Afin de satisfaire l’appétit vorace de leur traductrice-sauveuse potentielle Belphégor La Morfale, Lili s’était rendue dans la supérette la plus proche afin d’y procéder à quelques achats, rien que de la nourriture saine et équilibrée: Bretzels et Pépitos.
Ignorant les oeillades entreprenantes d’une espèce de pseudo-sous-Doudou gominé qui faisait la queue derrière elle à la caisse, Lili disposa avec empressement sa marchandise sur le tapis roulant en panne pour en finir. C’est alors que retentit la voix nasillarde et vulgaire de la caissière, qui mâchait un gros chewing-gum.
“ Scuzez-moâ mamzelle, meuh l’tapis roulant marche pas ... Pourriez avancer vot’ marchandises des fois ? ”
Lili fut glacée sur place. Elle connaissait cette voix. Elle leva un regard apeuré vers la jeune caissière en blouse rose délavée qui la fixait d’un air de poisson mort, et reconnut, ô stupeur, JOY ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
“ Mon Dieu ! cria Lili. Joy, c’est bien toi ? Mais on te cherchait partout ! ”
Pour toute réponse, Joy saisit un paquet de Pépitos pour le passer sous le scanner manuel de sa caisse.
“ Joy ! Joy ! insista Lili. Dis quelque chose ! ”
Joy se mordit la lèvre et lui désigna son paquet de Pépitos.
“ Dites voir ... demanda la garde du corps. Z’êtes sûre que vous l’voulez cte paquet de gâteaux ? Y passe pas !
- Joy, tu ne me reconnais pas ? ”
Pour toute réponse, Joy haussa les épaules.
“ J’m’appelle Micheline, moi, m’dame. ”
Puis elle tenta à nouveau de passer la marchandise au scanner.
“ Ben non ... J’vois pas ... Y passe toujours pas vot’ truc ... ”
Joy regarda alors le code barre et se résolut à le taper manuellement. Le dragueur gominé qui collait Lili lui donna un coup de coude.
“ Dis donc poupée, ta copine a l’air amnésique ... Tu veux que je vous emmène chez moi ? On pourrait jouer au docteur pour la guérir ? ”
Lili gronda. Elle alla emprunter une casserole dans le caddie d’une vieille dame et rétama le dragueur à coup de Téfal. Il s’écroula sur le tapis roulant. Joy le regarda et tenta de le passer sous son scanner manuel.
“ Lui non plus, y passe pas ... grogna-t-elle.
- Mais enfin Joy ! Réveille-toi ! C’est moi! Lili, l’autre tarée de Doudou’s Angel, comme tu m’appelles ...
- Désolée, m’dame, moi, c’est Micheline.
- Je comprends rien ... ” se désespéra Lili.
Je vais t’expliquer ...
“ Angelene, c’est toi ? ” demanda Lili.
Non, bécasse, c’est Dieu. Angelene écrit, elle a autre chose à foutre que de parler avec toi.
“ Bon, admettons, tu es Dieu. Tu sais ce qu’il se passe toi ? ”
Bah oui, je suis omniscient. Tu pionçais pendant les cours de catéchisme ou quoi ?
“ Dieu, je t’emmerde, va droit au but. ”
Tu sais que tu me gonfles la petite là ?
“ Te vexe pas ... ”
Trop tard, je suis vexé. J’ai plus envie de te raconter ce qu’il se passe. T’as qu’à voir avec tes copains.
A ce moment, Belph, Lilou, Doudou, Lucie, Samuel et Bobsleigh apparurent comme par enchantement dans la supérette.
“ Qu’est-ce que vous faites là ? demanda Lili. Vous êtes censés être au Louvre ?
- Dieu nous a téléportés jusqu’ici, expliqua Belph, comme si c’était tout à fait normal.
- Ah oui ? Ton Dieu, il aurait pas de grandes oreilles pointues et il s’appellerait pas par hasard Spock ?
- Non. C’est Dieu-Dieu. Tu sais le Grand Créateur. ”
Lili haussa les épaules puis, tous remarquèrent Joy, toujours installée à sa caisse, qui tentait pour la vingtième fois de taper le code barre du paquet de Pépitos.
“ Joy ? Mais qu’est-ce qu’elle fait là ? ” demanda Simon d’un air soulagé, en voulant serrer dans ses bras son amie.
Lilou l’en empêcha en tirant avec fermeté sur sa laisse rouge.
“ Pas bouger Doudou ! T’es encore à moi pendant cinq heures !
- Simon, Joy n’est pas normale ... expliqua Lili. Elle ne se rappelle plus qui elle est, elle croit qu’elle est caissière et qu’elle s’appelle Micheline.
- Ca y est, j’ai réussi ! dit fièrement Joy en brandissant le paquet de Pépito. Ca vous fait 9€28, mam’zelle.
- C’est super inquiétant ... marmonna Simon. Joy ? Tu te rappelles pas de moi ?
- Je devrais ?
- Je suis Simon Ovronnaz ! ”
Joy fronça les sourcils. Puis un éclair de lucidité sembla traverser ses yeux.
“ Oui ! ! J’y suis ! ! Z’êtes l’assistant de mon gynécologue ! ”
Simon eut un regard vide.
“ Non.
- Ah bon ? Ben ... Vous lui ressemblez, vain Dieu !
- Et Kerensky ? Ca te dit quelque chose ?
- Un joueur d’échec ?
- Bon ... Alors Largo Winch ? ”
Joy sourit.
“ Ah ... Lui, j’le connais !
- Ahhhhhh ! Tu me rassures ! la coupa Simon.
- C’est un acteur porno ... ” poursuivit Joy avec un grand sourire.
Ses amis se consultèrent du regard.
“ Belph ? T’as une idée de la raison pour laquelle elle est comme ça ? ”
Elle secoua la tête, signe que non.
“ Bon, on va essayer de trouver un moyen de la faire redevenir normale. En attendant, on l’a au moins retrouvée, on l’embarque ! ” déclara Lucie d’un air autoritaire, dont les effets du LSD s’étaient dissipés.
Euh attendez ... Non finalement, c’est plus drôle quand elle est shootée ... Je modifie.
“ Qui veut jouer à shoote dans le bébé avec moi ? Y a un berceau là, c’est rigolooooooooooooo ! s’exclama Lucie.
- Du calme, pas shoote dans le bébé ! ” intervint Lili en retenant Lucie par le bras, qui voulait s’attaquer à un adorable bambin dormant paisiblement dans son landau tandis que sa maman faisait les courses.
Simon reprit les choses en main.
“ Ok, Joy, tu viens avec nous, on va te faire examiner par un médecin, on trouvera bien la raison de ton attitude étrange. ”
Joy lui lança un regard noir.
“ Hey ! Chui de service, moi, mon garçon !
- Ne fais pas de caprice, tu viens et c’est tout ! ”
Simon attrapa Joy par la taille et l’obligea à se décoller de son fauteuil de caissière. Elle se débattit et il finit par la lâcher à regrets. Une fois debout devant lui, il la détailla d’un air lascif.
“ Joy ... Tu portes quelque chose sous ta blouse ? sourit-il en la détaillant sous tous les angles.
- Non mais ça va pas ? Doudou, au pied ! gronda Lilou en tirant sur la chaînette. Et toi, tu nous accompagnes sans discuter !
- J’peux pas partir comme ça ! Faut que je prévienne mon gérant ! protesta Joy.
- Qu’est-ce que t’attends ? Préviens-le ! ”
Joy saisit un micro et lança un message.
“ On demande Mr Blandol à la caisse 3 ! Je répète, Mr Blandol à la caisse 3. ”
Peu de temps après, le dénommé Blandol apparut et ô surprise, il s’agissait de Michel Cardignac ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
“ Que se passe-t-il ici ? demanda Michel.
- Ce sont ces clients, mon cochonnet. Y veulent que je quitte mon service pour aller avec eux !
- T’inquiètes pas bobonne, je vais arranger ça ! ”
Simon, dépassé par les événements, commença à faire de l’hyper ventilation. Bobsleigh, une tête de six pieds de long, faisait passer inlassablement son regard de Joy à Cardignac.
“ Mais vous ... Vous ... Vous ... Cardignac ? articula-t-il péniblement.
- Non, je ne suis pas ce Cardignac, sourit ce dernier. Je m’appelle Robert Blandol. Et ceci est MA supérette, donc je vous prierais de ne plus importuner mes employées.
- Mais ... Mais ...
- T’es le meilleur mon cochonnet ! s’excita Joy en serrant le bras de Cardignac/Blandol.
- Vous ... ? Joy, tu l’appelles “ mon cochonnet ” ? s’enquit Belph d’un air vaguement dégoûté.
- Voui ! C’est parce que c’est mon petit mari ! ” expliqua-t-elle en brandissant fièrement son alliance à la main gauche.
Simon, à cette vision d’horreur, devint tout pâle. En ayant supporté plus qu’il ne le croyait possible, il tomba dans les vapes, raide comme un piquet. Lilou et Lili se précipitèrent à genoux pour le ventiler, tandis que Lucie, traversait en courant le magasin, criant “ YOUPPIIIIIII ! SHOOTE DANS LE BEBEEEEEEEEE ! ”, et poursuivant une jeune femme qui tentait de protéger son bébé fuyant à toutes jambes dehors.