Mimi & Dionée

C'est l'histoire de Mimi la fourmi qui, comme vous, voulait jouer avec Dionée... C'est qu'elle est très joueuse, Dionée, que ne ferait-elle pas pour devenir votre amie...
et donc, Mimi, se baladait le long de Dionée, qui jouait à "et si on disait que c'est toi qui avais le dessus" quand, tout à coup...
Mimi la fourmi se baladait donc gentiment sur Dionée, la caresse de ses toutes petites pattes chatouillant l'échine de cette chère Dionée, dont vous connaissez tous la sensibilité extrême...

La partie de "On dirait que je suis une fleur soumise à tes caprices enfantins" avait aiguisé ses sens malgré la douce torpeur qui l'envahissait pour avoir abuser de confiserie, de Tang et autres cochonneries dont les enfants et les fourmis raffolent...
Mimi, déçue que sa nouvelle amie cesse si vite de lui prêter attention, s'agita un peu plus, trottant de plus belles sur les feuilles de Dionée... bien décidée à secouer l'indolent végétal, elle grimpa sur ses mandibules et entreprit son ascension...
A demi endormie, Dionée, ronronnait ...

Une fois grimpée sur la mandibule gauche de l'indolent végétal, les choses se compliquèrent singulièrement pour notre intrépide amie Mimi... Autant les feuilles de Dionée ne manque pas de reliefs et de duvet auquel s'accrocher pour faciliter les déplacements de la petite fourmi, autant la chair chlorophyllée de ses mandibules est ferme et lisse... donc particulièrement glissante, surtout lorsque les stimulis répétés exercés par de délicates et fines petites pattes provoquent vagues de frissons sur vagues de frissons chez la très sensible et sensuelle Dionée...

Il arriva donc, ce qui devait arriver : un frisson de contentement plus accentué que les autres, un ronronnement plus poussé... toutes ses sensations finirent par faire réveiller les sens de Dionée au bois dormant dont le petit corps fut saisi d'un tremblement soudain... faisant dégringoler la pauvre Mimi le long de la mandibule gauche, tentant vainement de se rattraper à quelque chose...

Mimi dégringola et s'affala péniblement... mais par chance, ce fut sur une feuille de Dionée, beaucoup plus bas (à l'échelle mimiesque bien sûr), et non pas sur la terre sèche du pot... un peu plus et la chute lui était fatale !

Notre vaillante fourmi en fut toute sonnée et resta groggy quelques minutes alors que Dionée poussait un profond soupir de contentement avant de se rendormir...
Après avoir comatée un moment, Mimi reprit le contrôle de ses facultés et, un peu têtue, il faut bien l'avouer, reprit son ascension du mont Dionée par la face Nord...

Ce n'était pas une chute vertigineuse et une bosse façon oeuf de caille sur sa petite tête qui allait altérer sa détermination à jouer encore avec sa nouvelle amie... Nan mais !
Mimi gravit le feuillage d'abord d'un pas mal assuré puis, le vertige dû à la chute passé, elle retrouva tout son entrain et son enthousiasme et se mit à trottiner fébrilement le long de la tige de Dionée, cap sur les mandibules...
Dionée avait replongé dans un sommeil léger, peuplé de rêves de toutes sortes (je vous épargne les détails des rêves d'une petite plante carnivore... Y'aurait de quoi faire une autre histoire !) quand elle fut saisie par le nouvel assaut de Mimi.

D'abord imperceptible, la sensation se fit peu à peu plus perceptible, puis Mimi accélérant pour être certaine d'atteindre son but avant de retomber, elle devient très vite insoutenable ...
Dionée, à présent parfaitement éveillée, fit de son mieux pour se contenir ... pour limiter le tremblement presque convulsif qui montait en elle au gré de l'action stimulante et agaçante qu'exerçait Mimi, sans s'en rendre compte, sur les millions de terminaisons nerveuses qui striaient son échine, sa tige et ses feuilles...
Dionée ne pouvait rien faire contre cette douce et involontaire torture... impossible de parler sans relâcher son souffle et donc prendre le risque de perdre sa contenance...
De son côté Mimi avait mené course folle pour parvenir à son but : le sommet des mandibules de Dionée. De là, elle pourrait pleinement s'amuser avec son étonnante amie... démontrant, au-delà des règles de la nature et des lois du surnaturel, qu'une petite fourmi comme elle pouvait devenir l'amie d'une redoutable Dionaea, qu'elle pouvait l'apprivoiser...
Mais Mimi n'était pas n'importe quelle petite fourmi, en tout cas elle en était convaincue... et elle allait leur montrer, le lui montrer...
Devenue la compagne de jeu de Dionée, plus jamais les autres habitants du manoir ne l'ignoreraient... plus jamais Cyanure ne l'appellerait "Hors-d'oeuvre"... plus jamais, IL ne la repousserait d'une pichenette de ses longs doigts fins...
L'effort de l'ascension de Dionée conjugué à l'exaltation du défi à relever commençaient à échauffer l'esprit de notre petite Mimi... L'idée de LUI prouver enfin ce qu'elle valait ... d'attirer son attention, de se faire sa place dans le Manoir, près du Lui, son Prince des ténèbres l'excitait au plus au point....
Soumise à ce bouillonnement intérieur, alors qu'elle parvenait enfin en vue de la terre promise, le sommet de Dionée, Mimi perdit tout sens de la mesure... c'était désormais une petite fourmi surexcitée ...
Elle courait à perdre haleine, maximisant la stimulation des terminaisons nerveuses de Dionée par l'action désormais continue de ses petites pattes, fines et douces comme de la soie. Désormais au comble de l'excitation, ses mouvements étaient devenus frénétiques et désordonnés...
Et c'est alors qu'elle le vit... LUI... traverser le hall du manoir sans un regard dans leur direction.
Ne pouvant supporter davantage l'indifférence de celui qu'elle considérait comme son Prince des ténèbres, Mimi se mit à bondir sur place... et donc sur les mandibules lisses et glissantes de Dionée pour se faire remarquer de l'élu de son coeur...
Dionée sut alors qu'elle ne pourrait plus se maîtriser ...
Dionée ne voulait pas que le petit corps fragile de Mimi la fourmi aille s'écraser lamentablement et tout disloqué sur le sol sec de son pot... La feuille qui avait fait coussin la fois dernière avait été déplacée par cette nouvelle escalade...
Face à ce surcroît de sensation, elle ne put dominer plus longtemps son corps végétal, son instinct animal... et sa propre biochimie corporelle...
Irrépressiblement, elle perdit pieds... ses sens avaient été attisés trop fort, trop longtemps.
Dans un long râle de délivrance, Dionée se mit à sécréter un musc odorant et gluant qui s'écoula le long de ses mandibules en réponse à son excitation nerveuse, maintenant à son comble...
Accaparée par sa tentative d'attirer l'attention du Prince, Mimi la fourmi ne vit rien venir et ce dernier saut en l'air depuis la mandibule de Dionée fut bien vite suivit de tressautements frénétiques.

Les petites pattes de Mimi la fourmi, fines comme de la soie, étaient maintenant engluées dans le puissant musc végétal... L'excitation de Mimi tournait à l'hystérie.
La pauvre chose se débattait à présent dans le liquide dense et enivrant ... et les soupirs de soulagements que Dionée laissa échapper quand la couche de liquide vint apaiser l'irritation de ses terminaisons nerveuses occasionnée par la fourmi furent bientôt accompagnés des cris stridents et désespérés de cette dernière...

Maintenant avec peine sa tête hors du fluide poisseux, Mimi leva les yeux vers son Prince...
Le "Prince" ne s'aperçut pas du drame qui se jouait à quelques pas de lui... Tournant le dos au bac de Dionée, il était occupé à ôter son manteau et à nettoyer soigneusement ses armes avant de les ranger dans le placard du hall...
Mimi sentit le désespoir l'envahir... mais cette sensation provoqua un nouveau sursaut de volonté chez ce petit être borné...
Refusant de se laisser abattre, elle cessa de crier... inutile de gaspiller inutilement le peu d'énergie qui lui restait après ces longues minutes de lutte dans le musc... Et il fallait qu'elle parvienne à se concentrer, à focaliser toutes ses facultés intellectuelles sur son objectif pour ne pas laisser l'odeur entêtante du musc la faire plonger dans une funeste torpeur...
Alors que Dionée cessait ses râles de contentement, Mimi la fourmi rassembla tout son courage et toute son énergie pour tenter ce qui serait, à n'en pas douter, sa dernière chance tant ses petites pattes commençaient à être toute endolorie...
Mimi la fourmi se redressa tant bien que mal dans le fluide végétal et parvint à mettre à peu près ses petites papattes en contact avec la mandibule...
Elle regarda le dos de son dos de son Prince, admirant le charisme irréel qu'il parvenait à dégager, même de dos, puis prit appui et avec toute l'énergie du désespoir et se propulsa hors de l'emprise du musc...

Profitant de cette précaire liberté de mouvement, elle s'agrippa à l'une des longues dents végétales qui terminaient la mandibule de Dionée et y planta ses petites quenottes pour assurer sa prise...

La mâchoire de Mimi était faible mais on ne surestimera jamais la force que peut donner la nécessité à une créature déterminée... et Mimi était une créature des plus déterminées, voire carrément bornée...
Mais son obstination à survivre envers et contre tout, malgré l'adversité lui avait fait oublier une chose, une chose essentielle...

Dionée est une plante carnivore ! une fleur sauvage qui s'épanouit à l'ombre du manoir... un végétal aussi domestiqué et soumis que peut l'être l'un de ses habitants (ce qui ne fait pas beaucoup, vous en conviendrez...) Une créature hors des normes de la nature et du surnaturel...
une créature dotée de réflexes impérieux et puissants... conditionnés par une voracité sans fin...
L'instinct à l'état pur... voilà ce qui réagit chez une Dionée dont les sens étaient mis à la torture depuis de longues minutes...
Lorsque la douleur vive de la microdenture de Mimi la fourmi saisie brutalement ma petite Dionée, elle fut prise d'une violente convulsion, qui fit lâcher prise à Mimi... au moment même où la puissante mâchoire végétale de Dionée se refermait... emprisonnant (involontairement ?) la petite fourmi dans un étau de force et de chlorophylle...

Quant bien même l'aurait-elle voulu, Dionée n'avait aucun moyen de lutter contre son propre corps, contre son essence même de plante carnivore...
Le contact du corps désormais inanimé de celle que Cyanure surnommait "Hors-d'oeuvre" avec les parois internes de sa mâchoire provoqua la réaction que les milliers de capteurs, qui les constituaient, avait vocation à provoquer... la sécrétion d'un afflux de musc supplémentaire, plus actif, plus dense et plus parfumé encore que la vague salive que Dionée avait jusque là laisser échapper dans un moment de relâchement...

L'odeur enivrante ainsi causée devint si forte qu'elle envahie le vaste hall obscur du manoir... venant chatouiller les narines de l'homme qui venait de finir sa besogne quelques mètres plus loin...

Attiré par ce puissant signal olfactif, sa longue silhouette élancée se fraya un chemin dans la pénombre, jusqu'au bac de Dionée... lorsqu'il se baissa pour mieux voir la cause de cette soudaine senteur, il lui sembla percevoir un profond soupir...
Il regarda Dionée. Ses mâchoires étaient contractées et parcourues de tensions discrètes... elle se nourrissait. Lorsque les puissantes mandibules commencèrent à se décontracter et à s'entrouvrirent, il enleva, dans un geste machinal qui lui était familier, ses lunettes cerclées de métal et les fixa sur sa tête afin de retenir sa longue crinière blonde.
Il se pencha un peu plus vers Dionée, intrigué par la composition de son petit encas crapuleux...
Lorsqu'enfin l'étau vert et rouge se desserra, le Prince de Mimi la fourmi ne put distinguer d'elle qu'une tâche noirâtre sur la paroi interne et deux petites pâtes, fines comme de la soie, que le puissant musc n'avait pourtant pas encore digéré...

Le Russe esquissa un demi-sourire face à ce spectacle... la fourmi qu'il avait si souvent chassé de son ordinateur... "Cruelle ironie de la vie, songea-t-il une fois de plus... En tout temps et en tout lieu, rester vigilant et lutter pour sa survie... même face à l'indolente beauté d'une fleur au parfum enivrant, qui ne pourra pas éternellement lutter contre sa véritable nature".
Son sourire si particulier toujours accroché à ses lèvres fines, il esquissa un geste pour se relever quand il s'interrompit lui-même dans son élan et fixa, intrigué l'étonnant végétal auquel il faisait face.
En se contractant pour la seconde fois, ses mâchoires s'étaient étirées dans une position étrange et irréel... De là où il la contemplait, on aurait dit qu'elle lui renvoyait son sourire ironique...
Un bruit retentit dans le tréfond des entrailles du manoir, le sortant de sa contemplation...
Celui qui avait été, en secret, le "Prince" de Mimi la fourmi se releva et retourna bien vite à ses occupations... quittant le hall pour s'enfoncer dans les ténèbres du Manoir...
Trop vite pour qu'il ne puisse entendre le second profond soupir que lâcha Dionée en le regardant s'éloigner d'elle...


Fin