Va chercher !


Lucie ouvrit grand les yeux en prenant une grosse respiration. Elle fut prise d’une violente quinte de toux, tout en regardant autour d’elle d’un air hagard. La première chose qu’elle vit fut Bobsleigh qui arborait un grand sourire niais visant à la rassurer et qui collait son visage au sien.
“ Ca va mieux ? cria-t-il, amplifiant son mal de crâne.
- Euh ... Oui ... Je crois ... dit-elle en se malaxant douloureusement la nuque. Mais que m’est-il arrivée ? ”
Elle jeta un coup d’œil circulaire sur ses amis, agglutinés dans un van roulant à vive allure vers Dieu sait quelle destination obscure. Ceux-ci eurent un regard gêné en entendant la question de Lucie et se mirent à siffloter tranquillement en regardant en l’air, comme s’ils n’avaient rien entendu. Lucie, qui n’est pas complètement idiote, comprit tout de suite ce qu’il lui était arrivé. Elle saisit sa matraque, qu’un de ses ex lui avait offert pour ses dix-huit ans, un modèle authentique volé à un flic ayant fait Mai 68, et menaça sa sœur Lili tout en montrant ses crocs.
“ Lili, tu m’as encore droguée !
- T’allais faire une crise d’hystérie ! se justifia doucement Lili.
- JE NE SUIS PAS HYSTÉRIQUE ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ” hurla Lucie en trépignant et en sautant à pieds joints dans le véhicule.
Puis elle se calma devant les regards effrayés de ses compagnons de route, le Doudou en tête des trouillards. Elle rangea sa matraque.
“ Oui, bon, d’accord, je suis peut-être un petit peu hystérique dans certaines situations stressantes ... admit-elle.
- C’est un premier pas que tu le reconnaisses ... ” fit Simon, tranquillement installé au volant du van.
C’est à cette occasion que Lucie remarqua qu’aucune de ses sœurs ne se collait à lui.
“ Ben ... C’est à qui le tour maintenant ?
- Normalement à Lili, mais on a eu à faire avec une rudesse en affaires ... expliqua Lilou.
- Hein ?
- Belph. ”
Entendant qu’on parlait d’elle, Belphégor, planquée à la place du mort près de Simon, se redressa et fit coucou à Lucie.
“ Elle nous a dit qu’elle nous aiderait plus si on ne lui laissait pas un tour de Doudou ... fit Lili. On a accepté son marché.
- Viens par là Doudou ... dit Belph d’un air doux et sensuel qui fit tout de suite obtempérer le Suisse, lui donnant un baiser. (même si c’est dangereux, ça, au volant ... Mais n’est pas Doudou qui veut ! )
- En plus, elle le dresse mieux que vous trois ! ” s’amusa Bobsleigh.
Trois paires d’yeux luisant de colère se braquèrent sur lui.
“ J’ai rien dit ! ” s’empressa-t-il de rajouter.
Lucie regarda ses amis à l’arrière du van à ses côtés, puis Joy et Cardignac, ligotés l’un à l’autre au fond du véhicule, la tête dépassant d’un immense sac de pommes de terre dans lequel ils étaient prisonniers.
“ C’est quoi ça ? demanda-t-elle d’un air sévère.
- Tu vois, Lucie, tu ne t’en souviens sûrement pas, trop occupée que tu étais à vouloir frapper un nourrisson à coup de saucisse de Francfort, mais on a retrouvé Joy et Cardignac, amnésiques, qui se prennent pour des mari et femme. ” expliqua Lilou.
Lucie eut un sourire amusé.
“ Ah ouais ? Quand ce sera au tour de Largo et Kerensky, on va peut-être les voir pacsés ! ”
Constatant que cette éventualité n’amusait pas du tout ses compagnons, voire même les effrayait, Lucie comprit qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie et son sourire s’effaça.
“ Ok ... Pourquoi ils sont dans un tel état ?
- Va savoir ... On cherche, à ton avis ! s’exclama Lili. On est quand même les Doudou’s Angels ! On a décidé de les emmener à l’hôpital pour les faire examiner.
- Ah oui ? Dès qu’ils seront arrivés à l’hosto, ils vont nous accuser de kidnapping ! s’énerva Lucie. Vous êtes stupides ou quoi ? Comment vous voulez retrouver les autres si on est en prison ? Y a du relâchement dans les troupes, ça se voit que j’étais hors service ... ”
Lucie coupa sa tirade, s’apercevant que Lilou arborait une attitude étrange. Elle reniflait l’air, en secouant la tête dans tous les sens, dressée sur ses pattes arrière ... Euh ses jambes, je veux dire.
“ Lilou ? ”
Pour toute réponse, Lilou émit un grognement baveux.
“ Doudou, arrête le van ! ” lui ordonna Lucie.
Celui-ci s’exécuta, tandis que Lilou s’agitait et tournait en rond.
“ Allez Lilou, sois une gentille fifille, dis-moi ce que tu as senti ... ”
Lilou continua à gronder, la truffe à l’air, le regard vif, les oreilles dressées, sur le qui-vive. Et tout d’un coup, elle s’immobilisa, comme un chien d’arrêt. Lucie sortit un nonos de sa poche et le montra à Lilou qui suivit du regard fixement les mouvements de la grosse part de moelle appétissante qui lui défilait sous le nez.
“ Tu vois ça ? Tu seras une bonne fifille et tu auras ton nonos si tu nous conduis vers ce que tu as reniflé. ”
Lilou gronda, signe qu’elle était d’accord. Doudou se libéra de Belphégor quelques secondes.
“ Qu’est-ce qu’il lui arrive ? Elle a été dressée à la chasse ?
- Oui, mais pas n’importe quelle chasse ! déclara fièrement Lili.
- Notre Lilou n’aime qu’un seul gibier ... poursuivit Lucie.
- Lequel ?
- Les largojoyistes. ”
Lucie ouvrit la porte du van à l’arrêt et aussitôt, Lilou en sortit en courant, filant droit vers sa proie. Ses amis se ruèrent hors du van, tentant de la suivre. Mais la bougresse était rapide et ils la perdirent de vue. Du moins, jusqu’à ce qu’ils entendent des grondements de pitbull et des cris de détresse.
“ Au secouuuuuuuuuuuuuuuuuurs ! Aidez-moiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! ”
La petite troupe accourut vers la source des hurlements et découvrirent Little, perchée sur un arbre, tremblante de peur, et lançant de temps à autres des oeillades paniquées vers Lilou, qui debout contre l’arbre, essayait de monter à son tour, visiblement dans le but de lui mordre les fesses.
“ Lilou ! Au pied ! ” cria Lucie.
La jeune femme ne lui obéit pas, continuant à grogner à l’encontre de Little.
“ Lilou ! s’époumona Lucie. Vilaine fifille, laisse-la maintenant, va jouer avec le Doudou ! ”
En entendant le mot Doudou, Lilou cessa de couiner et, la langue pendante, elle regarda fixement Simon. Celui-ci eut à peine le temps de protester que Lilou venait japper joyeusement autour de lui. Little, du haut de son arbre, jeta un regard méfiant vers les doudoumaniaques.
“ Vous la contrôlez ? Hein ?
- Mais oui, t’inquiètes pas, elle est avec le Doudou ! ”
Little jeta un coup d’œil vers Lilou qui essayait de lécher le visage de Simon. Elle haussa les épaules et descendit de son arbre.
“ Ouf, c’était moins une ... J’ai cru que je pouvais dire adieu à mes jolies miches ... Mais qu’est-ce qu’il lui a pris ?
- Lilou est comme ça avec tous les largojoyistes ... expliqua Lili. C’est pas dirigé contre toi ... Dis-moi, qu’est-ce que tu fais ici ?
- Oh j’allais au boulot ... J’ai trouvé un job sympa dans le coin ...
- Mais on est en rase campagne ! s’étonna Lucie.
- Moui ... Ce qu’il y a, c’est que pour certaines raisons liées aux plaintes des voisins, on nous force à tourner assez loin des villes ...
- Tourner ?
- Oui, je bosse sur un film ! annonça Little avec fierté.
- T’es actrice ?
- NON MAIS CA VA PAS NON ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? hurla Little en montant sur ses grands chevaux. Hum ... Pardon ... Je me suis laissée emportée ... Question de pudeur personnelle ... Vous voulez que je vous fasse visiter le plateau ?
- Avec joie ! ”
Après que Simon ait réussi à passer une muselière à notre impétueuse doudoumaniaque Lilou, Little, plus ou moins assurée d’être en sécurité, les mena jusqu’à un entrepôt dans lequel étaient plantés les décors du tournage d’un film. Lucie ne put s’empêcher d’émettre une remarque interrogative, constatant que les décors représentaient quasiment tous des chambres à coucher.
“ Little, je ne peux m’empêcher d’émettre une remarque interrogative : je constate que les décors représentent quasiment tous des chambres à coucher ? demanda-t-elle. (mon dialoguiste est en grève)
- Non, rétorqua-t-elle, là, regardez, y a un décor de bureau, pour la scène des secrétaires lesbiennes. ”
Tous échangèrent un regard surpris.
“ Dis-moi ... fit Belph d’un ton suspect. C’est quel genre, ton film ? Légèrement érotique ?
- Ah non, lourdement porno ! ” (Grégor, reviennnnnnnnnns ! ) (c’est mon dialoguiste)
Lili se cacha aussitôt les yeux.
“ Oh non, non, non, non ... Mômannnnnnnnnnn ! C’est pas de ma faute ils m’ont forcée à venir iciiiiiiiiiiiiiii !
- Ahhhmgfdjp nhce prfdss tsdr jfhgtdkpiozdrtfds ! dit Lilou, dont la muselière l’empêchait de prononcer des paroles intelligibles.
- Hein ? s’exclama Lili.
- Elle a dit : “ arrête de faire tes gamineries Lili, t’as plus douze ans ” ... expliqua Belph.
- Comment tu fais pour la comprendre ?
- Je suis traductrice, ne l’oublie pas ! récita-t-elle fièrement. J’ai fait langage muselière en option, coeff 40.
- Dis-moi, Little, dialoguiste d’un film porno, ça doit pas être harassant comme boulot ? ”
Elle haussa les épaules.
“ Faut aimer les onomatopées. ”
Simon ouvrit une page du scénario et se mit à glousser.
“ A la page 34 il n’y a que quatre mots: mon Harry prends-moi ! Tout le reste de la page, ce sont des gémissements ... nota-t-il.
- Ah oui, mais c’est pas facile de transmettre les émotions à travers des gémissements ou des râles virils ... expliqua Little d’un air consciencieux. C’est tout un travail, fait d’études et d’observation. De beaucoup d’observation. C’est éreintant. ”
Mais déjà, Simon ne l’écoutait plus, occupé qu’il était à voir passer devant lui en robes ultra moulantes deux actrices ma foi fort bien galbées, comme dirait mon frère (celui qui ressemble au chauffeur de caméra café, pas celui qui ressemble à Doudou ... ) .
“ Ah ben justement, les voilà les deux secrétaires lesbiennes de la scène du bureau ... déclara Little.
- Euh ... Vous me laissez deux secondes ... fit Simon en se dirigeant à leur suite.
- Moi aussi je vais leur présenter mes hommages et les féliciter pour leur dur labeur ... rajouta Bobsleigh, la langue pendante.
- Kjshdvb ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! marmonna Lilou.
- Là, elle vient de dire : “ DOUDOU ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ” expliqua Belph.
Lucie l’arrêta.
“ On avait compris, Belph !
- Mais au fait, que faites-vous dans les parages avec Simon ? s’interrogea Little.
- On est à la recherche des membres de l’Intel Unit qui ont disparu ... expliqua Lucie. On a retrouvé Joy, mais elle est devenue barge, elle croit qu’elle est mariée à Cardignac !
- Oh, c’est si tragique ! soupira Little. Elle qui forme un si beau couple avec Largo ... Tous les deux partagent un amour, si beau, si pur, si fragile et en même temps fait d’ambiguïté, de tension, de non-dits, retranscrit avec une émotion brûlante de ... ”
Little ne put finir sa phrase, car Lilou, titillée par le discours profondément largojoyiste de la jeune dialoguiste, devint si folle de rage qu’elle parvint à arracher sa muselière pour se jeter sur elle. Elle glissa à plat ventre sur le sol et lui attrapa son mollet gauche en le mordant à pleines dents.
“ AIEEEEEEEEEEEEEEEEEE ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ” hurla Little.
Lucie et Lili, habituée à ce type de scènes fréquentes en compagnie de Lilou, durent la tirer en arrière pour lui faire lâcher sa proie. Mais à peine délivrée de la fureur canine de la plus psychopathe des doudoumaniaques, que Little poussa un nouveau cri, comprenant que Lilou la chargeait à nouveau pour la mordre. Mais au moment de croquer une seconde foi sa chair fraîche, elle fut stoppée dans son élan par une poigne ferme.
“ Ma ? Qu’est-ce qui se passe ici ? ” résonna une voix familière.
Tous s’arrêtèrent net et reconnurent Largo.
“ LARGO ? ? ? ? ? ? ?
- Ben voilà ... geignit Little en soufflant sur sa morsure au mollet, espérant ainsi atténuer la douleur. Si vous m’aviez laissée parler au lieu de laisser cette folle m’agresser, je vous aurais raconté : j’ai retrouvé Largo ! Les Doudou’s Angels ont été engagées par Simon mais comme Sullivan, qui n’est pas totalement idiot, a vu que l’Intel Unit était mal barré avec vous sur l’affaire, il m’a engagée ... Je me suis infiltrée comme dialoguiste sur le tournage pour approcher Largo quand j’ai appris ... Ce qu’il faisait.
- Et ... Qu’est-ce qu’il fait ? demanda Lucie d’un air vaguement effrayé.
- Ca se voit pas non ? Pfffff ... Quelle déchéance ... ”
Tous détaillèrent Largo et remarquèrent avec horreur son accoutrement : chemise col pelle à tarte, à moitié grande ouverte sur ses gros muscles, chaîne en or qui brille autour du cou, pantalon ultra-moulant et lunettes noires, le tout arborant un sourire de fierté.
“ Alors la bellissima ? A quelle heure j’entre en plateau, moi ? Hum ? demanda-t-il. Je me les gèle, moi, on m’a dit de ne pas porter de slip sous mon pantalon pour la scène treize ... Mais ma loge, elle est pas chauffée alors ... ”
Tous demeurèrent bouches bées, pétrifiés sur place. Little hocha la tête en connaisseuse.
“ Je sais, ça m’a fait un choc à moi aussi quand je l’ai appris ...
- Mais ... Co ... Comment as-tu découvert ?
- Par hasard, je l’ai reconnu en visionnant une cassette ... Cassette qui n’était pas à moi ! s’empressa-t-elle de rajouter. D’ailleurs je ne l’ai même pas regardée, c’est un copain qui m’a dit.
- Quel copain ?
- Euh ... Louis.
- C’est qui ce Louis ? fit Lili, suspicieuse. Tu connais pas de Louis.
- Si, si, je le connais ... Il est discret c’est tout, personne ne le remarque jamais. Presque invisible. Oh et puis vous êtes de la Gestapo ou quoi ? ? ? ? ? ? s’emporta-t-elle finalement.
- Bon qu’est-ce que je fais moi ? s’enquit Largo. Je commence à me déshabiller ? ”
Little devint toute rouge.
“ Ouiiiiii ... souffla-t-elle en bavant.
- Little ! la gronda Lucie.
- Euh, non, non, arrête ... fit-elle en stoppant Largo qui allait retirer sa chemise.
- Faut savoir ce que vous voulez les filles ! ”
A ce moment, Simon et Bobsleigh, pétrifiés, arrivèrent en courant.
“ Oh mon Dieu c’est horrible ! ! ! ! ! cria Bob. Vous ne devinerez jamais ce qu’on a appris des deux secrétaires lesbiennes ! ! ! ! ! !
- Largo est une pornostar ! ! ! ! ! ! ! cria Simon.
- On sait ! fit Lucie en pointant le doigt vers Largo qui fixait Simon d’un air éberlué.
- Ma qu’est-ce que vous avez tous à m’appeler Largo ? protesta-t-il. Mon nom est Ricardo. Ricardo Tubbs. Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis l’acteur principal de “ Roule-moi une pelle Annabelle ” !
- Tiens, je l’ai pas vu celui-là ... réfléchit Little. Euh, pour mon enquête je veux dire ... ” rectifia-t-elle d’un air digne.
La voix du réalisateur retentit dans un haut parleur.
“ On demande Ricardo sur le plateau 6 pour la scène treize, dépêche-toi mon Cador, ces demoiselles n’attendent plus que toi ! ”
Largo allait se préparer à s’en aller quand Simon le retint.
“ Désolé, mon pote, je t’ai retrouvé, je te lâche plus ! ” fit-il.
Largo haussa les épaules.
“ Je mange pas de ce pain-là, mon vieux ... ”
Simon eut une mine désemparée.
“ Bon, on n’arrivera pas plus à le convaincre que Micheline la caissière de nous suivre gentiment. Alors utilisons la même méthode de persuasion. Lili ? ”
Lili se posta face à Largo, lui fit coucou, et puis lui écrasa sa poêle Téfal sur la tête. Largo s’écroula et Simon, aidé de Bobsleigh, le porta vers la sortie.
“ Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour ses amis ... ”