sourit Richard d’un air enjoué. Dites... La garde du corps, elle est pas dans le coin?
- Non! dit sèchement Largo. Et vos conclusions?
- Ce ne sera pas facile, monsieur Winch... dit John. Les femmes sont toutes folles de vous... Même une des mes collègues qui ne vous a aperçu que deux minutes m’a avoué tout à l’heure qu’il était impossible de rester de marbre devant vous quand on est une femme... C’est ennuyeux...”
John porta sa main à son visage et y appuya son menton.
- “Là... Il réfléchit...” expliqua Richard, légèrement admiratif.
Il fut interrompu par Joy qui faisait une entrée fulgurante comme à son habitude, marchant rapidement et sûre d’elle. Richard admira un instant sa démarche féline.
- “Même dans sa manière de fendre une pièce, elle me fait penser à Ling... Qu’est-ce qu’elle est excitante...” siffla-t-il.
Joy s’arrêta net en apercevant, selon ses propres termes, “l’autre cinglé d’avocat pervers”.
- “Il fait quoi ici?” demanda-t-elle sèchement.
Largo haussa les épaules.
- “Apparemment ils sont venus enquêter auprès des employées qui ont signé la pétition réclamant ma démission... expliqua-t-il.
- Et ça donne quoi?
- Vraisemblablement, vous perturbez vos employées féminines, monsieur Winch... Mais les jurés vous aimeront...
- Il sait dire autre chose?” demanda Largo à Richard.
Celui-ci ne répondit pas, occupé à essayer d’approcher Joy en crabe. Une fois arrivé à sa hauteur, il essaya de lui toucher le menton et aussitôt, elle lui fit une prise de taekwondo et l’envoya au tapis. Victorieuse, elle maintint sa chaussure à talon sur sa poitrine pour l’empêcher de bouger. Mais Richard semblait de toute façon très heureux d’être dans cette position.
- “C’est bizarre, mais j’ai fait le même rêve cette nuit...” sourit-il en tentant de tripoter ses mollets.
Mais elle enfonça son talon d’un coup sec dans sa poitrine et il poussa un petit gémissement. John, légèrement inquiet pour son ami, voulut l’aider à se relever, mais Joy n’était pas prête à laisser Richard se dégager de sa prise et elle lança à John un regard noir, accompagné d’un grognement, pour lui signifier qu’il ne valait mieux pas essayer d’aider son ami.
- “Pas touche! broncha-t-elle. Il est puni, votre copain, il ne fallait pas me prendre la tête. - Poki-poki-poki... marmonna John effrayé.
- Quoi? s’étonna Joy.
- Il a dit poki-poki-poki... expliqua Richard, toujours à terre.
- Pourquoi?
- Ca le calme, reprit-il. Il bégaie souvent comme ça... On l’a même entendu un jour dire poki-poki-poki-pénis, parce qu’il était énervé.
- Richard, tu te moques de mon bégaiement! protesta John.
- Mais non...
- Mais si, et en plus tu me mens, je me sens insulté, je suis très perturbé...
- Et tu vas faire un poki-quoi?
- Poki-poki-poki... Poop!”
Simon, Largo et Joy sursautèrent presque au “poop” de John, qui était très aigu. Puis, il parut se calmer.
- “Mademoiselle, veuillez lâcher mon associé, s’il-vous-plaît...” reprit-il en suite calmement.
Joy regarda Largo qui lui fit signe de laisser tomber. Elle leva alors son pied et s’écarta de Richard qui put se relever. Il la fixa, un sourire en coin.
- “Est-ce que c’était aussi bon pour vous que ça l’était pour moi? demanda-t-il.
- Richard, je ne crois pas que ce soit le moment... le morigéna John.
- Parlez-nous un peu du procès... lui dit Largo en lui proposant un siège.
- J’ai parlé avec l’avocat de la partie adverse... commença John.
- Pas très sympa et frustré sexuel. Il paraît qu’il ne jouit qu’avec des prostituées qui l’insultent...”
Tous regardèrent Richard.
- “Passons...
- Il est doué et il est aidé de Michel Cardignac, un des membres de votre Conseil d’Administration, si je ne m’abuse... reprit John.
- Toute cette affaire vient de lui... Ce n’est pas la première fois qu’il me fait ce coup là... commenta Largo.
- Ca pourra nous être utile... fit John. Mais nous devons trouver un argument de choc.
- Comme...?
- Aucune idée.
- Mais le procès s’ouvre après-demain! s’emporta Largo.
- Je suis au courant, ce n’est pas la peine de le hurler, monsieur Winch. Je n’aime pas qu’on hurle, j’ai les oreilles très fragiles, voyez-vous? fit calmement John. Il n’y a pas de précédent à votre affaire en la matière, ça nous assure de la tolérance du juge. Votre problème, c’est convaincre le jury, qui sera composé en majorité de femmes. Or, toutes les femmes travaillant pour vous sont folles de vous. C’est ennuyeux...
- C’est une plaisanterie? s’énerva Largo. On ne va pas me priver du contrôle du Groupe de mon père juste parce que je plais à certaines femmes.
- Monsieur Winch, vous plaisez à toutes les femmes, expliqua John.
- Vous exagérez...
- Non.” répondit John froidement.
Largo, cherchant un soutien, regarda Simon.
- “Simon?
- Non, c’est vrai... admit Simon. Toutes les femmes. Si tu savais le nombre de coups que tu m’as cassé sans même le vouloir...
- Georgi?” interrogea alors Largo, suppliant.
Mais même le Russe confirma d’un hochement de tête.
- “Joy?” conclut Largo, légèrement désespéré.
Joy parut embarrassée par la question.
- “Eh bien... C’est vrai que tu es... Généralement les femmes... D’après ce que j’ai pu voir, je dirai même que toutes les femmes... Mais ne t’inquiètes pas, si ça se trouve ça existe, des femmes qui ne sont pas charmées par toi. Enfin peut-être.” conclut-elle, l’air pas du tout convaincu.
John la regarda alors fixement pendant quelques instants, ce qui agaça Joy profondément.
- “Quoi? finit-elle par aboyer.
- Vous m’intéressez... lui dit John. Vous n’avez pas signé la pétition, n’est-ce pas?
- Bien sûr que non.
- Et pourquoi?
- Parce que je trouve cette histoire ridicule.
- J’entends bien, acquiesça John, mais c’est une réponse que les jurés n’aimeront pas, puisqu’ils seront réquisitionnés justement pour cette histoire ridicule.
- Comment ça? Quels jurés? Vous voulez faire comparaître Joy? s’inquiéta Largo, se remémorant sûrement son interrogatoire par Cardignac quand il avait essayé de le destituer.
- Elle est votre plus proche collaboratrice puisqu’elle est votre garde du corps, elle passe tout son temps avec vous et c’est une femme. Or, elle n’a pas signé la pétition. Répondez à ma question, vous n’êtes pas d’accord avec les autres femmes du bureau?
- Absolument pas, reprit Joy vivement.
- Vous ne le trouvez pas assez à votre goût? demanda John, sincère.
- Si... Non... Euh... bafouilla Joy, mal à l’aise.
- Soyez plus précise, je ne vous comprend pas...” ironisa légèrement l’avocat.
Sa malencontreuse et passagère hardiesse lui valurent un regard noir de Joy, accompagné d’un grondement de tigresse.
- “Poki-poki-poki... bredouilla-t-il, effrayé.
- Largo est un bel homme, poursuivit froidement Joy, répondant à la question. Mais il n’y a pas de quoi en faire des cauchemars... Je suis suffisamment professionnelle pour faire abstraction de son charme et exercer mon métier dans les meilleures conditions...”
John avait écouté sa réponse attentivement et parut réfléchir. Puis, il la pointa du doigt.
- “Vous êtes parfaite. Vous témoignez, nous gagnons.”
Puis, sans laisser le temps aux autres de réagir, il quitta le penthouse, dans le silence le plus total. Seules ses chaussures à semelles orthopédiques grincèrent. Largo, Simon, Georgi et Joy attendirent alors que Richard le suive et débarrasse le plancher, mais celui-ci ne semblait pas pressé de vouloir partir, continuant à fixer Joy d’un sourire pervers. John dut alors faire demi-tour et le prit par le bras pour l’entraîner à sa suite.
- “Attends encore un peu... protesta-t-il. J’ai toujours pas trouvé où elle planquait son arme.” Joy lui lança un regard noir et grogna (oui je sais, elle le fait beaucoup en ce moment, mais chez Cage et Fish, ils sont stressants, aussi...).
- “Oh mais c’est incroyable... s’esclaffa Richard, aux anges. On dirait une Ling en numéro deux... Elle m’a dit que vous étiez copines au lycée? Il paraît que les filles au lycée s’entraînent à embrasser ensemble...
- Richard... le gronda John en l’entraînant vers l’extérieur.
- Vous l’avez fait, hein? Répondez, oh ne me laissez pas comme ça? Rien que cette vision me...
- Richard!”
Puis la porte se referma. Joy soupira et tenta d’éviter le regard moqueur de Georgi. Simon paraissait agité, puis il regarda Joy.
- “La question de Fish est intéressante... C’est vrai, tu faisais quoi dans les vestiaires des filles avec tes copines quand tu étais au lycée?”
Joy ne daigna pas le regarder et s’en alla dignement.
- “Joy? Hey Joy?”


Cage et Fish
23 mars
10h15

Le lendemain, Largo se rendit à nouveau chez Cage et Fish pour voir où ils en étaient avec son affaire. Simon avait insisté pour les accompagner, lui et Joy, pour voir si le cirque qu’ils avaient décrit était véridique. Et il l’était.
A peine arrivés, Elaine avait commencé à se frotter à Largo en annonçant que John, Ally et Nelle, ses trois avocats, l’attendaient dans la salle de conférence. Joy et Simon restèrent à l’extérieur, observant la faune étrange du Cabinet. Joy soupira de dégoût en voyant Elaine se frotter à Simon, dès le départ de Largo. Puis, elle tomba nez à nez avec Ling.
- “Joy... gronda celle-ci.
- Ling.” répondit Joy avec un regard noir.
Tandis que les deux jeunes femmes se fusillaient du regard et émettaient des grondements sourds et inquiétants, Simon s’amusait de plus en plus en remarquant un autre avocat, évidemment Richard, qui tournaient autour d’elles en tirant la langue.
- “Oh la la... Ce qu’elles peuvent être excitantes...
- Dites donc Nicky Larson... l’interpella Simon. C’est souvent comme ça ici?
- Comme quoi? s’interrogea Richard. Elaine! cria-t-il à la secrétaire. Je vais essayer de me glisser entre les deux furies, vous avez votre caméra?
- Toujours! répondit aussitôt Elaine, sa DV à la main. Ca tourne!”
Richard se frotta les mains et s’approcha de Joy et de Ling pour les tripoter, mais il se fit aussitôt éjecter par Joy, qu’il faut pas emmerder comme fille...


Cage et Fish
11h30

Après avoir discuté de son dossier avec John, Nelle et Ally, Largo eut besoin de se rafraîchir les idées, parce qu’entre le biscuit et son verre d’eau, la reine des glaces et Ally et sa parade amoureuse, qui, bien que flatteuse, l’effrayait un peu, il avait vraiment besoin d’air. Une fois arrivé aux toilettes, il rencontra Jackson. Celui-ci se présenta en lui serrant la main.
- “Enchanté... dit distraitement Largo.
- Ne vous inquiétez pas, moi je suis normal... fit Jackson, comprenant ses appréhensions. C’est un Cabinet de cinglés, ici...
- Alors pourquoi travaillez-vous avec eux? demanda Largo.
- Parce que ce sont les meilleurs...
- Hum... Et évidemment, ton ego surdimensionné fait que tu ne peux que travailler avec les meilleurs, même si tu n’es pas à la hauteur...” retentit la voix de Renée, qui sortait des toilettes.
Largo sursauta en la voyant.
- “Mais... Mais... Je... Vous... balbutia-t-il.
- Non, ne vous en faites pas, je ne suis pas désespérée au point de suivre les hommes aux toilettes... expliqua Renée d’un sourire charmeur. Les toilettes sont mixtes.
- Ah?
- Des cinglés, je vous dis! répéta Jackson.
- T’es bien content qu’ils te fassent gagner tout ce fric, les cinglés! lui rétorqua Renée. Et je te signale qu’en traitant les avocats de Cage et Fish de cinglés, tu insultes ma meilleure amie...
- Ah parlons-en d’Ally! C’est la plus malade de tous! Tu te rappelles quand on sortait ensemble?
- Eh bien quoi? Elle t’a vu nu, t’a embrassé et t’a touché la télécommande, c’est rien de bien grave... se moqua Renée.
- T’es dingue! Tu devrais te faire engager ici, espèce de nympho!
- Tu me fais trop d’honneur...”
Jackson soupira et quitta les toilettes. Renée éclata de rire.
- “Il est un peu coincé, mais c’est un bon coup... dit-elle à l’intention de Largo.
- Ravi de le savoir...”
Puis, voyant que Renée le dévisageait comme s’il était une pâtisserie, Largo préféra mettre fin à cette conversation et s’enferma aux toilettes.


Cage et Fish
11h40

Tandis que Joy et Ling s’insultaient et que Largo s’attardait aux toilettes, Simon décida de ne pas perdre son temps. Il approcha de Nelle avec un grand sourire de séducteur.
- “Salut ma beauté... Tu sais ce que je me disais en te voyant de loin, là?
- Laissez tomber, vous me donnez envie de vomir...” lui rétorqua Nelle en s’éloignant.
Simon haussa les épaules, nullement découragé.
- “C’est ça, à un de ces jours!”
Elaine s’avança alors vers lui et se mit à papillonner comme elle sait si bien le faire, en le regardant comme s’il était une pâtisserie.
- “Ne faites attention à Nelle... lui sourit-elle sensuellement. On l’appelle le glaçon... Elle est si froide que sa ceinture de chasteté a gelé et que la serrure ne fonctionne même plus...
- Oh...”
Puis Elaine prit Simon par le bras et lui désigna tous les membres du Cabinet les uns après les autres.
- “La femme qui insulte votre amie garde du corps, c’est Ling le dragon... Jolie, mais plus vénéneuse qu’une trompette de la mort. Elle est du genre à se croire supérieure à tout le monde, elle n’aime que l’argent mais elle est excitante quand elle dit le mot “sexe”...
- Ah?
- Lui, là-bas, c’est Jackson, son mec du moment, mais je crois qu’ils ne s’entendent pas bien: l’argent ne doit pas suffisamment l’intéresser. Et puis à part ses gros muscles, il est assez ennuyeux. Mais il a des gros muscles. Je transpire quand il me parle.
- Oh?
- Oui, c’est à cause de ça que j’ai dû me séparer de Mark... On l’appelle Monsieur Conclusion et il se détartre les dents plusieurs fois par semaines. Il est jaloux et assez coincé, c’est à se demander comment il a fait pour sortir aussi longtemps avec un transsexuel.
- Hein?
- Elle... C’est Ally... Un gentille fille, je l’admire beaucoup mais elle est complètement névrosée et égocentrique parce qu’elle a une vision trop romantique du monde. Entre nous, je crois que mentalement elle n’a jamais dépassé le cap des huit ans... Mais elle est très gentille quand elle ne voit pas de licornes ou Al Green chanter dans le tribunal... Il faudra que je vous reparle de ses hallucinations fréquentes...
- Hum...
- Lui c’est John Cage, le Biscuit... C’est un petit bonhomme bizarre. Lui aussi parfois il a des hallucinations et son nez siffle sans arrêt. Il est très ami avec Ally. Un jour, quand il sortait avec Nelle, il lui a donné une fessée avec une brosse à cheveux.
- Quoi?
- Et lui, c’est Richard... Mon mentor. Sa devise est “pognon, pognon, pognon et pognon”... Personnellement j’adhère. Il est excité par le menton des femmes et par l’argent. Les deux en même temps, je ne vous dis pas... C’est une sorte de grand gamin qui essaie de se faire passer pour un avocat, mais tout le monde l’aime bien en fin de compte...
- Et vous?
- Moi, je suis une fille facile...”
Elle lui souffla dans le cou, poussa un petit gémissement et s’éloigna en tortillant légèrement du derrière. Simon la regarda partir en riant, impressionné par le ramassis de cinglés que contenait le Cabinet.


Toilettes mixtes
11h41

De son côté, Largo sortait des toilettes et se lavait les mains, en soupirant. Puis, la chasse d’eau des toilettes s’actionna alors qu’il était seul. John fit alors son entrée et lui montra une petite télécommande.
- “J’aime que mes toilettes soient propres.”
Puis, sans se préoccuper du regard halluciné que Largo posait sur lui, il actionna un autre bouton pour soulever automatiquement la cuvette et referma la porte des toilettes. Largo se lança un peu d’eau sur le visage, comme pour se réveiller et se décida à rejoindre ses amis.


Cage et Fish
11h42

De leur côté, Ling et Joy continuaient à se lancer des méchancetés à la figure.
- “Regarde-toi, ma pauvre Joy... Tu fais de la rétention d’eau, c’est horrible...
- Ling, dois-je te rappeler que je suis une tueuse et que je n’ai qu’un geste à faire pour te faire passer de vie à trépas?
- Ouh... J’ai peur... C’est comme ça que tu arrives à séduire le peu d’hommes qui sont assez pathétiques pour accepter de sortir avec toi?
- Ce n’est pas moi qui suis sortie avec ce pervers de Richard Fish...
- En tout cas, il est riche... Il faisait quoi ton dernier flirt? Un de ces malades sous-payés de la CIA, je paries?
- Tu mets en doute mon goût en matière d’hommes?
- Et Largo Winch? Je ne crois pas avoir entendu dire que tu sortais avec lui... Tu es quoi déjà? Ah oui, sa garde du corps...
- Tu crois que je ne pourrais pas sortir avec Largo?
- Tu n’as aucune chance...
- Si je le voulais, il serait à mes pieds...
- Prouve-le moi!”
A ce moment, le pauvre(?) Largo sortait des toilettes et passait à côté des deux furies. Aussitôt, Joy l’attrapa, le plaqua au mur et l’embrassa passionnément. Après en avoir fini, elle jeta un regard de triomphe à Ling.
- “Quand il se sera remis, tu n’auras qu’à lui dire qu’on part dans cinq minutes, le temps que je passe aux toilettes.”
Puis elle sourit et s’en alla, style reine de la savane, très sûre d’elle. Ling jeta un coup d’œil à Largo qui vacillait légèrement, encore sous le choc de l’étreinte sauvage de Joy. Elle soupira.
- “Les hommes sont vraiment pathétiques... déclara-t-elle. Même une fille bas de gamme leur fait de l’effet..”
Puis elle tourna les talons et la musique de la reine des abeilles retentit.
Joy, quant à elle, avait foncé directement aux toilettes et s’y était assise en soupirant. Elle réalisa soudain qu’elle venait de rouler une pelle à Largo et mit sa main devant sa bouche pour s’empêcher de crier, tout en se relevant brusquement. Elle était dans cet état, quand le fond des toilettes s’ouvrit, laissant apparaître la cachette secrète de John, derrière le mur des toilettes. Elle le regarda, éberluée. John grimaça en s’apercevant qu’une inconnue connaissait sa cachette secrète. Il referma l’ouverture après lui et la regarda.
- “C’est inacceptable.”
Puis, il ouvrit la porte des toilettes et sortit dignement, tandis que consternée, Joy se laissait à nouveau tomber sur la cuvette des toilettes.


Cage et Fish
11h48

Ally, cherchant un dossier, aperçut Largo, debout, immobile au milieu du Cabinet. Il était seul et elle se dit que c’était une occasion parfaite. Elle s’approcha de lui en dandinant légèrement.
- “Salut? Belle journée, hein?
- Euh... répondit Largo, toujours sous le choc après le passage de l’ouragan Joy.
- Ne vous inquiétez pas pour le procès, Nelle, John et moi savons ce que nous faisons...
- Oh?
- Enfin... bredouilla-t-elle. Je ne veux pas dire par là qu’on est infaillibles... Nous ne sommes pas prétentieux... Je ne suis pas prétentieuse, moi, parce que... Nelle... Enfin... Mais assez parler de moi... Dites-moi, il y a quelque chose qui ne va pas Largo? Je peux vous appeler Largo? Parce que vous avez l’air bizarre, un peu ailleurs...
- Ca va... articula-t-il, sans la regarder.
- Si... Si je peux faire quelque chose, euh... Pour vous... Dites-le, je serai ravie de pouvoir vous aider...”
A ce moment, Simon, qui avait observé le manège de ses copains et d’Ally, se décida à lui porter secours. Il approcha mains dans les poches, décontracté, et sourit à Ally.
- “Excusez-moi, maître MacBeal, mais mon vieux copain est assez perturbé...
- Oh... bégaya Ally. Per... Perturbé? Qu’est-ce que j’ai fait... Je...?
- Vous? Non, non, vous n’avez rien fait... Il est sur une autre planète là, quelque chose l’a perturbé tout à l’heure, et il faut qu’il s’en remette. C’est un petit problème de rien du tout...
- Mais qu’est-ce que...?” commença Ally.
A ce moment, Largo aperçut Joy sortir des toilettes et il parut émerger.
- “Joy?” l’appela-t-il.
Mais la jeune femme fit semblant de ne pas l’entendre. Il dut lui courir après, abandonnant totalement Simon et Ally.
- “Voilà le problème en question... se moqua légèrement Simon en montrant du doigt Joy.
- Quoi? Je... Je croyais qu’elle n’était que sa garde du corps?
- Elle l’est. Pour l’instant.
- D’accord... soupira Ally. Pour une fois que je rencontrais l’incarnation de l’homme idéal, il fallait qu’il vive une histoire d’amour impossible avec sa garde du corps...”
Ally eut un sourire rêveur.
- “Remarquez... C’est très romantique... J’espère qu’ils finiront ensemble...”
Simon la fixa surpris.
- “Vous ne vous laissez pas abattre facilement, vous? sourit-il.
- Que voulez-vous? Je suis habituée à me faire jeter... La poubelle et moi, on est de grandes copines...
- Pour ce qui est de Largo... Si ça peut vous rassurer, elles sont des centaines de millions à fantasmer sur lui et quand elles réalisent que c’est peine perdue, elles finissent par se rabattre sur George Clooney ou Brad Pitt.
- Moi, c’est Clooney que je préfère... sourit Ally. Surtout depuis que je l’ai vu dans “Hors d’atteinte”...
- Vous aimez les gentlemen cambrioleurs?”
Ally dandina sur place, et acquiesça timidement.
- “J’ai un petit faible pour les canailles...”
Simon la regarda avec un sourire en coin, passant en mode séducteur. Son regard finit par troubler Ally.
- “Quoi? lui sourit Ally.
- Les femmes disent souvent de moi que je suis une canaille...
- Vraiment?
- Oui...”
Ally détailla Simon. Elle n’avait pas vraiment fait attention à Simon jusque-là, mais en l’observant, elle le trouvait assez à son goût.
- “Vous avez l’air d’un gentil garçon, monsieur Ovronnaz...
- C’est Simon pour les jolies dames...
- Vous me trouvez jolie?
- Vous êtes la plus belle...”
Il lui saisit la main et la lui baisa avec délicatesse. La jeune avocate ne put s’empêcher de rougir. La journée se terminait bien, finalement.


Tribunal Civil de Manhattan
24 mars
9h02

Le procès débuta le lendemain matin, avec le débat contradictoire. L’accusation appela ses premiers témoins. La première à passer fut Jenyfer Connelly, un cadre du Groupe W, avec qui Largo avait souvent l’occasion de travailler puisqu’elle était une proche collaboratrice de Michel Cardignac, le Président de la Winch Airlines. A cause de ses liens avec ce dernier, elle avait l’air particulièrement vindicative à l’encontre de Largo.
Angus Carlton, l’avocat engagé par Cardignac, commença à l’interroger, sous le sourire satisfait de Michel, installé au premier rang parmi le public.
- “Mademoiselle Connelly, pourriez-vous me décrire le comportement de Monsieur Winch avec les femmes qui travaillent pour lui?
- Outrageux! tonna Jenyfer. C’est insupportable, il est toujours à nous sourire béatement, à nous lancer ses petits regards enjôleurs moulé dans sa garde-robe de play-boy. Il nous tient les portes, nous fait des compliments... C’est infernal! Toujours à vouloir nous séduire... On a l’impression qu’il ne sait faire que ça!
- Pensez-vous que cela nuise à ses compétences de PDG?
- Assurément. Il est censé diriger le plus gros groupe financier du monde, pas jouer les Don Juan! Ses employées sont troublées, elles font des erreurs et sont obligées de concentrer toute leur attention à maîtriser leurs hormones pour pouvoir travailler correctement en sa présence... Cet homme est un danger pour notre vie professionnelle et pour l’avenir des femmes au Groupe.”
Après plusieurs minutes d’aberrations de ce style, maître Carlton finit par laisser la place à Nelle. Elle fit un grand sourire à Jenyfer et commença à lui poser ses questions.
- “Mademoiselle Connelly, vous avez 33 ans, vous êtes brillante, vous êtes cadre supérieure de l’une des filiales les plus importantes du Groupe W, alors dites-moi, comment se fait-il que vous soyez aussi idiote? Vous avez sniffé votre shampoing à l’huile de jojoba ou quoi?
- Objection! cria Carlton.
- Retenue! Maître Porter, veuillez faire votre travail et ne pas insulter le témoin.
- Bon... soupira Nelle. Si vous y tenez. Alors en tant que femme d’affaires, donnez-moi votre opinion: quels seront les effets de ce procès sur le groupe, sur ses actions, par exemple?
- C’est difficile à prévoir. Il est probable qu’il y ait quelques fluctuations, mais si nous arrivons à nos fins et que Monsieur Winch est destitué de la direction du Groupe, nos actions remonteront.
- Pourquoi? Les actionnaires apprécient Largo Winch, il a une bonne image et il a très bien géré le Groupe depuis qu’il en a repris les rênes?
- C’est une façon de voir les choses... Et il n’a pas une si bonne image. C’est un aventurier, coureur de jupons, qui attire les ennuis au Groupe.
- C’est vous qui êtes à l’origine de cette pétition des employées du Groupe pour le renvoi de Largo Winch?
- Oui, et je suis fière d’avoir la première apposé ma signature.
- En avez-vous eu seule l’idée?
- Non... hésita-t-elle. J’ai été conseillée par mon mentor, Michel Cardignac.
- Monsieur Cardignac? Le président de la Winch Airlines? Tiens donc... Quel est l’opinion de Monsieur Cardignac sur Largo Winch?
- Objection, ouï dire! s’écria Carlton.
- Retenue.
- Est-il vrai que Michel Cardignac se soit énergiquement opposé à la nomination de Monsieur Winch à la succession de son père? poursuivit Nelle sans sourciller.
- Oui, mais il avait ses raisons. Monsieur Winch n’avait pas les compétences pour diriger un groupe de cette importance.
- Par contre lui les avait n’est-ce pas?
- Je pense que oui.
- Est-il exact que l’année dernière Monsieur Cardignac ait engagé une autre procédure de destitution de Monsieur Winch pour incompétence?
- Oui, je l’ai alors soutenu.
- Hum... La justice lui a-t-il donné raison?
- Non... admit difficilement Jenyfer.
- Donc ce procès n’est qu’une nouvelle tentative désespérée pour Monsieur Cardignac de se débarrasser de Largo Winch à la Présidence du Groupe W par ambition et par jalousie?
- Objection, spéculation, votre honneur!
- Retenue! Les jurés ne retiendront pas la dernière question de maître Porter.
- De toute façon, je n’ai plus de question votre honneur. J’ai soudainement envie de vomir...” Nelle claqua des talons. Elle eut un sourire méprisant envers Michel Cardignac et se rassit à sa place sous le regard médusé de Largo, qui n’était pas au bout de ses surprises avec ses avocats.
Puis, ce fut au tour de Gabriella d’être interrogée. Carlton lui fit dire ce qu’il voulait sur la manière que Largo avait de se comporter avec les femmes, un bagou et un charme trop ambigus pour que ses employées féminines puissent rester de marbre.
- “Comment qualifieriez-vous le fait de travailler pour Largo Winch, en quelques mots?
- Franchement? C’est quasi insoutenable. Non mais regardez-le! s’exclama-t-elle en désignant Largo aux membres féminins du jury. Il est irrésistible! Quand j’ai passé la journée avec un type comme ça, galant, charmant, sexy, qui se montre souriant et attentionné, comment voulez-vous que le soir, en rentrant à la maison, j’ai envie de coucher avec mon mari? Ca m’handicape sérieusement, et dans ma vie professionnelle, et dans ma vie personnelle.
- Merci.”
Carlton se tourna vers John.
- “Le témoin est à vous...”
John acquiesça mais il ne se leva pas et parut réfléchir. Au bout d’une interminable minute de silence, le juge commença à s’impatienter.
- “Maître Cage?
- Oh pardon, votre honneur... J’ai juste eu soudainement envie de m’assoupir... Je trouve ce procès très ennuyeux...
- Je doute que votre client partage votre point de vue, maître... le gronda le juge.
- Oui, bien sûr...”
John se leva alors, il lissa délicatement sa veste et prit soin de refermer son bouton, pour paraître plus cintré. Puis il s’avança doucement au sein du tribunal jusqu’au témoin. Comme ses pieds glissaient sur le sol, ses semelles orthopédiques commencèrent à grincer d’une manière comique. Largo, craignant le pire, se plongea la tête dans les mains.
- “Bonjour Gabriella... commença calmement John. Vous travaillez depuis combien de temps pour Largo Winch?
- Oh... Depuis qu’il est arrivé à New York pour prendre la succession de son père.
- Son père, Nério Winch?
- Oui, c’est ça.
- Vous travailliez pour qui avant?
- J’étais la secrétaire de son père.
- Son père, Nério Winch? répéta John, comme s’il était un peu idiot.
- Oui, je viens de vous le dire... répliqua Gabriella.
- Je voulais vérifier... D’après ce que disait la presse, Nério Winch était bien un séducteur et pourtant, vous ne l’avez jamais attaqué...
- Objection! s’écria Carlton. Ce n’est même pas une question, votre honneur.
- Retenue... approuva le juge. Maître Cage, veuillez formuler une question au témoin et vous abstenir de tout commentaire personnel.
- Bien sûr... Pourquoi pas? fit légèrement John. Que pensiez-vous du père de l’accusé ici présent? Nério Winch, c’est ça?
- Oui... acquiesça sèchement Gabriella. C’était un brillant homme d’affaires, très charismatique et intelligent.
- Oui, mais l’homme en lui-même. Le trouviez-vous séduisant?
- Objection! protesta Carlton. C’est hors sujet, votre honneur.
- Rejetée! s’exclama John, sous le regard halluciné de Largo.
- Maître Cage! gronda le juge.
- Excusez-moi, votre honneur, je sais que c’est à vous de rejeter les objections, mais celle-ci me paraissait tellement ridicule que je voulais vous en débarrasser. Nous accusons mon client d’être trop séduisant pour être un bon patron, alors j’essaie d’établir des parallèles avec son propre père, Nério Winch, qui lui-même était réputé être un séducteur fini.
- N’allez pas trop loin, maître Cage... Objection rejetée, reprit-il à l’intention de Carlton. Répondez à la question... dit-il ensuite à Gabriella.
- Oui, Nério Winch était séduisant.
- Séduisant comment?
- Je l’ignore... En tout cas, il faisait rarement ouvertement du charme à ses employées, à moins de vouloir vraiment sortir avec elles.
- Quel genre de charme avait Nério Winch?
- Il était... hésita Gabriella. Assez troublant à vrai dire... Il avait une sorte de magnétisme sur les femmes, qui étaient fascinées par lui.
- L’avez-vous déjà vu à l’œuvre avec les femmes?
- Oui, souvent.
- Etait-ce différent d’avec Largo Winch?
- Très. Nério Winch n’avait pas grand-chose à faire pour séduire les femmes, un seul regard suffisait, il les envoûtait par son charisme et sa puissance.
- Diriez-vous que la séduction était inhérente à sa personne?
- Euh oui...
- Donc même s’il ne tentait rien pour vous faire du charme, d’après ce que vous venez de dire, vous étiez quand même séduite?
- Euh... C’est-à-dire que...
- Répondez à la question s’il vous plaît, je n’aime pas qu’on hésite à répondre alors que la réponse est simple: oui ou non?
- Oui, dut-elle admettre.
- Donc vous étiez séduite par Nério Winch tout aussi bien que par son fils, mais pourtant vous n’avez jamais tenté d’action contre lui?
- Non.
- Cela vous a-t-il empêchée de faire votre travail?
- Non plus.
- Alors pourquoi attaquer monsieur Winch?
- Et bien euh...
- Vous hésitez... Dois-je vous faire à nouveau ma remarque sur les hésitations?
- Tout ce que je sais, reprit Gabriella peinant à conserver son sang-froid, c’est que Largo Winch est difficile à supporter dans le cadre du travail. Quand Michel Cardignac nous parlé de la pétition, nous...
- Michel Cardignac?
- Oui?
- Plus de question votre honneur.”
John alla se rasseoir sans un regard de plus sur Gabriella, et le juge lui dit qu’elle pouvait retourner s’asseoir.


Tribunal
12h43

Suite au percutant interrogatoire de John sur Gabriella, le juge suspendit les débats pour le déjeuner. Largo, souriant, frappa amicalement John sur les épaules tandis qu’ils entraient dans l’ascenseur du tribunal.
- “Vous avez été brillant... lui dit-il satisfait.
- Merci, mais je n’ai pas encore gagné.
- Largo montre toujours sa satisfaction aux personnes qu’il emploie, c’est sa manière de les motiver... expliqua sereinement Joy.
- Si tous les patrons pouvaient être comme vous...” soupira Nelle en franchissant l’ascenseur à son tour.
Largo lui serra la main.
- “Très bel interrogatoire également.
- Merci. Ca a l’air de vous étonner?
- Eh bien... hésita Largo.
- Ce que Largo essaie de vous dire... expliqua Simon, c’est que vous êtes tous cinglés!”
Surprise, Ally faillit glisser et s’étaler contre la paroi de l’ascenseur. Simon la retint juste à temps.
- “Merci... lui sourit-elle. Quels réflexes...
- Ce que Simon voulait vous dire, reprit Largo, c’est que vos personnalités sont si... originales, qu’on se demandait ce que vous pouviez valoir comme avocats.
- Écoutez, ce n’est pas pour rien que notre Cabinet gagne 91% de ses affaires... se contenta de répliquer Nelle.
- Mais vous admettez quand même que vous êtes cinglés, dites?” insista Simon.
Nelle, Ally et John se regardèrent. Au bout d’un moment ils finirent par acquiescer tous en même temps.
- “Oui, on est un peu maboules. Surtout eux... fit Nelle.
- Poki-poki-poki... bégaya John.
- On se rattrape comme on peut en étant des professionnels très talentueux, affirma Ally avec force.
- Rassurez-vous... lui sourit Simon. Vous êtes cinglée, mais ça ne vous empêche pas d’avoir beaucoup de charme, de présence et de séduction...
- Merci...” répondit John.
Tous le regardèrent.
- “Je m’adressais à Ally...” le corrigea Simon.
Embarrassé, John siffla du nez. Largo eut un grand sourire. Il commençait à s’habituer aux manies de ce petit bonhomme bizarre et il était persuadé qu’il pouvait gagner son procès. Distraitement, il prit Joy par la taille et l’entraîna à sa suite, tandis que les portes de l’ascenseur s’ouvraient et que le petit groupe se préparait à aller déjeuner. La jeune garde du corps se laissa faire, habituée à ce type de traitement affectueux. De loin, on aurait vraiment dit un couple.


Tribunal
14h39

Après la pause déjeuner, les débats reprirent avec le questionnement de Donna Martino, une assistante de Largo, qui avait remplacé Marissa à son poste après sa trahison. Ce fut au tour d’Ally de l’interroger.
- “Mademoiselle Martino... Dites-moi, qu’est-ce qui vous séduit chez Largo Winch? demanda-t-elle.
- La même chose que ce qui vous séduit chez lui.” rétorqua la femme avec beaucoup d’assurance.
Ally devint rouge comme une pivoine.
- “En fait, moi je préfère son chef de la sécurité...” sourit Ally d’un air évocateur.
Le témoin la regarda surprise. Le sourire d’Ally disparut soudain.
- “Quoi? J’ai dit ça à haute voix? Je... Je...”
Elle était très embarrassée et elle se tourna vers Simon, qui la regardait dans le public de la salle d’audience et elle le pointa du doigt.
- “Attention, hein! lui adressa-t-elle. Ca ne veut pas dire que je sois un coup sans risque ou une fille facile!”
Simon lui sourit et lui envoya un baiser de la main avec énergie. Ally rougit à nouveau. Le juge commença à s’impatienter.
- “Maître MacBeal, rassurez-vous, personne dans ce tribunal ne vous prend pour une fille facile. Interrogez le témoin à présent...
- Oui, excusez-moi votre honneur...
- J’ai l’habitude...” maugréa le juge.
Ally se tourna vers Donna tandis que Simon tapait Largo sur l’épaule et lui faisait un clin d’œil en désignant Ally. Largo lui sourit: apparemment la jolie avocate avait tapé dans l’œil de son meilleur ami.
- “Je reprends... fit Ally. Pouvez-vous nous décrire ce qu’il vous plaît chez Largo Winch?
- Il est beau comme un Dieu, jeune, élégant. Il est riche, ce qui n’est pas négligeable et il a beaucoup de pouvoir. En plus de tout ça, il a beaucoup d’éducation et de classe, il sait parler aux femmes.
- Oui, je vois ce que vous voulez dire... C’est le prototype même du Prince Charmant, celui dont rêvent les petites filles?
- Exactement, approuva Donna. Toutes les femmes rêvent de rencontrer ce genre d’hommes et de l’épouser, c’est pour ça qu’il est irrésistible. On a l’impression d’être dans un rêve quand Largo Winch nous fait un sourire charmeur ou nous dit quelques mots gentils.
- Comme dans un conte de fées?
- Tout à fait.”
Ally hocha la tête et garda le silence un instant.
- “C’est très romantique... Pour résumer votre pensée, il vous est difficile de travailler chaque jour avec Monsieur Winch parce qu’il est l’incarnation du fantasme féminin de l’homme idéal?
- C’est cela, oui...
- Dites-moi, êtes-vous mariée?
- Oui, depuis six ans.
- Comment s’appelle votre mari?
- Il s’appelle Robert... sourit Donna.
- Oh... Je vous envie vous savez... soupira Ally. Moi je vais avoir trente-deux ans et je n’ai jamais été mariée... Je suis désespérément célibataire... Qu’est-ce qui vous a plu chez votre mari?
- Je ne saurais vous l’expliquer... Robert est un homme doux, sécurisant, attentionné. Et il est très drôle et chaleureux. C’est aussi un très bon père...
- Quand vous l’avez vu la première fois, qu’avez-vous pensé?
- Euh... Je ne sais plus... hésita Donna, un peu désorientée par les questions d’Ally. C’était lors d’une fête chez des amis communs... J’ai dû me dire qu’il était sympathique...
- Avez-vous pensé que c’était le Prince Charmant?
- Oh mon Dieu non! reprit-elle en souriant. Pour vous dire la vérité, il avait un coup dans le nez, il y a plus charmant.
- Mais vous avez quand même fini par l’épouser?
- Oui, bien sûr.
- Même s’il n’était pas aussi charmant que monsieur Winch?
- Ca n’a rien à voir. Je suis censée travailler pour Largo Winch, mais je fantasme sur lui, ça me déconcentre et m’empêche d’être opérationnelle.
- Avez-vous trompé votre mari avec Largo Winch?
- Bien sûr que non! s’offusqua Donna.
- Et pourquoi?
- Parce que j’aime mon mari, voyons... expliqua Donna.
- Donc vous admettez qu’il y a une différence entre fantasmer pour son patron, ce qui est une chose courante, et tomber amoureuse de son patron? Etes-vous amoureuse de Largo Winch?
- Non, évidemment...
- Et s’il vous faisait des avances directes, y répondriez-vous?
- Non, je vous l’ai dit, j’aime mon mari.
- Donc vos fantasmes sur Largo Winch ne vous empêchent pas d’être heureuse et fidèle à votre mari?
- Non.
- Et pourtant ils vous empêcheraient de faire votre travail?
- Eh bien... Euh...
- Ally, ton témoin hésite, tu devrais la gronder... s’exclama alors John qui observait jusque-là l’interrogatoire sans broncher.
- Tu as raison John... sourit-elle. Vous hésitez? Répondez à la question.
- Rien... Effectivement... dut admettre Donna à contrecœur.
- Plus de questions votre honneur...”
Satisfaite d’elle, Ally retourna s’asseoir près de Largo, John et Nelle, apercevant au passage Simon, qui fièrement, applaudissait sa prestation.


Tribunal
25 mars
11h43

La deuxième journée de débats se promettait d’être décisive. La matinée acheva de faire passer les derniers témoins de l’accusation puis ce fut au tour de John, Nelle et Ally d’appeler leurs témoins, gageant de la bonne gestion du Groupe par Largo et du ridicule des accusations portées à son encontre. Peu avant midi vint le tour de Joy d’être interrogée. Sûre d’elle et sereine, la jeune femme se dirigea vers la barre des témoins de sa démarche discrète et féline.
Elle portait une jupe noire largement fendue sur le côté et un pull-over rose, légèrement transparent qui laissait deviner son soutien-gorge noir. Classe, sexy et élégante, comme le lui avait demandé John. En traversant le tribunal, elle jeta des petits regards vers les membres du jury, accompagnés d’un mince sourire sensuel. Elle devait laisser à tout le monde l’impression d’être une femme très charmante et séduisante et elle avait parfaitement réussi son coup: même le juge semblait troublé par sa présence. Quant à Largo... Vous connaissez la définition du mot subjugué?
Une fois qu’elle se fut assise et eut juré de dire toute la vérité, rien que la vérité, etc., John s’avança en couinant des chaussures pour l’interroger. Il lui fit un sourire crispé pour tenter de masquer son trouble face à une aussi belle femme. Pour une fois, le juge, encore sous le choc de l’entrée de la jeune femme, ne le pressa pas de commencer son interrogatoire au plus vite.
- “Bonjour mademoiselle... finit par articuler John. Pouvez-vous vous présenter, s’il vous plaît?
- Bien sûr...”
Sa voix était douce et pleine d’assurance. Un frisson traversa la salle.
- “Je suis Joy Arden, garde du corps de Largo Winch.
- Hum... En quoi consiste votre métier?
- Je dois assurer la sécurité et la protection de Monsieur Winch lors de chacun de ses déplacements.
- Vous passez donc beaucoup de temps avec lui?
- Je le suis partout.
- Il en a de la chance!” éclata une voix dans le tribunal.
Tous se retournèrent et virent Richard s’installer dans le public, ne pouvant résister au plaisir de voir la fameuse et sexy garde du corps passer à la casserole.
- “Hum... Poki-poki-poki... bafouilla John. Pardonnez-moi... Cela dit, il a raison, je crois que beaucoup d’hommes dans cette assistance vous trouvent, ma foi, charmante, et seraient tentés de vous avoir à temps plein pour garder leurs corps...
- Si vous le dites... répondit simplement Joy, sans laisser paraître le moindre trouble.
- Mademoiselle Arden, Monsieur Winch vous a-t-il déjà attaquée?
- Non, pourquoi ferait-il une chose pareille?
- Oh pour rien... hésita John. Je me disais juste que ça devait être difficile de faire son travail correctement lorsqu’on est suivi dans tous ses déplacements par une femme comme vous...”
Il y eut des rires et des murmures secouant la salle. Puis, John redevint sérieux.
- “Mademoiselle Arden, pouvons-nous dire que vous êtes la plus proche collaboratrice féminine de Monsieur Winch?
- Oui, je le suis.
- Vous a-t-on proposé de signer la pétition réclamant le renvoi de Monsieur Winch?
- Oui.
- Et qu’avez-vous répondu?
- Non, évidemment.
- Pour quelle raison?
- Je trouve cette histoire douteuse. Ca n’a aucun sens de vouloir destituer un PDG de la direction de sa compagnie sous prétexte qu’il est séduisant, c’est discriminatoire et absurde. De plus, je connais bien Largo et je peux vous dire que ça n’a rien d’infernal que de travailler pour lui. C’est probablement le meilleur patron que j’ai eu.
- Pourquoi?
- Un patron qui traite ses employés comme des êtres humains et non comme des esclaves, c’est suffisamment rare pour qu’on l’apprécie à sa juste valeur... décocha-t-elle avec conviction.
- Et que pensez-vous de son attitude avec les femmes?”
Joy haussa les épaules.
- “Largo est un séducteur, il aime faire plaisir aux femmes. Mais jamais je ne l’ai vu abuser de sa position ou troubler volontairement outre mesure une de ses employées.
- Et vous-même?”
John s’écarta un peu d’elle pour que le jury puisse l’observer attentivement. Il lui désigna Largo qui dévorait sa Joy du regard tout en essayant de rester impassible.
- “C’est un beau jeune homme, vous êtes une femme très désirable, comme chacun a pu le remarquer au sein de ce tribunal d’ailleurs, vous formeriez certainement un couple séduisant. La tension sexuelle doit être très forte entre vous deux, non?”
Joy tenta de calmer le trouble qui l’envahissait tandis qu’elle regardait Largo, qui la scrutait attentivement de son regard azur.
- “Je dois admettre que Largo est très bel homme, mais ça ne m’a jamais empêchée de rester concentrée et de faire mon travail de la meilleure manière. La preuve: il est toujours en vie.”
A cette remarque, Largo esquissa un sourire, ce qui acheva de troubler la jeune garde du corps.
- “Donc, ce que vous essayez de nous dire, Mademoiselle Arden, c’est que si la plus proche collaboratrice de Largo Winch est capable de faire son travail impeccablement sans être perturbée par le physique ou le charme de son patron, il devrait en être de même pour toutes ses employées?
- C’est exactement ce que je pense. Ce sont des professionnelles, non? Elles ont été engagées pour faire un travail et je ne vois pas en quoi Largo les en empêche, et croyez-moi, je le suis tous les jours, et je n’ai jamais rien vu d’handicapant dans la manière qu’il traitait ses collaboratrices.
- Merci, mademoiselle Arden. Plus de questions.”
John retourna s’asseoir, ses chaussures couinant toujours. Mais plus personne ne le remarquait. Comme le juge ne disait rien, Joy tourna vers lui un regard interrogateur. Celui-ci, jusqu’alors envoûté par la présence de la jeune femme, parut enfin émerger.
- “Euh... Oui... Bon... Reprise des débats cet après-midi à 14 heures.”
Il donna un petit coup de marteau et la salle fut évacuée.


Cage et Fish
12h12

Lors de la pause de midi, Michel Cardignac eut une discussion mouvementée avec Angus Carlton, l’avocat chargé de l’accusation. Carlton lui avait dit que leur affaire se présentait mal, Cage et compagnie avaient réussi à semer le doute sur la légitimité de cette affaire et le témoignage de Joy avait démoli leur argument principal sur l’impossibilité de se concentrer et de rester professionnel face à Winch. Carlton lui avait dit que s’il ne trouvait pas de meilleur argument, ils seraient dans la panade. Furieux, Cardignac avait décidé de trouver la garde du corps et de l’énerver pour la déstabiliser avant son contre-interrogatoire. Ne sachant où la trouver, il alla chez Cage et Fish.
Aussitôt arrivé, il se trouva nez à nez avec Elaine qui se frotta à lui.
- “Bonjour vous... fit-elle d’un sourire sensuel. Je m’appelle Elaine. Vous me désirez?
- Pardon? s’étonna Cardignac, peu habitué à ce qu’on lui fasse un tel rentre-dedans .
- Oops... fit-elle en se mettant la main devant la bouche. Je voulais dire, vous désirez?
- Euh... Je cherche Joy Arden..
- Elle est partie déjeuner avec Largo Winch et son chef de la sécurité.
- Génial... La journée est parfaite... maugréa Michel.
- Pourquoi vous la cherchez? Vous êtes son petit-ami?
- Moi? Non, quelle idée! grogna Michel.
- Tant mieux...” sourit Elaine avec concupiscence.
Gêné, Michel défit légèrement sa cravate pour avoir plus d’air.
- “Heureusement pour vous... continua-t-elle.
- Pourquoi?
- C’est une vraie nymphomane... Ling m’a dit qu’elle lui volait tous ses petits-copains quand elles étaient au lycée ensemble...
- Ah bon? Ca ne lui ressemble pas... On dirait plutôt une fille glaciale... commenta Michel.
- Le feu sous la glace oui... Si vous l’aviez vu l’autre jour rouler une pelle à son patron, devant tout le monde...”
Michel tiqua.
- “Quoi? C’est bizarre... Pourtant je travaille avec eux au Groupe et ils ne m’en ont pas parlé...
- Ca vous dirait que je vous donne tous les détails? s’anima Elaine. J’adore les commérages.
- Moi aussi, j’adore ça... Parlons-en autour d’un café...”
Michel proposa son bras à Elaine qui l’accompagna aussitôt tandis que Michel réprimait un petit sourire de Piloui conspirateur.


Tribunal
13h34

Une heure plus tard, Joy était appelée à la barre pour qu’Angus Carlton procède à son contre-interrogatoire.
- “Bonjour Joy... commença Angus avec un large sourire. Vous permettez que je vous appelle Joy?”
Un petit cliquetis résonna dans la salle d’audience. John venait d’actionner un criquet.
- “Maître Cage? l’interrogea le juge.
- Pardonnez-moi votre Honneur, je souffre d’une légère infection de la gorge et dorénavant j’exprimerai mes objections à l’aide de mon criquet.
- Si ça vous fait plaisir... soupira le juge. Et puis-je savoir pourquoi vous voulez objecter?
- C’est évident votre honneur... L’avocat de la partie adverse souhaite appeler le témoin par son prénom pour la mettre en confiance et la manipuler. Il a une sale idée derrière la tête et je voulais dire que je suis révolté.
- C’était une objection très intéressante maître Cage, mais sans le moindre fondement. Poursuivez maître Carlton.
- Donc... fit Carlton après avoir cligné des yeux pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Vous...”
Le nez de John siffla. Angus se tourna vers lui et le fusilla du regard. John fit un geste pour s’excuser et il s’enfonça dans son siège.
- “Donc Joy... reprit Carlton. Vous êtes la garde du corps de Largo Winch?
- Oui.
- Votre but est de le protéger coûte que coûte, n’est-ce pas?
- Oui.
- Pensez-vous être objective lors de ce procès?
- Bien sûr.
- Pourtant, vous n’avez jamais caché l’admiration que vous vouez à cet homme, ai-je tort?
- Je l’admire énormément, oui. Mais ça ne change rien à ce que j’ai dit précédemment. J’ai toujours gardé mon sang-froid aux côtés de Largo, dans toutes les situations, et je suis professionnelle. - Oui, enfin c’est ce que vous dites...”
Cage cliqua avec son criquet.
- “Votre Honneur, je crois que maître Carlton met en doute la parole de Mademoiselle Arden...
- Objection retenue. Maître Carlton, interrogez le témoin et abstenez-vous de tout commentaire.
- Je rajoute que, comme je l’avais prévu tout à l’heure, continua John, maître Carlton a fait semblant d’être aimable avec mademoiselle Arden et à présent il est particulièrement désagréable. J’avais raison, il est malsain.
- Maître Cage... soupira le juge. Fermez-la!”
John siffla du nez et bégaya un poki-poki-poki. Puis, Carlton reprit le contre-interrogatoire.
- “Comment décririez-vous vos rapports avec Largo Winch? demanda-t-il à Joy.
- Ils sont excellents. C’est un patron qui respecte ses employés. Comme je suis amenée à passer beaucoup de temps avec lui, nous sommes devenus amis.
- Amis? Quelle genre d’amitié?
- Une amitié sincère et respectueuse.
- Platonique?
- Oui, tout à fait, platonique.”
Largo esquissa un sourire. Il admirait le self-contrôle de Joy, car il savait que lui aurait craqué devant ce petit parvenu narquois et ses minables sous-entendus. Angus, de son côté, continuait sur sa lancée.
- “Vous affirmez être toujours professionnelle et mettre de côté votre attirance pour votre patron, est-ce exact?
- Oui.
- Vraiment?”
Largo s’énervait de plus en plus contre Carlton tandis que John activait son criquet pour énoncer que son confrère ne posait même pas de question à Joy et mettait à nouveau sa parole en doute. Angus s’excusa et poursuivit.
- “Pouvez-vous me parlez, Joy, de la journée d’avant-hier?”
Joy parut surprise.
- “Pourquoi cela?
- C’est à moi de poser les questions ici...”
Le criquet retentit.
- “Votre Honneur, c’est inacceptable...”
Le juge fit signe à John de se taire.
- “Veuillez en venir au fait, maître Carlton.
- Bien votre honneur. Joy, est-il vrai qu’avant-hier, dans l’après-midi, au Cabinet Cage et Fish, vous ayez eu comme... Une sorte de perte de contrôle face au charme de Monsieur Winch?”
Joy lui lança un regard noir. Elle savait pertinemment qu’il parlait du baiser qu’elle avait malencontreusement donné à Largo, elle qui avait tout fait pour qu’il l’oublie... Largo, pendant ce temps, devenait très crispé.
- “Ca n’avait rien de... commença-t-elle.
- Je ne vous demande pas de vous justifier mais d’expliquer à la Cour ce qu’il s’est produit... fit Angus d’un air particulièrement narquois.
- J’ai... Hum... hésita-t-elle en s’éclaircissant la voix. J’ai embrassé Largo...” finit-elle par dire très vite, comme pour enlever un sparadrap trop collant.
Il y eut des murmures dans la salle d’audience.
- “Ce n’est pas du tout ce que vous croyez... reprit-elle.
- Oh? Mais dites-nous, que croyons-nous?” se moqua Carlton.
Largo, dans son coin, avait une furieuse envie de lui mettre son poing dans la figure: on ne parle pas comme ça à sa Joy...
- “Ca n’avait rien de personnel... commença-t-elle.
- Ah je vois... Vous avez donc embrassé votre patron d’une manière professionnelle?”
Largo remuait nerveusement dans son fauteuil.
- “Qu’est-ce que vous attendez pour objecter, vous? grogna-t-il à John.
- Ce serait préjudiciable. Le jury croirait que cette histoire nous embarrasse.
- Mais cette histoire nous embarrasse!
- Laissez-moi faire...”
Largo ne dit plus rien mais il se sentait de plus en plus furieux.
- “Ce que je voulais dire... reprit Joy.
- Laissez ce que vous vouliez dire... la coupa Carlton. Les raisons pour lesquelles vous vous êtes jetée, devant témoins, pour embrasser votre patron comme une furie, ne nous intéressent pas vraiment. Mais seriez-vous prête à nous dire à nouveau que vous êtes capable de travailler avec Largo Winch en faisant abstraction de sa séduction?
- Oui, je le suis!
- Vous n’êtes pas crédible!
- Cette histoire avait un contexte...
- Donc vous restez professionnelle et vous êtes de marbre avec Largo Winch que lorsqu’il n’y a pas de contexte?”
Largo s’agitait de plus en plus, bouillonnant intérieurement contre ce type. Il avait une folle envie de voler au secours de sa garde du corps (ce qui était paradoxal...).
- “Ce que je voulais dire, c’est qu’en temps normal je n’aurais pas fait ça... parvint à placer Joy.
- Alors pourquoi l’avez-vous fait?
- J’étais en colère contre une amie et...
- Et c’est bien connu, on embrasse toujours son patron quand on est en colère contre ses amis? la nargua-t-il.
- Je reconnais que c’était stupide...
- Stupide? l’interrompit Carlton. Vous dites que vous êtes stupide? Vous voudriez que le jury repose sa décision sur les propos d’un témoin stupide?”
Largo n’y tint pas une seconde de plus et il se leva de son siège, fou de rage.
- “Ca suffit!” cria-t-il.
Angus parut surpris de l’intervention de Winch, tandis que Cardignac jubilait.
- “Je ne vous permets pas de l’insulter! poursuivit-il, tremblant de colère.
- On dirait que j’ai touché une corde sensible... fit Angus.
- Monsieur Winch, veuillez vous calmer et vous asseoir... le gronda le juge.
- Je n’en ai pas l’intention, le défia Largo. Qu’est-ce que c’est que cette parodie de procès? Vous appelez ça interroger un témoin? Vous vous contentez de la harceler de questions et de la rabaisser sans vouloir écouter ce qu’elle a à vous dire! L’intégrité? La déontologie? Ca vous dit quelque chose ou ce sont des mots nouveaux?
- Monsieur Winch! tenta de le rappeler à l’ordre le juge.
- Quoi? Vous prenez le parti de cet avocat de pacotille qui a piqué son diplôme de droit dans une pochette surprise?
- Monsieur Winch, si vous ne vous rasseyez pas, je serai contraint de vous condamner pour outrage à magistrat!
- Alors ça, je m’en fiche royalement!”
Une série de cliquetis se fit entendre. John se leva.
- “Objection votre Honneur!”
Le juge le regarda surpris.
- “Vous objectez votre propre client, maître Cage?
- Rejetée... admit Cage.
- Maître Cage, c’est à moi de rejeter les objections, ici!
- Poki-poki-poki...
- Ca suffit! s’énerva le juge. Je suspend les débats jusqu’à demain matin! Maître Cage, maître Carlton, je veux vous voir dans mon bureau dans les cinq minutes et que ça saute!”
Le coup de marteau retentit, sonnant le glas de ces débats mouvementés.


Cage et Fish, Bureau de John Cage
15h00

Au Cabinet Cage et Fish, John quitta l’ascenseur comme une flèche, visiblement pas content du tout. Il fonça vers son bureau, suivi par Nelle, Ally et Largo qui indiqua à Simon et Joy de l’attendre dehors. A peine eurent-ils fermé la porte du bureau de John qu’Elaine se collait l’oreille à la porte.
Dans son bureau, John posa sa mallette et retira son manteau en quelques mouvements d’épaules. Puis il fixa Largo qui restait debout, mains dans les poches de sa veste, mais l’air grave.
- “C’est inacceptable, monsieur Winch. Vous ne nous avez pas rendu les choses faciles...
- Qu’auriez-vous voulu que je fasse? éclata Largo. Que je laisse cet avocat véreux insulter Joy?
- Oui, la presse disait que vous étiez du genre gentleman qui vole au secours des pauvres demoiselles... fit cyniquement Nelle.
- Et alors, c’est un défaut?
- Non, Largo... expliqua plus calmement Ally. Mais c’est exactement ce que veut démontrer la partie adverse: que votre attitude avec les femmes est préjudiciable à leur travail et au votre. Votre réaction violente montre que vous ne savez pas contrôler vos émotions dès qu’il s’agit des femmes.”
Largo se laissa tomber dans le canapé du bureau de John. Il était soucieux, mais ce dont ses avocats ne se doutaient pas, c’était qu’il ne pensait pas du tout à son procès, mais plutôt à une personne.
- “Vous avez brouillé notre jeu... poursuivit John. Notre méthode repose sur une certaine latitude du juge. Après cette escarmouche, il ne va plus nous lâcher, c’est ennuyeux. J’ai déjà eu beaucoup de mal à le convaincre de ne pas vous poursuivre pour outrage à magistrat. Entre nous, je crois qu’il a renoncé parce qu’il n’appréciait pas qu’on descende votre garde du corps... Il a dû flasher sur elle...
- Comment Carlton a-t-il su pour ce baiser? Ca s’est passé dans notre Cabinet...” s’interrogea Nelle.
Ally eut alors un regard sombre. Elle ouvrit brusquement la porte du bureau de John et Elaine s’écroula sur la moquette.
- “Elaine!” gueula-t-elle.
La secrétaire se releva tant bien que mal et se défroissa les vêtements.
- “Oui Ally?
- Vous avez tout entendu, pas la peine que je vous pose la question, alors?”
Elaine plia sous le regard sévère d’Ally.
- “Il se pourrait que j’en ai un petit peu parlé à certaines personnes...”
John parut très affecté par ce que venait de dire Elaine.
- “C’est inacceptable, Elaine!”
Puis, il quitta le bureau, furieux. Ally continua à interroger la secrétaire du regard.
- “Ce midi, un homme est venu, il a dit qu’il travaillait pour le Groupe W, je pensais qu’il était avec vous...
- Un petit brun à tête de fouine, en costard sombre, coiffé comme un boy-scout? demanda Largo.
- Oui...
- C’est Cardignac... broncha Largo.
- Celui-là, il vous en veut... commenta Nelle.
- Pourquoi je ne l’ai pas viré, je me demande...” pensa Largo pour lui-même.
Leur conversation fut interrompue par Mark qui entrait précipitamment dans le bureau.
- “Hey venez voir, le biscuit fait sa crise!”
Tous se ruèrent hors du bureau.


Toilettes mixtes
15h16

Alertés par Mark, tous le suivirent jusqu’aux toilettes où Richard, Elaine, Jackson, Ling, Simon et Joy s’étaient déjà précipités pour assister au marasme. En effet, John, inquiet par la tournure du procès et énervé par l’attitude de Largo et les révélations d’Elaine, s’était rendu directement aux toilettes, où il s’était accroché, comme s’il s’agissait d’une barre perpendiculaire d’exercice. Il tournait autour, en un mouvement de roulis souple et régulier, à très grande vitesse.
- “Mais il fait quoi là? s’étonna Largo.
- Oh ne vous inquiétez pas... sourit Richard. Il fait toujours le soleil quand il est énervé. Ca le calme.
- Le soleil?
- Pauvre Renée...” marmonna alors Ally.
En effet, Renée, qui sortait malencontreusement des toilettes quand John avait commencé à faire le soleil, était coincée, car elle ne pouvait pas passer John, sous peine de recevoir ses pieds en pleine figure. A chaque fois qu’il tournait dans un autre sens, elle essayait de passer, mais la brèche était trop étroite et brève.
- “Hey... Au lieu d’admirer ses exploits de gymnaste, vous pourriez lui dire d’arrêter? Je compte pas y passer la nuit!”
Ally donna un coup de coude à Richard.
- “Quoi? fit celui-ci, occupé à lancer des sourires pervers à Joy, qui ne le remarquait même pas, fascinée par le roue incessante de John.
- Va lui parler!
- Mais pourquoi moi?
- C’est ton meilleur ami.
- Si tu y tiens...”
Richard s’avança d’un pas. Il claqua des mains.
- “John, tu sais que je t’aime bien mais tu ne résoudras pas tes problèmes comme ça... Je sais que tu vas avoir quarante ans, que tu es tout seul, pas très beau et que tu es bizarre avec tes bégaiements, mais un jour tu trouveras l’âme sœur... Enfin peut-être... De toute façon, tu as de l’argent. Que demander de plus? John?”
Le discours éloquent de Richard ne l’avait pas calmé, au contraire, la roue était de plus en plus saccadée. Ally frappa Richard.
- “Ben quoi?
- Merci de lui avoir parlé de sa vie privée inexistante depuis que Melanie a refusé de l’épouser... Il était juste en colère à cause du procès jusque là...
- Oh? J’ai gaffé?
- Pas étonnant...
- Je ne pouvais pas savoir... Et puis va lui parler, toi! l’exhorta-t-il. Vous êtes aussi maboules l’un que l’autre, vous devriez vous comprendre..
. - Richard! grogna Ally en lui désignant Simon.
- T’en fais pas, il sait déjà que t’es une fille louche. De toute façon, que tu sois maboule n’enlève rien au fait que tu sois un bon coup... J’ai pas raison?”
Ally eut un petit grognement de roquet. Ling eut un sourire.
- “Elle essaie de grogner comme moi... C’est attendrissant mais très mal imité.
- Évidemment, quand on prend exemple sur un grognement bas de gamme...”
Il y eut un concours de regard noir entre Joy et Ling. Puis Ally s’approcha de John.
- “John? Tu veux bien arrêter, s’il te plaît? Je sais que tu as la pression avec ce procès parce que Largo Winch est un client important, mais ça va sûrement s’arranger... Tu es un excellent avocat... Tu trouves toujours une parade... Calme-toi, s’il te plaît...”
John ralentit le rythme, mais ne s’arrêtait toujours pas. Ally soupira et haussa les épaules.
- “Je ne sais pas quoi faire.
- Mais trouvez! gueula Renée toujours coincée. Je suis attendue au tribunal dans vingt minutes, moi!
- Je suis désolée Renée... Il va finir par se fatiguer... Sois patiente...
- Et comment je vais expliquer mon retard au juge, moi? Je vais lui dire que le biscuit s’entraîne pour les JO?”


Chez Carlyle’s, restaurant branché à Soho
21h20

Plus tard dans la soirée, Simon et Ally évacuaient la pression du procès en dînant ensemble. Ils passaient une excellente soirée et le courant passait très bien entre eux.
- “Cette affaire a l’air de vous tenir à cœur... remarqua Ally.
- Hey, on peut se tutoyer, non? s’exclama Simon d’un air enjoué. Ouais, je suis inquiet pour mon pote... Au début, il ne voulait pas entendre parler du Groupe W parce qu’il ne s’entendait pas bien avec son père... Et puis, il a découvert des choses sur lui... Nério était plutôt un bonhomme ambigu... Le Groupe est le seul lien qu’il lui reste avec son père et Largo refuse de laisser la compagnie à n’importe qui alors que c’était toute la vie de son père et aussi ce qui les a séparé... En plus, je crois qu’il commence à se faire à cette vie...
- Qui ne se ferait pas à une vie de milliardaire?
- Oh non! Largo n’est pas comme ça... L’argent ne l’a pas changé, juste les responsabilités... Tu sais, il a découvert qu’avec les moyens du Groupe il pouvait réaliser de grandes choses, alors il en profite... C’est un idéaliste.
- On dirait que tu l’admires beaucoup...
- C’est vrai, mon pote, ce n’est pas n’importe qui... Ca ne veut pas dire qu’il soit parfait... Parfois il mériterait des baffes...
- Pourquoi? sourit Ally.
- Exemple... Avec Joy! Il s’y est pris comme un pied avec elle depuis le premier jour et il continue à se planter... Cette histoire de baiser, ça l’a bouleversée: tu n’as pas remarqué qu’elle faisait tout pour éviter d’être dans la même pièce que lui depuis que c’est arrivé? Avec l’interrogatoire de Carlton, les choses ont empirées... Elle croit qu’il ne ressent rien pour elle, donc elle balise et n’ose pas l’affronter. Et lui, évidemment, monsieur je plane dans les hautes sphères et je suis complètement idiot dès qu’il s’agit de femmes, il ne remarque rien ou alors fait semblant de ne pas voir...
- Pour quelle raison?
- C’est pas évident? s’anima Simon. Le grand séducteur qu’il est ne sait pas à quel saint se vouer parce que pour la première fois de sa vie, il rencontre une femme qui compte vraiment pour lui. Une femme qu’il aime.
- C’est intéressant... réfléchit Ally.
- Tu as une idée derrière la tête, toi?
- Ca se voit tant que ça? sourit-elle candidement.
- Ne fais pas n’importe quoi, s’il apprend que je t’ai parlé de ça, il va m’étriper...
- Allons, il te connaît bien, il doit savoir que tu parles trop...”
Simon soupira et le dîner se poursuivit dans une ambiance des plus chaleureuses.


Cage et Fish
26 mars
8h05

Le lendemain matin, lorsqu’Ally arriva au Cabinet après sa longue nuit, elle entendit tout de suite les notes de cornemuse qui émanaient du bureau de John. Elle stoppa net et fut rejointe par Elaine et Richard.
- “Ca fait plus d’une heure qu’il joue... s’inquiéta Elaine.
- Salut Ally!” fit énergiquement Richard.
Il la renifla d’un air curieux pendant quelques secondes.
- “Oh... Toi, t’as fait l’amour hier?”
Ally rougit jusqu’aux oreilles.
- “Génial... Tu seras un peu plus compétente dans les semaines à venir... T’es comme un sportif de haut niveau, t’as besoin de te doper pour être opérationnelle... Passons... Occupe-toi de John, s’il joue de la cornemuse c’est qu’il n’a pas trouvé d’idée...”
Puis Richard repartit aussi rapidement qu’il était arrivé et vaqua à ses occupations. Ally délaissa les messages que lui tendait Elaine et entra dans le bureau de John. Surpris, il joua une fausse note et fixa Ally en colère.
- “Tu m’as interrompu! Je suis très...
- J’ai un truc!”
John parut surpris.
- “Un truc?
- Une stratégie. Tu vas aimer.”
Le nez de John siffla et il posa sa cornemuse pour écouter ce qu’Ally avait à lui dire.


Cage et Fish
10h04

Deux heures plus tard, Largo et sa fine équipe arrivaient au Cabinet, sortant de l’ascenseur tous les trois en même temps, sur une musique solennelle. Ils furent tout de suite accueillis par Richard qui semblait agité et d’une particulière bonne humeur.
- “Pognon, pognon, pognon et pognon! s’exclama-t-il en voyant Largo. Vous allez être content de nous!
- Vous avez du nouveau? s’enquit Largo.
- Ally et John ont élaboré une nouvelle tactique d’attaque pour rattraper le contre-interrogatoire de votre très sexy et excitante garde du corps...
- Où est Cage? fit Largo en ignorant Joy qui fusillait du regard Richard.
- Aux toilettes. Il cherche Barry White.”
Les membres de l’Intel Unit le fixèrent surpris.
- “Comment ça? Barry White est ici? demanda Simon.
- Non... John le cherche, c’est sa technique de concentration... C’est très impressionnant, venez voir...”
Richard les fit signe de le suivre. Au dernier moment, Joy aperçut Ling et se figea sur place.
- “Tiens... Une garce... fit-elle.
- Ce que c’est vulgaire... Enfin, tellement toi, Joy...”
Les deux jeunes femmes commencèrent à se lancer des regards noirs et des grognements, si bien que les hommes les laissèrent et se dirigèrent vers les toilettes en haussant les épaules.


Toilettes mixtes
10h07

Lorsque Largo, Simon et Richard parvinrent aux toilettes, Mark et Jackson s’étaient déjà installés aux premières loges pour voir “le maître” entamer sa quête de Barry White. Sans trop comprendre, Simon et Largo s’installèrent aux côtés des autres, totalement subjugués et admiratifs, pour observer.
John était debout devant le miroir. Il avait retiré sa veste et se trouvait en chemise à arranger son col. Il se regardait attentivement tandis que sa tête commençait à vaciller. Puis, son regard se transforma soudain et fut comme envahi par une onde d’assurance. Les premières notes de Barry White retentirent.
- “We got to make it together baby... Just me, just you...”
John faisait du play-back et accompagnait les paroles de gestes en se pointant du doigt la poitrine, puis en pointant son reflet dans la glace. Puis, la musique s’emballa.
- “You’re first, you’re last, you’re everything... And the answer to all my aches...”
John entama sa chorégraphie, un mouvement de bras vers la gauche, puis vers la droite. Glissade sur la gauche, glissade sur la droite. Il tourna, frappa des mains. Aussitôt, Mark, Richard et Jackson ne purent résister à cet appel quasi bestial du Président Directeur Général de la soul et se joignirent à John dans son fou déhanché.
Largo et Simon, subjugués, tendirent l’oreille.
- “Largo, tu entends ce que j’entends?”
Simon et Largo pouvaient sentir les ondes de la chanson leur parvenir.
- “You’re my soul... Soul... My roots... Roots... Ouhhhh...”
Simon et Largo commençaient à remuer sur la musique.
- “Mon Dieu Simon...
- Barry nous appelle!” compléta le Suisse.
Aussitôt, les deux hommes se joignirent aux quatre danseurs au moment où ils claquaient des mains pour la deuxième fois et suivirent la chorégraphie d’une manière naturelle, comme s’ils la connaissaient depuis toujours instinctivement. Imaginez: le beau Largo Winch et le grand Simon Ovronnaz qui dansent sur du Barry White avec les cinglés du Cabinet Cage et Fish? Si après avoir imaginé ça, vous ne vous marrez pas, moi j’abandonne...
Ce moment d’osmose musicale et dansante fut malencontreusement rompu. Joy, après s’être défaite de Ling, entra en un coup de vent aux fameuses toilettes mixtes du Cabinet. Elle surprit son patron et son ami en train de se déhancher sur une musique imaginaire, menés par John. Elle hésita entre stupeur et désolation, puis elle finit par éclater de rire.
Ce déchaînement de rires si peu fréquents chez la jeune garde du corps, raya le disque. Les six hommes stoppèrent leur danse, dignement.
- “Ben quoi? fit Simon.
- Mon Dieu, Kerensky ne me croira jamais...”
Largo et Simon n’eurent même pas le temps de réagir que déjà, Elaine sortait des toilettes où elle s’était cachée et montra à Joy sa DV.
- “J’ai tout filmé!” annonça-t-elle fièrement.


Tribunal
10h32

Après cet épisode musical qui requinqua tout le groupe, le procès entama sa dernière journée de débats. John appela son dernier témoin, à savoir Largo, himself, personally, alone. Largo n’avait rien pu soutirer à Ally, Nelle et John sur leur nouvelle tactique d’approche et le biscuit affirmait que l’interrogatoire devait nécessairement être spontané pour toucher le jury.
Largo s’installa donc à la barre des témoins, en jurant sur la bible, comme les américains ils font, là... Angus Carlton commença à l’interroger, en essayant vaguement de l’humilier et de le provoquer, mais Largo, même s’il avait failli lui rentrer dedans, avait réussi à garder son calme et paraissait convaincant. A la fin de l’interrogatoire de la partie adverse, John se versa un verre d’eau, reboutonna sa veste et le rejoignit pour entamer son contre-interrogatoire.
- “Monsieur Winch... commença John. Tenez-vous à la direction du Groupe W?
- Oui, bien sûr... Mon père est mort il y a un peu plus d’un an, maintenant. Je l’ai très peu connu et le Groupe est le seul lien qu’il me reste avec lui.
- Pensez-vous être un bon dirigeant?
- Je fais tout pour. J’écoute attentivement tout ce qu’ont à me dire mes conseillers et les membres du Conseil d’Administration et j’essaie de prendre les bonnes décisions. Comme la Compagnie se porte bien, je suppose que j’y parviens.
- Comment décririez-vous vos rapports avec vos employées féminines, puisque c’est de là d’où viendrait le problème...?
- Ils sont assez bons... Du moins c’est ce que je croyais...
- Utilisez-vous votre pouvoir de séduction, qui est certain, je crois qu’aucune des femmes de l’assistance ne me contrediront, sur vos employées?
- Je ne drague pas mes secrétaires si c’est ce que vous voulez dire. Je respecte les personnes qui travaillent pour moi et jamais il ne me viendrait à l’idée de les embarrasser ou de les mettre mal à l’aise...
- Pourtant, les femmes qui ont réclamé votre destitution en signant la pétition qui a abouti à cette plainte pour laquelle vous comparaissez semblent dire que vous avez à leur encontre une attitude plus qu’ambiguë...
- Si c’est ce qu’elles pensent j’en suis navré, mais ça n’a jamais été dans mes intentions... J’essaie juste d’être galant et attentionné. On m’a toujours appris qu’il fallait traiter les femmes comme des reines et leur faire plaisir.
- Pourquoi?
- Parce que les femmes font tourner le monde!” sourit Largo.
John hocha la tête, se disant qu’il était vraiment très bon car toutes les femmes de la salle d’audience frémissaient sous son sourire.
- “Donc pour vous, votre attitude est celle que tout homme devrait avoir avec les femmes?”
Largo soupira.
- “Vous savez, je ne prémédite rien... Je me contente d’être moi-même.
- Mais vous êtes un jeune homme très séduisant, une sorte de Prince Charmant sur lequel les femmes fantasment facilement? Vous vous rendez compte que dans ces conditions votre attitude peut troubler vos employées féminines?
- Je ne suis pas un Prince Charmant, ni un objet de fantasme, je suis encore un être humain que je sache! Et je suis un être humain qui dirige une grande entreprise en prenant en compte l’aspect humain... Mes employés sont importants pour moi, j’essaie d’être amical et sympathique, parce je veux instaurer une ambiance de travail chaleureuse. Je n’ai aucune autre intention.
- Vous n’avez vraiment aucune intention quand vous faites à vos employées de grands sourires, des baisemains, quand vous leur tenez la porte, quand vous les complimentez?
- Non... Quand je suis de bonne humeur, j’aimerais qu’elle soit communicative...
- Communicative?
- Oui, la vie est belle, après tout! Je ne vois pas pourquoi je serais renfermé ou râleur avec les personnes qui travaillent pour moi, alors que je suis heureux!
- Dites-moi, monsieur Winch, qu’est-ce qui vous rend si heureux?”
Largo déglutit légèrement mal à l’aise. Cette question le gênait.
- “Tout un tas de choses... Tout va bien dans ma vie, les affaires marchent de mieux en mieux, je réussis à m’imposer en tant que PDG... Mes amis et mes proches sont à mes côtés, en bonne santé... Même le beau temps fait partie de la fête! Que voulez-vous de plus?
- Et l’amour?”
Largo était de plus en plus embarrassé. Il jeta un oeil vers Joy qui assistait à son interrogatoire du public, tout en essayant de camoufler son trouble.
- “L’amour...? répéta-t-il.
- Oui, êtes-vous amoureux en ce moment?”
Largo eut un rire contrit.
- “C’est une question très personnelle...
- Je sais, mais on vous accuse de passer votre temps à séduire toutes vos employées et vous n’êtes pas particulièrement crédible quand vous nous dites que cette attitude fait juste partie de vous, de votre nature. Sauf si votre joie de vivre est due à la présence d’une jeune femme peuplant vos pensées...”
Largo tenta de détourner le regard et fixa n’importe quel point dans la salle, du moment qu’il ne se trouvait pas dans la direction de Joy.
- “Alors? insista John. Brune, blonde, rousse?
- Brune...” lâcha finalement Largo.
Il y eut une vague de murmures dans la salle.
- “Oui c’est vrai... avoua Largo. Je suis amoureux. Je suis même complètement et éperdument amoureux fou de cette femme. Je pense à elle à chaque minute, de chaque heure, de chaque journée. Elle est toute ma vie et il n’y a qu’elle qui me rende aussi heureux. Et elle ne le sait même pas.”
Toutes les personnes de l’assistance, y compris le juge, étaient suspendues aux lèvres de Largo pour découvrir qui était l’heureuse élue. John réprimait un sourire, réalisant qu’il venait de rendre à Largo un double service. Seule Joy, assise parmi le public, paraissait troublée. Elle ignorait que Largo avait quelqu’un dans sa vie qui compte autant pour lui et cette idée la paniquait. Crispée, elle ferma sa mâchoire et agrippa son sac, contenant un revolver, se demandant si elle allait faire un carton dans le tribunal, de rage, à l’annonce de l’heureuse élue.
- “Eh bien monsieur Winch? l’incita à poursuivre John. De qui s’agit-il?”
Largo hésita une dernière fois. Il était encore temps de reculer. Mais il se disait que s’il laissait passer cette chance, jamais il n’aurait le courage de le lui dire. Il dévisagea Joy qui paraissait troublée, à la fois triste et en colère. Tandis qu’il la fixait, il se décida à répondre.
- “Je suis secrètement amoureux de ma garde du corps...” lâcha-t-il enfin.
Tandis que la salle s’agitait, le regard de Joy s’affolait et scrutait celui de son patron pour savoir s’il était sérieux. Elle réalisa bien vite qu’il la dévorait du regard.
- “Je t’aime Joy...” murmura-t-il, comme s’ils n’étaient que deux dans la pièce.
Bouleversée, Joy se leva et quitta la salle d’audience en courant.
- “Joy!”
Largo se leva et s’apprêta à lui courir après.
- “Monsieur Winch, restez à votre place!” grogna le juge.
Mais c’était peine perdue, Largo quittait déjà la barre des témoins pour courir après l’élue de son cœur. La salle s’agita et un tatouin infernal retentit. Le juge donna une série de coups de marteaux et suspendit la séance. John, inquiet par la réaction du juge, le regarda avec anxiété. - “Comptez-vous le poursuivre pour outrage à magistrat?”
Le juge le fixa d’un air glacial.
- “C’est ce que je devrais faire...”
Puis il eut l’air plus détendu.
- “Mais à sa place, moi aussi j’aurais quitté le tribunal pour un canon comme ça...”


Bureau de John Cage
19h11

Le soir, John convoqua Largo au Cabinet pour lui parler des conclusions qu’il rendrait le lendemain.
- “Ca se présente plutôt bien... Le jury vous adore, ils savent que vous êtes un homme heureux et amoureux et ils ne prendront pas au sérieux les allégations de la coalition de secrétaires... Carlton peut encore nous réserver quelques surprises, mais je dirais que toutes les chances sont de notre côté...”
John fixa son client qui ne l’écoutait que d’une oreille.
- “Et apparemment, vous n’avez rien à faire de ce que je vous raconte...”
Largo leva les yeux vers John. Il semblait triste et fatigué.
- “Je n’ai pas réussi à parler à Joy... souffla-t-il d’un air las. Elle a disparu, je ne sais même pas où elle est...
- Oh... Il faut juste qu’elle réalise ce que vous lui avez dit au tribunal... Vous allez la retrouver...
- Je ne sais pas... J’ai gaffé. Joy est un ancien agent de la CIA, si elle n’a pas envie que je la retrouve, je ne la retrouverai jamais...”
John fronça les sourcils. Il lui tapa sur l’épaule et s’excusa auprès de lui, lui disant qu’il devait s’éclipser. En quittant son bureau, il dit à Simon que son ami avait besoin d’aide, puis il se dirigea aux toilettes, où il ouvrit le fond de sa cachette secrète. Il y découvrit Joy.
- “Vous savez que jouer à cache-cache n’est pas une solution? lui dit-il.
- Laissez-moi tranquille...
- Comment avez-vous réussi à l’ouvrir sans ma télécommande?
- J’ai un jour cambriolé l’ambassade d’Irak quand je bossais pour la CIA, alors entrer dans votre cabane, il y a plus problématique...
- Poki-poki-poki... Il faudrait que j’installe une alarme...”
Joy lui lança un regard noir. Comme elle effrayait John il se dit qu’il n’était sûrement pas la bonne personne pour lui parler. Il quitta la cachette et alla chercher Ally.
- “John? Qu’est-ce que tu fais aux toilettes? Je croyais que tu devais parler avec Largo de la fin du procès?
- Inutile... soupira John. Notre jeune client s’en fiche complètement.
- Ah bon?
- Il a le cœur brisé... Sa garde du corps se cache.”
Ally parut surprise.
- “C’est bizarre... Simon m’a dit qu’elle était folle de lui...
- Viens avec moi...”
John conduisit Ally dans ses toilettes privées et referma la porte derrière eux. Ally trouvait la situation gênante.
- “John, je t’adore, mais je suis avec Simon maintenant...”
John ne répondit rien et actionna sa télécommande. La cachette secrète de John s’ouvrit. Ally paraissait interloquée.
- “Ben ça alors... De nous deux, je croyais que c’était moi la plus névrosée, mais je ne connaissais pas encore ça...”
John lui fit un de ses sourires crispés. Puis, il lui désigna Joy.
- “Vous devriez parler entre femmes...”
Il s’éclipsa. Ally entra carrément dans la cachette et s’assit face à Joy.
- “Alors, que faites-vous ici? lui demanda gentiment Ally.
- Je voulais être seule pour réfléchir. Apparemment c’est loupé.”
Joy voulut s’en aller mais Ally la retint par le bras.
- “Largo est ici en ce moment... Vous risquez de le voir si vous partez maintenant.”
Joy soupira et se rassit. Ally lui sourit.
- “Alors quel est le problème? Vous êtes triste?
- Je suis folle de rage, oui!”
Les yeux de Joy lancèrent des éclairs et Ally ne put s’empêcher de sursauter, impressionnée par l’ancien agent de la CIA.
- “Je ne comprends pas pourquoi... Il vous a dit qu’il vous aimait... C’est plutôt le genre de choses qui fait plaisir à entendre, non? Surtout quand c’est réciproque.
- Je ne supporte pas cette situation... Pourquoi il a dit ça?
- Peut-être parce qu’il vous aime.
- Ca, c’est loin d’être sûr... Vous ne le connaissez pas... Largo et les femmes, c’est... C’est toujours frivole et insouciant. Il collectionne les conquêtes, je n’ai pas envie d’être la numéro tant...
- Vous savez... Je ne le connais pas bien, mais je crois qu’il était sincère... Et je n’ai pas l’impression qu’il soit du genre à mentir sur ses sentiments...
- Je sais! la coupa sèchement Joy. Peut-être qu’il croit vraiment qu’il m’aime, mais dès qu’il croisera une autre fille plus belle ou plus intéressante que moi, il me laissera.
- Ca, vous n’en savez rien... Et sauf votre respect, vous êtes idiote si vous pensez ça sans même en avoir discuté avec lui. Vous êtes une femme forte, non? Alors affrontez-le. Parlez-lui.”
Joy regarda d’un air noir Ally, puis elle se redressa et quitta la cachette secrète d’un air décidé.


Bureau de John
19h30

Ignorant que sa Joy se trouvait au Cabinet Cage et Fish, Largo tournait en rond, de plus en plus inquiet de son absence. Simon tentait en vain de le calmer, ainsi que John, mais c’était peine perdue.
- “Jamais je n’aurais dû lui dire ça... répétait Largo. Elle doit me détester! Je suis sûr qu’elle ne ressent pas du tout la même chose que moi et qu’elle est en train de préparer sa lettre de démission, elle va s’enfuir et je ne pourrai rien faire pour l’en empêcher...
- Sois pas parano, Largo... tenta de le rassurer Simon. Je suis sûr qu’elle est folle de toi... Elle se remet de sa surprise, c’est tout.”
Largo allait répliquer quelque chose quand il fut interrompu par un son de percussion: dans le bureau voisin résonnait à fond la chanson “We were rock you” de Queen. Elaine s’arrêta devant le bureau pour les rassurer.
- “C’est Mark. Il se prépare pour une plaidoirie.”
La secrétaire s’éloigna aussitôt sous les regards ahuris de Largo et de Simon.
- “Moi aussi je dois me préparer.” déclara alors John.
Il se pencha, enleva ses chaussures, puis ses chaussettes et retroussa son pantalon, comme s’il allait marcher dans l’eau. Puis, il indiqua la porte à Largo et à Simon.
- “J’ai besoin d’être un peu seul.”
Largo obéit sans discuter, de toute façon, il s’en fichait. Simon voulut poser une question à John sur le fait qu’il se mette pieds nus pour préparer sa plaidoirie, mais il préféra renoncer et rejoignit son ami.


Cage et Fish
19h35

Lorsque Largo et Simon se retrouvèrent à l’extérieur du bureau de John, ils se trouvèrent nez à nez avec Joy. Celle-ci croisait ses bras contre son ventre, moins sûre d’elle que d’ordinaire, mais fixant Largo avec détermination. Le jeune milliardaire hésita entre joie et appréhension.
- “Joy... souffla-t-il. J’étais inquiet, où étais-tu passée?
- Il faut qu’on parle tous les deux.” dit-elle avec fermeté.
Ally qui la talonnait leur désigna son bureau.
- “Vous n’avez qu’à parler dans mon bureau, si vous voulez être tranquilles...”
Joy acquiesça et se dirigea d’un trait vers la pièce, suivie par un Largo plus hésitant. Il referma la porte derrière lui et elle s’assit sur le bureau, le toisant sévèrement.
- “Bien... Il faut tirer les choses au clair, toi et moi... dit-elle sévèrement. Je ne sais pas pourquoi tu as dit tout ça au tribunal, mais je vais me contenter d’accepter tes excuses et reprendre mon travail comme si de rien n’était. Ca te va?”
Largo écarquilla les yeux et secoua la tête plusieurs fois, comme pour se réveiller.
- “Mais ça ne va pas? cria-t-il. Non, il est hors de question de faire comme si de rien n’était, la politique de l’autruche, ça ne nous a jamais réussi Joy, on a toujours été francs l’un envers l’autre! Et puis, je ne vois pas pourquoi je m’excuserais pour ce que je t’ai dit au tribunal. J’étais sincère!” Joy détourna le regard, ne voulant pas se laisser émouvoir.
- “Largo, nous savons tous les deux que tu n’es pas amoureux de moi.
- Quoi? Mais qu’est-ce que c’est que cette aberration? Pourquoi je te le dirais si c’était faux?”
Joy haussa les épaules.
- “Peut-être que tu y crois vraiment, mais tu es un homme à femmes, tu t’enflammes sans arrêt pour toutes les jolies femmes qui croisent ton chemin, ça t’arrive tout le temps!
- Avec toi, c’est différent...
- Non, ce n’est pas différent! le coupa-t-elle avec fermeté. Je te l’ai dit, restons-en là, tu verras bien au bout d’un certain temps que ce n’était qu’une simple attirance et tu te consoleras aux bras d’une autre...”
Largo la scruta d’un air ahuri. Ce qu’elle venait de lui dire lui faisait mal.
- “Tu crois vraiment à ce que tu dis? Non, n’est-ce pas? Si c’était le cas, tu n’aurais pas accepté de me parler...”
Joy détourna à nouveau le regard, déroutée.
- “Je t’aime Joy, poursuivit Largo d’une voix douce. Et ce n’est pas qu’une impression, je suis sûr de mes sentiments pour toi pour la simple et bonne raison qu’avant toi, ça ne m’était jamais arrivé de tomber amoureux. Je veux que tu nous laisses une chance. Je sais que tu ne t’ouvres pas facilement aux gens parce que tu as peur d’être vulnérable. Mais moi, je ne te ferai jamais de mal et au fond de toi, tu le sais. Aie confiance en moi. Je n’accepterais que tu me rejettes que si c’est parce que tu ne m’aime pas.”
Cette fois-ci, Joy se décida à affronter son regard. Il était sincère, ça sautait aux yeux. Elle se sentait prête à fondre.
- “Est-ce que tu m’aimes Joy?” demanda Largo, presque timidement, un léger tremblement dans la voix.
Le ton de sa voix et son regard de cocker lui firent baisser les armes. Elle était tellement émue qu’elle n’arriva pas à prononcer les mots qu’il souhaitait lui entendre dire. Elle se contenta de dire oui de la tête et quitta le bureau pour se blottir dans ses bras. Il l’enlaça un long moment, puis elle s’écarta légèrement de lui. Elle essuya d’un geste ses yeux humides et lui fit un beau sourire.
- “Je t’aime...” dit-elle finalement.
Largo lui rendit son sourire et il la serra plus fort dans ses bras avant de l’embrasser tendrement. Ils restèrent debout, au milieu de la pièce, enlacés, s’embrassant et se caressant tendrement, quand soudain un grincement provenant de la porte du bureau attira leur attention. Intrigués, ils desserrèrent leur étreinte et fixèrent la porte qui semblait subir une forte pression de l’extérieur et qui grinçait de plus en plus dangereusement. La porte sembla se bomber et dans un bruit sec et éclatant, les charnières sautèrent. La porte s’écroula sous le poids de Simon, Ally, Mark, Elaine et Richard qui visiblement avaient espionné leur conversation. Bouches bées, Largo et Joy fixèrent les indiscrets, entassés les uns aux autres, qui gémissaient péniblement, plus pour avoir été surpris dans leur péché de commérage que parce qu’ils s’étaient faits mal.
- “C’est pas possible... Dis-moi que je rêve... marmonna Joy.
- En fait, je ne sais pas pourquoi, mais ça ne me surprend pas une seconde...” commenta Largo, un large sourire aux lèvres.
D’un air menaçant, Joy s’approcha de Simon, qui l’oreille collée contre la porte, s’était écroulé le premier et subissait la pression des quatre autres qui peinaient à se relever.
- “Je devrais te tuer pour ça... gronda Joy.
- Merci Joy... Je vais bien... tenta-t-il d’articuler, la voix étouffée et suffocante.
- Ca t’apprendra...” sourit Largo en rejoignant Joy et la prenant tendrement par la taille.
Simon, débarrassé du poids d’Ally et d’Elaine, put enfin se relever et, admirant son couple d’amis, leva les mains en simulacre d’applaudissements.
- “Chapeau! Toutes mes félicitations! Vous y avez mis le temps tous les deux, alors j’espère que vous n’allez pas nous décevoir pour la suite...
- Simon, la ferme!” tonna Joy.
Largo la serra un peu plus fort contre lui et l’embrassa rapidement dans le cou.
- “Et si on allait dans un endroit plus tranquille? proposa-t-il d’un air empli de sous-entendus.
- Bonne idée...”
Avec habileté, Joy leur fraya à tous les deux un chemin à travers les badauds agglutinés devant ce qu’il restait de la porte du bureau d’Ally et se dirigèrent vers l’ascenseur pour quitter le Cabinet Cage et Fish. Simon réalisa alors qu’ils étaient partis sans lui.
- “Hey! protesta-t-il. Ils ont pris la voiture! Comment je rentre, moi?”
Ally le prit par le bras et lui fit un sourire coquin.
- “Je pourrais peut-être m’occuper de te ramener?”
Simon eut un large sourire.
- “Chez moi ou chez toi, princesse?”
Ally rougit de plaisir.
- “J’adore quand tu m’appelles princesse...
- C’est ton côté narcissique, c’est ça?
- Hey! Tu m’insultes? protesta-t-elle.
- Jamais j’oserai!
- Fiche-toi de moi, espèce de bouffon...
- Là, c’est toi qui m’insultes! Je t’en veux beaucoup!”
Ally eut un sourire de tendresse et elle embrassa Simon.
- “Et là, tu m’en veux toujours?
- Je ne sais pas... Oui, encore un peu...”
Ally l’enlaça et l’embrassa encore plus fougueusement.
- “Hum... marmonna-t-il. Je sens que mon amour-propre se remet un peu, mais c’est pas encore tout à fait ça...
- Alors je vais essayer d’y remédier...”
Toujours enlacés, les deux amants entrèrent dans l’ascenseur où il se passa des choses que je ne saurais mentionner à un public jeune et innocent...


Cage et Fish
19h49

Richard, après avoir regardé tour à tour Largo et Joy, puis Simon et Ally s’en aller, poussa un profond soupir.
- “Y en a qui vont faire l’amour ce soir... soupira-t-il. Ils en ont de la chance, pile à la période de l’année où j’ai impérativement besoin d’un petit coup de trique...
- Oh, je vous aurais volontiers rendu ce petit service Richard... commença Elaine. Mais j’ai rendez-vous tout à l’heure avec Michel Cardignac...”
Richard la regarda, hésitant entre offense et curiosité.
- “Je pensais que vous aviez plus de conscience et de morale que moi, Elaine! C’est un petit parvenu lèche-bottes qui vous a manipulée pour avoir des informations sur un de nos clients...
- Je sais, mais je suis une fille facile. Et qui plus est, une fille facile désespérée... A demain...”
Elaine prit son sac et son manteau et s’en alla. Richard fixa Mark qui haussa les épaules et rentra dans son bureau. Richard se dirigea alors vers le bureau de John et entra sans frapper, ce qui perturba beaucoup John qui préparait sa plaidoirie du lendemain, marchant en rond dans son bureau, pieds nus.
- “Oh? Je te dérange? demanda Richard.
- Oui.
- J’aurais besoin de parler de ma vie sexuelle, pourtant... Cette fille garde du corps m’a trop excité, maintenant j’ai besoin de faire faire de l’exercice à mon manche. Le monde tourne grâce au manche, c’est pourquoi il est important de le faire marcher. Pas de manche, pas de monde, pas d’affaires, pas de pognon. Fishisme.”
Le nez de John siffla.
- “D’ordinaire, t’écouter déblatérer sur ton manche me passionne, Richard, mais là je dois me préparer pour gagner le procès de notre client le plus riche...”
Les yeux de Richard tiltèrent.
- “Pogon, pognon, pognon et pognon, ne te dérange surtout pas pour moi, continues...”
Richard quitta le bureau de John et partit s’installer dans le sien. Il regarda alors son copain popol et poussa un profond soupir.
- “Nous voilà en tête-à-tête mon grand... Je sais que tu n’aimes pas ça, mais bon, on a pas trop le choix...”
A ce moment, Ling débarqua dans son bureau sur la musique de la reine de abeilles. Elle claqua la porte derrière elle et posa son pied sur le bureau de Richard, mettant le creux de son genou en évidence.
- “Touche-moi le genou! lui ordonna-t-elle.
- Ling, tu n’es pas censée sortir avec Jackson?
- Je lui ai demandé de me toucher le genou, mais il n’a pas su le faire, c’était dégoûtant, je lui en veux beaucoup...
- Tu l’as plaqué?
- Oui, Richard, il te plaît, touche-moi le genou...”
Richard réfléchit un instant.
- “D’accord.”
Il glissa ses doigts le long de sa jambe et finit par aboutir au creux de son genou pour lui faire son toucher magique. Le reste ne nous regarde pas, ni vous, ni nous... Oh le chat, gnam gnam gnam gnam...


Tribunal
27 mars
15h56

Le lendemain, Angus Carlton présenta ses conclusions d’une manière efficace, mais il fut loin d’être aussi impressionnant que John. Celui-ci s’avança lentement vers le jury. Ses chaussures ne couinaient plus. Il les regarda tous les uns après les autres, avec un air bienveillant.
- “Mesdames et messieurs les jurés, je n’ai pas l’intention d’insulter votre intelligence en vous expliquant pourquoi ce procès est une vaste comédie, orchestrée plus ou moins grossièrement par un collaborateur de mon client qui sans doute espère être nommé à sa place PDG de son entreprise si jamais il venait à être destitué. Je n’ai pas non plus l’intention de vous rappeler que lorsqu’on est engagé au sein d’une entreprise, ou n’importe où pour effectuer un travail, on s’attend à ce que vous utilisiez vos compétences pour le bien de l’entreprise, bien sûr, mais aussi à ce que vous usiez de toutes vos ressources, y compris le sang froid, le professionnalisme, pour être capable d’accomplir au mieux votre tâche. Ce n’est pas ce qu’on fait les employées féminines de monsieur Winch. Bien sûr, il est beau. Il est même très beau, si seulement vous saviez le nombre de fois où j’ai rêvé, pendant mon adolescence, mais encore maintenant d’être aussi bel homme qu’il peut l’être... Mais je suis sûr que vous pouvez parfaitement l’imaginer. Bien sûr, il est charmant, séducteur, attentionné et bien sûr, je peux concevoir que ses employées fantasment sur lui, mais...”
Il s’arrêta un instant et le regarda. Puis il fixa à nouveau les membres du jury.
- “Voyons.... articula-t-il très clairement. Nous parlons de la vie d’un homme. Un homme qui a peu connu son père et qui estime que l’entreprise que ce dernier lui a légué est son dernier lien avec lui. Nous parlons d’un homme dont la vie est en jeu, et pourquoi? Parce qu’il est séduisant?”
John se tourna à nouveau vers le banc des accusés, mais cette fois-ci pour désigner Nelle. Celle-ci fit un grand sourire charmeur à l’intention des jurés. Elle détacha lentement sa cascade de boucles blondes et défit quelques boutons de sa chemise en soie, avec sensualité. Assis parmi le public, Simon lui bavait quasiment dessus.
- “Mazette...” suffoqua-t-il, tandis qu’Ally lui lançait un regard noir et le frappait discrètement pour le remettre à sa place.
- “Cette jeune femme très séduisante, je la côtoie, et tous les membres masculins de mon Cabinet la côtoient tous les jours. Il nous arrive à tous de fantasmer sur elle, d’être légèrement déconcentrés, pendant de courts instants, mais c’est normal. Les hommes et les femmes s’attirent et se repoussent depuis que le monde est monde, que pouvons-nous faire contre ça? Réponse?...”
A ce moment-là, tous les membres du jury parlèrent en même temps.
- “Rien... dirent-ils en chœur.
- Exactement, nous ne pouvons rien y faire. Monsieur Winch fait de l’effet aux femmes, nous n’y pouvons rien. Est-ce là une raison suffisante pour le priver de la direction de son Groupe? Est-ce là une raison suffisante pour le priver de la seule chose qu’il lui reste de son père?
- Bien sûr que non!” répondirent les jurés.
John soupira et s’accouda à la barrière du box des jurés.
- “Soyons sérieux un instant... Ce procès est intenté à une victime, car c’est Monsieur Winch la victime de cette affaire, certainement pas ses secrétaires qui ont la chance de travailler pour un homme sympathique et séduisant qui les traite avec égard. Il ne s’agit pas d’une sombre affaire d’abus de pouvoir ou d’harcèlement sexuel. Il s’agit d’une lutte de pouvoir avec d’un côté des employées manipulées par un requin des affaires et de l’autre côté, un homme simple, idéaliste. Un homme heureux.”
John regarda une nouvelle fois dans la direction de Largo.
- “Un homme amoureux d’une jeune femme loyale et séduisante, quoique personnellement, elle me fait peur je l’admets... Poki-poki-poki... Bref. Nous faisons ici le procès d’un homme innocent. D’une victime. De quoi est-il coupable?
- De rien! répondirent en chœur les jurés.
- Merci... J’aime beaucoup ce jury... rajouta-t-il à l’intention du juge. Je vous laisse à présent prendre votre décision...”
John hocha la tête pour les saluer et se réinstalla à sa place.


Cage et Fish
16h31

Tandis que les jurés délibéraient, Largo et sa clique patientaient chez Cage et Fish. Largo serrait Joy dans ses bras, lui chatouillant le bras de long en large.
- “Même si je perds ce procès... lui murmura-t-il. J’aurais au moins la satisfaction d’avoir pu te rencontrer grâce au Groupe W... Et tu seras là pour me soutenir?
- Tu plaisantes? sourit-elle. Tu sais que je suis avec toi, uniquement pour ton argent...”
Largo étouffa un rire et l’embrassa dans le cou. Richard les observait, attendri.
- “Vous savez, s’il est ruiné, vous pourrez toujours sortir avec moi... Je suis riche...”
Il entendit un grognement. Ling lui lançait des éclairs.
- “Je plaisantais mon rouleau de printemps...
- Je déteste ton sens de l’humour Richard... Et je ne veux plus que tu la regardes... rajouta-t-elle en fusillant du regard Joy.
- Mais... protesta-t-il. Elle est très excitante.
- Je ne te ferai plus rien avec mes cheveux si tu continues à fantasmer sur elle...
- Bon, d’accord...” soupira-t-il.
Pendant ce temps, Ally fixait Ling et Richard, surprise.
- “Depuis quand ils se sont remis ensemble ceux-là?
- Hier soir, répondit Elaine la reine des commérages. Richard était abattu parce qu’il avait envie de faire l’amour et que la garde du corps ne ferait jamais des folies de son corps avec lui. Pendant ce temps, Ling découvrait avec une horreur non dissimulée, que Jackson ne savait pas faire le truc du genou.
- Vous plaisantez? se moqua Ally. Tout le monde sait faire le truc du genou, même John!
- Eh bien Jackson est une exception. Il n’y a rien compris. Du coup Ling est retournée vers Richard, qui était trop content de saisir cette occasion, puisqu’il commençait à se résigner à l’idée de se masturber...
- C’est dégoûtant... grimaça Ling.
- L’essentiel est que je ne sois pas arrivé à de telles extrémités...” sourit Richard à Ling.
Joy leva les yeux vers Largo et se tourna légèrement pour lui faire face.
- “Le truc du genou? Qu’est-ce que c’est?”
Largo eut un sourire énigmatique. Doucement, sa main glissa le long de sa hanche et de sa cuisse et s’arrêta au creux du genou.
- “Tiens-toi prête...” souffla-t-il sous le regard perplexe de Joy.
Celle-ci allait lui demander ce qu’il comptait faire quand il commença à faire le fameux massage magique. Elle poussa un soudainement un soupir de plaisir et tenta de retenir un gémissement.
- “Oh mon Dieu... susurra-t-elle d’une petite voix. Pourquoi personne ne m’a jamais fait ça avant?”
Largo retira sa main et lui déposa un rapide baiser sur les lèvres.
- “Et il y a encore tout un tas de trucs que je connais... Tu auras tout le loisir de les découvrir avec moi...” sourit-il.
A ce moment, Elaine interrompit le petit groupe.
- “C’est le tribunal... déclara-t-elle. Le verdict va tomber.”


Tribunal
18h07

Dans la salle d’audience du tribunal, le juge lut rapidement le verdict et le tendit au greffier qui le remit au Président du jury. Celui-ci se leva et lut le papier à haute voix.
- “Dans l’affaire Connelly et consorts contre Largo Winch, nous déclarons l’accusé, non coupable.”
Largo sauta de joie et embrassa Joy tandis que Simon faisait de même avec Ally. Puis Largo alla serrer la main de John, Nelle et Ally pour les féliciter.
- “Merci beaucoup... leur sourit-il. Vous êtes les meilleurs avocats que j’ai rencontrés...
- C’était un plaisir d’avoir pu vous aider... fit Nelle.
- Félicitations, dit John. Vous restez à la tête de votre Groupe encore pour un long moment...”
Largo jeta un coup d’œil vers Cardignac qui pestait contre l’avocat Angus Carlton.
- “Oui... Enfin, si Cardignac se décide à me laisser tranquille...
- C’est pas demain la veille... plaisanta Simon.
- Bah, s’il vous cherche encore des ennuis, vous n’aurez qu’à faire appel à nous... sourit Ally.
- Avec plaisir...” acquiesça Largo.
Au moment où le petit groupe allait quitter la salle d’audience, le juge passa près de Joy et lui tendit sa carte.
- “Si ça ne marche pas avec lui, appelez-moi...” sourit-il.
Puis il s’en alla, laissant tout le monde pantois.
- “Merci Joy... éclata Simon. Grâce à toi, on avait le juge dans notre poche...
- Mais, mais, mais... balbutia Joy, sans comprendre.
- Je vois que j’ai un sérieux concurrent... grimaça Largo. J’ai intérêt à redoubler d’attentions pour te garder...”
Joy voulut lui lancer un regard noir, mais elle craqua devant sa petite moue de garçon qui vient de dire une bêtise. Elle haussa les épaules et l’embrassa.


Cage et Fish, le bar
22h10

Le soir, tout le Cabinet Cage et Fish avait invité Largo, Joy et Simon à fêter leur victoire. Kerensky n’avait pu se joindre à eux parce qu’il devait à tout prix battre à plates coutures un petit prétentieux qui le tenait en échec aux échecs on line depuis plus de trois jours. Cela dit il fut très heureux de découvrir qu’il n’aurait pas à changer de boulot.
- “C’est génial ce bar! s’excitait Simon en regardant dans tous les sens. Larg’, pourquoi on a pas le même truc au Groupe W?
- Parce que tu passerais ton temps à aller draguer et faire la fête au lieu de travailler avec nous... le cassa Joy.
- Évidemment, Kerensky et toi, vous êtes des bourreaux de travail, vous en faites assez pour dix! J’en profite pour prendre un peu de repos, pendant ce temps! se défendit-il.
- Alors profites-en une dernière fois Simon, parce que j’ai l’intention de monopoliser le temps de Joy à partir de maintenant...” répliqua Largo en regardant amoureusement sa garde du corps.
Simon fit semblant de se sentir offusqué.
- “Ah d’accord, monsieur ne se contente pas d’être riche et d’avoir trouvé la femme de sa vie, il veut en plus condamner son meilleur ami aux travaux forcés au bunker avec l’autre taré marié à un ordinateur?”
Largo et Joy éclatèrent de rire devant la mauvaise foi du Suisse. Puis Ally se pencha vers lui.
- “Ne t’inquiète pas Simon, s’ils sont trop durs avec toi, moi je serai là pour te consoler...”
Simon eut un sourire rêveur.
- “Oh dans ce cas, ça change tout...”
Largo écouta distraitement la chanson jouée par Vonda Shepard dans le bar et eut une soudaine envie de danser.
- “Joy, tu viens?” proposa-t-il en désignant la piste de danse.
Elle ne se fit pas prier et se blottit contre lui sur la piste de danse au rythme de la chanson “For my love” (ceux qui ont vu dans la saison 1 l’épisode où Ally et Georgia tentent de faire accepter par le directeur d’une prison le mariage d’un détenu condamné à vie, connaissent cette jolie et douce chanson.). Tandis qu’il l’enlaçait tendrement, lui chatouillant délicatement le dos, elle remarqua qu’il avait l’esprit ailleurs.
- “Que se passe-t-il Largo?
- Je pensais à nous deux... lui murmura-t-il doucement.
- Et...?
- Tout à l’heure, Simon a dit que j’avais trouvé en toi la femme de ma vie et... Et je crois qu’il a raison.”
Joy rougit de plaisir. Largo s’arrêta de danser et lui prit son visage dans ses mains.
- “Joy... Tu veux m’épouser?” demanda-t-il timidement.
Elle lui sourit avec tendresse.
- “Tu réalises ce que tu me demandes? Tu es fou?
- Oui, je suis fou de toi...”
Elle l’embrassa sur la joue.
- “Tu connais un traitement à cette maladie? demanda-t-elle.
- Oh la... Ca va nécessiter une très longue thérapie, qui se déroulera sur plusieurs années, une cinquantaine environ. Rajouter à ça une ribambelle d’enfants champions de base-ball...
- Rien que ça?”
Il la dévisagea sérieusement.
- “Ce serait déjà un bon début si tu me disais: oui, Largo, je veux bien t’épouser.”
Joy se blottit contre lui.
- “Oui Largo, je veux bien t’épouser... souffla-t-elle.
- Je sens que je suis sur la voie de la guérison... déclara-t-il, fou de joie en l’embrassant passionnément. Viens, on va l’annoncer aux autres...”
Largo la prit par la main et ils retournèrent s’asseoir près de leurs amis.
- “Déjà finie cette danse? sourit Simon, qui connaissant bien son copain Largo, les voyait venir gros comme une maison.
- On a une nouvelle à vous annoncer... fit Largo, sûr de lui, le bonheur inondant son visage.
- On va se marier!” compléta Joy.
Simon et les membres du Cabinet Cage et Fish les félicitèrent.
- “Bravo... dit John... Même si elle me fait un peu peur, je l’admets...
- Encore un canon de perdu pour les célibataires... soupira Richard. Maintenant que vous êtes casée, vous pouvez me le dire où vous le cachez votre flingue?”
Ling lui lança un regard noir et grogna. Puis elle fixa Joy.
- “Félicitations roulure...
- Je n’en attendais pas moins de ta part, Ling.”
La belle asiatique grogna à nouveau.
- “Je connais un juge qui ne va pas s’en remettre... commenta Nelle en serrant la main des futurs mariés.
- Je ne m’en plaindrai pas... répondit Largo.
- Oh c’est tellement beau... Si émouvant... Et romantique... commença à sangloter Ally. Dire qu’ils se sont cherchés si longtemps et que c’est grâce à un procès qu’ils se sont révélés leur amour, et maintenant ils vont se marier, c’est... C’est...
- Ally, tu es pathétique! la cassa Renée. C’est leur mariage, pas le tien, alors arrête de pleurer, je t’en supplie tu me fais honte...
- Moi, je trouve ça mignon... sourit Simon.
- Vous vous moquez de moi, mais je m’en fiche, c’est le lot des derniers romantiques d’être montrés du doigt, mais j’en suis fière et je le revendique! Moi, j’ai toujours cru au grand amour! Pas vous?
- Si moi! répondit Nelle. Et puis j’ai eu neuf ans...”
Pendant ce temps, Simon prenait un mouchoir et faisait semblant de pleurer.
- “Quand je pense que mes bébés vont se marier... Il faut prévenir tonton Kerensky au plus vite, il sera tellement ému qu’il détournera peut-être le regard de son écran pendant plus de dix secondes...
- Faut voir... réfléchit Largo.
- Pas sûr... pensa Joy.
- Si on lui installe le dernier modèle de super-ordinateur dernier cri pour l’appâter, il viendra peut-être au mariage... proposa Simon.
- Oh... Le mariage... rêvassa Ally. J’adore ce mot.”
Simon la fixa vaguement effrayé.
- “Euh... Ally... hésita-t-il. Ne me regarde pas comme ça, je t’en prie... Ally? Ally?”
Largo et Joy partirent dans un grand éclat de rire et tous firent la fête jusque tard dans la nuit pour fêter le mariage des héros du jour.


Fin.